Conseil d'État, 21 décembre 2020, 447373, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CE, 21 déc. 2020, n° 447373
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 447373
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 26 novembre 2020, N° 2019898/9
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042729531
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2020:447373.20201221

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. C… A… et Mme B… A… ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une part, d’enjoindre à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de leur indiquer un centre d’accueil susceptible de les accueillir, ou à défaut un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, ou à défaut de place, d’autres modalités d’accueil, et, d’autre part, d’enjoindre à l’OFII de les rétablir dans leur droit à percevoir les conditions matérielles d’accueil avec effet au 12 août 2019 ou, à défaut, d’enjoindre à l’OFII de réexaminer leur demande et de prendre une nouvelle décision dans un délai de 8 jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2019898/9 du 27 novembre 2020, le juge des référés a rejeté leur demande.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 et 17 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme A… demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’OFII la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

 – leur requête est recevable ;

 – leur situation de couple avec deux très jeunes enfants de 2 ans et 5 ans et l’état de grossesse de Mme A… caractérisent une urgence de nature à justifier leur demande sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

 – l’ordonnance du juge des référés est entachée d’irrégularité, faute de mentionner le mémoire qu’ils ont produit le 27 novembre 2020 ;

 – le rejet de leur demande tendant au bénéfice d’un hébergement caractérise, faute de prendre en compte leur situation particulière de vulnérabilité, une méconnaissance grave et manifestement illégale des exigences qui découlent du droit d’asile ;

 – contrairement à ce qu’a retenu le juge de première instance, il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’ils auraient présenté, avant les demandes d’asile présentées le 12 août 2019 au préfet de police, des demandes d’asile sous des identités différentes, et, même si tel avait été le cas, cette circonstance ne dispensait pas l’OFII et le juge des référés de rechercher si leur situation de vulnérabilité n’imposait pas de faire droit à leur demande.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2020, l’OFII conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la Constitution, et notamment son préambule ;

 – la directive n° 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres ;

 – la directive n° 2003/33/UE du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale ;

 – le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 – le code de justice administrative ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu’aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l’instruction serait fixée le 18 décembre 2020 à 13 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

2. Il résulte de l’instruction que M. et Mme A…, ressortissants afghans nés respectivement en 1993 et 1994 et accompagnés de leurs deux enfants nés en 2015 et 2018, ont présenté le 26 mars 2018 à la préfecture de l’Oise des demandes d’asile, qui ont été enregistrées en procédure dite Dublin. Le 12 août 2019, ils ont présenté de nouvelles demandes d’asile, qui ont été enregistrées en procédure accélérée, et sur lesquelles il ne résulte pas de l’instruction qu’il ait été statué. Ils ont accepté, le même jour, l’offre de prise en charge de l’OFII. Toutefois, la directrice territorialement compétente de l’OFII leur a notifié le 13 août 2019 son intention de leur retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. La même autorité a pris cette décision de retrait le 29 octobre 2019. Le 25 novembre 2020, après une nouvelle demande de prise en charge par l’OFII acceptée par celui-ci sans être mise en oeuvre, M. et Mme A… ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’OFII, en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une part, de leur indiquer un hébergement disponible et, d’autre part, de les rétablir dans leur droit à percevoir les conditions matérielles d’accueil avec effet au 12 août 2019. Ils relèvent appel de l’ordonnance du 27 novembre 2020, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Sur les dispositions applicables :

3. D’une part, aux termes du premier alinéa de l’article L. 744-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Les conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d’asile par l’Office français de l’immigration et de l’intégration après l’enregistrement de la demande d’asile par l’autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d’accueil comprennent les prestations et l’allocation prévues au présent chapitre ».

4. D’autre part, aux termes de l’article L. 744-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « A la suite de la présentation d’une demande d’asile, l’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d’asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d’accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s’ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d’asile. Dans la mise en oeuvre des droits des demandeurs d’asile et pendant toute la période d’instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. / L’évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, (…), les femmes enceintes (…) ».

