CEDH, BUTURUGĂ c. ROUMANIE, 29 mars 2017, 56867/15

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Chronologie de l’affaire

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CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 82968/17, 77209/16, 77225/16, 79177/16, 56867/15, 4493/11, 45720/17, 15613/10, 69270/12, 63571/16, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 29 mars 2017, n° 56867/15
Numéro(s) : 56867/15
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-173267
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Texte intégral

Communiquée le 29 mars 2017

QUATRIÈME SECTION

Requête no 56867/15
Gina Aurelia BUTURUGĂ
contre la Roumanie
introduite le 11 novembre 2015

EXPOSÉ DES FAITS

La requérante, Mme Gina Aurelia Buturugă, est une ressortissante roumaine née en 1970 et résidant à Tulcea.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

La requérante se plaint d’avoir été victime de violence domestique. Elle dit avoir subi, pendant son mariage avec M.V., des violences physiques et des menaces de mort répétées qui se seraient aggravées en novembre 2013. Elle précise à cet égard que, à cette date, son ex-mari et elle ont commencé à discuter de l’éventualité d’un divorce et que celui-ci a finalement été prononcé le 30 janvier 2014.

1.  La plainte pénale relative aux incidents des 17 et 22 décembre 2013

La requérante allègue que, le 17 décembre 2013, elle a été menacée de mort par M.V. : celui-ci aurait menacé de la jeter par le balcon afin de faire croire à un suicide. L’intéressée soutient en outre que, le 22 décembre 2013, M.V. l’a frappée et a menacé de la tuer avec une hache, et qu’elle s’est alors réfugiée dans une chambre de leur appartement et a appelé du secours.

Le 23 décembre 2013, la requérante obtint un certificat médicolégal attestant qu’elle avait besoin de trois à quatre jours de soins médicaux en raison des lésions qu’elle présentait. Le même jour, elle déposa plainte contre M.V. Le 6 janvier 2014, elle déposa une nouvelle plainte contre ce dernier et réitéra ses allégations quant aux violences et menaces qu’elle disait avoir subies. La police aurait cependant essayé de la persuader de retirer sa plainte au motif que ses lésions étaient légères. À une date non précisée, la requérante se constitua partie civile et demanda la réparation des préjudices matériel et moral qu’elle estimait avoir subis.

Le 18 mars 2014, la requérante demanda une perquisition électronique de son ordinateur, alléguant que M.V. avait abusivement consulté son courrier électronique et les messages échangés par elle sur la messagerie de son compte Facebook et qu’il s’en était fait une copie. Par  une ordonnance du 2 juin 2014, la police de Tulcea rejeta la demande de la requérante au motif que les éléments susceptibles d’être ainsi recueillis étaient sans rapport avec les infractions de menaces et de violences reprochées à M.V.

Le 11 septembre 2014, la requérante déposa une nouvelle plainte pénale contre M.V., pour violation du secret de la correspondance.

Le parquet près le tribunal de première instance de Tulcea (« le parquet ») entendit la requérante et M.V., de même que la fille, la mère et la belle-sœur de la requérante en tant que témoins. Ces dernières indiquèrent que leur parente leur avait parlé des violences subies par elle.

D’après la requérante, sa mère a déclaré l’avoir hébergée après son départ du domicile conjugal, qui aurait été dicté par la peur, et avoir vu les marques de violence et les excoriations qui auraient été provoquées par son ex-époux. Cependant, toujours selon l’intéressée, les policiers n’ont pas consigné la déclaration de sa mère dans son intégralité au motif qu’elle n’était pas pertinente. En outre, également d’après la requérante, les témoins ont été entendus de manière irrégulière, sans avoir prêté serment, et leurs déclarations ont été consignées de manière incomplète.

Par une ordonnance du 17 février 2015, le parquet classa l’affaire. Dans cette ordonnance, il indiquait que, le 17 décembre 2013, la requérante avait bien été menacée de mort par son ex-époux, mais il estimait que le comportement de ce dernier n’était pas suffisamment grave pour être qualifié d’infraction. Par conséquent, il décidait d’infliger une amende administrative de 1 000 lei roumains (environ 250 euros) à M.V. En outre, le parquet considérait qu’il n’y avait pas d’éléments prouvant les faits de violence prétendument commis le 22 décembre 2013. Ainsi, selon lui, le certificat médicolégal délivré le jour suivant prouvait que la requérante avait subi des violences, mais il n’établissait pas avec certitude que M.V. en était l’auteur. S’agissant de la plainte relative à la violation du secret de la correspondance, le parquet estimait qu’elle était tardive.

