Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 décembre 2017, 396571, Publié au recueil Lebon

  • Droit au respect de la vie privée et familiale (art·
  • Accès aux informations relatives à l'auteur du don·
  • Convention européenne des droits de l'homme·
  • Documents administratifs non communicables·
  • Contrôle de la compatibilité avec l'art·
  • Contrôle de compatibilité à la conv·
  • Accès aux documents administratifs·
  • Droits garantis par la convention·
  • Droits civils et individuels·
  • Pouvoirs et devoirs du juge

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Plusieurs considérations d’intérêt général ont conduit le législateur à interdire la divulgation de toute information sur les données personnelles d’un donneur de gamètes puis à écarter toute modification de cette règle de l’anonymat, notamment la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps. Au regard de cette dernière finalité, qui traduit la conception française du respect du corps humain, aucune circonstance particulière propre à la situation d’un demandeur ne saurait conduire à regarder la mise en oeuvre des dispositions législatives relatives à l’anonymat du don de gamètes comme portant une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH). Il en résulte que le moyen tiré de ce que le refus d’accéder aux informations sur l’auteur d’un don de gamète porterait, dans les circonstances particulières de l’espèce, une atteinte excessive aux droits protégés par les articles 8 et 14 de la conv. EDH est inopérant.

Interdiction de communiquer au receveur d’un don de gamètes les informations concernant le donneur à l’origine de sa conception, prévue par les articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique (CSP)…. ,,Plusieurs considérations d’intérêt général ont conduit le législateur à interdire la divulgation de toute information sur les données personnelles d’un donneur de gamètes puis à écarter toute modification de cette règle de l’anonymat, notamment la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps. Au regard de cette dernière finalité, qui traduit la conception française du respect du corps humain, aucune circonstance particulière propre à la situation d’un demandeur ne saurait conduire à regarder la mise en oeuvre des dispositions législatives relatives à l’anonymat du don de gamètes comme portant une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH). Il en résulte que le moyen tiré de ce que le refus d’accéder aux informations sur l’auteur d’un don de gamète porterait, dans les circonstances particulières de l’espèce, une atteinte excessive aux droits protégés par les articles 8 et 14 de la conv. EDH est inopérant.

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir les décisions de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), en date des 6 juillet et 25 septembre 2011, les décisions du centre hospitalier universitaire de Cochin en date des 14 août et 25 septembre 2011 et les décisions du centre d’études et de conservation des oeufs et du sperme de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre en date des 15 août et 25 septembre 2011, rejetant ses demandes tendant à la communication des documents relatifs au donneur de gamètes à l’origine de sa conception et d’enjoindre à ces autorités, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document, de lui transmettre ces documents. Par un jugement n° 1121183/7-1 du 21 septembre 2012, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande en tant qu’elle était dirigée contre les décisions des 6 juillet, 14 août et 15 août 2011 et sursis à statuer sur le surplus des conclusions de M. A… jusqu’à l’avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration du délai de trois mois à compter de la transmission du dossier pour examen des questions de droit définies dans les motifs du jugement.

Par un avis n° 362981 du 13 juin 2013, le Conseil d’Etat a estimé que les dispositions législatives interdisant la divulgation de toute information sur les données identifiantes d’un donneur de gamètes et soumettant l’accès aux données non identifiantes de nature médicale à un principe d’interdiction assorti de deux exceptions, n’étaient pas incompatibles avec les stipulations des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par un jugement n° 1121183/7-1 du 27 janvier 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.


Procédure devant le Conseil d’Etat

Par un arrêt n° 14PA01522 du 22 janvier 2016, enregistré le 29 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Paris a, en application de l’article R. 351-4 du code de justice administrative, déclaré irrecevables les conclusions indemnitaires présentées pour la première fois devant elle et transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 7 avril 2014 au greffe de cette cour, présenté par M. A… en tant que par ce pourvoi il conteste le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 janvier 2014 statuant sur ses conclusions d’annulation.

Par ce pourvoi, enregistré le 29 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de l’AP-HP la somme de 15 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – la convention internationale des droits de l’enfant ;

 – le code civil ;

 – le code pénal ;

 – la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

 – la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 ;

 – la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 ;

 – la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,

— les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Occhipinti, avocat de M. B… A… et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Il resort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B… A…, qui a été conçu par insémination artificielle avec don de gamètes recueilli par le centre d’études et de conservation des oeufs et du sperme de l’hôpital Cochin, a demandé en 2011 à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de lui communiquer des informations relatives au donneur de gamètes à l’origine de sa conception. Ses demandes ont fait l’objet de décisions de rejet. La Commission d’accès aux documents administratifs, saisie le 25 juillet 2011, a rendu un avis défavorable sur ces demandes et, en l’absence de nouvelles décisions expresses de l’AP-HP, des décisions implicites de rejet des demandes de communication sont nées le 25 septembre 2011. M. A… se pourvoit en cassation contre le jugement du 27 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des décisions de refus de communication des informations demandées et à ce qu’il soit enjoint à l’AP-HP, sous astreinte, de lui communiquer ces documents.

