CEDH, SOARES CAMPOS c. PORTUGAL, 13 juillet 2017, 30878/16

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Chronologie de l’affaire

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CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 29422/17, 41288/15, 10926/09, 35989/14, 30878/16, 75953/16, 51111/07, 42757/07, 14791/04, 78042/16, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 13 juill. 2017, n° 30878/16
Numéro(s) : 30878/16
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-176149
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Sur les parties

Texte intégral

Communiquée le 13 juillet 2017

QUATRIÈME SECTION

Requête no 30878/16
José Carlos SOARES CAMPOS
contre le Portugal
introduite le 27 mai 2016

EXPOSÉ DES FAITS

Le requérant, M. José Carlos Soares Campos, est un ressortissant portugais né en 1971 et résidant à Lisbonne. Il est représenté devant la Cour par Me V. Parente Ribeiro, avocat à Lisbonne.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1.  L’origine de l’affaire

Le requérant est le père de Tiago André Campos qui était au moment des faits âgé de 21 ans et étudiant à l’université privée, Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias de Lisbonne (« U.L. »).

Le fils du requérant appartenait au conseil de bizutage, « Conselho Oficial de Praxe Académica » (« COPA »), des étudiants de l’UL qui visait promouvoir l’intégration des étudiants à travers des épreuves de bizutage.

Le COPA organisa la rencontre annuelle (désignée par le Maximum Praxis Consilium) entre les représentants de chaque cour de l’UL à laquelle devaient participé le fils du requérant et le chef du COPA, appelé le « dux »[1], J.G., qui venait d’être récemment élu. Cette rencontre devait se tenir le week-end du 14 et 15 décembre 2013 à Aiana de Cima, au Sud de Lisbonne, une villa ayant été louée par les étudiants à cette occasion. La rencontre avait pour objectif d’encourager une réflexion et renforcer l’appartenance dédits représentants au groupe.

Les participants arrivèrent le soir du 13 décembre 2013 à Aiana de Cima, ils passèrent la première nuit et la journée du 14 décembre dans la villa et dans ses alentours.

Dans la nuit du 14-15 décembre 2013, vers 22h30, le groupe se rendit à pied en direction de la plage Moinho de Baixo/Meco, située à 5,2 km. Ils s’y arrêtèrent à une heure non déterminée.

Vers 00h45- 1h00, ils furent emportés par la mer. Seul, J.G. réussit à rejoindre la plage et survécut.

À 1h10, J.G. appela les secours. Deux agents de la police maritime arrivèrent sur les lieux à 1h50. Ils trouvèrent J.G. en état d’hypothermie. Ce dernier fut transporté vers 4h00 du matin aux urgences de l’hôpital Garcia Horta d’Alamada qu’il quitta à 7h45.

La dépouille du fils du requérant fut retrouvée le 15 décembre 2013. La dernière victime fut, quant à elle, retrouvée le 26 décembre 2013.

2.  L’enquête pénale

Le 16 décembre 2013, une enquête fut ouverte par le parquet près le tribunal Sesimbra pour déterminer les circonstances du drame (enquête no 51/13.5MASTB).

Une autopsie sur le corps du fils du requérant fut pratiquée le 17 décembre 2003 par le cabinet de médecine légale de Setúbal. Des analyses toxicologiques furent également réalisées. Elles révélèrent un taux d’alcoolémie de 0,85 g/l et la présence de cannabis dans le sang. D’après le rapport d’autopsie, la victime avait consommé ces substances quelques heures avant sa mort ce qui avait pu perturber ses capacités moteurs et intellectuelles notamment sa perception du danger.

Par une ordonnance du 20 janvier 2014, le procureur près le tribunal d’Almada (« le procureur ») ordonna que le dossier lui fût attribué compte tenu des moyens limités dont disposaient le parquet près le tribunal de Sesimbra et la police criminelle locale.

Le 24 janvier 2014, le procureur demanda que le dossier d’enquête fût couvert par le segredo de justiça[2] pour préserver l’avancement de l’enquête compte tenu de l’importante médiatisation de l’affaire. Le juge d’instruction près le tribunal d’Almada (« le juge d’instruction »)[3] fit droit à cette demande par une ordonnance prononcée le jour-même.

