Conseil d'État, 7ème chambre, 14 décembre 2018, 424847, Inédit au recueil Lebon

  • Justice administrative·
  • Armée·
  • Protection fonctionnelle·
  • Juge des référés·
  • Afghanistan·
  • Tribunaux administratifs·
  • Liberté fondamentale·
  • Affaires étrangères·
  • Protection·
  • Atteinte

Chronologie de l’affaire

Commentaires12

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

1L’octroi de la protection fonctionnelle à un ancien interprète afghan de l’armée française
SW Avocats · 2 mai 2021

Si l'article 11 de la loi n° 83-634 du 11 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, relatif à la protection fonctionnelle, vise les seuls « fonctionnaires », il apparaît que le champ des bénéficiaires de la protection fonctionnelle s'étend en réalité à tous les agents publics, le Conseil d'Etat ayant d'ailleurs érigé ce principe au rang des principes généraux du droit (v. pour une réaffirmation récente : CE Section, 8 juin 2011, req. n° 312700, Publié au recueil Lebon). Au cas présent, le Conseil d'Etat confirme cette extension et juge qu'un ancien interprète afghan, …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CE, 7e ch., 14 déc. 2018, n° 424847
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 424847
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 26 septembre 2018, N° 1817131
Identifiant Légifrance : CETATEXT000037816075
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHS:2018:424847.20181214

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. B… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d’enjoindre aux autorités françaises de le faire bénéficier de la protection fonctionnelle, d’une part, en mettant en oeuvre toute mesure de nature à assurer sa sécurité et celle de sa famille, d’autre part, en enjoignant à la ministre des armées, au ministre de l’intérieur et au ministre des affaires étrangères de lui délivrer un visa, ainsi qu’à son épouse et à ses enfants, dans un délai respectivement de 48 heures et d’un mois à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin, d’enjoindre à la ministre des armées de prendre en charge les frais de vol de sa famille jusqu’à Islamabad dans l’hypothèse où les visas leur seraient délivrés à l’ambassade de France au Pakistan. Par une ordonnance n° 1817131 du 27 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 12 octobre, 20 novembre et 10 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit aux demandes qu’il a présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,

— les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. A….

Considérant ce qui suit :

1. L’association des anciens interprètes afghans des l’armée française justifie d’un intérêt suffisant à l’annulation de l’ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention est recevable.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A…, ressortissant afghan, a exercé en 2010 et 2011 les fonctions d’interprète auprès des forces armées françaises alors déployées en Afghanistan. Les autorités françaises ont annoncé au mois de mai 2012 le retrait des forces françaises d’Afghanistan à partir du mois de juillet. M. A… a sollicité auprès des autorités consulaires françaises le 29 juin 2015 la délivrance d’un visa de long séjour dans le cadre du dispositif de réinstallation des personnels civils de recrutement local (PCRL) employés par l’armée française en Afghanistan. Sa demande a été rejetée par une décision notifiée le 29 mai 2016. Par une lettre du 22 février 2017, envoyée par courrier simple, puis transmise le 10 décembre 2017 par courriel à l’ambassadeur de France en Afghanistan, M. A… a demandé au ministre de la défense de lui accorder la protection fonctionnelle. Cette demande étant restée sans réponse, M. A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre aux autorités françaises de le faire bénéficier de la protection fonctionnelle, d’une part en mettant en oeuvre toute mesure de nature à assurer sa sécurité et celle de sa famille, telle que le financement d’un logement dans un quartier sécurisé de Kaboul, d’autre part en enjoignant à la ministre des armées, au ministre de l’intérieur et au ministre des affaires étrangères de lui délivrer un visa, ainsi qu’à son épouse et à ses enfants, dans un délai respectivement de 48 heures et d’un mois à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin en enjoignant à la ministre des armées de prendre en charge les frais de vol de sa famille jusqu’à Islamabad dans l’hypothèse où les visas leur seraient délivrés à l’ambassade de France dans cette au Pakistan. M. A… se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 27 septembre 2018 par laquelle le juge des référés a rejeté cette demande par application de la procédure prévue à l’article L. 522-3 du code de justice administrative.