2. Aux termes des dispositions de l’article 16-8 du code civil : « Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur. /En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci ». Aux termes des dispositions de l’article L. 1211-5 du code de la santé publique : « Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. /Il ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’en cas de nécessité thérapeutique ». Aux termes de l’article L. 1244-6 du même code : « Les organismes et établissements autorisés dans les conditions prévues à l’article L. 2142-1 fournissent aux autorités sanitaires les informations utiles relatives aux donneurs. Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu à partir de gamètes issus de don ». Aux termes de l’article R. 1244-5 du même code : « (…) Les informations touchant à l’identité des donneurs, à l’identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa ont accès à ces informations ». Aux termes de l’article L. 1131-1-2 du même code : « (…) Lorsqu’est diagnostiquée une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins chez une personne qui a fait un don de gamètes ayant abouti à la conception d’un ou plusieurs enfants ou chez l’un des membres d’un couple ayant effectué un don d’embryon, cette personne peut autoriser le médecin prescripteur à saisir le responsable du centre d’assistance médicale à la procréation afin qu’il procède à l’information des enfants issus du don dans les conditions prévues au quatrième alinéa ».

3. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées des articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique, issues respectivement de la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et de la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, qui posent les limites et les conditions de la divulgation des informations permettant d’identifier celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu, qu’elles sont applicables à toutes les demandes de communication d’informations présentées postérieurement à leur entrée en vigueur y compris celles qui se rapportent à un don effectué antérieurement. Il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal administratif de Paris n’a pas entaché son jugement d’erreur de droit en faisant application des dispositions précitées à la demande présentée par M. A…, né d’un don d’organe effectué antérieurement à leur entrée en vigueur.

4. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 qu’elles régissent l’accès non seulement aux données permettant d’identifier l’auteur d’un don de gamètes mais aussi aux données non identifiantes, qu’elles soient ou non de nature médicale. Il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal administratif de Paris n’a pas entaché son jugement d’erreur de droit en traitant l’ensemble des données afférentes au donneur, pour l’application de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, sans opérer de distinction selon qu’elles sont ou non identifiantes, ni selon qu’elles sont ou non de nature médicale.

5. En troisième lieu, il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif a écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales après avoir relevé que les règles d’accès aux données personnelles d’un donneur de gamètes, fixées par le législateur et sur lesquelles sont fondés les refus litigieux, ne sont pas incompatibles avec les stipulations de ces articles. Le requérant soutient que les premiers juges auraient, ce faisant, méconnu leur office dès lors qu’il invoquait également la violation de ces articles par les refus qui lui avaient été opposés, en faisant valoir, d’une part, l’accord de sa famille légale avec sa démarche et, d’autre part, l’absence de vérification préalable du consentement du donneur à la divulgation de son identité. Il est vrai que la compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention et qu’il appartient par conséquent au juge, lorsque le requérant fait état de telles circonstances particulières, d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en oeuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive.

6. Plusieurs considérations d’intérêt général ont conduit le législateur à interdire la divulgation de toute information sur les données personnelles d’un donneur de gamètes puis à écarter toute modification de cette règle de l’anonymat, notamment la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps. Au regard de cette dernière finalité, qui traduit la conception française du respect du corps humain, aucune circonstance particulière propre à la situation d’un demandeur ne saurait conduire à regarder la mise en oeuvre des dispositions législatives relatives à l’anonymat du don de gamètes, qui ne pouvait conduire qu’au rejet des demandes en litige, comme portant une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il en résulte que le moyen tiré de ce que les refus litigieux portaient, dans les circonstances particulières de l’espèce, une atteinte excessive aux droits de M. A… protégés par les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales était inopérant et que, en s’abstenant d’y répondre, le tribunal administratif, qui n’a pas méconnu son office, n’a pas entaché son jugement d’erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A… doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A… la somme de 3 000 euros à verser à l’AP-HP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.

Article 2 : M. A… versera une somme de 3 000 euros à l’AP-HP au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris.

Copie en sera adressée au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et à la ministre des solidarités et de la santé.

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Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 décembre 2017, 396571, Publié au recueil Lebon