Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 21 octobre 2019, 419155

  • Marchés et contrats administratifs·
  • Exécution technique du contrat·
  • 1) a) conditions d'octroi·
  • Indemnité d'imprévision·
  • B) modalités de calcul·
  • Absence d'indemnité·
  • Aléas du contrat·
  • 2) illustration·
  • Conséquence·
  • Imprévision

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

) a) Une indemnité d’imprévision suppose un déficit d’exploitation qui soit la conséquence directe d’un évènement imprévisible, indépendant de l’action du cocontractant de l’administration, et ayant entraîné un bouleversement de l’économie du contrat…. … b) Le concessionnaire est alors en droit de réclamer au concédant une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l’interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter. Cette indemnité est calculée en tenant compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l’économie du contrat, l’indemnité d’imprévision ne pouvant venir qu’en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles.,,,2) Société chargée de la gestion d’un service de desserte maritime réclamant une indemnité d’imprévision. Cour administrative d’appel relevant que la diminution du fret de 16 % par rapport aux prévisions de trafic réalisées lors de l’élaboration du contrat n’est pas principalement à l’origine des déficits d’exploitation dont la société requérante faisait état, lesquels devaient être regardés comme étant largement la conséquence de l’état de fragilité financière initiale de la société, qui n’était ni imprévisible ni extérieur à l’action du cocontractant, et des conditions dans lesquelles avaient été définis les termes de la délégation, qui n’étaient pas davantage imprévisibles…. … Dès lors que la part du déficit d’exploitation qui était directement imputable à des circonstances imprévisibles et extérieures ne suffisait pas à caractériser un bouleversement de l’économie du contrat, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en en déduisant que la société n’était pas fondée à solliciter le versement d’une indemnité d’imprévision.

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

La société Alliance a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon d’annuler l’arrêté du 16 septembre 2008 par lequel le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a prononcé sa déchéance de la délégation de service public conclue pour la desserte maritime internationale en fret de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, de prononcer la résiliation de la convention pour force majeure et de condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 640 657,36 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n°s 668-08, 10-10 du 26 septembre 2012, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé l’arrêté préfectoral du 16 septembre 2008 et, avant-dire droit, désigné un expert chargé de déterminer les tonnages de fret importés, les causes des difficultés financières de la société Alliance, si elles ont eu pour origine la diminution du fret observée, si l’Etat a manqué à ses obligations contractuelles, si les conditions économiques ont créé une situation définitive ne permettant plus au délégataire d’équilibrer ses dépenses avec ses ressources et si l’interruption par ledit délégataire du service décidée en juin 2008 a procédé d’une cause indépendante, imprévisible et irrésistible.

Par un jugement n°s 668-98, 10-10 du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a prononcé la résiliation de la convention de délégation de service public à compter du 1er juillet 2008 et rejeté le surplus des demandes de la société Alliance.

Par un arrêt n° 16BX03271 du 19 décembre 2017, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la société Alliance contre ce jugement en tant qu’il rejetait ses conclusions indemnitaires.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mars et 20 juin 2018 et le 25 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Alliance demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – le code général des collectivités territoriales ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,

— les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la société Alliance ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2019, présentée par la société Alliance.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une convention de délégation de service public du 29 décembre 2004, conclue pour une durée de cinq ans, l’Etat a confié à la société Alliance l’exploitation et la gestion du service de desserte maritime en fret de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a pris, les 8 et 9 juillet 2008, à l’encontre de cette dernière deux arrêtés de réquisition aux fins d’assurer la continuité du service délégué. Par un nouvel arrêté du 16 septembre 2008, pris en application de l’article 30 de la convention de délégation de service public, le préfet a prononcé la déchéance de cette convention.

2. Saisi par la société Alliance d’une demande d’annulation de cette mesure et de conclusions aux fins de résiliation de la convention, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a, par un premier jugement rendu le 26 septembre 2012, annulé l’arrêté du 16 septembre 2008 et ordonné une expertise en vue de déterminer les causes des difficultés financières rencontrées par la société Alliance durant l’exécution de la convention de délégation de service public et si les conditions économiques résultant de la diminution du trafic de fret constatée au niveau international avaient constitué un évènement extérieur ayant définitivement empêché le délégataire d’équilibrer ses dépenses avec ses ressources. Puis, par un second jugement, en date du 13 juillet 2016, le même tribunal a, d’une part, prononcé la résiliation de la convention de délégation de service public à compter du 1er juillet 2008 au motif du bouleversement de l’économie du contrat et, d’autre part, rejeté les conclusions par lesquelles la société Alliance sollicitait la condamnation de l’Etat à l’indemniser des préjudices résultant des conditions dans lesquelles la délégation de service public avait été exécutée et pris fin. Par un arrêt du 19 décembre 2017, contre lequel la société Alliance se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la société contre ce jugement en tant qu’il a rejeté ses conclusions indemnitaires.

