Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 28 septembre 2020, 436978, Publié au recueil Lebon

  • Annulation d'une décision de préemption·
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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou par l’acquéreur évincé et après avoir mis en cause l’autre partie à la vente initialement projetée, d’exercer les pouvoirs qu’il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative (CJA) afin d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, d’une décision de préemption, sous réserve de la compétence du juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix auquel l’acquisition du bien doit être proposée, pour fixer ce prix. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s’il ne l’a pas entre-temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l’ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l’acquéreur évincé d’acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle.

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Sur la décision

Référence :
CE, 1-4 chr, 28 sept. 2020, n° 436978, Lebon
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 436978
Importance : Publié au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 28 juin 2019
Précédents jurisprudentiels : [RJ1] Rappr., sous l'empire du droit antérieur à l'introduction, par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, de l'article L. 213-11-1 dans le code de l'urbanisme, CE, Section, 26 février 2003, M. et Mme,et autres, n° 231558, p. 59
CE, Section, 31 décembre 2008, Pereira Dos Santos Maia, n° 293853, p. 497
s'agissant du droit de préemption d'espaces naturels sensibles, CE, décision du même jour, M.,, n° 430951, à mentionner aux Tables.
Dispositif : Satisfaction totale
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042375662
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2020:436978.20200928

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A… B… ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 février 2011 par laquelle le maire de Paris a exercé le droit de préemption urbain sur un immeuble situé 44/46 rue Veron et 28 rue Lepic à Paris. Par un jugement n° 1506313 du 8 avril 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.

La société groupe de conseil en investissement et financement (SCIFIM) a demandé au tribunal administratif de Paris, d’une part, d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le maire de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que la ville propose à Mme D… C…, ancienne propriétaire, d’acquérir le bien situé 44/46 rue Véron et 28 rue Lepic, puis, en cas de refus de celle-ci, lui propose, en sa qualité d’acquéreur évincé, d’acquérir le bien et, d’autre part, d’enjoindre à la ville de prendre ces mesures. Par un jugement n° 1613702 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du maire de Paris et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 18PA02363 du 24 octobre 2019, sur l’appel de la société groupe de conseil en investissement et financement, la cour administrative d’appel de Paris a enjoint à la Ville de Paris de proposer l’acquisition de l’immeuble à Mme C… et, en cas de renonciation de cette dernière, à la société et a réformé en ce sens le jugement du tribunal administratif de Paris du 29 juin 2019.

Par un pourvoi, enregistré le 21 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la société groupe de conseil en investissement et financement ;

3°) de mettre à la charge de la société groupe de conseil en investissement et financement la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – le code de la construction et de l’habitation ;

 – le code de l’urbanisme ;

 – la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;

 – le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme E… F…, conseiller d’Etat,

— les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société groupe de conseil en investissement et financement (SCIFIM) ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société groupe de conseil en investissement et financement (SCIFIM) a signé le 30 novembre 2010 avec Mme C… une promesse de vente en vue de l’acquisition d’un immeuble situé 44/46 rue Véron et 28 rue Lepic dans le dix-huitième arrondissement de Paris. Le maire de Paris a toutefois, par une décision du 18 février 2011, exercé le droit de préemption urbain de la ville sur cet immeuble en vue de la réalisation de logements sociaux et a acquis le bien au prix de 2 000 000 euros et 230 000 euros de commission d’agence. Par un jugement devenu définitif du 8 avril 2016, le tribunal administratif de Paris, saisi par des contribuables parisiens, a annulé la décision de préemption. Par un courrier du 16 juin 2016, la société groupe de conseil en investissement et financement a demandé au maire de Paris, sur le fondement des dispositions de l’article L. 231-11-1 du code de l’urbanisme, de proposer l’acquisition de l’immeuble à l’ancienne propriétaire puis à elle-même en tant qu’acquéreur évincé. Sa demande ayant été rejetée, la société a saisi le tribunal administratif de Paris, qui, par un jugement du 29 juin 2018, a annulé cette décision mais rejeté les conclusions de la société à fin d’injonction. Sur l’appel de la société, la cour administrative d’appel de Paris a enjoint à la Ville de Paris de proposer l’acquisition du bien à l’ancienne propriétaire puis, en cas de renonciation expresse ou tacite de cette dernière, à la société requérante et réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif de Paris. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. / La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure ». Aux termes de l’article L. 911-4 du même code : « En cas d’inexécution d’un jugement ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d’en assurer l’exécution. / Si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas défini les mesures d’exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d’exécution et prononcer une astreinte ».

