Conseil d'État, 8ème chambre, 4 mai 2016, 393472, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CE, 8e ch., 4 mai 2016, n° 393472
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 393472
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Douai, 8 juillet 2015, N° 14DA00126
Identifiant Légifrance : CETATEXT000032491618
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHS:2016:393472.20160504

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

L’office national des forêts (ONF) a demandé au tribunal administratif de Rouen d’annuler l’arrêté notifié le 22 juin 2011 par lequel le maire de la commune du Vaudreuil, agissant au nom de l’Etat, a institué une servitude au profit de la société France Télécom dans une dépendance de la forêt domaniale de Bord-Louviers. Par un jugement n° 1102377 du 19 novembre 2013, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 14DA00126 du 9 juillet 2015, la cour administrative d’appel de Douai a, d’une part, sur appel de l’ONF, annulé l’article 2 de ce jugement en tant qu’il mettait à la charge de l’ONF une somme de 500 euros à verser à la commune du Vaudreuil au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la requête, d’autre part, jugé qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée devant elle par l’ONF.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 septembre et 10 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’ONF demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 4 et 5 de cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société Orange et de l’Etat la somme de 3 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par deux mémoires distincts, enregistrés les 14 septembre et 1er décembre 2015, présentés en application de l’article R. 771-16 du code de justice administrative, l’ONF conteste le refus opposé par la cour administrative d’appel de Douai de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 45-9 et L. 48 du code des postes et des communications électroniques.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

 – l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

 – le code général de la propriété des personnes publiques ;

 – le code forestier ;

 – le code des postes et des communications électroniques ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Esther de Moustier, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de l’office national des forêts ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’office national des forêts (ONF) a demandé au tribunal administratif de Rouen d’annuler l’arrêté notifié le 22 juin 2011 par lequel le maire de la commune du Vaudreuil, agissant au nom de l’Etat, a institué une servitude au profit de la société France Télécom, devenue société Orange, dans une dépendance de la forêt domaniale de Bord-Louviers sur le territoire de cette commune ; que, par un jugement du 19 novembre 2013, le tribunal administratif a rejeté cette demande ; que l’ONF se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 9 juillet 2015 par lequel la cour administrative d’appel de Douai, après avoir annulé l’article 2 de ce jugement en tant qu’il mettait à la charge de l’ONF une somme de 500 euros à verser à la commune du Vaudreuil au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, a rejeté le surplus des conclusions de la requête de l’ONF ; que l’ONF conteste également, par un mémoire distinct, l’arrêt de la cour administrative d’appel en tant qu’il a refusé de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu’il avait soulevée devant elle, portant sur les articles L. 45-9 et L. 48 du code des postes et des communications électroniques ;

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant que les dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d’Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, applicable à la date de l’arrêté contesté : « Les exploitants des réseaux ouverts au public bénéficient d’un droit de passage sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, à l’exception des réseaux et infrastructures de communications électroniques, et de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l’article L. 48 (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 48 du même code, dans sa rédaction applicable à cette même date : « La servitude mentionnée à l’article L. 45-9 est instituée en vue de permettre l’installation et l’exploitation des équipements du réseau (…) : / (…) b) sur le sol et dans le sous-sol des propriétés non bâties (…) » ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Font également partie du domaine privé : / (…) 2° Les bois et forêts des personnes publiques relevant du régime forestier » ; qu’en vertu des articles L. 111-1 et L. 121-3 du code forestier, dans leur rédaction applicable à la date de l’arrêté contesté, l’ONF est chargé d’assurer la mise en oeuvre du régime forestier dans les forêts et terrains à boiser qui font partie du domaine de l’Etat ;

5. Considérant, en premier lieu, que l’article L. 45-9 du code des postes et des télécommunications électroniques est applicable au litige en tant qu’il précise que les exploitants des réseaux ouverts au public bénéficient de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l’article L. 48 du même code ; que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’article L. 48 du même code renvoie partiellement à l’article L. 45-9 du code et est applicable au litige dès lors qu’il constitue le fondement de l’arrêté contesté ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que, devant la cour, l’ONF, qui n’a pas fait valoir que l’article L. 48 du code des postes et des communications électroniques méconnaissait l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, soutenait que l’article L. 48 du code des postes et des communications électroniques portait atteinte au droit de propriété garanti par l’article 2 de la même Déclaration ;

