Conseil d'État, 7ème chambre, 13 novembre 2020, 439525, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

La société Charrel et associés a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’enjoindre au groupement de commandes composé de la commune de Perpignan et de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole de communiquer les motifs détaillés ayant conduit à l’attribution des notes sur les lots n° 1 et n° 5 de l’accord-cadre de prestations de services juridiques, de surseoir à statuer dans l’attente de la communication de ces informations et d’annuler la procédure de passation de ces deux lots.

Par une ordonnance n° 2000872 du 27 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a annulé la procédure de passation des lots en litige.

1° Sous le n° 439525, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 et 30 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Perpignan demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Charrel et associés ;

3°) de mettre à la charge de la société Charrel et associés la somme de 3 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 439543, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Sanguinède di Frenna et associés demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Charrel et associés ;

3°) de mettre à la charge de la société Charrel et associés la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

 – le code de la commande publique ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

— les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la commune de Perpignan et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Saguinède di Frenna et associés ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / (…) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ».

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Montpellier que le groupement de commandes composé de la commune de Perpignan et de la communauté urbaine Perpignan Métropole Méditerranée a engagé une procédure de publicité et de mise en concurrence pour un accord-cadre à bons de commande en vue de prestations de services juridiques réparties en six lots. Les lots n° 1, intitulé « Conseil juridique et représentation en justice et modes alternatifs de règlement des conflits en droit public général et droit de la commande publique », et n° 5, intitulé « Conseil juridique et représentation en justice et modes alternatifs de règlement des conflits en droit de la fonction publique et droit du travail », ont été attribués à la société Sanguinède di Frenna. Par deux courriers du 18 février 2020, la société Charrel et associés a été informée du rejet de ses offres relatives à ces lots. Par l’ordonnance attaquée, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Montpellier, saisi par la société Charrel et associés sur le fondement de l’article L. 5511 du code de justice administrative, a annulé la procédure de passation des deux lots en litige.

4. En premier lieu, aux termes de l’article R. 5228 du même code : « L’instruction est close à l’issue de l’audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l’instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l’audience et avant la clôture de l’instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d’apporter au juge la preuve de ses diligences. / L’instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ».

5. Il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à l’audience publique tenue le 25 février 2020, la société Charrel et associés a adressé au tribunal administratif, le 26 février, deux notes en délibéré. Ces dernières ont été communiquées aux autres parties le même jour par le greffe, lequel a indiqué à la commune de Perpignan qu’elle pouvait produire ses observations « dans les meilleurs délais ». Le juge des référés doit ainsi être regardé comme ayant rouvert l’instruction. Par suite, il ne pouvait pas rendre son ordonnance sans procéder à une nouvelle clôture de l’instruction, après en avoir informé les parties en temps utile. Dès lors qu’il ne ressort ni des mentions de son ordonnance ni des pièces du dossier qu’il y aurait procédé, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a entaché son ordonnance d’irrégularité.

6. En second lieu, il incombe au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 5511 du code de justice administrative, d’apprécier si ont été commis des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles d’avoir lésé ou ont risqué de léser, fût-ce de façon indirecte, l’entreprise qui le saisit. Par suite, en se bornant à relever que l’écart entre les notes de la société requérante et de la société attributaire n’était que de 0,1 point sur les autres critères que celui du prix et que le manquement relevé sur le critère du prix avait affecté la notation des offres, sans rechercher si ce manquement était, dans les circonstances particulières de l’espèce, susceptible d’avoir lésé la société requérante, le juge des référés a commis une erreur de droit.

7. Il suit de là que la commune de Perpignan et la société Sanguinède di Frenna sont fondées, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de leurs pourvois, à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée.

8. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée.

9. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Toutefois, une méthode de notation est entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est par elle-même de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

10. Aux termes de l’article L. 2125-1 du code de la commande publique : « L’acheteur peut, dans le respect des règles applicables aux procédures définies au présent titre, recourir à des techniques d’achat (…). Les techniques d’achat sont les suivantes : / 1° L’accord-cadre (…) ». Aux termes de l’article R. 2162-4 du code de la commande : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; / 3° Soit sans minimum ni maximum ".

