Conseil d'État, 10ème chambre, 28 décembre 2021, 446888, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CE, 10e ch. jugeant seule, 28 déc. 2021, n° 446888
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 446888
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 28 août 2023
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044611379
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHS:2021:446888.20211228

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 25 novembre 2020 et les 1er mars et 10 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. C A, agissant en son nom et en sa qualité de gérant de la société FXTOP, demande au Conseil d’Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le II de l’article 51 du décret n° 2020 1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 920 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de la santé publique ;

— le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

— les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 décembre 2021, présentée par M. A ;

Considérant ce qui suit :

Sur l’intervention de l’association BonSens.org :

1. L’association BonSens.org a intérêt à l’annulation des dispositions contestées. Son intervention est, par suite, recevable.

Sur les conclusions tendant à l’annulation du II de l’article 51 du décret du 29 octobre 2020 :

2. Aux termes du second alinéa du I de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : « En l’absence de recommandation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient ».

3. Commercialisée par le laboratoire Roche sous le nom de marque de Rivotril, la molécule de clonazépam dispose, pour la spécialité pharmaceutique correspondant à sa forme injectable, d’une autorisation de mise sur le marché délivrée le 21 février 1995, dans l’indication thérapeutique du traitement de l’épilepsie. En l’absence de toute recommandation temporaire d’utilisation établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en application de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, cette spécialité ne peut être prescrite pour une autre indication qu’à la condition qu’il n’existe pas d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation et que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.

4. Toutefois, le II de l’article 51 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoit, par dérogation à l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, que cette spécialité sous forme injectable peut faire l’objet d’une dispensation par les pharmacies d’officine en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d’être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l’état clinique le justifie et que, lorsqu’il prescrit cette spécialité en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché, le médecin se conforme aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d’une part, à la prise en charge de la dyspnée et, d’autre part, à la prise en charge palliative de la détresse respiratoire, établis par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs et mis en ligne sur son site.

5. En premier lieu, l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, dispose que : « L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire () en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Aux termes de l’article L. 3131-15 de ce code : " I. – Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre, peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : () / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ; / 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code. / III. – Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires « . Aux termes de l’article L. 3131-16 du même code : » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12. / Dans les mêmes conditions, le ministre chargé de la santé peut prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° de l’article L. 3131-15. / Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ".

6. Les dispositions du 9° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique et celles de l’article L. 3131-16 du même code doivent être interprétées, en ce qui concerne les mesures susceptibles d’être adoptées en matière de médicaments, comme réservant au Premier ministre les mesures restreignant la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété pour assurer la disponibilité des médicaments nécessaires pour faire face à la catastrophe sanitaire et comme habilitant le ministre chargé de la santé à prendre les autres mesures générales nécessaires pour que les patients puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, sous réserve qu’elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, le cas échéant en dérogeant sur des points limités à des dispositions législatives. Ces dispositions s’appliquent indifféremment aux soins curatifs et au soins palliatifs apportés aux patients victimes de l’épidémie.

7. Les dispositions contestées, qui visent à permettre la prescription de la spécialité Rivotril en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché en vue de la prise en charge des patients atteints de covid-19 dont l’état clinique le justifie, relèvent ainsi des mesures que le ministre chargé de la santé était habilité à prendre sur le fondement de l’article L. 3131-16 du code de la santé publique, alors même qu’elles sécurisent à cette fin la prescription d’une spécialité dans une indication non conforme à son autorisation de mise sur le marché, dans des conditions qui dérogent à l’article L. 5121-12-1 du même code précité. Lorsqu’il est prévu par les dispositions en vigueur qu’une décision administrative doit être prise par voie d’arrêté ministériel ou interministériel, il est satisfait à ces dispositions lorsque cette mesure est prise par un décret contresigné par le ou les ministres compétents. Or les dispositions attaquées ont été adoptées par le Premier ministre sur le rapport du ministre des solidarités et de la santé et contresignées par celui-ci.

8. Par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que les dispositions qu’il attaque seraient entachées de vice de procédure et d’incompétence.

9. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 1110-1 du code de la santé publique : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. L’article L. 1110-5 du même code prévoit que : » Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. () / Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté ".

10. La contre-indication en cas d’insuffisance respiratoire sévère, dont se prévaut le requérant à l’encontre du Rivotril, est liée à l’usage qui doit être fait de cette spécialité dans l’indication de son autorisation de mise sur le marché, en tant que traitement d’urgence de l’état de mal épileptique. Cette contre-indication n’a pas fait obstacle à ce que la Haute Autorité de santé recommande, en janvier 2020, l’utilisation de benzodiazépines autres que le midazolam, notamment celle du clonazépam, en cas de difficultés d’approvisionnement, pour assurer une sédation proportionnée d’un patient à son domicile ou en établissement médico-social. A cet égard, les dispositions attaquées permettent de sécuriser l’utilisation, en dehors de l’indication de son autorisation de mise sur le marché, du Rivotril, spécialité disponible en pharmacie d’officine, plus facile d’accès que le midazolam, qui est réservé à l’usage hospitalier et connaissant de fortes tensions alors que le nombre de patients atteints de formes graves de covid-19 était élevé. Elles assurent ainsi le respect du droit de tout patient, alors même qu’il ne ferait pas l’objet d’une hospitalisation, de recevoir sous réserve de son consentement libre et éclairé des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’orienter les praticiens dans leurs choix thérapeutiques, au détriment des soins curatifs.

11. Par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le droit à la vie, le droit à la protection de la santé, ainsi que le droit de bénéficier des meilleurs soins.

12. Enfin, le requérant soutient que les dispositions attaquées seraient entachées d’erreur de fait, d’erreur de droit et d’erreur manifeste d’appréciation en ce que la molécule d’ivermectine n’aurait pas bénéficié de la même dérogation sur le fondement de l’article L. 3131-16 du code de la santé publique, afin de permettre sa prescription pour le traitement du virus SARS-CoV-2 à un stade précoce de la maladie, conduisant ainsi à une rupture d’égalité entre les soins mis à disposition et par suite à une atteinte aux droits mentionnés au point 8. La disposition attaquée n’a toutefois ni pour effet ni pour objet d’encadrer les conditions de prescriptions de la molécule d’ivermectine, l’absence de leur assouplissement relevant d’un contentieux distinct. En tout état de cause, sont en jeu en l’espèce des médicaments dont l’objet est différent, l’un à vocation palliative, l’autre à vocation curative. Ces moyens ne peuvent, par suite, qu’être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n’est pas fondé à demander l’annulation du II de l’article 51 du décret du 29 octobre 2020.

14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

— -------------

Article 1er : L’intervention de l’association Bonsens.org est admise.

Article 2 : La requête de M. A est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée à l’association Bonsens.org.

Délibéré à l’issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d’Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme B DWF1K4P60

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