CEDH, Note d’information sur l'affaire 56925/08, 29 mars 2016, 56925/08

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 21266/19, 21774/19, 56925/08 et 20233/06

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 29 mars 2016, n° 56925/08
Numéro(s) : 56925/08
Type de document : Note d'information
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Non-violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{Générale} (Article 10-1 - Liberté de communiquer des informations ; Liberté de recevoir des informations)
Identifiant HUDOC : 002-10933
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Texte intégral

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 194

Mars 2016

Bédat c. Suisse [GC] - 56925/08

Arrêt 29.3.2016 [GC]

Article 10

Article 10-1

Liberté de communiquer des informations

Liberté de recevoir des informations

Condamnation d’un journaliste pour la publication d’informations couvertes par le secret de l’instruction : non-violation

En fait – Le 15 octobre 2003, le requérant, journaliste, fit paraître dans un hebdomadaire un article qui concernait une procédure pénale dirigée contre un automobiliste placé en détention préventive pour avoir foncé sur des piétons, tuant trois personnes et blessant huit autres avant de se jeter du pont de Lausanne. L’article dressait le portrait du prévenu, présentait un résumé des questions des policiers et du juge d’instruction, ainsi que les réponses du prévenu, et était accompagné de plusieurs photographies des lettres qu’il avait adressées au juge d’instruction. Cet article comportait également un bref résumé des déclarations de l’épouse et du médecin traitant du prévenu. Le journaliste fit l’objet de poursuites pénales d’office pour avoir publié des documents secrets. En juin 2004, le juge d’instruction le condamna à un mois de prison avec sursis. Puis le tribunal de police remplaça sa condamnation par une amende de 4 000 francs suisses (CHF – environ 2 667 EUR). Les recours du requérant contre sa condamnation n’aboutirent pas.

Par un arrêt du 1er juillet 2014 (voir la Note d’information 176), une chambre de la Cour a conclu par quatre voix contre trois à la violation de l’article 10 car la condamnation du requérant au paiement d’une amende, en raison de l’utilisation et de la reproduction d’éléments du dossier d’instruction dans son article, ne répondait pas à « un besoin social impérieux ». Si les motifs de la condamnation étaient « pertinents », ils n’étaient pas « suffisants » pour justifier une telle ingérence dans le droit à liberté d’expression du requérant.

Le 17 novembre 2014, l’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande du Gouvernement.

En droit – Article 10 : La condamnation du requérant a constitué une ingérence, prévue par la loi, dans l’exercice par lui du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 § 1 de la Convention. La mesure incriminée poursuivait des buts légitimes, à savoir empêcher « la divulgation d’informations confidentielles », garantir « l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » et « la protection de la réputation (et) des droits d’autrui ».

Le droit du requérant d’informer le public et le droit du public de recevoir des informations se heurtent à des intérêts publics et privés de même importance, protégés par l’interdiction de divulguer des informations couvertes par le secret de l’instruction. Ces intérêts sont : l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire, l’effectivité de l’enquête pénale et le droit du prévenu à la présomption d’innocence et à la protection de sa vie privée. La Cour estime nécessaire de préciser les critères* devant guider les autorités nationales des États parties à la Convention dans la mise en balance de ces intérêts et donc dans l’appréciation du caractère « nécessaire » de l’ingérence s’agissant des affaires de violation du secret de l’instruction par un journaliste.

a)  La manière dont le requérant est entré en possession des informations litigieuses – S’il n’a pas été allégué que le requérant se serait procuré les informations litigieuses de manière illicite, en tant que journaliste de profession, il ne pouvait pas ignorer le caractère confidentiel des informations qu’il s’apprêtait à publier.

b)  La teneur de l’article litigieux – Même si l’article litigieux n’exprimait aucune position quant au caractère intentionnel de l’acte dont été accusé le prévenu, il traçait néanmoins de ce dernier un portrait très négatif, sur un ton presque moqueur. Les titres utilisés par le requérant ainsi que la photo en gros plan du prévenu, publiée en grand format, ne laissent aucun doute quant à l’approche sensationnaliste que le requérant avait entendu donner à son article. Par ailleurs, l’article mettait en exergue la vacuité des déclarations du prévenu et ses contradictions, qualifiées parfois explicitement de « mensonges à répétition », pour en conclure, sur le mode interrogatif, que par « ce mélange de naïveté et d’arrogance », le prévenu faisait « tout pour se rendre indéfendable ». Ces questions faisaient précisément partie de celles que les autorités judiciaires étaient appelées à trancher, tant au stade de l’instruction qu’à celui du jugement.

c)  La contribution de l’article litigieux à un débat d’intérêt général – Le sujet à l’origine de l’article, à savoir l’enquête pénale ouverte sur le drame du Grand-Pont de Lausanne, relevait de l’intérêt général. Cet incident, tout à fait exceptionnel, avait suscité une très grande émotion au sein de la population et les autorités judiciaires elles-mêmes avaient jugé opportun de tenir la presse et le public informés de certains aspects de l’enquête en cours.

Toutefois, la question qui se pose est celle de savoir si le contenu de l’article et, en particulier, les informations qui étaient couvertes par le secret de l’instruction étaient de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question ou simplement à satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie strictement privée du prévenu.

À cet égard, après un examen approfondi du contenu de l’article, de la nature des informations qui y étaient contenues et des circonstances entourant l’affaire, le Tribunal fédéral, dans un arrêt longuement motivé et qui ne révèle aucune trace d’arbitraire, a considéré que ni la divulgation des procès-verbaux d’audition ni celle des lettres adressées par le prévenu au juge d’instruction n’avaient apporté un éclairage pertinent pour le débat public et que l’intérêt du public relevait en l’espèce « tout au plus de la satisfaction d’une curiosité malsaine ».

