CEDH, 30219/06 Exposé des faits et Questions aux Parties, 19 mai 2008, 30219/06

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 19 mai 2008, n° 30219/06
Numéro(s) : 30219/06
Type de document : Affaire communiquée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-2357315-2526775
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Texte intégral

6 mai 2008

CINQUIÈME SECTION

Requête no 30219/06
présentée par Claude DRAY
contre Monaco
introduite le 13 juillet 2006

EXPOSÉ DES FAITS

EN FAIT

Le requérant, M. Claude Dray, est un ressortissant français, né en 1935 et résidant à Neuilly-sur-Seine. Il est représenté devant la Cour par Me S. Vaisse, avocat à Paris.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Lors d'une vente publique aux enchères intervenue à Paris le 7 novembre 1991, le tableau « La femme au lévrier bleu », peint en 1919 par Kees Van Dongen, fut régulièrement adjugé au requérant, collectionneur d'art, pour la somme de 3 300 000 francs français. Le même jour, l'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de S.A.S. le Prince de Monaco en France autorisa J.B., ministre conseiller de son ambassade à procéder « à l'acquisition aux enchères » de cette œuvre. Alors que le tableau venait d'être régulièrement adjugé au requérant, dernier enchérisseur, J.B. se leva pour indiquer qu'il entendait exercer un droit de préemption pour le compte de l'Etat monégasque. Le commissaire-priseur accepta la préemption.

En mars 1998, en lisant un article consacré à la famille princière monégasque dans le magazine Paris-Match, le requérant découvrit une photographie montrant que le tableau « La femme au lévrier bleu » était accroché dans le bureau personnel du Prince Rainier III de Monaco.

Le 17 décembre 1998, le requérant assigna le commissaire-priseur et l'Etat de Monaco devant le tribunal de grande instance de Paris pour se voir remettre le tableau et contester l'exercice d'un droit de préemption par l'Etat de Monaco. Ce dernier conclut à l'irrecevabilité de la demande le concernant, invoquant le bénéfice de l'immunité de juridiction et soutenant que la décision de préemption ne pouvait être discutée que devant les autorités monégasques compétentes.

Par un jugement du 22 mars 2000, le tribunal de grande instance de Paris déclara la demande formée à l'encontre de l'Etat monégasque irrecevable, en raison de l'immunité de juridiction dont bénéficient les Etats étrangers en France. Il jugea en outre que le commissaire-priseur ne pouvait être contraint à remettre le tableau au requérant, dès lors que son obligation de remise était déjà exécutée à l'égard du préempteur substitué au requérant.

Le 10 mai 2001, le requérant assigna l'Etat de Monaco devant le tribunal de première instance de Monaco. Il soutenait, d'une part, que J.B. n'avait ni qualité, ni mandat, ni instructions pour exercer un droit de préemption au nom de la Principauté et, d'autre part, que la préemption devait être annulée pour violation d'une loi française du 31 décembre 1921 et de l'accord franco-monégasque du 1er août 1977 (accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de S.A.S. le Prince de Monaco concernant la protection des patrimoines historiques ou culturels des deux pays), ainsi que d'une loi monégasque du 29 décembre 1978. L'Etat de Monaco conclut à l'incompétence du tribunal, estimant que la demande relative à la décision de préemption relevait de la seule compétence du Tribunal suprême.

Par un jugement du 13 février 2003, le tribunal de première instance se déclara incompétent, au motif que l'article 90 B de la Constitution du 17 décembre 1962 donne compétence exclusive au Tribunal suprême pour connaître, en matière administrative, des recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que pour l'octroi des indemnités qui en résultent. Le requérant interjeta appel de ce jugement.

Par un arrêt du 17 décembre 2004, la cour d'appel de Monaco déclara le requérant recevable en son appel, décida de surseoir à statuer sur sa demande de restitution, renvoyant le requérant à saisir le Tribunal suprême d'un recours en appréciation de la validité de la préemption résultant de la déclaration de l'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de S.A.S. le Prince de Monaco en France.

Le 2 mars 2005, le requérant présenta une requête en appréciation de validité tendant à constater l'illégalité de l'appropriation par voie de préemption en vente publique de son tableau.

Par une décision du 17 janvier 2006, le Tribunal suprême considéra que le requérant était recevable à invoquer des moyens tirés de l'accord du 1er août 1977. Il rejeta les moyens soulevés par le requérant, tirés de l'incompétence de l'autorité ayant exercé le droit de préemption et du défaut de confirmation de la préemption dans le délai de quinze jours prescrit à l'article 2 alinéa 3 de l'accord de 1977. Sur ce dernier point, il releva d'office un motif de rejet, aux termes duquel l'exigence légale de confirmation de la préemption avait été remplie par le simple fait du paiement de l'œuvre

Par ailleurs, le Tribunal suprême, suivant la position adoptée par le ministre d'Etat dans ses conclusions, jugea qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur l'appartenance ou non de l'œuvre au patrimoine historique ou culturel de Monaco, l'article 1er de l'accord de 1977 prévoyant que toute divergence sur ce point est réglée par voie de négociation entre les deux Gouvernements. Il en conclut que la décision de préemption de l'œuvre « La femme au lévrier bleu » devait être déclarée valide.

