Conseil d'État, Juge des référés, 19 octobre 2020, 444809, Inédit au recueil Lebon

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 23 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de covid-19 du 31 août 2020, actualisé au 17 septembre 2020, du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – sa requête est recevable dès lors que, en premier lieu, il justifie d’un intérêt à agir, en deuxième lieu, sa requête est dirigée contre une décision administrative émanant d’une autorité publique et présentant un caractère impératif et général et, en dernier lieu, cette décision est susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de la mettre en oeuvre, en l’occurrence de produire des effets notables sur les entreprises ;

 – la condition d’urgence est remplie dès lors que la décision contestée préjudicie de manière grave et immédiate aux libertés individuelles et aux droits de toute personne présente en entreprise, en particulier des employeurs ;

 – il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;

 – le protocole contesté est entaché d’un vice de forme eu égard à l’absence dans ses visas, d’une part, de l’identité de son auteur et, d’autre part, de la signature par une autorité compétente, en méconnaissance de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration ;

 – le protocole contesté est entaché d’incompétence et d’irrégularité dès lors qu’il revenait au Premier ministre, par décret pris sur le rapport de la ministre chargé de la santé, de prendre des mesures impératives visant à réglementer les conditions d’accès et de présence dans des établissements recevant du public et des lieux de réunion, en vertu de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

 – le protocole contesté est entaché d’une erreur de droit dès lors qu’il prévoit une présentation préalable des mesures de protection sanitaires au conseil social et économique avant d’être appliquées aux salariés, en méconnaissance de l’article L. 1321-5 du code du travail qui autorise l’application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité lorsque l’urgence le justifie ;

 – le protocole contesté, en imposant l’obligation du port du masque en entreprise, méconnaît le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 en vertu duquel le port du masque n’est systématique que lorsque les règles de distanciation physique ne peuvent pas être garanties ;

 – il est porté une atteinte disproportionnée au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle ainsi qu’à la liberté d’entreprendre de l’employeur ;

 – le protocole méconnaît, d’une part, l’objectif d’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail, garanti par l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que par les articles L. 5212-1 et suivants et L. 5213-2 et suivants du code du travail, et, d’autre part, les dispositions de l’article 2 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020, dès lors qu’il ne prévoit pas d’exceptions ou de mesures dérogatoires pour les personnes en situation de handicap munies d’un certificat médical.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2020, la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu’aucune des conditions requises par l’article L. 521-1 du code de justice administrative n’est réunie.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance et, d’autre part, la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 7 octobre 2020 à 10 heures 30 :

— Me Gatineau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance ;

— les représentants de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l’instruction au 8 octobre 2020 à 18 heures.

Vu le mémoire, enregistré le 7 octobre 2020, présenté par la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 octobre 2020, présenté par le syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la Constitution, notamment son préambule ;

 – le code du travail ;

 – la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

 – le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;

 – le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

Sur les circonstances :

2. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le législateur, par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 puis, par l’article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 inclus. Le législateur a ensuite, par la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence, autorisé le Premier ministre à prendre, à compter du 11 juillet 2020, et jusqu’au 30 octobre 2020 inclus, diverses mesures dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19.

3. Pour accompagner les employeurs et les salariés dans la mise en oeuvre des mesures de protection contre le covid-19 sur les lieux de travail, la ministre du travail a, dans un premier temps, établi plusieurs « fiches conseils métiers » détaillant les précautions à prendre dans différents environnements de travail, publié ces fiches sur le site ministériel (travail-emploi.gouv.fr) et publié sur le même site des guides de bonnes pratiques établis par les organisations professionnelles et syndicales dans certaines branches d’activité. Dans un deuxième temps, un protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la sécurité et la santé des salariés a été adopté, le 3 mai 2020. Enfin, un nouveau protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de covid-19 a été arrêté le 31 août 2020, et actualisé le 17 septembre 2020.