De son côté, le requérant n’a pas démontré en quoi la publication des procès-verbaux d’audition, des déclarations de la femme et du médecin du prévenu, ainsi que des lettres que le prévenu avait adressées au juge d’instruction et qui portaient sur des questions anodines concernant le quotidien de sa vie en détention était de nature à nourrir un éventuel débat public sur l’enquête en cours.

Dès lors, la Cour n’aperçoit aucune raison sérieuse de substituer son propre avis à celui du Tribunal fédéral, juridiction qui bénéficiait en la matière d’une certaine marge d’appréciation.

d)  L’influence de l’article litigieux sur la conduite de la procédure pénale – Tout en soulignant que les droits garantis, respectivement, par l’article 10 et par l’article 6 § 1 méritent a priori un égal respect, il est légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l’instruction compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale, tant pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en examen. Le secret de l’instruction sert à protéger, d’une part, les intérêts de l’action pénale, en prévenant les risques de collusion ainsi que le danger de disparition et d’altération des moyens de preuve et, d’autre part, les intérêts du prévenu, notamment sous l’angle de la présomption d’innocence et, plus généralement, de ses relations et intérêts personnels. Il est en outre justifié par la nécessité de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision du pouvoir judiciaire.

Bien que l’article litigieux ne privilégiât pas ouvertement la thèse d’un acte intentionnel, il était néanmoins orienté de manière à tracer du prévenu un portrait très négatif, mettant en exergue certains aspects troublants de sa personnalité et concluant que celui-ci « faisait tout pour se rendre indéfendable ».

Force est de constater que la publication d’un article orienté de telle manière, à un moment où l’instruction était encore ouverte, comportait en soi un risque d’influer d’une manière ou d’une autre sur la suite de la procédure, que ce soit le travail du juge d’instruction, les décisions des représentants du prévenu, les positions des parties civiles ou la sérénité de la juridiction appelée à juger la cause, indépendamment de la composition d’une telle juridiction.

On ne saurait attendre d’un gouvernement qu’il apporte la preuve, a posteriori, que ce type de publication a eu une influence réelle sur les suites de la procédure. Le risque d’influence sur la procédure justifie en soi que des mesures dissuasives, telles qu’une interdiction de divulgation d’informations secrètes, soient adoptées par les autorités nationales.

La légalité de ces mesures en droit interne ainsi que leur compatibilité avec les exigences de la Convention doivent pouvoir être appréciées au moment où les mesures sont prises et non, comme soutient le requérant, à la lumière de faits ultérieurs révélateurs de l’impact réel de ces publications sur le procès, telle la composition de la formation de jugement.

C’est donc à juste titre que le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 29 avril 2008, a considéré que les procès-verbaux d’interrogatoire et la correspondance du prévenu avaient fait « l’objet d’exégèses sur la place publique, hors contexte, au risque d’influencer le processus des décisions du juge d’instruction et, plus tard, de l’autorité de jugement ».

e)  L’atteinte à la vie privée du prévenu – La procédure pénale diligentée contre le requérant par les autorités cantonales de poursuite s’inscrivait dans le cadre de l’obligation positive de protéger la vie privée du prévenu qui incombait à la Suisse en vertu de l’article 8 de la Convention.

Par ailleurs, les informations divulguées par le requérant étaient de nature très personnelle, et même médicale, et incluaient notamment des déclarations du médecin traitant du prévenu, ainsi que des lettres adressées par ce dernier, depuis son lieu de détention, au juge d’instruction chargé de l’affaire. Ce type d’information appelait le plus haut degré de protection sous l’angle de l’article 8 ; ce constat est d’autant plus important que le prévenu n’était pas connu du public et que le simple fait qu’il se trouvait au centre d’une enquête pénale, certes pour des faits très graves, n’impliquait pas qu’on l’assimile à un personnage public qui se met volontairement sur le devant de la scène.

Au moment de la publication de l’article litigieux, le prévenu se trouvait en détention, et donc dans une situation de vulnérabilité. Par ailleurs, rien dans le dossier n’indique qu’il était informé de la parution de l’article et de la nature des informations qui y figuraient. Au surplus, il souffrait vraisemblablement de troubles psychiques, ce qui accentuait sa vulnérabilité. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher aux autorités cantonales d’avoir considéré que, pour remplir leur obligation positive de protéger le droit du prévenu au respect de sa vie privée, elles ne pouvaient se contenter d’attendre que celui-ci eût pris lui-même l’initiative d’intenter une action civile contre le requérant et d’avoir par conséquent opté pour une démarche active, fût-elle de nature pénale.

f)  La proportionnalité de la sanction prononcée – Le recours à la voie pénale ainsi que la sanction infligée au requérant n’ont pas constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Le requérant fut condamné initialement à un mois de prison avec sursis. Cette peine fut ensuite commuée en une amende de 4 000 CHF, somme qui fut fixée en tenant compte des antécédents judiciaires du requérant et qui ne fut pas déboursée par le requérant lui-même mais avancée par son employeur. Cette sanction punissait la violation du secret d’une instruction pénale et protégeait en l’occurrence le bon fonctionnement de la justice ainsi que les droits du prévenu à un procès équitable et au respect de sa vie privée.

Dans ces conditions, on ne saurait considérer qu’une telle sanction risquait d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression du requérant ou de tout autre journaliste souhaitant informer le public au sujet d’une procédure pénale en cours.

Conclusion : non-violation (quinze voix contre deux).

*  Voir Axel Springer AG c. Allemagne [GC], 39954/08, 7 février 2012, Note d’information 149, et Stoll c. Suisse [GC], 69698/01, 25 avril 2006, Note d’information 103.

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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