La décision de validité de la préemption du Tribunal suprême fut publiée au Journal de Monaco (bulletin officiel de la Principauté) le 27 janvier 2006.

Le 16 février 2006, le requérant déposa une requête en rectification d'erreur matérielle de la décision du Tribunal suprême du 17 janvier 2006.

Par une décision du 6 décembre 2006, le Tribunal suprême déclara la requête recevable et bien fondée, mais considéra que l'erreur de date qu'il avait commise était sans influence sur le dispositif de sa décision du 17 janvier 2006.

B. Le droit interne pertinent

Les dispositions pertinentes de l'« Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de S.A.S. le Prince de Monaco concernant la protection des patrimoines historiques ou culturels des deux pays » du 1er août 1977 se lisent comme suit :

Article 1er

« Lors de toute vente publique d'œuvres d'art, que celle-ci ait lieu sur le territoire monégasque ou sur le territoire français, un droit de préemption peut être exercé soit par le Gouvernement de S.A.S. le Prince, soit par le Gouvernement de la République française selon que l'œuvre présentée à la vente se rattache au patrimoine historique ou culturel de l'une ou de l'autre des Parties.

Sont considérées comme œuvres d'art au sens du présent article les curiosités, antiquités, livres anciens, objets de collection, peintures, aquarelles, pastels, dessins, sculptures originales et tapisseries anciennes.

Article 2

L'officier public ou ministériel chargé de procéder à la vente publique d'œuvres visées à l'article précédent doit en donner avis au plus tôt et, si possible, au moins quinze jours à l'avance, aux Autorités compétentes de l'un et de l'autre pays.

Celle de ces Autorités qui entend se réserver la faculté d'exercer ce droit de préemption doit, par l'entremise de son représentant, en faire la déclaration à l'officier public ou ministériel aussitôt après le prononcé de l'adjudication de l'œuvre mise en vente. Il en est fait mention au procès-verbal de cette dernière.

La décision de préemption devra ensuite être confirmée dans un délai de quinze jours.

Toute divergence sur l'appartenance d'une œuvre à l'un ou à l'autre des patrimoines dont il s'agit sera réglée par voie de négociation entre les deux Gouvernements. »


GRIEFS

Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que sa cause n'a pas été entendue de manière équitable et impartiale par le Tribunal suprême, dont il conteste la qualité de « tribunal » au sens de cette disposition.

Le requérant considère en effet que le Tribunal suprême ne remplit pas les critères d'un « tribunal » de pleine juridiction au sens de l'article 6 de la Convention, puisque, donnant une interprétation de l'accord de 1977, il s'est déclaré incompétent pour apprécier l'existence ou non d'une cause d'utilité publique dans la privation de la propriété du requérant, ainsi que pour examiner la question de l'appartenance du tableau au patrimoine historique ou culturel de l'Etat de Monaco.

Le requérant estime également que, dans ses deux décisions, le Tribunal suprême a soulevé d'office des arguments sans inviter les parties à en débattre contradictoirement, que ses décisions manquent de motivation, et qu'il n'a pas bénéficié d'un examen effectif et objectif de ses offres de preuve et de ses moyens. Il critique enfin l'impartialité du Tribunal suprême en raison de sa composition dans le cadre de son recours en rectification d'erreur matérielle, quatre des cinq magistrats ayant préalablement participé à la décision du 17 janvier 2006.

QUESTIONS AUX PARTIES

« 1. A la lumière de la jurisprudence de la Cour (en particulier des arrêts Beaumartin c. France, no 15287/89, 24 novembre 1994, série A no 296-B, Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, et Chevrol c. France, no 49636/99, CEDH 2003-III), le refus du Tribunal suprême de se prononcer sur l'appartenance ou non de l'œuvre préemptée au patrimoine historique ou culturel de l'Etat de Monaco a-t-il entraîné une violation du droit du requérant à voir sa cause entendue par un « tribunal » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention ?

2. Compte tenu de la décision du Tribunal suprême qui, d'une part, a refusé de se prononcer sur la condition d'appartenance au patrimoine historique ou culturel de l'Etat préempteur pour l'exercice du droit de préemption et, d'autre part, a soulevé d'office un motif de rejet du moyen tiré du défaut de confirmation de la préemption sans en informer les parties, et à la lumière notamment de l'arrêt Hentrich c. France (arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296‑A), la contestation sur les droits et obligations de caractère civil du requérant a-t-elle été entendue équitablement, comme l'exige l'article 6 § 1 de la Convention ? ».

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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