11. Il résulte de l’instruction que la commune de Perpignan, coordinateur du groupement, avait décidé, pour la mise en oeuvre du critère du prix, d’additionner les neuf prix unitaires proposés par les candidats pour les prestations faisant l’objet de l’accord-cadre, telles que la réalisation de consultations juridiques, la représentation en justice ou l’assistance dans le cadre de modes alternatifs de règlement des différends, sans leur appliquer aucune pondération ni tenir compte des quantités prévisionnelles de chacune des prestations demandées. L’offre proposant la somme des prix unitaires la plus basse se voyait attribuer la meilleure note, les autres offres étant notées en fonction de leur écart à l’offre la mieux disante. Eu égard à la diversité des prestations faisant l’objet de l’accord-cadre et à l’écart très important des prix unitaires proposés par les candidats, cette méthode de notation, qui renforçait l’importance relative des prix unitaires les plus élevés dans la notation du critère du prix alors même que le nombre prévisible de prestations correspondantes était faible, était par elle-même de nature à priver de sa portée ce critère, et, de ce fait, susceptible de conduire à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre sur ce critère. Dans ces conditions, la commune a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une telle méthode de notation du critère du prix.

12. Il résulte de l’instruction que la société Charrel et associés proposait des prix unitaires plus faibles que l’attributaire pour les consultations juridiques simples et pour les consultations juridiques complexes. Une pondération supérieure des prix de ces dernières prestations par le pouvoir adjudicateur, par rapport aux prestations de représentation en justice et d’assistance aux modes de règlement alternatif des litiges, aurait pu permettre à la société requérante d’obtenir la meilleure note sur le critère du prix. Eu égard à l’écart de 0,1 point seulement entre cette société et la société attributaire sur les autres critères, obtenir la meilleure note sur ce critère aurait pu lui permettre de remporter le marché. Il s’ensuit que ce manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence est susceptible d’avoir lésé la société Charrel et associés. Par suite, celle-ci est fondée à demander l’annulation de la procédure de passation des lots n°s 1 et 5 du marché en litige, au stade de l’examen des offres.

13. Il y a lieu, par suite, d’examiner les seuls autres manquements invoqués susceptibles d’entraîner une annulation plus large de la procédure de passation.

14. En premier lieu, le critère n° 2 prévu par le règlement de la consultation, commun aux lots n°s 1 et 5 et pondéré à hauteur de 30 %, portait sur les modalités de collaboration proposées par les candidats. Un tel critère, dont il était indiqué qu’il serait apprécié en ce qui concerne les modalités proposées par les candidats en termes notamment de réactivité du cabinet, de suivi des dossiers et de capacité à formuler des recommandations, n’est pas de nature à conférer au pouvoir adjudicateur une liberté de choix illimitée. Par suite la commune n’a pas, en retenant un tel critère, méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence applicables.

15. En deuxième lieu, il résulte de l’instruction que la commune de Perpignan a évalué les offres au regard du critère n° 2 en se fondant sur une liste de treize éléments d’appréciation. La note des candidats sur le critère n° 2 pouvait être affectée d’un malus de 0,5 à 4 points sur 30 si leur offre ne prévoyait pas la prestation, le service ou l’objectif de qualité faisant l’objet de ces éléments d’appréciation. Ces éléments d’appréciation, qui ne pouvaient être regardés comme des critères d’attribution, n’avaient par suite pas à être communiqués aux candidats.

16. En troisième lieu, le critère n° 3 prévu par le règlement de la consultation, commun aux lots n° 1 et n° 5 et pondéré à hauteur de 29 %, portait sur la qualité de l’équipe dédiée, évaluée au regard de la compétence et de la spécialisation des avocats composant cette équipe. Si la commune de Perpignan a évalué les offres au regard du critère n° 3 en se fondant sur une liste d’éléments d’appréciation, selon la méthode exposée au point 15, il résulte de l’instruction que ces éléments d’appréciation qui, ainsi qu’il a été dit au point précédent, n’avaient pas à être communiqués aux candidats, n’étaient pas dépourvus de tout lien avec le critère dont ils permettaient l’évaluation.

17. Enfin, la circonstance que la société Charrel et associés a obtenu la même note que la société attributaire sur le critère n° 3 ne permet pas d’établir, à elle seule, que la méthode de notation de ce critère serait de nature à le priver de sa portée et, par suite, irrégulière.

18. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la société Charrel et associés n’est fondée à demander l’annulation de la procédure de passation des lots n°s 1 et 5 du marché en litige qu’au stade de l’analyse des offres.

19. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Charrel et associés qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L’ordonnance du 27 janvier 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulée.

Article 2 : La procédure de passation des lots n° 1 et n° 5 de l’accord-cadre à bons de commande de prestations de services juridiques de la commune de Perpignan et de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole est annulée au stade de l’analyse des offres.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Perpignan et par la société Sanguinède di Frenna au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Perpignan et à la société Sanguinède di Frenna et associés.

Copie en sera adressée à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole à la société Charrel et associés.



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