Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 3 mai 2022, 460090, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

La société Café Compagnie S a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la procédure de mise en concurrence de la sous-concession de la plage des Lecques (lot n° 2) de Saint-Cyr-sur-Mer.

Par une ordonnance n° 2103170 du 18 décembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a annulé cette procédure de mise en concurrence.

1° Sous le n° 460090, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 et 14 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Saint-Cyr-sur-Mer demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Café Compagnie S ;

3°) de mettre à la charge de la société Café Compagnie S la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 460154, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 20 janvier et 10 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Le Sporting Plage demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 2103170 du 18 décembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de mettre à la charge de la société Café Compagnie S la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

— le code de la commande publique ;

— le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

— les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de commune de Saint-Cyr-sur-Mer, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Café Compagnie S, et à la société Le Prado – Gilbert, avocat de la société Le Sporting Plage ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulon que, par un avis de concession publié le 28 mars 2021, la commune de Saint-Cyr-sur-Mer a engagé une procédure en vue de l’attribution de sous-concessions de la plage artificielle des Lecques. Par un courrier du 18 novembre 2021, la société Café Compagnie S, candidate à l’attribution du lot n° 2 de cette procédure, a été informée du rejet de son offre et de ce que la commune envisageait d’attribuer le contrat à la société Le Sporting Plage. Par l’ordonnance du 18 décembre 2021 attaquée par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer et la société Le Sporting Plage, le juge des référés a annulé cette procédure de mise en concurrence à la demande de la société Café Compagnie S.

Sur les pourvois :

3. Aux termes de l’article L. 3124-5 du code de la commande publique : « Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution. Lorsque la gestion d’un service public est concédée, l’autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’autorité concédante et garantissent une concurrence effective. Ils sont rendus publics dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. / Les modalités d’application du présent article sont prévues par voie réglementaire. ». Selon l’article R. 3124-5 de ce code : « L’autorité concédante fixe les critères d’attribution par ordre décroissant d’importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l’avis de concession, dans l’invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. () ». Aux termes de l’article R. 3124-6 du même code : « Les offres qui n’ont pas été éliminées en application de l’article L. 3124-2 sont classées par ordre décroissant sur la base des critères prévus aux articles R. 3124-4 et R. 3124-5. / L’offre la mieux classée est retenue. »

4. L’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère de sélection sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation ou, le cas échéant, leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation.

5. En premier lieu, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a considéré que la méthode d’évaluation de l’offre litigieuse, dans le cadre de laquelle l’appréciation de l’autorité concédante sur les différents critères d’attribution était matérialisée par des flèches de couleur, était irrégulière faute pour ces signes d’être convertis en note chiffrée, ce qui laissait « une trop grande part à l’arbitraire ». En jugeant ainsi, alors qu’il résulte des principes énoncés au point précédent qu’il lui incombait seulement de rechercher si la méthode d’évaluation retenue n’était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu’avait retenue l’autorité concédante, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit.

6. En second lieu, en jugeant que la commune de Saint-Cyr-sur-Mer aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en tenant compte des prévisions de chiffre d’affaires des soumissionnaires dans son appréciation des offres sur le critère intitulé « Qualité et cohérence de l’offre sur le plan financier », au motif qu’un tel élément d’appréciation n’était pas de nature à permettre la sélection de la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante, alors qu’il résulte des principes énoncés au point 4 qu’un élément d’appréciation ne peut entacher d’irrégularité la méthode d’évaluation que s’il est dépourvu de tout lien avec les critères dont il permet l’évaluation, le juge des référés a entaché son ordonnance d’une autre erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que la commune de Saint-Cyr-sur-Mer et la société Le Sporting Plage sont fondées à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elles attaquent.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler les affaires au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande présentée par la société Café Compagnie S devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon :

9. En premier lieu, il ne résulte pas de l’instruction que les engagements contractuels des candidats en matière de moyens matériels et de période d’ouverture du service auraient fait l’objet d’un sous-critère qui aurait dû être porté à la connaissance des candidats.

10. En deuxième lieu, d’une part, il était loisible à l’autorité concédante de prendre en compte les engagements formulés par les candidats sur des pénalités associées à des manquements contractuels, ces engagements n’étant pas dépourvus de tout lien avec le critère de la « qualité et cohérence de l’offre au plan technique » qu’ils ont permis d’apprécier. D’autre part, le montant prévisionnel des redevances proposées par les candidats, alors même qu’il serait évalué pour partie par référence au chiffre d’affaire prévisionnel s’agissant des redevances variables, dont il est un élément d’appréciation, et qui vise à apprécier non la valeur financière de l’offre mais la cohérence et la crédibilité de celle-ci au plan financier, n’est pas non plus dépourvu de tout lien avec le critère de la qualité et la cohérence des offres sur le plan financier. La société Café Compagnie S n’est donc pas fondée à soutenir que ces éléments d’appréciation des offres, dont aucun ne saurait être regardé comme un sous-critère, entacheraient d’irrégularité la méthode d’évaluation retenue par l’autorité concédante.

11. En troisième lieu, l’autorité concédante a, pour évaluer les offres qui lui étaient soumises, associé à chacun des critères hiérarchisés qu’elle avait fixés et rendus publics une appréciation qualitative des offres. Cette appréciation était composée d’une évaluation littérale décrivant les qualités des offres pour chaque critère, suivie d’une flèche qui la résumait. Dans le cadre de cette méthode, une flèche verte orientée vers le haut représentait la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas la moins bonne, tandis que des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite constituaient deux évaluations intermédiaires. Il résulte des principes énoncés au point 4 que cette méthode d’évaluation des offres, qui permet de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles, n’est pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et n’est, par suite, pas entachée d’irrégularité.

12. En quatrième lieu, il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l’autorité concédante, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un contrat, de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que l’autorité concédante n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats.

13. Si la société Café Compagnie S a proposé, dans le cadre de son offre, que des pénalités soient associées à certains engagements contractuels relatifs à l’exploitation du service ou à la transmission de documents, aucun de ces engagements ne portait sur ses moyens matériels et humains. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que la commune aurait dénaturé son offre en relevant, dans sa lettre de rejet du 18 novembre 2021, l’absence d’engagements contractuels de sa part sur ces derniers points.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par la société Café Compagnie S devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon doit être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Café Compagnie S la somme de 4 500 euros à verser, d’une part, à la commune de Saint-Cyr-sur-Mer et, d’autre part, à la société Le Sporting Plage, au titre de l’ensemble de la procédure, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer et de la société Le Sporting Plage, qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances.

D E C I D E :

— -------------

Article 1er : L’ordonnance du 18 décembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Café Compagnie S devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon est rejetée.

Article 3 : La société Café Compagnie S versera la somme de 4 500 euros, d’une part, à la commune de Saint-Cyr-sur-Mer et, d’autre part, à la société Le Sporting Plage, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la société Café Compagnie S au même titre sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Cyr-sur-Mer, à la société Café Compagnie S et à la société Le Sporting Plage.

Délibéré à l’issue de la séance du 13 avril 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d’Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

Rendu le 3 mai 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Alexis Goin

La secrétaire :

Signé : Mme Nadine Pelat

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :



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