Le 24 janvier 2014 également, le procureur convoqua une réunion à laquelle furent invités des représentants de la police judiciaire, de la police maritime et des agents de la police criminelle de de Setúbal. Au cours de cette réunion, la stratégie de l’enquête et les recherches qu’il fallait entreprendre furent définies. Il fut notamment décidé d’entendre les membres de la famille des victimes, la communauté des étudiants et professeurs de l’U.L., différents témoins présents sur les lieux et de consulter l’institut hydrologique. Il fut aussi également décidé de consulter le contenu des téléphones portables des victimes, de faire une inspection des lieux et une reconstitution des évènements.

Le 3 février 2014, le requérant et les parents des cinq autres victimes demandèrent à intervenir dans le cadre de la procédure en qualité d’assistentes[4].

Le 5 février 2014, pendant toute la journée, J.G. fut entendu en qualité de témoin.

Le 15 février 2014, le requérant et les autres assistentes formulèrent une plainte pénale contre J.G. et X. pour homicide, mise en danger d’autrui et non-assistance à personne en danger. D’après eux, au moment des faits, les victimes se trouvaient de dos face à la mer, les yeux masqués, en train d’être soumis à une épreuve de bizutage menée par J.G.

À une date non précisée, l’enquête ouverte consécutivement à ces plaintes (procédure pénale no 104/14.2TASSB) fut jointe à l’enquête principale menée par le parquet près le tribunal d’Almada.

Le 10 mars 2014, le requérant et les autres assistentes demandèrent au juge d’instruction criminelle du tribunal d’Almada de pouvoir consulter le dossier d’enquête par l’intermédiaire de leur avocat. Le procureur s’y opposa en signalant qu’il y avait déjà eu des fuites d’éléments du dossier dans la presse et que le segredo de justiça se justifiait pour préserver le bon déroulement de l’enquête et qu’il s’appliquait aussi aux assistentes. Par une ordonnance du 11 mars 2014, le juge d’instruction rejeta la demande visant la consultation du dossier.

Le 25 juillet 2014, le requérant et les autres assistentes prirent connaissance à travers la presse qu’une ordonnance de classement sans suite (arquivamento) avait été prononcée par le parquet près le tribunal d’Almada.

Le 28 juillet 2014, le représentant du requérant et des autres assistentes demanda que le dossier d’enquête lui fût confié pour une période de cinq jours.

Le 29 juillet 2014, il reçut notification de l’ordonnance de classement sans suite de l’affaire. Il fut également informé que le dossier de l’enquête lui serait confié pour une période de cinq jours.

Dans son ordonnance, le procureur observa que le COPA était une association d’étudiants informelle, non reconnue par l’État qui ne bénéficiait pas de subventions publiques. Il nota également que la rencontre annuelle des représentants de chaque cour de l’UL avait lieu tous les ans aux alentours du mois de décembre. Pour ce qui est du déroulement de l’enquête, il releva :

-  que la police maritime avait téléphoné au procureur de garde pour lui donner connaissance de la disparation des six étudiants le dimanche 15 décembre 2013 à 8 :05 ;

-  que ce procureur avait ordonné le transfert de la dépouille du fils du requérant au Cabinet de médecine légale de Setúbal aux fins d’une autopsie ;

-  que l’enquête avait officiellement été ouverte le 16 décembre par le parquet près le tribunal de Sesimbra et que différentes recherches avaient, ainsi, été entreprises pour déterminer les circonstances du drame ;

-  que l’enquête avait été prise en main le 20 janvier 2014 par le parquet près le tribunal d’Almada qui avait ensuite ordonné l’audition de J.G. et de différents témoins, la saisie des appareils mobiles, ordinateurs et vêtements des victimes, des expertises digitales, des analyses toxicologiques et une reconstitution des évènements ;

-  que la forte médiatisation de l’enquête et les recherches parallèles entreprises par le père de l’une des victimes (par exemple, l’appropriation des téléphones portables et ordinateurs notamment), certaines reléguées par les médias, avaient perturbé l’enquête menée par les autorités.