Sur la régularité de l’ordonnance attaquée :

3. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L.521-2, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

5. Il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que pour rejeter les demandes de M. A…, le juge des référés du tribunal administratif de Paris s’est fondé sur la seule circonstance qu’eu égard à l’indépendance des législations, la décision refusant de lui accorder la protection fonctionnelle était sans lien avec l’examen de la possibilité de lui octroyer un visa ou un titre de séjour en France et que l’exécution de cette décision ne pouvait, dès lors, être regardée comme portant, par elle-même, une atteinte grave et manifestement immédiate à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. En statuant ainsi, sans indiquer ce qui s’opposait à ce que soit assurée la sécurité immédiate de l’intéressé ainsi que celle de sa famille, notamment par le financement d’une location dans un quartier sécurisé de Kaboul, avant leur mise en sécurité définitive par la délivrance d’un visa aux fins de rapatriement en France, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a insuffisamment motivé son ordonnance, qui doit, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulée.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

7. Si le contrat conclu pour une durée d’un an entre le ministre de la défense et M. A… le 10 août 2011 ne précise pas le droit qui lui est applicable en se bornant à renvoyer à « l’arrangement technique militaire entre la FIAS et l’administration intérimaire d’Afghanistan, ratifié le 2 janvier 2002 et amendé par les lettres du 22 novembre 2004 », il ressort de l’article 10 du contrat conclu pour la même durée le 10 août 2010 que les parties ont entendu placer celui-ci dans le cadre exclusif d’un rapport de droit français et de la compétence des juridictions administratives françaises. Dès lors, la juridiction administrative est compétente pour connaître de ses conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Etat de lui accorder la protection fonctionnelle au titre de ce contrat.

Sur les demandes présentées devant le juge des référés :

8. Il résulte de l’instruction que M. A… a notamment servi en qualité d’interprète auprès des forces françaises au sein des « Operating Laison and Mentoring Teams », équipes de tutorat et de liaison opérationnelle chargée de former les forces afghanes, dans la province d’Urozgan de mai à octobre 2010, puis à Surobi du 1er avril au 27 septembre 2011. En outre, il ressort de ses fiches de paie qu’il a perçu notamment en août et en septembre 2011, des indemnités d’activité opérationnelle. Il a fait l’objet de menaces de mort à plusieurs reprises en raison de sa qualité d’ancien auxiliaire de l’armée française. Il a été blessé par balles en juillet 2017 et puis lors d’un attentat le 22 novembre 2017 dans son village. Il indique avoir dû fuir le 21 septembre 2018 pour se réfugier à Kaboul à la suite de nouvelles menaces. Il fait valoir que le refus de protection fonctionnelle qui lui a été opposé porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de la vie et à celui de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, garantis par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et à son droit à une vie privée et familiale normale en application de l’article 8 de cette convention.

9. Ainsi qu’il a été dit au point 2, la demande de protection fonctionnelle adressée le 22 février 2017 par M. A… au ministre de la défense, et transmise à l’ambassadeur de France en Afghanistan le 10 décembre 2017, est restée sans réponse. Compte tenu des circonstances rappelées au point 8, la carence des autorités publiques françaises est de nature à exposer M. A…, de manière caractérisée, à un risque pour sa vie et à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Ces circonstances de fait révèlent, en elles-mêmes, une situation d’urgence caractérisée, justifiant l’intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

10. Par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’une part, d’enjoindre à la ministre des armées de mettre en oeuvre dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision toute mesure de nature à assurer la mise en sécurité immédiate du requérant et de sa famille, par tout moyen approprié, tel que le financement d’un logement dans un quartier sécurisé de Kaboul et, d’autre part, d’enjoindre aux ministres des armées, de l’intérieur et des affaires étrangères de réexaminer la situation de l’intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros à verser à M. A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative pour l’ensemble de la procédure.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L’intervention de l’association des anciens interprètes afghans de l’armée française est admise.

Article 2 : L’ordonnance du 27 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la ministre des armées de mettre en oeuvre dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision toute mesure de nature à assurer la mise en sécurité immédiate de M. A… et celle de sa famille, par tout moyen approprié, tel que le financement d’un logement dans un quartier sécurisé de Kaboul.

Article 4 : Il est enjoint aux ministres des armées, de l’intérieur et de l’Europe et des affaires étrangères de réexaminer la situation de M. A… dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 5 : L’Etat versera à M. A… une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. A… devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B…, au ministre de l’Europe et des affaires étrangères et à la ministre des armées.

Copie en sera adressée au ministre de l’action et des comptes publics et au ministre de l’intérieur.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Conseil d'État, 7ème chambre, 14 décembre 2018, 424847, Inédit au recueil Lebon