Sur plainte de la requérante, par une ordonnance du 9 mars 2015, le procureur en chef du parquet confirma l’ordonnance du 17 février 2015.

La requérante contesta les ordonnances du parquet devant les juridictions internes, se plaignant notamment d’une insuffisance des éléments de preuve recueillis. Elle soutenait également que l’infraction de violation du secret de la correspondance devait faire l’objet d’un examen d’office, même en l’absence d’une plainte formelle de la partie lésée.

La requérante allègue avoir demandé à consulter le dossier du parquet et s’être, à cette occasion, rendue compte de l’absence de certains éléments de preuve, notamment des demandes adressées par elle au parquet et de plusieurs procès-verbaux de la police.

Par une décision définitive du 25 mai 2015, le tribunal de première instance de Tulcea (« le tribunal de première instance ») rejeta la contestation de la requérante aux motifs, d’une part, que le parquet avait correctement établi les faits et, d’autre part, s’agissant de la violation alléguée du secret de la correspondance, que les données publiées sur les réseaux de socialisation étaient publiques.

2.  La demande relative à l’obtention d’une ordonnance de protection

À une date non précisée, la requérante demanda au tribunal de première instance la délivrance d’une ordonnance de protection (ordin de protecţie) contre M.V., sur le fondement de la loi no 217/2003 sur la prévention et la lutte contre la violence conjugale (« la loi no 217/2003 »).

Par un jugement exécutoire en date du 13 mars 2014, le tribunal de première instance, se fondant sur la déclaration de la mère de la requérante, entendue en qualité de témoin, et sur le certificat médicolégal du 23 décembre 2013, jugea que M.V. avait agressé et menacé son ex-épouse. Il accueillit en conséquence la demande de la requérante, et il délivra une ordonnance de protection valable pour une durée de six mois et rédigée en ces termes :

« Pendant la durée de l’ordonnance de protection, [le tribunal] établit les mesures suivantes à la charge de la partie défenderesse :

- l’expulsion de l’immeuble sis à Tulcea (...) ;

- l’obligation de garder une distance minimale de 200 mètres par rapport à la partie demanderesse ;

- l’interdiction de se déplacer à l’adresse des parents de la partie demanderesse à Tulcea (...) ;

- l’interdiction d’établir tout contact par téléphone, par correspondance ou de toute autre manière avec la partie demanderesse. »

M.V. interjeta appel du jugement susmentionné. Par un arrêt du 18 septembre 2014, le tribunal départemental de Tulcea le débouta et confirma les faits établis par le tribunal de première instance.

La requérante allègue que la police a mis en application l’ordonnance de protection avec retard et que M.V. ne l’a pas respectée. À cet égard, elle précise que ce dernier s’est rendu à proximité de l’immeuble d’habitation de ses parents et qu’elle a reçu des menaces de sa part par l’intermédiaire d’un membre de sa famille. Elle ajoute que son ex-époux a pris contact avec elle par l’intermédiaire d’un médiateur, afin de la convaincre de retirer ses plaintes pénales en échange d’un partage plus favorable des biens communs, tout en la menaçant de déposer une plainte pénale contre elle pour diffamation. Elle soutient aussi que M.V. est rentré en contact avec sa mère et sa fille, et qu’elle en a informé la police à plusieurs reprises, en vain.

La requérante se réfère également à un incident survenu à ses dires le 29 octobre 2015, au cours duquel M.V. l’aurait poursuivie dans la rue. Elle indique avoir saisi la police de Tulcea le 3 novembre 2015 pour demander les enregistrements des caméras de surveillance sis à proximité des lieux publics où elle aurait été poursuivie par M.V. La requérante n’a pas informé la Cour de l’issue de la procédure afférente à cet évènement.

B.  Le droit interne et international pertinent

Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ancien code pénal roumain, notamment celles relatives aux infractions de coups et autres violences et de menaces, sont décrites dans l’arrêt E.M. c. Roumanie (no 43994/05, § 41, 30 octobre 2012). L’ancien code pénal comportait en outre la disposition suivante :

Article 195 – la violation du secret de la correspondance

« 1.  Quiconque, de manière illicite, ouvre la correspondance d’un tiers ou intercepte les conversations ou les communications téléphoniques d’un tiers, ses communications télégraphiques ou celles réalisées par tout autre moyen de transmission à longue distance est passible d’une peine d’emprisonnement allant de six mois à trois ans.

(...).

3.  L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée. »

Les dispositions pertinentes en l’espèce du nouveau code pénal, en vigueur depuis le 1er février 2014, sont ainsi libellées :

Article 193 – les coups et autres violences

« 1.  Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et deux ans ou d’une amende.

