Conseil d'État, 4ème chambre, 30 juillet 2021, 446731, Inédit au recueil Lebon
Chronologie de l’affaire
Commentaire • 1
Sur la décision
Référence : | CE, 4e ch., 30 juill. 2021, n° 446731 |
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Juridiction : | Conseil d'État |
Numéro : | 446731 |
Importance : | Inédit au recueil Lebon |
Type de recours : | Plein contentieux |
Décision précédente : | Tribunal administratif de Pau, 19 octobre 2020, N° 2001227 |
Identifiant Légifrance : | CETATEXT000043908918 |
Identifiant européen : | ECLI:FR:CECHS:2021:446731.20210730 |
Sur les parties
- Rapporteur : Mme Catherine Brouard-Gallet
- Rapporteur public : M. Frédéric Dieu
- Avocat(s) :
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
M. AN… Z…, Mme AQ… AC… et M. AO… Q… ont demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 pour l’élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de Boucau. Par un jugement n° 2001227 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif a fait droit à leur protestation et annulé ces opérations électorales.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 novembre 2020 et le 12 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. W… AD…, Mme AT… R…, M. P… Y…, Mme I… AR…, M. H… AU…, Mme AG… AE…, M. B… AP…, Mme AI… AL…, M. AB… D…, Mme M… AH…, M. AF… AK…, Mme AJ… N…, M. V… J…, Mme T… C…, M. A… X…, Mme AJ… G…, M. AS… K…, Mme O… S…, M. AS… F…, Mme L… AP…, M. E… AM… et Mme U… AA… demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 20 octobre 2020 ;
2°) de rejeter la protestation de M. Z…, Mme AC… et M. Q… ;
3°) de mettre à la charge de M. Z…, Mme AC… et M. Q… la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
— le code électoral ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
— le rapport de Mme AJ… AV…, conseillère d’Etat en service extraordinaire,
— les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. AD…, et autres ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2021, présentée par M. Z… et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. A l’issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune de Boucau (Pyrénées-Atlantiques), les vingt-neuf sièges de conseillers municipaux et les trois sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. Vingt-deux des sièges de conseillers municipaux et deux sièges de conseillers communautaires ont été attribués à la liste « Boucau convivial et développement durable 2020 », conduite par le maire sortant M. W… AD…, qui a obtenu 51,03 % des suffrages exprimés, tandis que les sept autres sièges de conseillers municipaux et le dernier siège de conseiller communautaire ont été attribués à des candidats de la liste « Boucau génération avenir » conduite par M. AN… Z…, qui a obtenu 48,96 % des suffrages exprimés. M. AD… et autres relèvent appel du jugement du 20 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Pau a fait droit à la protestation de M. AN… Z…, Mme AQ… AC… et M. AO… Q… et annulé ces opérations électorales.
Sur la recevabilité de la protestation :
2. Aux termes de l’article L. 248 du code électoral : « Tout électeur et tout éligible a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune devant le tribunal administratif ». Et aux termes de l’article R. 119 du même code : « Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d’irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif (…) ».
3. Il résulte de l’instruction que la réclamation adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques par M. Z…, Mme AC… et M. Q… contenait plusieurs griefs précis tendant à mettre en cause la validité des opérations électorales, tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 52-1, L. 52-8, L. 71, L. 78, R. 58 et R. 67 du code électoral. Par suite, et alors même qu’elle ne comportait pas de conclusions expresses tendant à l’annulation des opérations électorales ou à la réformation des résultats, cette réclamation devait être regardée comme une protestation tendant à l’annulation de ces opérations au sens de l’article R. 119 du code électoral et était, par suite, recevable.
Sur le grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral :
4. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral : « Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite ». Pour l’application de ces dispositions, la réalisation et l’utilisation d’un site internet par une liste candidate constituent une forme de propagande électorale par voie de communication audiovisuelle. Dès lors que le référencement commercial d’un site à finalité électorale sur un moteur de recherche sur internet a pour but d’attirer vers lui des internautes qui effectuent des recherches, même dépourvues de tout lien avec les élections municipales, ce référencement revêt le caractère d’un procédé de publicité commerciale, interdit par l’article L. 52-1 du code électoral.
5. Il est constant que le site internet de la liste « Boucau convivial » a fait l’objet d’un référencement commercial entre janvier 2020 et le 28 juin 2020. Ce référencement, qui a permis d’attirer sur ce site internet non seulement des électeurs s’y connectant volontairement, mais également des électeurs effectuant des recherches en lien avec les élections municipales dans la commune de Boucau, revêt le caractère d’un procédé de publicité commerciale, interdit par l’article L. 52-1 du code électoral, comme l’a jugé à bon droit le tribunal administratif de Pau, dont le jugement est suffisamment motivé sur ce point.