Quant aux faits, le procureur considéra ce qui suit :

-  que les thèses qui avaient été présentées par les médias se rapportant aux châtiments auxquels avaient été soumis les victimes par J.G. au moment du drame étaient infondées ;

-  que la joie et la bonne humeur ressortait des messages de leur téléphones portables ;

-  qu’aucun élément n’indiquait pas qu’il y ait pu y avoir de la peur ou un rapport de soumission de certains par rapport à d’autres ;

-  que la cuillère en bois, symbole du bizutage, appartenant à J.G. en sa qualité de « chef » avait été retrouvée dans la maison où avait eu lieu la rencontre ce qui démontrait qu’au moment du drame, les victimes n’avaient donc pu être en train d’être soumises à une épreuve d’initiation ;

-  que les étudiants de l’UL entendus au cours de l’enquête avaient mis en avant l’esprit de groupe, d’union et de fraternité et avaient nié l’existence de châtiments corporels ou moraux ;

-  que la sortie sur la plage n’était pas partie de l’initiative de J.G. ;

-  que les dunes et le manque de visibilité le soir du drame sur la plage pouvaient expliquer que les victimes n’aient pu apercevoir la zone d’impact des vagues et aient pu se sentir en zone sûre au moment du drame ;

-  que les vagues étaient particulièrement violentes sur cette plage, de surcroît la nuit du drame, ce qui rendait impossible toute résistance, même d’un maître-nageur expérimenté ;

-  que les vagues avaient emporté l’ensemble du groupe, y compris J.G. qui avait réussi à rejoindre la côté après avoir avalé beaucoup d’eau ;

-  que les secours qui étaient intervenus sur les lieux avaient trouvé J.G. en état d’hypothermie.

Le procureur en conclut que les éléments de preuve recueillis excluaient la thèse du dol. Par ailleurs, selon lui, même si J.G. occupait une position ascendante par rapport aux victimes, il n’était pas le plus âgé du groupe et les victimes n’étaient pas soumises à son autorité au point de lui obéir aveuglement dans une situation dangereuse. D’après lui, la négligence était donc également à écarter. Quant à la non-assistance à personne en danger, le procureur considéra qu’un autre comportement autre que celui qu’avait suivi J.G. n’aurait pu être attendu eu égard aux circonstances du drame.

Dans son ordonnance, le procureur ordonna la levée du secret de justice.

Le 7 août 2014, le représentant des assistentes reçut une copie certifiée conforme du dossier d’enquête, sans les annexes. Après maintes demandes et réclamation au Procureur Général de la République, il put finalement les consulter le 3 septembre 2014.

3.  L’instruction (instrução)

Le 15 septembre 2014, le requérant et les autres assistentes attaquèrent la décision du parquet de classer l’affaire sans suite en sollicitant l’ouverture de l’instruction (contrôle judiciaire de l’enquête par le juge d’instruction) conformément à l’article 287 § 1 alinéa b) du code de procédure pénale (« CPP »). Dénonçant les déficiences de l’enquête, ils défendaient la thèse d’une séance de bizutage qui avait mal tourné, soutenant que J.G. disposait d’une autorité par rapport aux victimes et qu’en sa qualité de dux, il était le garant de leur sécurité et qu’il était donc responsable de leur mort. Ils soutenaient par ailleurs que la « pré-noyade » de J.G. était fausse et qu’en réalité, celui-ci avait simplement abandonné les lieux, sans tenter de sauver ses camarades. Ils en concluaient que J.G. devait être renvoyé en jugement pour mise en danger de la vie d’autrui (exposição) ou non-assistance à personne en danger (abandono) conformément à l’article 138 §§ 1 a) et b) et 3 du code pénal.

À l’appui de leur demande, ils réclamèrent différents moyens de preuve, notamment l’audition des quarante-neuf témoins qui avaient déjà été entendus dans le cadre de l’enquête. Cette demande fut rejetée par le juge d’instruction au motif qu’elle n’était pas justifiée.

Le 13 novembre 2014, le requérant sollicita à la cour d’appel d’Évora la récusation du juge d’instruction et son remplacement par un autre juge au motif qu’il semblait avoir déjà pris position par rapport à l’affaire, compte tenu du refus d’admettre certains des moyens de preuve réclamés par lui. Il faisait également référence à des liens entre le juge d’instruction et le procureur qui avait classé l’affaire sans suite. Cette demande fut rejetée par un arrêt de la cour d’appel d’Évora du 16 décembre 2014.

