Conseil d'État, 8ème / 3ème SSR, 6 mai 2015, 377487

  • Protection contre les occupations irrégulières·
  • Convention européenne des droits de l'homme·
  • 1er du premier protocole additionnel)·
  • Droit au respect de ses biens (art·
  • Droits garantis par les protocoles·
  • Droits civils et individuels·
  • Exécution des jugements·
  • Méconnaissance de l'art·
  • Protection du domaine·
  • Domaine public

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 1P1 Conv. EDH), en mentionnant les conditions prévues par la loi , visent à la fois le droit écrit et le droit non écrit, et exigent seulement que ce droit soit, d’une part, suffisamment accessible et, d’autre part suffisamment précis et prévisible pour que le citoyen, en s’entourant le cas échéant de conseils éclairés, soit à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d’un acte déterminé.,,,La faculté d’assortir sa décision d’une astreinte, en application d’un principe général, est employée de manière constante, depuis plusieurs décennies, par le juge administratif statuant en matière d’occupation irrégulière du domaine public. Ainsi, la personne faisant l’objet d’une action contentieuse devant le juge administratif pour occupation irrégulière du domaine public est en mesure de prévoir que ce juge peut assortir l’injonction de libérer les lieux d’une astreinte, qui sera en principe liquidée si, à l’issue du délai fixé par le jugement, celui-ci n’a pas été entièrement exécuté. En conséquence, la circonstance que la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l’encontre d’une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne soit pas prévue par la loi ne méconnaît pas l’article 1P1 Conv. EDH.

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Le préfet de la Corse-du-Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia de liquider l’astreinte prononcée à l’encontre de M. A… B… par un jugement du 28 juin 2004, pour la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011 et pour la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013.

Par deux jugements n° 1200048 du 12 avril 2012 et n° 1300403 du 18 juillet 2013, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à ces demandes.

Par un arrêt n°s 12MA02132, 13MA03248 du 11 février 2014, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par M. B… contre le jugement du 12 avril 2012 du tribunal administratif de Bastia, réduit le montant de l’astreinte prononcée par le jugement du 18 juillet 2013 de ce même tribunal et rejeté le surplus des requêtes de M. B….

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril et 9 juillet 2014 et le 19 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 11 février 2014 de la cour administrative d’appel de Marseille ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses requêtes ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la Constitution, notamment son Préambule et son article 34 ;

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de M. B…;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêt du 27 février 2006, devenu définitif, la cour administrative d’appel de Marseille, statuant sur l’appel formé par M. B… contre un jugement du 28 juin 2004 du tribunal administratif de Bastia, l’a condamné à remettre en état les lieux qu’il occupait sur le domaine public maritime à Bonifacio, sous astreinte de 75 euros par jour de retard à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ; que le tribunal administratif de Bastia a condamné M. B…, par un jugement du 12 avril 2012, à payer la somme de 88 575 euros au titre de la liquidation de cette astreinte pour la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011 et, par un jugement du 18 juillet 2013, à payer la somme de 43 425 euros au même titre pour la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013 ; que, par un arrêt du 11 février 2014 contre lequel M. B… se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel de M. B… contre le premier jugement et ramené l’astreinte prononcée par le second jugement à la somme de 11 580 euros ;

2. Considérant, en premier lieu, que, par l’arrêt du 27 février 2006, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que l’appontement, l’escalier et la cale de mise à l’eau empiétaient sur le domaine public maritime et confirmé le jugement du tribunal administratif de Bastia qui avait condamné M. B… à remettre dans leur état primitif les lieux sur lesquels sont implantées ces installations ; que le juge de l’exécution est tenu par l’autorité de la chose jugée par la décision dont l’exécution est demandée ; qu’il en résulte que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’étaient inopérants, dans l’instance relative à la liquidation de l’astreinte, les moyens tirés de ce que le domaine public n’aurait fait l’objet d’aucune délimitation et de ce que M. B… n’aurait pas construit l’appontement litigieux et n’en serait pas propriétaire, et en se bornant à constater, par une appréciation qui n’est pas contestée devant le juge de cassation, qu’en raison de la subsistance d’une partie des installations litigieuses, il n’avait pas entièrement exécuté le jugement du 28 juin 2004 ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte à l’encontre de personnes privées en vue de l’exécution de leurs décisions, dont découle celle de liquider cette astreinte lorsque la personne se refuse, à l’issue du délai qui lui a été imparti, à exécuter la décision, a le caractère d’un principe général ; que, s’il n’appartient qu’au législateur de déterminer, d’étendre ou de restreindre les limites de cette faculté, le juge peut, en l’absence de dispositions législatives en ce sens, en faire usage sans texte, le cas échéant d’office ;

4. Considérant, d’une part, que c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que l’astreinte, qui a pour objet de contraindre la personne qui s’y refuse à exécuter les obligations que le juge a fixées, ne constitue pas une peine ou une sanction, au sens de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et en a déduit que la circonstance que la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l’encontre d’une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne soit pas prévue par la loi ne méconnaissait aucune disposition à valeur constitutionnelle, et notamment pas l’exigence de séparation des pouvoirs ;

5. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes » ; que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ces stipulations, en mentionnant « les conditions prévues par la loi », visent à la fois le droit écrit et le droit non écrit, et exigent seulement que ce droit soit, d’une part, suffisamment accessible et, d’autre part suffisamment précis et prévisible pour que le citoyen, en s’entourant le cas échéant de conseils éclairés, soit à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d’un acte déterminé ;

6. Considérant que la faculté d’assortir sa décision d’une astreinte, en application du principe général rappelé au point 3, est employée de manière constante, depuis plusieurs décennies, par le juge administratif statuant en matière d’occupation irrégulière du domaine public ; qu’ainsi, la personne faisant l’objet d’une action contentieuse devant le juge administratif pour occupation irrégulière du domaine public est en mesure de prévoir que ce juge peut assortir l’injonction de libérer les lieux d’une astreinte, qui sera en principe liquidée si, à l’issue du délai fixé par le jugement, celui-ci n’a pas été entièrement exécuté ; qu’en conséquence, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la circonstance que la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l’encontre d’une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne soit pas prévue par la loi ne méconnaissait pas l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. B… doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. B… est rejeté.


Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

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