Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 21 décembre 2022, 447568, Publié au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

) a) Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) que les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) font l’objet d’un régime spécial d’association défini dans la quatrième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), de sorte que les dispositions générales du traité, dont le champ d’application territorial est en principe limité aux États membres, ne leur sont pas applicables sans référence expresse. … En l’absence de référence expresse aux mouvements de capitaux entre les États membres et les PTOM dans le traité sur l’Union européenne (TUE) et le TFUE, les PTOM bénéficient de la libéralisation des mouvements de capitaux prévue à l’article 63 du TFUE en qualité d’États tiers….b) i) Il résulte également de la jurisprudence de la CJUE que, lorsqu’est en cause la cession par un investisseur établi dans un pays tiers d’une participation dans une société résidente d’un Etat membre, l’examen de l’objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève de l’article 63 du TFUE relatif à la libre circulation des capitaux. … Ainsi, une législation nationale qui ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles l’investisseur exerce une influence décisive sur la société établie dans un Etat membre doit être appréciée au regard de ces stipulations. Un investisseur établi dans un pays tiers peut alors, indépendamment de l’ampleur de la participation qu’il détient dans la société cédée, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d’une telle réglementation. … En revanche, lorsqu’il ressort de l’objet d’une législation nationale que celle-ci a seulement vocation à s’appliquer aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société résidente de l’Etat membre et d’en déterminer les activités, les stipulations de l’article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées. … ii) Il résulte de l’article 244 bis B du code général des impôts (CGI) que les cédants non-résidents de titres de participation de sociétés établies en France sont assujettis à l’imposition qu’il prévoit lorsque les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres sont cédés dépassent 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. … Cette imposition est ainsi indépendante du niveau de participation dans les bénéfices sociaux de la société française au moment de la cession et s’applique quel que soit le niveau de droits de vote du cédant non-résident. … Dans ces conditions, l’article 244 bis B n’a pas vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie en France et d’en déterminer les activités….L’article 63 peut donc être utilement invoqué à l’encontre de cet article….2) Il résulte de l’article 65 du TFUE que des dispositions fiscales restreignant les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers peuvent être jugées compatibles avec les stipulations du traité relatives à la libre circulation des capitaux si la différence de traitement qu’elles instaurent, soit concerne des contribuables qui se trouvent dans des situations objectivement différentes, soit répond à une raison impérieuse d’intérêt général et n’excède pas ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par ces dispositions soit atteint….a) En l’absence de différence objective de situation liée à la résidence et alors qu’aucune raison impérieuse d’intérêt général n’était invoquée devant lui susceptible de justifier le traitement fiscal défavorable des cessions de droits sociaux effectuées par des personnes morales ayant leur siège hors de France par rapport à celui prévu, pour les mêmes opérations, à l’encontre des personnes morales ayant leur siège en France, le juge de l’impôt est réputé avoir implicitement mais nécessairement jugé que la restriction ainsi constatée à la liberté de circulation des capitaux n’entrait pas dans le champ de l’article 65 du TFUE. … Il peut statuer ainsi sans opposer d’office l’article 65 du TFUE. … En outre, il n’est pas tenu, en l’absence d’argumentation soulevée devant lui, de motiver sa décision explicitement sur ce point….b) Lorsqu’un contribuable non-résident conteste, au regard de la libre circulation des capitaux, l’imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, il convient de comparer la charge fiscale supportée respectivement par ce contribuable et par un contribuable résident de France placé dans une situation comparable. … c) Lorsqu’il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l’administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l’impôt, de dégrever l’imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement.

Il résulte de l’article 65 du TFUE que des dispositions fiscales restreignant les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers peuvent être jugées compatibles avec les stipulations du traité relatives à la libre circulation des capitaux si la différence de traitement qu’elles instaurent, soit concerne des contribuables qui se trouvent dans des situations objectivement différentes, soit répond à une raison impérieuse d’intérêt général et n’excède pas ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par ces dispositions soit atteint….1) En l’absence de différence objective de situation liée à la résidence et alors qu’aucune raison impérieuse d’intérêt général n’était invoquée devant lui susceptible de justifier le traitement fiscal défavorable des cessions de droits sociaux effectuées par des personnes morales ayant leur siège hors de France par rapport à celui prévu, pour les mêmes opérations, à l’encontre des personnes morales ayant leur siège en France, le juge de l’impôt est réputé avoir implicitement mais nécessairement jugé que la restriction ainsi constatée à la liberté de circulation des capitaux n’entrait pas dans le champ de l’article 65 du TFUE. … Il peut statuer ainsi sans opposer d’office l’article 65 du TFUE. … En outre, il n’est pas tenu, en l’absence d’argumentation soulevée devant lui, de motiver sa décision explicitement sur ce point….2) Lorsqu’un contribuable non-résident conteste, au regard de la libre circulation des capitaux, l’imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, il convient de comparer la charge fiscale supportée respectivement par ce contribuable et par un contribuable résident de France placé dans une situation comparable. …3) Lorsqu’il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l’administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l’impôt, de dégrever l’imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement.