À une date non précisée, J.G. fut mis en examen (constituído arguído) en application de l’article 57 § 1 du CPP. En cette qualité, il décida de se prévaloir de son droit de garder le silence au cours de l’instruction, il renonça également à être présent au cours des diverses actes d’instruction.

À une date non précisée, le tribunal d’instruction criminelle de Setúbal (« le tribunal d’instruction ») tint une audience. L’accusé n’y participa pas.

Le 4 mars 2015, le tribunal d’instruction prononça une ordonnance de non-renvoi en jugement (não pronúncia), confirmant le classement de l’affaire sans suite. S’agissant de l’établissement des faits, à titre d’introduction, le juge d’instruction observa que lui-même était passé par le bizutage et qu’il savait que la « nourriture pour chat » donnée aux recrues (praxados) ne l’était pas actuellement ni à son époque. Il considéra qu’il n’avait pas été établi qu’au moment du drame, les victimes étaient en train d’être soumises à une épreuve de bizutage, de dos face à la mer, comme le défendaient les assistentes. Il estima par ailleurs qu’il n’avait pas été prouvé que l’accusé avait pris la fuite au moment du drame et qu’il avait simulé une « pré-noyade ». D’après lui, il s’agissait de spéculations non-étayées. Au vu des éléments de preuve recueillis, il estimait que l’on ne pouvait considérer l’accusé comme responsable de la mort de ses camarades et coupable de mise en danger d’autrui ou non-assistance à personne en danger. Il concluait son ordonnance comme suit :

«  (...), comme nous l’avons vu, il n’a pas été prouvé :

a)  que l’accusé ait soumis, du moins de façon consciente, ses défunts camarades à un danger qu’ils ne pouvaient eux-mêmes, de la même façon, évaluer et éviter: les caractéristiques- et les dangers- de l’état de la mer étaient, comme les propres assistentes le reconnaissent, audibles, notoires avant même l’entrée sur la plage. Aucun élément ne permet de conclure que la fatigue de la journée, l’alcool consommé (...) ou tout autre circonstance aient pu empêcher certains de ces jeunes, ou tous, de se rendre compte des caractéristiques de la mer ;

b)  que l’accusé avait un devoir de tutelle, surveillance ou assistance par rapport à ses défunts camarades et qu’il les ait livrés à leur propre sort alors qu’ils se trouvaient déjà dans la mer, faisant ainsi augmenté les risques qu’ils couraient. L’ascendant qu’avait l’accusé par rapport à ses camarades ne lui revenait que dans le cadre du conseil de bizutage (comissão de praxe). Ceci ne va pas au-delà du cadre réel du bizutage et du sens constructif qu’il représentait pour ces jeunes (...)

Il n’existe aucun indice démontrant que l’accusé ait fuit on ne sait où et qu’il soit ensuite revenu.

De toute façon, même si l’accusé aurait pu ou réussi à appeler les secours à l’instant précis où ses camarades avaient été traînés dans la mer, quel type de sauvetage aurait-on pu espérer de façon réaliste? La police maritime a pris quarante minutes pour arriver sur les lieux après l’appel. Si elle avait pris la moitié de ce temps, ou même un quart de ce temps, la tragédie était nécessairement accomplie.

(...) »

Du point de vue procédural, le tribunal d’instruction rejeta les allégations du requérant et des assistentes quant aux déficiences de l’enquête. Il releva avoir admis plusieurs des moyens de preuves qui avaient été demandés par les assistentes, notamment:

-  la transcription de messages électroniques ;

-  la localisation de téléphones portables ;

-  l’audition de témoins ;

-  clarification d’un rapport d’expertise de la police criminelle scientifique visant à confirmer si les vêtements de l’accusé avaient été immergés dans la mer.