En ce qui concerne l’indemnité d’imprévision :

3. Une indemnité d’imprévision suppose un déficit d’exploitation qui soit la conséquence directe d’un évènement imprévisible, indépendant de l’action du cocontractant de l’administration, et ayant entraîné un bouleversement de l’économie du contrat. Le concessionnaire est alors en droit de réclamer au concédant une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l’interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter. Cette indemnité est calculée en tenant compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l’économie du contrat, l’indemnité d’imprévision ne pouvant venir qu’en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles.

4. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure que par son jugement du 13 juillet 2016 devenu sur ce point définitif, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a prononcé la résiliation du contrat en raison d’un bouleversement de l’économie du contrat résultant d’un déficit d’exploitation ayant pour origine la surestimation par l’Etat du volume de fret transporté. Si l’autorité de chose jugée s’étend non seulement au dispositif d’une décision, mais également aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, il n’y avait en l’espèce pas identité d’objet entre la demande de la société Alliance tendant à la résiliation de la convention de délégation de service public et sa demande de condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité au titre de l’imprévision. Par suite, la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui a statué dans les limites des conclusions dont elle était saisie, n’a pas méconnu l’autorité de la chose jugée attachée au jugement de première instance en rejetant les conclusions de la société tendant au versement d’une indemnité au titre de l’imprévision au motif que la baisse du trafic n’était pas principalement à l’origine des déficits d’exploitation de la société requérante.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d’appel de Bordeaux a relevé, au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu’il ne résultait pas de l’instruction que la diminution du fret de 16 % par rapport aux prévisions de trafic réalisées lors de l’élaboration du contrat soit principalement à l’origine des déficits d’exploitation dont la société Alliance faisait état, lesquels devaient être regardés comme étant largement la conséquence de l’état de fragilité financière initiale de la société, qui n’était ni imprévisible ni extérieur à l’action du cocontractant, et des conditions dans lesquelles avaient été définis les termes de la délégation, qui n’étaient pas davantage imprévisibles. Dès lors que la part du déficit d’exploitation qui était directement imputable à des circonstances imprévisibles et extérieures ne suffisait pas à caractériser un bouleversement de l’économie du contrat, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en en déduisant que la société n’était pas fondée à solliciter le versement d’une indemnité d’imprévision.

6. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la société n’avait pas invoqué à titre subsidiaire, pour solliciter une indemnisation au titre des pertes cumulées pendant la période d’exécution du contrat au cas où l’indemnité demandée sur le fondement de la théorie de l’imprévision ne serait pas retenue, l’existence d’une faute de l’Etat dans l’établissement de la convention du fait du caractère erroné des prévisions de trafic données aux candidats pour établir leur offre. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêt attaqué serait insuffisamment motivé faute pour la cour d’avoir répondu au moyen tiré de l’existence d’une faute de l’Etat dans l’établissement de la convention de délégation de service public ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne les autres chefs de préjudice :

7. Pour rejeter les conclusions de la société Alliance tendant à l’indemnisation de son manque à gagner, de la perte de valeur de son fonds de commerce et de ses frais d’établissement non amortis, la cour administrative d’appel a relevé que la société ne justifiait de la réalité du préjudice allégué ni en ce qui concerne le manque à gagner subi, pour lequel elle se bornait à présenter un tableau des bénéfices escomptés, ni en ce qui concerne ses frais d’établissement non amortis et qu’il ne résultait par ailleurs pas de l’instruction que son fonds de commerce aurait subi une perte de valorisation qui serait la conséquence directe de la fin anticipée de la délégation de service public. La cour administrative d’appel de Bordeaux a ce faisant suffisamment motivé sa décision sur ce point.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Alliance n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font par suite obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Alliance est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Alliance et à la ministre des outre-mer.

Copie en sera adressée à la Caisse d’épargne CEPAC venant aux droits de la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon.

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