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Sur la décision

Référence :
CE, 9-10 chr, 21 déc. 2022, n° 447568, Lebon
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 447568
Importance : Publié au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Versailles, 19 octobre 2020, N° 18VE03012
Précédents jurisprudentiels : [RJ1] Rappr. CJUE, 5 mai 2011, Prunus SARL et Polonium SA, aff. C-384/09, Rec. p. I-03319....[RJ2] Cf. sol. contr., s’agissant du dispositif anti-abus de l’article 209 B du CGI, CE, 25 avril 2022, Société Rubis, n° 439859, à mentionner aux Tables....[RJ3] Rappr., jugeant que le juge doit examiner d’office la clause de gel de l’article 64 du TFUE, CE, 28 juillet 2011, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ M. et Mme Holzer, n° 322672, p. 429....[RJ4] Cf. CE, 6 décembre 2021, National pension service, n° 433301, p. 360.
Dispositif : Renvoi après cassation
Date de dernière mise à jour : 24 juin 2023
Identifiant Légifrance : CETATEXT000047060933
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2022:447568.20221221

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

La société Runa Capital Fund I LP a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution du prélèvement acquitté au titre de la taxation de la plus-value résultant de la cession de droits sociaux réalisée le 21 mai 2014, en application de l’article 244 bis B du code général des impôts, assortie des intérêts moratoires, et de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 37 900 euros acquittée au titre de la représentation fiscale. Par un jugement n° 1700014 du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18VE03012 du 20 octobre 2020, la cour administrative d’appel de Versailles, sur appel de la société Runa Capital Fund I LP, après avoir donné acte de son désistement au titre des conclusions indemnitaires et de celles tendant au remboursement des intérêts moratoires, a annulé ce jugement et fait droit à la demande de restitution.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 décembre 2020 et le 27 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt en tant qu’il prononce la restitution du prélèvement en litige.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

— le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

— la loi n° 78-688 du 5 juillet 1978 ;

— la loi n° 93-1353 du 30 décembre 1993 ;

— le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Runa Capital Fund I LP ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Runa Capital Fund I LP, dont le siège social est situé aux Îles Caïman, qui faisaient alors partie des « pays et territoires d’outre-mer » (PTOM) au regard du droit de l’Union européenne, a cédé, le 21 mai 2014, les titres de participation d’une société française et acquitté sur la plus-value nette qu’elle a réalisée à cette occasion le prélèvement prévu à l’article 244 bis B du code général des impôts. Par un jugement du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de restitution du prélèvement acquitté par la société Runa Capital Fund I LP. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 20 octobre 2020 de la cour administrative d’appel de Versailles en tant qu’il a annulé ce jugement et accordé la restitution demandée.

2. Aux termes de l’article 244 bis B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : « Sous réserve des dispositions de l’article 244 bis A, les gains mentionnés à l’article 150-0 A résultant de la cession ou du rachat de droits sociaux mentionnés au f du I de l’article 164 B, réalisés par des personnes physiques qui ne sont pas domiciliées en France au sens de l’article 4 B ou par des personnes morales ou organismes quelle qu’en soit la forme, ayant leur siège social hors de France, sont déterminés et imposés selon les modalités prévues aux articles 150-0 A à 150-0 E lorsque les droits dans les bénéfices de la société détenus par le cédant ou l’actionnaire ou l’associé, avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années ».

3. En premier lieu, aux termes du 1 de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».

4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que les PTOM font l’objet d’un régime spécial d’association défini dans la quatrième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de sorte que les dispositions générales du traité, dont le champ d’application territorial est en principe limité aux États membres, ne leur sont pas applicables sans référence expresse. En l’absence de référence expresse aux mouvements de capitaux entre les États membres et les PTOM dans les traités sur l’Union européenne et sur le fonctionnement de l’Union européenne, les PTOM bénéficient de la libéralisation des mouvements de capitaux prévue à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en qualité d’États tiers.

5. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que, lorsqu’est en cause la cession par un investisseur établi dans un pays tiers d’une participation dans une société résidente d’un Etat membre, l’examen de l’objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève des stipulations de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives à la libre circulation des capitaux. Ainsi, une législation nationale qui ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles l’investisseur exerce une influence décisive sur la société établie dans un Etat membre doit être appréciée au regard de ces stipulations. Un investisseur établi dans un pays tiers peut alors, indépendamment de l’ampleur de la participation qu’il détient dans la société cédée, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d’une telle réglementation. En revanche, lorsqu’il ressort de l’objet d’une législation nationale que celle-ci a seulement vocation à s’appliquer aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société résidente de l’Etat membre et d’en déterminer les activités, les stipulations de l’article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées.

6. En l’espèce, il résulte des dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts que les cédants non-résidents de titres de participation de sociétés établies en France sont assujettis à l’imposition qu’elles prévoient lorsque les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres sont cédés dépassent 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Cette imposition est ainsi indépendante du niveau de participation dans les bénéfices sociaux de la société française au moment de la cession et s’applique quel que soit le niveau de droits de vote du cédant non-résident. Dans ces conditions, les dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts n’ont pas vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie en France et d’en déterminer les activités. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que les stipulations de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives à la liberté de circulation des capitaux peuvent être utilement invoquées à l’encontre de ces dispositions.

