CEDH, Note d’information sur l'affaire 65192/11, 26 juin 2014, 65192/11

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Sur la décision

Texte intégral

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour No 175

Juin 2014

Mennesson c. France - 65192/11

Arrêt 26.6.2014 [Section V]

Article 8

Article 8-1

Respect de la vie familiale

Respect de la vie privée

Refus de reconnaître en droit français une filiation légalement établie aux États-Unis entre des enfants nées d’une gestation pour autrui (GPA) et le couple ayant eu recours à cette méthode : violation

[Ce résumé concerne également l’arrêt Labassee c. France, n° 65941/11, 26 juin 2014]

En fait – Les requérants dans la première affaire sont les époux Mennesson, ressortissants français, ainsi que Mlles Mennesson, ressortissantes américaines, jumelles nées en 2000. Les requérants dans la seconde affaire sont les époux Labassee, ressortissants français, ainsi que Juliette Labassee, ressortissante américaine née en 2001.

En raison de l’infertilité de Mmes Mennesson et Labassee, les parents requérants eurent recours à la gestation pour autrui (GPA) aux États-Unis avec l’implantation d’embryons dans l’utérus d’une autre femme, issus des gamètes de M. Mennesson dans un cas, et de M. Labassee dans l’autre. Ainsi naquirent les jumelles Mennesson et Juliette Labassee (les enfants requérantes). Des jugements, prononcés respectivement en Californie pour la première affaire et dans le Minnesota pour la seconde, indiquent que les époux Mennesson sont les parents des jumelles, et que les époux Labassee sont les parents de Juliette.

Suspectant des cas de GPA, les autorités françaises refusèrent de retranscrire les actes de naissance sur les registres de l’état civil français. Dans l’affaire Mennesson, la retranscription fut cependant effectuée sur instruction du parquet, lequel assigna ensuite les époux aux fins d’annulation. Dans l’affaire Labassee, les époux ne contestèrent pas le refus de transcription. Ils essayèrent de faire reconnaitre le lien de filiation par la voie de la possession d’état. Ils obtinrent un acte de notoriété – acte délivré par un juge et constatant la possession d’état de fils ou de fille, c’est à dire la réalité vécue d’un lien de filiation – mais le parquet refusa d’en porter mention à l’état civil ; ils saisirent alors les juridictions.

Les requérants furent définitivement déboutés par la Cour de cassation le 6 avril 2011 au motif que de telles transcriptions ou inscription donneraient effet à une convention de GPA, nulle d’une nullité d’ordre public selon le code civil français. Elle estima qu’il n’y avait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale puisqu’une telle annulation ne privait pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle reconnue par le droit de la Californie ou du Minnesota ni ne les empêchait de vivre en France avec les époux Mennesson et Labassee.

En droit – Article 8 : Il y a eu ingérence dans l’exercice du droit garanti par l’article 8 dans les volets « vie familiale » et « vie privée ». Les mesures incriminées avaient une base en droit interne et la loi en cause était accessible au justiciable et prévisible.

Le refus de la France de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une GPA et les parents d’intention procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire dans le but de préserver les enfants et la mère porteuse. En conséquence l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes à savoir la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».

Il n’y a consensus en Europe ni sur la légalité de la GPA ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants ainsi légalement conçus à l’étranger. Cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la GPA suscite de délicates interrogations d’ordre éthique. Les États doivent dès lors se voir accorder une ample marge d’appréciation dans leurs choix liés à la GPA. Cette marge d’appréciation doit néanmoins être réduite dès lors qu’il est question de la filiation, car cela met en jeu un aspect essentiel de l’identité des individus. Par ailleurs, il incombe à la Cour de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés, eu égard notamment au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer.

a)  Concernant le droit des requérants au respect de leur vie familiale – Le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les requérants affecte leur vie familiale à différents niveaux. Les requérants se voient contraints de produire les actes d’état civil américain – non transcrits – accompagnés d’une traduction assermentée chaque fois que l’accès à un droit ou à un service nécessite la preuve de la filiation. Par ailleurs, les enfants requérantes ne se sont pas vues reconnaître à ce jour la nationalité française, ce qui a des conséquences sur les déplacements de la famille et suscite des inquiétudes quant au droit de séjour des enfants requérantes en France après leur majorité et donc quant à la stabilité de la cellule familiale. À cela s’ajoutent des inquiétudes quant au maintien de la vie familiale en cas de décès d’un requérant père génétique ou de séparation du couple.

Cependant, quelle que soit l’importance des risques potentiels pesant sur la vie familiale des requérants, la Cour estime qu’il lui faut se déterminer au regard des obstacles concrets que ceux-ci ont dû effectivement surmonter du fait de l’absence de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les requérants pères génétiques et les enfants requérantes. Or les requérants ne prétendent pas que les difficultés qu’ils évoquent ont été insurmontables et ne démontrent pas que l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance d’un lien de filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale. À ce titre, ils ont pu s’établir en France peu de temps après la naissance des enfants requérantes, ils sont en mesure d’y vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et il n’y a pas lieu de penser qu’il y a un risque que les autorités décident de les séparer en raison de leur situation au regard du droit français.

En outre pour rejeter les moyens que les requérants développaient sur le terrain de la Convention, la Cour de cassation ne s’est pas dispensée d’un examen concret de la situation, puisque, les juges ont estimé, implicitement mais nécessairement, que les difficultés pratiques que les requérants pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit français du lien établi entre eux à l’étranger ne dépasseraient pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention.

Ainsi, au vu, d’une part, des effets concrets du défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les requérants sur leur vie familiale, et, d’autre part, de la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur, la situation à laquelle conduit la conclusion de la Cour de cassation en l’espèce ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’État, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale.

Conclusion : non-violation (unanimité).

b)  Concernant le droit des enfants requérantes au respect de leur vie privée – La France, sans ignorer que les enfants requérantes ont été identifiées ailleurs comme étant les enfants des requérants parents d’intention, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. Pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française. Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes. Or, bien que leur père biologique soit français, les enfants requérantes sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française. Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité. En outre le fait pour les enfants requérantes de ne pas être identifiées en droit français comme étant les enfants des requérants parents d’intention a des conséquences sur leurs droits sur la succession de ceux-ci.

Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire. Il résulte toutefois de ce qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant.

Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun, on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or non seulement le lien entre les enfants requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation. La Cour européenne estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des enfants requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. Étant donné aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence, le droit des enfants requérantes au respect de leur vie privée a été méconnu.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 5 000 EUR à chaque enfant requérante pour préjudice moral.

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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