7. Considérant qu’en l’absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ; qu’en jugeant que les dispositions de l’article L. 48 du code des postes et des communications électroniques, qui contribuent au développement des réseaux de communications électroniques, poursuivaient un but d’intérêt général, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ; que la cour s’est ensuite fondée sur les circonstances que la servitude prévue par l’article L. 48 était délimitée par la dimension, relativement modeste, du réseau des communications électroniques, que cet article réservait expressément les droits du propriétaire du bien grevé de la servitude et que ses dispositions n’impliquaient par elles-mêmes d’autres limitations au droit de propriété que celles strictement nécessaires au passage et au fonctionnement de l’ouvrage pour juger que la limitation au droit de propriété résultant de ces dispositions était proportionnée à l’objectif poursuivi ; qu’en statuant ainsi, et alors même que la servitude aurait pour effet d’interdire, sur son tracé, la plantation d’arbres sur les terrains appartenant à l’Etat relevant du régime forestier, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt au regard de l’argumentation qui lui était soumise, n’a pas commis d’erreur de droit ;

8. Considérant, en troisième lieu, que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; qu’au regard de l’objet des dispositions contestées devant la cour, le domaine public et les « propriétés privées », qui incluent les biens appartenant au domaine privé d’une personne publique, ne sont pas placés dans la même situation ; que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant inopérante la circonstance que le domaine privé forestier était inaliénable et insaisissable et en jugeant non sérieux le moyen tiré de ce qu’en instituant des régimes différents pour, d’une part, l’occupation du domaine public et, d’autre part, les servitudes sur les propriétés privées, auxquelles sont assimilées les dépendances du domaine privé forestier, le législateur aurait méconnu le principe d’égalité ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu’en estimant que le moyen tiré de ce que les dispositions législatives critiquées seraient entachées d’incompétence négative n’était pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé, la cour ne s’est pas méprise sur la portée des écritures qui lui étaient soumises ;

10. Considérant, enfin, que l’article 6 de la Charte de l’environnement n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ; que ce motif de pur droit doit être substitué au motif retenu par la cour ;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ONF n’est pas fondé à demander l’annulation du refus de transmission opposé par la cour ;

Sur le pourvoi en cassation :

12. Considérant qu’aux termes de l’article L. 822-1 du code de justice administrative : « Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux » ;

13. Considérant que pour demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque, l’ONF soutient que la cour l’a insuffisamment motivé en jugeant que l’arrêté contesté était suffisamment motivé ; qu’elle a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que cet arrêté spécifiait les opérations que comporte l’exploitation des installations ; qu’elle a méconnu l’article R. 20-58 du code des postes et des communications électroniques en jugeant qu’une mention relative aux travaux de réalisation des installations était suffisante ; qu’elle a inexactement qualifié les faits en jugeant que la servitude en cause dans le litige avait été instaurée pour l’exploitation d’un réseau ouvert au public, alors qu’il s’agissait d’un réseau indépendant ;

14. Considérant qu’aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Orange et de l’Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu’elles font également obstacle à ce qu’une somme soit versée à ce titre à la commune du Vaudreuil, qui a seulement été appelée à présenter des observations ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l’ONF le versement au même titre à la société Orange de la somme de 1 000 euros ;

D E C I D E :

--------------


Article 1er : La contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à l’ONF par la cour administrative d’appel de Douai dans son arrêt du 9 juillet 2015 est rejetée.


Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de l’ONF n’est pas admis.


Article 3 : Les conclusions présentées par l’ONF et par la commune du Vaudreuil au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Article 4 : L’ONF versera à la société Orange une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’Office national des forêts, au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, à la société Orange et à la commune du Vaudreuil.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

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