Sur le grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral :
6. Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du code électoral : « Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. Les personnes morales, à l’exception des partis et groupements politiques ainsi que des établissements de crédit ou sociétés de financement ayant leur siège social dans un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, ne peuvent ni consentir des prêts à un candidat, ni lui apporter leur garantie pour l’obtention de prêts ».
7. S’il est constant que la liste conduite par M. AD… a utilisé sur son site internet des photographies, documents et études, relatifs à des projets immobiliers ou d’aménagement, émanant de la communauté d’agglomération du Pays basque, de l’Office 64 de l’habitat, de l’établissement public foncier local, et d’un cabinet d’architecte, il ne résulte pas de l’instruction que les documents ainsi utilisés, qui étaient librement accessibles au public, aient été soumis à des droits de reproduction dont ces personnes morales auraient supporté la charge. Par suite, l’utilisation de ces documents ne peut être regardée comme ayant constitué un avantage spécifique au profit de la liste conduite par M. AD… et n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Pau.
Sur le grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 62 du code électoral :
8. Aux termes de l’article L. 62 du code électoral : " A son entrée dans la salle du scrutin, l’électeur, après avoir fait constater son identité suivant les règles et usages établis ou après avoir fait la preuve de son droit de voter par la production d’une décision du juge du tribunal judiciaire ordonnant son inscription ou d’un arrêt de la Cour de cassation annulant un jugement qui aurait prononcé sa radiation, prend, lui-même, une enveloppe. Sans quitter la salle du scrutin, il doit se rendre isolément dans la partie de la salle aménagée pour le soustraire aux regards pendant qu’il met son bulletin dans l’enveloppe ; il fait ensuite constater au président qu’il n’est porteur que d’une seule enveloppe ; le président le constate sans toucher l’enveloppe, que l’électeur introduit lui-même dans l’urne. / Dans chaque bureau de vote, il y a un isoloir par trois cents électeurs inscrits ou par fraction. / Les isoloirs ne doivent pas être placés de façon à dissimuler au public les opérations électorales (…) ".
9. Il résulte de l’instruction et notamment des procès-verbaux des opérations électorales du 28 juin 2020 dans la commune de Boucau que les rideaux des isoloirs des bureaux de vote n°s 2, 3 et 5 ont été maintenus ouverts toute la journée afin, conformément aux instructions ministérielles, de limiter les risques sanitaires liées à l’épidémie de Covid-19, et que l’entrée de ces isoloirs était orientée en direction des membres du bureau de vote ainsi que des électeurs présents dans le bureau de vote. Par suite, la disposition de ces isoloirs n’a pas été de nature à garantir le secret du vote. Dès lors, et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’il aurait été impossible de retenir un autre aménagement, comme la demande en avait été faite le jour du scrutin, ou d’utiliser une pièce attenante, les dispositions de l’article L. 62 du code électoral ont été méconnues, ainsi que l’a jugé à bon droit le tribunal administratif.
10. Compte tenu du faible écart de voix entre les deux listes en présence, les irrégularités mentionnées aux points 5 et 9 ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. AD… et autres ne sont pas fondés à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune de Boucau.
12. L’annulation des opérations électorales du second tour de scrutin doit, par voie de conséquence, entraîner l’annulation d’office des opérations électorales du premier tour de scrutin qui se sont déroulées le 15 mars 2020, alors même que les protestataires n’ont pas présenté de conclusions expresses en ce sens et que les premiers juges ont omis d’y procéder.
Sur les conclusions de la requête tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. AN… Z… et autres, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Par ailleurs, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par M. Z… et autres.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. AD… et autres est rejetée.
Article 2 : Les opérations électorales qui ont eu lieu le 15 mars 2020 dans la commune de Boucau (Pyrénées-Atlantiques) sont annulées.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. W… AD…, premier dénommé pour l’ensemble des demandeurs, à M. AN… Z…, premier dénommé pour l’ensemble des défendeurs et au ministre de l’intérieur.
Textes cités dans la décision
Pour décider l'annulation des opérations électorales des premier et second tours, le Conseil d'Etat a relevé deux moyens. Constatant que le site internet de la liste gagnante avait fait l'objet d'un référencement commercial entre janvier et juin 2020, référencement ayant permis d'attirer sur ce site non seulement des électeurs s'y connectant volontairement mais également des électeurs effectuant des recherches en lien avec les élections municipales, le Conseil d'Etat en déduit que ledit référencement revêt le caractère d'un procédé de publicité commerciale interdit par l'article L. …