4.  Le recours devant la cour d’appel d’Évora

Le 13 avril 2015, le requérant interjeta appel de l’ordonnance de non-renvoi en jugement devant la cour d’appel d’Évora, demandant par ailleurs la tenue d’une audience. Il estimait que l’ordonnance litigieuse devait être considérée comme nulle étant donné qu’elle avait pris en compte le témoignage de J.G. en sa qualité de témoin, alors que ce dernier avait été mis en examen dans le cadre de l’instruction et s’était remis au silence. Il mettait également en cause l’établissement des faits, considérant que J.G. aurait dû être reconnu coupable de mise en danger d’autrui et non-assistance à personne en danger. Il s’insurgeait aussi que le contexte général du bizutage n’ait pas été pris en considération par le tribunal d’instruction. Du point de vue procédural, il dénonçait l’inertie des autorités en charge de l’enquête quant à la nécessité de préserver les preuves indispensables à la découverte de la vérité.

À une date non précisée, la cour d’appel d’Évora rejeta la demande visant la tenue d’une audience au motif que celle-ci n’était pas prévue par la loi s’agissant d’un recours contre une décision de non-renvoi en jugement prononcée par un tribunal d’instruction. Le requérant ne contesta pas cette décision.

Le 19 janvier 2016, la cour d’appel d’Évora rendit son arrêt. Tout d’abord, elle fit droit à l’argument du requérant portant sur l’impossibilité de prendre en considération les déclarations qui avaient été faites au cours de l’enquête par J.G. en sa qualité de témoin. Elle ne jugea toutefois pas que cet élément emportait la nullité de l’ordonnance.

S’agissant des déficiences procédurales alléguées par le requérant, la cour d’appel considéra qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur le déroulement de l’enquête ou de l’instruction sauf à des fins d’invalidation de la procédure, ce qui, selon elle, ne semblait être le cas en l’espèce. Pour ce qui est des éléments de fait, la cour d’appel releva :

-  que les étudiants de l’U.L. impliqués dans des activités de bizutage avaient reconnu que des épreuves avaient souvent lieu près d’un point d’eau ;

-  que les victimes avaient consommé des boissons alcoolisées pendant leur séjour à Aiana de Cima, ce qui était une pratique courante lors des activités de bizutage. L’accusé ne pouvait donc être accusé de les avoir incité à boire pendant ce week-end ;

-  qu’il n’était pas possible de déterminer l’heure à laquelle les victimes étaient arrivées sur la plage le soir du drame ;

-  que J.G. avait lui aussi été emporté par la mer et qu’il avait survécu par chance ou du fait qu’il avait longtemps pratiqué le bodyboard ou peut-être parce qu’il se trouvait à une distance plus éloignée par rapport à ses camarades ;

-  que les victimes avaient pris des risques de façon libre et consciente. À cet égard, la cour d’appel nota qu’elles étaient majeures au moment des faits et qu’aucun élément de preuve, notamment les messages électroniques envoyés par les victimes au cours de leur séjour, ne permettait de conclure qu’elles avaient été privées de leur libre-arbitre pendant le week-end fatidique. En outre, celles-ci étaient toutes des représentants de leur faculté dans la hiérarchie de la praxe ce qui les situait en dessous du dux, en l’occurrence, J.G.

La cour d’appel en conclut que l’on ne pouvait donc considérer J.G. comme coupable du crime d’exposition d’autrui à un danger étant donné l’absence de contrainte ou de violence, le fait que le fils de la victime disposait d’un taux d’alcoolémie de 0,85 g/l de sang ne suffisant pas pour en déduire qu’il avait une capacité de jugement diminue au point de s’exposer au risque de la noyade.

S’agissant du bizutage en général, la cour d’appel porta les considérations suivantes :

« Pour autant que nous le sachions, du moins dans le cadre du régime constitutionnel actuel, les pratiques des étudiants désignées couramment par bizutage (praxe académica), ainsi que les groupes d’étudiants plus ou moins organisés qui se dédient à les exercer, n’ont pas fait l’objet d’un traitement légal, ni pour les rendre légitimes, ni pour les interdire, ni pour les réglementer.

Cela étant dit, il n’est pas correct de dire que nous sommes face à un « espace qui échappe au droit » pour la simple raison que de tels espaces n’existent simplement pas dans un État de droit.