2.  Le fait de causer des lésions traumatiques ou d’affecter la santé d’une personne, [lorsqu’il entraîne un état dont la gravité nécessite] quatre-vingt-dix jours de soins médicaux au maximum, est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et cinq ans ou d’une amende.

3.  L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée. »

Article 199 – les violences conjugales

« 1.  Si les faits visés aux articles 188 [le meurtre], 189 [le meurtre qualifié] et 193‑195 [les coups et autres violences, les lésions corporelles et les coups et blessures ayant causé la mort] sont commis à l’encontre d’un membre de la famille, [la limite] maximale spéciale de la peine prévue par la loi est majorée d’un quart.

2.  Dans le cas des infractions prévues aux articles 193 et 196 [les lésions corporelles résultant d’une négligence], l’action pénale peut être déclenchée d’office. La conciliation des parties exclut la responsabilité pénale. »

Article 302 – la violation du secret de la correspondance

« 1.  L’ouverture, la soustraction, la destruction ou la rétention sans droit de la correspondance adressée à autrui ainsi que la divulgation sans droit du contenu d’une telle correspondance, même si celle-ci a été envoyée ouverte ou a été ouverte par erreur, sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et un an ou d’une amende.

2.  L’interception sans droit d’une conversation ou d’une communication effectuées par téléphone ou par tout moyen électronique de communication est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et trois ans ou d’une amende.

(...).

7.  Pour les faits visés au premier paragraphe, l’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée. »

Article 360 – l’accès illégal à un système informatique

« 1.  L’accès sans droit à un système informatique est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et trois ans ou d’une amende.

2.  Les faits visés au premier paragraphe qui ont été commis en vue d’obtenir des données informatiques sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et cinq ans.

(...). »

Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 217/2003 sont résumées dans l’arrêt E.M. c. Roumanie (précité, §§ 43-45).

Le droit international pertinent en la matière est exposé en partie dans l’affaire Opuz c. Turquie (no 33401/02, §§ 72-82, CEDH 2009). S’agissant notamment de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), ses dispositions pertinentes en l’espèce sont décrites dans l’affaire M.G. c  Turquie (no 646/10, § 54, 22 mars 2016). Cette dernière convention est entrée en vigueur à l’égard de la Roumanie le 1er septembre 2016.

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante dénonce un manque d’effectivité de l’enquête pénale menée à l’encontre de M.V. : reprochant notamment aux autorités des carences dans le recueil de tous les éléments de preuve utiles à sa cause, elle allègue que plusieurs éléments de preuve ont fait défaut et que d’autres ont été consignés de manière incorrecte.

2.  Citant l’article 5 de la Convention, la requérante se plaint que sa sécurité personnelle ne soit pas assurée de manière adéquate. Elle estime qu’en l’absence d’une réponse adéquate au comportement de M.V. et d’une sanction correcte à son encontre, ce dernier risque de mettre sa sécurité et sa vie en danger. Elle se réfère également au non-respect par M.V. de l’ordonnance de protection délivrée par le tribunal de première instance.

3.  Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint du refus des autorités d’examiner sa plainte relative à la violation de son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, ainsi que du défaut d’enquête y relative.


QUESTIONS AUX PARTIES

1.  L’État défendeur a-t-il respecté ses obligations positives, découlant des articles 3 et 8 de la Convention, de mener une enquête effective afin d’identifier et de punir l’auteur des violences domestiques alléguées par la requérante (voir, mutatis mutandis, Opuz c. Turquie, no 33401/02, §§ 158‑176, CEDH 2009) ?

2.  L’État défendeur a-t-il en outre respecté son obligation positive en vertu des mêmes articles de la Convention de garantir à la requérante des mesures de protection adéquates compte tenu du risque de renouvellement par son ex-mari des mauvais traitements (voir, mutatis mutandis, Eremia c. République de Moldova, no 3564/11, § 56, 28 mai 2013) ? En particulier, les autorités nationales ont‑elles pris des mesures adéquates à la suite des allégations de la requérante selon lesquelles son ex-mari ne respectait pas l’ordonnance de protection rendue à son encontre ?

Le Gouvernement est invité à produire une copie intégrale du dossier pénal relatif aux plaintes de la requérante.

3.  L’État défendeur a-t-il respecté son obligation positive, découlant de l’article 8 de la Convention, de protéger le droit de la requérante au respect de sa vie privée et de sa correspondance contre les atteintes qui auraient été portées par son ex-mari ?

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