Conseil d'État, 7ème chambre, 27 juillet 2016, 390119, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Mme A… C…, veuveB…, a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler la décision du 20 décembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande présentée, en qualité d’ayant droit, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par un jugement n° 1201634 du 4 juin 2014, le tribunal administratif de Lyon a décidé, avant de statuer sur sa demande, de faire procéder à une expertise médicale.

Par un arrêt n° 14LY02469 du 12 mars 2015, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 mai, 12 août 2015 et 7 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme C… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter le recours présenté par le ministre de la défense ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

 – le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Thomas Odinot, auditeur,

— les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de Mme C…;

1. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : « Toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d’Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit » ; que l’article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu’aux termes du I de l’article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : « Les demandes d’indemnisation sont soumises à un comité d’indemnisation (…) » et qu’aux termes du II de ce même article : « Ce comité examine si les conditions de l’indemnisation sont réunies. Lorsqu’elles le sont, l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l’intéressé (…) » ; qu’aux termes de l’article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l’application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction alors applicable : « Le comité d’indemnisation détermine la méthode qu’il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s’appuyant sur les méthodologies recommandées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (…) » ;

2. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d’une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d’une présomption de causalité aux fins d’indemnisation du préjudice subi en raison de l’exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu’il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d’exposition du demandeur, est négligeable ; qu’à ce titre, l’appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu’il exerçait effectivement, ses conditions d’affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

3. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l’un des éléments sur lequel l’autorité chargée d’examiner la demande peut se fonder afin d’évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l’autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu’externe des personnes exposées, qu’il s’agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d’utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d’exposition de l’intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu’en l’absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l’absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d’exposition de l’intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l’administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B… a été affecté au centre d’expérimentations du Pacifique à Mururoa, en Polynésie française, du 23 mars 1970 au 4 octobre 1971 en qualité de vaguemestre aux armées ; qu’il a développé un cancer du rein, diagnostiqué en juin 1999, dont il est décédé le 13 avril 2005 ; que durant son séjour, M. B… a été amené à se rendre au moins une fois en « zone contrôlée », le 25 juin 1970, soit le lendemain du tir « Eridan » à Mururoa ; qu’il a bénéficié durant son séjour de quatre examens d’anthropospectrogammamétrie les 2, 5, 25 et 30 juin 1970 au titre de la surveillance de la contamination interne ; que l’examen du 25 juin 1970 s’est révélé anormal avec un « indice de tri » de 3,45 ; qu’à la suite de cet examen, l’intéressé n’a bénéficié que d’un seul autre examen, du même type, cinq jours plus tard, qui s’est révélé normal ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait bénéficié d’autres examens pour s’assurer notamment de l’absence durable de contamination interne, alors qu’il existait un soupçon d’une telle contamination à l’issue de l’examen du 25 juin 1970 ; que, dans ces circonstances, en déduisant des seuls résultats de l’examen du 30 juin 1970 que le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable, sans vérifier le caractère suffisant de cette dernière mesure de surveillance et alors que M. B… était resté affecté au centre d’expérimentations du Pacifique jusqu’au 4 octobre 1971, la cour a entaché son arrêt d’une dénaturation ; qu’elle a, par suite, également dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l’administration pouvait être regardée comme rapportant, dans ces conditions, la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. B… était négligeable ; que son arrêt doit dès lors être annulé ;

5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances d’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros à verser à Mme C… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 12 mars 2015 est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.

Article 3 : l’Etat versera à Mme C… une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A… C…, veuveB…, et au ministre de la défense.

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