4. Le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance demande, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution du protocole national du 31 août 2020, actualisé au 17 septembre 2020, en particulier en tant qu’il pose le principe du port systématique du masque en entreprise.

Sur la demande adressée au juge des référés :

5. Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, relatif aux obligations générales de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (…). L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. ». L’article L. 4121-2 du même code prévoit que ces mesures doivent être mises en oeuvre " sur le fondement des principes généraux suivants : /1° Eviter les risques ; (…) « . L’article L. 4121-3 dispose que : » L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris (…) dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations (…). A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (…) « . Par ailleurs, en vertu de l’article L. 4122-2 du code du travail : » Les mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs ". Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que l’employeur est tenu de prendre et doit pouvoir justifier avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation de sécurité impose à l’employeur de revoir, au vu des risques et des modes de contamination induits par le virus du covid-19, l’organisation du travail, la gestion des flux, les conditions de travail et les mesures de protection des salariés. L’appréciation du respect de cette obligation par l’employeur s’effectue nécessairement, en vertu notamment du dernier alinéa de l’article L. 4121-1, en tenant compte de l’état des connaissances scientifiques en la matière, lesquelles sont publiquement diffusées, notamment par le Haut conseil de la santé publique.

6. Le protocole dont la suspension est demandée constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail. Il s’ensuit que, dès lors qu’en l’état des connaissances scientifiques, le port du masque dans les espaces clos est justifié et constitue, en combinaison avec des mesures d’hygiène et de distanciation physique et une bonne aération/ventilation des locaux, la mesure pertinente pour assurer efficacement la sécurité des personnes, la suspension éventuelle du protocole n’aurait aucune incidence sur la mise en oeuvre pratique des obligations légales de l’employeur et sur la charge financière qui en résulte. Par suite le syndicat requérant ne justifie d’aucune situation d’urgence de nature à justifier que l’application du protocole contesté soit suspendue.

7. Par ailleurs ledit protocole, qui a pour objet de contribuer à assurer la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de covid-19 et a vocation à s’adresser à l’ensemble des employeurs, ne peut être regardé comme pris sur le fondement des dispositions de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 précitées. Le protocole relève en effet d’un champ d’application distinct de celui de la loi du 9 juillet 2020, celui des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail cités au point 5 dont, ainsi qu’il a été dit au point précédent, il constitue une déclinaison opérationnelle. Si le syndicat requérant fait valoir que pour les établissements recevant du public, il appartenait au Premier ministre, en application du 2° du I de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, de réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, ce qui a été fait par le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 pris sur le fondement de cette disposition de la loi du 9 juillet 2020, d’une part, les locaux d’une entreprise n’ayant pas vocation à accueillir des personnes autres que le personnel ne peuvent recevoir la qualification d’établissement recevant du public, d’autre part, si les établissements recevant du public peuvent également constituer des lieux de travail, les bureaux ont été exclus de la réglementation adoptée sur le fondement de la loi du 9 juillet 2000 et sont soumis aux seules mesures de prévention mises en place par l’employeur dans le cadre de son obligation de sécurité. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que le Premier ministre était seul compétent pour adopter le protocole litigieux, sur le fondement de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020, et de ce que ce protocole aurait dû résulter d’un décret pris sur le rapport du ministre de la santé ne sont pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce protocole.

8. Aucun des autres moyens soulevés, en particulier ceux tirés de ce que le protocole édicterait des mesures plus strictes que celles prévues par le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 et porterait une atteinte excessive à la liberté personnelle et à la liberté d’entreprendre en imposant le port systématique du masque, ne sont en l’état de l’instruction, eu égard à la nature de ce protocole, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de celui-ci.

9. Il résulte de ce qui précède que la requête du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance doit être rejetée, ainsi que, par suite, ses conclusions tendant à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l’Etat.


O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance et à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

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Conseil d'État, Juge des référés, 19 octobre 2020, 444809, Inédit au recueil Lebon