7. Par suite, la cour administrative d’appel de Versailles n’a pas commis d’erreur de droit ni méconnu son office en statuant sur la compatibilité de l’article 244 bis B du code général des impôts avec les stipulations de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

8. En deuxième lieu, aux termes de l’article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « L’article 63 ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux ».

9. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel a d’abord jugé que les dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts instituaient, en cas de cession de droits sociaux par des personnes morales ayant leur siège hors de France, une imposition d’un montant supérieur à l’imposition dont auraient été redevables, pour cette même opération, les personnes morales ayant leur siège en France en application de l’article 219 du code général des impôts et méconnaissaient par suite, dans cette mesure, le principe de libre circulation des capitaux. La cour a ensuite jugé que le ministre ne pouvait se prévaloir de la possibilité, prévue par l’article 64 du même traité, de maintenir des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers existant au 31 décembre 1993 au motif que l’application du dispositif en litige, qui ne concernait initialement, en vertu de l’article 8 de la loi la loi du 5 juillet 1978 relative à l’imposition de gains nets en capital réalisés à l’occasion de cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux, que les entités assimilables à des sociétés de personnes soumises à l’impôt sur le revenu, n’a été étendue aux « personnes morales ou organismes, quelle qu’en soit la forme » qu’à compter du 2 janvier 1994 par l’article 43 de la loi du 30 décembre 1993 de finances rectificative pour 1993.

10. Si le ministre soutient pour la première fois en cassation que la cour aurait dû rechercher si une structure telle que la société Runa Capital Fund I LP n’aurait pas été soumise au prélèvement litigieux avant le 31 décembre 1993 en tant que société de personnes soumise à l’impôt sur le revenu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour aurait, en l’absence de tout débat sur ce point, dénaturé les faits de l’espèce en assimilant la société requérante à une société de capitaux soumise à l’impôt sur les sociétés.

11. Au demeurant, le taux d’imposition applicable au 31 décembre 1993 en vertu des dispositions combinées de l’article 160 et de l’article 244 bis B du code général des impôts, en cas de cession de titres par des entités non-résidentes assimilables à des sociétés de personnes soumises à l’impôt sur le revenu, était identique à celui applicable, à la même date, aux plus-values de cession de titres réalisées par des sociétés de personnes soumises à l’impôt sur le revenu établies en France. Par suite et en tout état de cause, aucune restriction au sens de l’article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’existait pour ces sociétés au 31 décembre 1993.

12. En troisième lieu, aux termes de l’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : " 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres: / / a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis; / () 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 ". Il résulte de ces stipulations que des dispositions fiscales restreignant les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers peuvent être jugées compatibles avec les stipulations du traité relatives à la libre circulation des capitaux si la différence de traitement qu’elles instaurent, soit concerne des contribuables qui se trouvent dans des situations objectivement différentes, soit répond à une raison impérieuse d’intérêt général et n’excède pas ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par ces dispositions soit atteint.

13. En l’absence de différence objective de situation liée à la résidence et alors qu’aucune raison impérieuse d’intérêt général n’était invoquée devant elle susceptible de justifier le traitement fiscal défavorable des cessions de droits sociaux effectuées par des personnes morales ayant leur siège hors de France par rapport à celui prévu, pour les mêmes opérations, à l’encontre des personnes morales ayant leur siège en France, la cour a implicitement mais nécessairement jugé que la restriction ainsi constatée à la liberté de circulation des capitaux n’entrait pas dans le champ de l’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En statuant ainsi sans opposer d’office les stipulations de l’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la cour n’a pas commis d’erreur de droit. En outre, en l’absence d’argumentation soulevée devant elle, la cour n’était pas tenue de motiver sa décision explicitement sur ce point, de telle sorte que le moyen tiré de l’insuffisante motivation de son arrêt à cet égard ne peut qu’être écarté.

14. En quatrième lieu, toutefois, lorsqu’un contribuable non-résident conteste, au regard de la libre circulation des capitaux, l’imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, il convient de comparer la charge fiscale supportée respectivement par ce contribuable et par un contribuable résident de France placé dans une situation comparable. Lorsqu’il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l’administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l’impôt, de dégrever l’imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement.

15. Il en résulte qu’en s’abstenant de comparer la charge fiscale supportée respectivement par la société Runa Capital Fund I LP et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable afin de ne dégrever l’imposition en litige que dans la mesure nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement, la cour a commis une erreur de droit.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est seulement fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant que la cour a accordé à la société Runa Capital Fund I LP une décharge excédant ce qui était nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement entre cette société et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable.

17. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

— -------------

Article 1er : L’arrêt du 20 octobre 2020 de la cour administrative d’appel de Versailles est annulé en tant que la cour a accordé à la société Runa Capital Fund I LP une décharge excédant ce qui était nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement entre cette société et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable.

Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation décidée à l’article 1er, à la cour administrative d’appel de Versailles.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Runa Capital Fund I LP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Runa Capital Fund I LP.

Délibéré à l’issue de la séance du 2 décembre 2022 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d’Etat et M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Matias de Sainte Lorette

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

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