Ainsi, de telles activités sont toujours limitées par les lois générales: pénales, civiles et autres.

Pourvu qu’elles ne violent pas les limites imposées par les lois générales, les activités de bizutage seront licites, compte tenu du principe général de la liberté, qui prévaut aussi dans notre ordre juridique et selon lequel les individus peuvent faire ce que la loi ne leur interdit pas.

Cela dit, ceci ne signifie pas que les « codes » acceptés par les étudiants qui se dédient à des activités de bizutage (...) puissent être des instruments constitutifs de droits et de devoirs présentant une dignité juridique (...) puisque le phénomène du bizutage se situe indubitablement sur le terrain ludique et de la plaisanterie, sans qu’ils soient liés à la poursuite d’une fin sociale sérieuse.

En suivant cet ordre d’idées, malgré la subordination hiérarchique des victimes par rapport à l’accusé, au sein de l’organe promoteur du bizutage, le fait que ce dernier ait été le « mentor » des activités pratiquées au cours du week-end fatidique, il ne fait aucun sens de dire qu’il était investi d’un devoir de garant de la sécurité des camarades qui l’accompagnaient. En effet, ceux-ci n’avaient pas pour autant renoncé à leur autonomie juridique, chacun d’entre eux était donc responsable de la garantie de sa propre sécurité par rapport aux dangers qui pouvaient alors menacer leur intégrité physique ou leur vie.

(...) »

B.  Le droit interne pertinent

L’article 138 du code pénal dans ses parties pertinentes se lit ainsi :

« 1 – Quiconque met la vie d’autrui en danger :

a) En l’exposant dans un lieu le plaçant dans une situation par rapport à laquelle elle ne peut se défendre seule ou

b) L’abandonne sans défense, alors qu’il appartenait à l’agent le devoir de le garder, le surveiller ou l’assister

est puni d’une peine allant d’un à cinq ans de prison.

(...)

3  – S’il en résulte:

a) Offense à l’intégrité physique grave, l’agent est puni d’une peine de prison d’un à huit ans;

b) La mort, l’agent est puni d’une peine de trois à huit ans de prison. »

Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent comme suit :

Article 57 § 1

« Toute personne contre qui des réquisitions ont été présentées ou par rapport à qui l’instruction a été demandée dans une procédure pénale assume la qualité d’accusé. »

Article 287 § 1 alinéa b)

« 1. L’ouverture de l’instruction peut être requise dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l’acte d’accusation ou de la décision ordonnant le classement de l’affaire :

(...)

b) Par l’assistente, si la procédure ne dépend pas d’une accusation privée, pour des faits par rapport auxquels le Ministère public n’a pas présenté de réquisitions. »

GRIEFS

Invoquant les articles 1 et 3 de la Convention, le requérant dénonce la non-interdiction et l’absence de réglementation des activités de bizutage au sein des universités par l’État portugais.

Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, le requérant soutient que la procédure pénale ouverte consécutivement à la mort de son fils a méconnu son droit à un procès équitable. Il dénonce le non-renvoi en jugement de J.G. et, du point de vue procédural, se plaint :

-  que les recherches n’aient commencé que trente jours après le drame, portant ainsi préjudice à la découverte de la vérité ;

-  d’avoir été empêché d’accéder au dossier au cours de l’enquête et de n’avoir pu le faire que tardivement ;

-  du rejet de sa demande visant l’audition des témoins qui avaient été entendus au cours de l’enquête par le parquet ;

-  du manque d’impartialité du procureur en charge de l’enquête et du juge d’instruction qui a décidé de ne pas renvoyé J.G. en jugement.

QUESTIONS AUX PARTIES

Étant entendu que les griefs que le requérant tire des articles 1, 3 et 6 de la Convention pourraient être requalifiés sous l’angle de l’article 2 de la Convention :

1.  Peut-on considérer que l’article 2 est applicable aux faits de l’espèce?

2.  Concernant le grief portant sur la non-interdiction des activités de bizutage universitaire au Portugal et l’absence de réglementation en la matière :

2.1  Le requérant a-t-il épuisé les voies de recours internes (à cet égard, voir, par exemple, mutatis mutandis, Molie c. Roumanie (déc.), no 13754/02, § 39, 1er septembre 2009 et Aydoğdu c. Turquie, no 40448/06, § 63, 30 août 2016) ?