3. Aux termes de l’article L. 213-11-1 introduit dans le code de l’urbanisme par la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové : « Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l’acquisition du bien en priorité. / Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle. À défaut d’accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation, conformément aux règles mentionnées à l’article L. 213-4. / À défaut d’acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l’acquisition. / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l’acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l’acquisition à la personne qui avait l’intention d’acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l’article L. 213-2 ». La déclaration mentionnée à l’article L. 213-2 du code est celle que doit faire le propriétaire à la mairie avant toute aliénation soumise au droit de préemption urbain ou au droit de préemption dans une zone d’aménagement différé ou un périmètre provisoire de zone. Enfin, l’article L. 213-12, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit qu’en cas de non-respect des obligations définies au premier et au sixième alinéas de l’article L. 213-11-1, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ou, selon le cas, la personne qui avait l’intention d’acquérir le bien saisissent le tribunal de l’ordre judiciaire d’une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption.

4. En vertu de ces dispositions, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou par l’acquéreur évincé et après avoir mis en cause l’autre partie à la vente initialement projetée, d’exercer les pouvoirs qu’il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, d’une décision de préemption, sous réserve de la compétence du juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix auquel l’acquisition du bien doit être proposée, pour fixer ce prix. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s’il ne l’a pas entre-temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l’ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l’acquéreur évincé d’acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle.

5. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que, en l’absence de motif impérieux d’intérêt général, résultant de l’impossibilité de procéder effectivement à la rétrocession, s’y opposant, il y avait lieu d’enjoindre à la Ville de Paris de proposer l’acquisition du bien litigieux à l’ancienne propriétaire et, en cas de renonciation expresse ou tacite de cette dernière, à la société requérante, dans les conditions prévues à l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la Ville de Paris est fondée à demander l’annulation de l’arrêt du 24 octobre 2019.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de l’instruction que la Ville de Paris, après l’acceptation de son offre par la propriétaire et la signature de l’acte authentique le 3 août 2011, a conclu le 11 octobre 2011 un bail emphytéotique, pour une durée de 55 ans, avec la société de gérance d’immeubles municipaux, devenue Elogie en 2013, dont la vocation est la création et la gestion de logements sociaux. D’importants travaux, comportant la démolition et la reconstruction de l’un des deux bâtiments et la réhabilitation du second, ont été réceptionnés en avril 2018, qui ont permis la création de onze logements locatifs sociaux et très sociaux, et les premiers baux d’habitation ont été signés en mai 2018. Leur financement, pour l’essentiel, par des subventions publiques et des prêts garantis par la ville trouve sa contrepartie dans les engagements de long terme pris par la société Elogie, agréée en vue de la gestion locative sociale, et dans la réservation par l’Etat et par la ville de la plupart des logements. Le projet participe de l’objectif, fixé par l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation, de 25 % de logements locatifs sociaux dans les résidences principales, dans une zone marquée par de forts besoins et par la vétusté du parc existant. Si la société groupe de conseil en investissement et financement fait valoir que la Ville de Paris serait elle-même à l’origine de cette situation, le permis de construire nécessaire aux travaux ayant été délivré le 16 décembre 2015, cette délivrance, à l’issue d’un délai lié au nécessaire relogement des occupants précédents et à la recherche d’accords avec les commerçants louant des locaux en rez-de-chaussée, ne peut être regardée comme manifestant une absence de diligence imprudente ou une manoeuvre de la ville. La décision de préemption a fait l’objet d’un recours introduit par des tiers le 16 avril 2015, soit plus de quatre ans après son adoption, alors que la société requérante n’avait pas formé de recours dans le délai qui lui était opposable, et a été annulée au seul motif que la ville n’était pas en mesure d’établir sa transmission au représentant de l’Etat dans le département dans le délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner. La société requérante ne fait par ailleurs état d’aucun projet portant sur le bien en litige, auquel la décision annulée aurait fait obstacle. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la revente de ce bien à la société requérante, qui remettrait en cause la vocation sociale des logements créés, porterait à l’intérêt général une atteinte excessive qui ne serait pas justifiée par l’intérêt qui s’attache à la disparition des effets de la décision annulée.

8. Par suite, la société groupe de conseil en investissement et financement n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au titulaire du droit de préemption de proposer à l’ancien propriétaire puis, le cas échéant, à elle-même, d’acquérir le bien illégalement préempté.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ville de Paris, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société groupe de conseil en investissement et financement une somme de 5 000 euros à verser à la Ville de Paris, au titre des mêmes dispositions, pour les frais exposés par elle devant la cour administrative d’appel de Paris et le Conseil d’Etat.

D E C I D E :

--------------


Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 24 octobre 2019 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la société groupe de conseil en investissement et financement devant la cour administrative d’appel de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société groupe de conseil en investissement et financement présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La société groupe de conseil en investissement et financement versera à la Ville de Paris une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5: La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et à la société groupe de conseil en investissement et financement.

Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

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