5. Enfin, aux termes de l’article L. 744-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie : « Outre les cas, mentionnés à l’article L. 744-7, dans lesquels il est immédiatement mis fin de plein droit au bénéfice des conditions matérielles d’accueil, le bénéfice de celles-ci peut être : 1° Retiré si le demandeur d’asile (…) a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes (…) / La décision de retrait des conditions matérielles d’accueil prise en application du présent article est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. Elle est prise après que l’intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites selon des modalités définies par décret. ». L’article D. 744-36 du même code dispose que : « Il peut être mis fin au bénéfice des conditions matérielles d’accueil par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (…) si le bénéficiaire (…) a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes (…). »

Sur l’office du juge des référés :

6. D’une part, les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative confèrent au juge administratif des référés le pouvoir d’ordonner toute mesure dans le but de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public. Il résulte tant des termes de cet article que du but dans lequel la procédure qu’il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l’illégalité relevée à l’encontre de l’autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de l’exercice de la liberté fondamentale en cause.

7. D’autre part, si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d’asile des conditions matérielles d’accueil décentes, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile, le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et de la situation du demandeur. Ainsi, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l’administration que dans le cas où, d’une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d’asile et où, d’autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d’asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque situation, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation familiale de la personne intéressée.

Sur l’urgence :

8. Il résulte de l’instruction que M. et Mme A… vivent en France sans aucune ressource, ne disposent d’aucun hébergement stable, sont accompagnés de deux enfants en bas âge et que Mme A… est enceinte de cinq mois. Dans ces conditions, et nonobstant la circonstance que d’une part, ils n’ont pas présenté d’observations à la suite de la notification le 13 août 2019 de l’intention de leur retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, que, d’autre part, ils n’ont pas contesté cette décision de retrait, dont il n’est d’ailleurs pas établi qu’elle ait été portée à leur connaissance, dès lors qu’elle porte la mention « domiciliation inconnue », et qu’enfin il se soit écoulé plus d’un an entre ce retrait et leur demande au juge des référés, ils sont fondés à soutenir que la condition d’urgence prévue à l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

9. Il résulte de l’instruction que l’autorité compétente de l’OFII a fondé sa décision de retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil à M. et Mme A… sur la circonstance qu’ils ont présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes.

10. Toutefois, la faculté ouverte par les dispositions citées au point 5 ci-dessus de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour un tel motif est subordonnée à un examen de la situation des intéressés afin en particulier de tenir compte de leur éventuelle vulnérabilité. Or, il est constant que M. et Mme A… sont accompagnés de deux enfants en bas âge, que Mme A… est enceinte du troisième enfant du couple et que l’ensemble de la famille, qui ne dispose d’aucune ressource, ne reçoit qu’une aide ponctuelle de particuliers et d’associations et dort sous une tente. L’ensemble de ces éléments caractérise manifestement une situation de vulnérabilité au sens du deuxième alinéa de l’article L. 744-6 du même code. Dans ces conditions, la privation des conditions matérielles d’accueil, alors que M. et Mme A… sont dépourvus de ressources et d’hébergement, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale aux exigences qui découlent du droit d’asile, qui justifie qu’il soit enjoint à l’OFII de rétablir, pour l’avenir, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la présente ordonnance. Il n’y a pas lieu, en revanche, ni d’enjoindre le rétablissement de ce bénéfice à titre rétroactif pour la période écoulée depuis la décision du 13 août 2019 ni de prononcer d’astreinte ni de faire droit aux conclusions tendant à ce que, dans un délai encore plus rapproché, l’OFII oriente les intéressés vers un hébergement.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen de la requête, que M. et Mme A… sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à ce que l’OFII leur rétablisse le bénéfice des conditions matérielles d’accueil dans un délai de quarante-huit heures à compter de la présente ordonnance.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’OFII la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L’ordonnance n° 2019898/9 du 27 novembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l’Office français de l’immigration et de l’intégration de rétablir à M. et Mme A… le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la présente ordonnance.

Article 3 : L’Office français de l’immigration et de l’intégration versera la somme de 1 500 euros à M. et Mme A…, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C… A… et Mme B… A… et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

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