2.2  Dans l’affirmative, eu égard à l’obligation positive découlant de l’article 2 de la Convention, l’État a-t-il pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie du fils du requérant ?

En particulier, l’activité de bizutage universitaire fait-elle au Portugal l’objet d’un cadre réglementaire général et/ou spécifique à chaque université ?

Dans la négative, existe-t-il, un cadre judiciaire adéquat en la matière (voir à cet égard, mutatis mutandis, Cavit Tınarlıoğlu c. Turquie, no 3648/04, §§ 85-92, 2 février 2016 et références qui y sont citées) ?

3.  Eu égard à la protection procédurale du droit à la vie (Voir Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, §§ 169-171, 14 avril 2015, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 195, 9 avril 2009 et Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 115, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII), le requérant a-t-il bénéficié d’un système judiciaire efficace permettant de faire la lumière sur les circonstances précises du décès de son fils et identifier et sanctionner les éventuels responsables au sens de l’article 2 de la Convention ?

En particulier :

3.1  Les allégations du requérant quant au démarrage retardé de l’enquête sont-elles fondées ?

À cet égard, le Gouvernement est prié de fournir une liste chronologique de tous les actes d’enquête et d’instruction pratiqués au cours de la procédure pénale.

3.2  Des mesures ont-elles été prises pour protéger les lieux (notamment la plage en question et la villa louée par les victimes pendant le week-end fatidique) et conserver les preuves (notamment, les effets personnels, téléphones portables, ordinateurs appartenant aux victimes et à J.G.) dans le cadre de l’enquête pénale ?

3.3  Les corps des victimes, autre que le fils du requérant, ont-ils été autopsiés ? Des examens toxicologiques ont-ils été pratiqués, y compris par rapport à J.G. ? Des expertises ont-elles été requises dans le cadre de l’enquête et de l’instruction ?

À cet égard, le Gouvernement est prié de verser la copie de tous les rapports toxicologiques, d’autopsie et d’expertise établis en vue de l’établissement des faits litigieux.

3.4  Les craintes du requérant quant à un manque d’impartialité du juge en charge de l’instruction sont-elles objectivement justifiées eu égard au fait que ledit juge reconnaît avoir fait l’expérience du bizutage à cet égard (voir Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93-96, CEDH 2009)?

3.5  Est-ce que les tribunaux nationaux ont suffisamment pris en compte la position d’infériorité des victimes par rapport à J.G. du fait de leur appartenance au conseil du bizutage et compte tenu de leur situation de vulnérabilité en raison de la prise d’alcool et de stupéfiants?


[1].  Le dux est l’étudiant occupant la plus haute position dans la hiérarchie de la praxe. Il est suivi par les veteranos qui représentent la faculté à laquelle ils appartiennent.

[2].  Notion voisine de celle couramment désignée par l’expression « secret de l’instruction».

[3].  En droit portugais, il appartient au ministère public de diriger l’enquête, le juge d’instruction n’intervenant que pour autoriser certains actes de procédure ou pour contrôler leur régularité conformément aux articles 268 et 269 du CPP ; le juge d’instruction intervient donc comme garant des libertés dans le cadre d’une enquête pénale, à l’instar du juge des libertés et de la détention en France (voir, à cet égard, Sérvulo & Associados – Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal, no 27013/10, § 109, 3 septembre 2015).

[4].  Au cours d’une enquête pénale, entre autres, les personnes lésées peuvent demander à intervenir en qualité d’assistentes dans le cadre d’une procédure pénale (article 68 § 1 du CPP) afin de pouvoir collaborer avec le ministère public de façon plus active. Sous le contrôle de ce dernier, les assistentes peuvent notamment produire ou solliciter des preuves pendant l’enquête ou l’instruction, présenter leurs propres réquisitions (acusação) et faire appel des décisions qui les concernent même si le ministère public ne l’a pas fait (article 69 § 2 du CPP). Les assistentes sont toujours représentés par un avocat (article 70 du CPP).

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, SOARES CAMPOS c. PORTUGAL, 13 juillet 2017, 30878/16