CEDH, Cour (troisième section), ANAGNOSTOPOULOS ET AUTRES c. la GRECE, 30 novembre 1999, 39374/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 30 nov. 1999, n° 39374/98
Numéro(s) : 39374/98
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 16 septembre 1997
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992, série A n° 246-A, p. 22, par. 44
Arrêt Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-B
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-30791
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1999:1130DEC003937498
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION[Note1]

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 39374/98
présentée par Dimitrios ANAGNOSTOPOULOS et Autres[Note2]
contre la Grèce[Note3]

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 30 novembre 1999 en une chambre composée de

SirNicolas Bratza, président,
M.C. Rozakis
M.J.-P. Costa,
M.L. Loucaides,
M.P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert, juges,
 

et deMmeS. Dollé, greffière de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 16 septembre 1997 par Dimitrios ANAGNOSTOPOULOS Et Autres contre la Grèce et enregistrée le 15 janvier 1998 sous le n° de dossier 39374/98 ;

Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 28 décembre 1998 et les observations en réponse présentées par les requérants le 9 mars 1999 ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :


EN FAIT

Les sept requérants, Dimitrios ANAGNOSTOPOULOS, Athanassios ANASTASSOPOULOS, Vassilios ANASTOPOULOS, Constantinos ZARKADAKIS, Dimitrios PANTAZOPOULOS, Alexandros PARASKEVOPOULOS et Christos VASSILOPOULOS, sont des ressortissants grecs, résidant à Athènes. Le premier requérant est avocat et général de division de l'armée grecque en retraite. Le septième requérant est général de division de l'armée grecque en retraite. Les autres requérants sont retraités de la police grecque.

Ils sont représentés devant la Cour par le premier requérant et par Me Ioannis Ktistakis, avocat au barreau de Thiva (Grèce).

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

En 1989, les Ministres de la Défense Nationale et des Finances Publiques autorisèrent l’octroi, à compter du 1er janvier 1990, d’une allocation de séjour réussi (επίδoμα ευδόκιμης παραμovής) aux colonels et à leurs supérieurs. Cette allocation fut fixée au 10% du salaire principal. Le Parlement grec confirma par la suite ladite décision ministérielle (loi N° 1881/1990).

Les requérants déposèrent alors des demandes en vue d’obtenir une augmentation du montant de leurs pensions conformément aux dispositions de la loi N° 1881/1990. Les requérants déposèrent ces demandes respectivement les 3 octobre 1991, 22 octobre 1991, 24 décembre 1991, 11 septembre 1991, 19 novembre 1991, 12 septembre 1991 et 18 novembre 1991.

Ces demandes furent rejetées par la 44e division de la Comptabilité Générale de l’État (Γεvικό Λoγιστήριo τoυ Κράτoυς) les 16 octobre 1991, 22 octobre 1991, 21 janvier 1992, 25 septembre 1991, 20 novembre 1991, 18 septembre 1991 et 3 décembre 1991 respectivement, au motif que les requérants avaient quitté leurs services avant le 1er janvier 1990, date d’entrée en vigueur de la loi N° 1881/1990.

Les requérants saisirent alors la Deuxième Chambre de la Cour des comptes (Ελεγκτικό Συvέδριo), qui rejeta leurs appels comme étant mal fondés (décisions Nos 1694/1994, 1446/1993, 1260/1995, 306/1994, 616/1994, 477/1994 et 940/1994 respectivement). En particulier, la Deuxième Chambre considéra que l’allocation en question ne pouvait pas être considérée comme faisant partie du salaire principal. Dès lors, elle ne pouvait pas être prise en compte pour le calcul du montant des pensions des retraités ayant quitté le service avant l’entrée en vigueur de la loi qui la prévit.

Les 22 août 1995, 10 octobre 1994, 13 décembre 1995, 7 février 1995, 17 avril 1995, 2 février 1995 et 17 avril 1995 respectivement, les requérants se pourvurent en cassation devant la plénière de la Cour des comptes, juridiction compétente en la matière.

Le 22 juin 1995, le Parlement grec adopta la loi N° 2320/1995 qui, d’une part, excluait l’allocation en question du calcul de la pension des retraités ayant quitté leur service avant le 1er janvier 1990, et d’autre part, déclarait prescrite toute prétention y relative et prononçait l’annulation de toute procédure judiciaire y afférente éventuellement pendante devant toute juridiction que ce soit. Cette loi fut confirmée par la loi N° 2512/1997 du 27 juin 1997.

Le 4 juillet 1995, la Cour des comptes siégeant en plénière fit droit à la demande d’un autre retraité de la police, qui avait aussi quitté son service avant le 1er janvier 1990, et ordonna l’augmentation du montant de sa pension (arrêt N° 1211/1995). Cet arrêt marqua un revirement de la jurisprudence de la Cour des comptes. Il s’ensuivit deux autres arrêts en ce sens.

Par arrêts en date des 26 mars 1997 (requérants Nos  2, 4 et 6), 9 avril 1997 (requérant N° 1), 14 mai 1997 (requérant N° 3) et 26 mai 1997 (requérants Nos  5 et 7), la Cour des comptes siégeant en plénière rejeta les pourvois introduits par les requérants au motif qu’ils étaient mal fondés. En particulier, la Cour des comptes estima que l’allocation en question ne pouvait pas être considérée comme une augmentation générale de salaire ; dès lors, elle ne pouvait pas être accordée à des retraités ayant quitté le service avant l’entrée en vigueur de la loi N° 1881/1990. Alternativement, la Cour des comptes nota, qu’à supposer même que l’allocation litigieuse puisse être considérée comme une augmentation générale de salaire, et que la procédure ne soit pas annulée en vertu de la loi N°  2320/1995, les demandes des requérants étaient manifestement mal fondées en raison de l’application rétroactive des dispositions de la loi susmentionnée.

GRIEFS

1.Les requérants se plaignent de ce que l’adoption et l’application à leur cause des lois Nos 2320/1995 et 2512/1997 porte atteinte à leurs droits garantis par les articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention et 1 du Protocole N° 1.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent en outre de la durée de la procédure.

PROCÉDURE

La requête a été introduite le 16 septembre 1997 et enregistrée le 15 janvier 1998.

Le 10 septembre 1998, la Commission européenne des Droits de l’Homme a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 28 décembre 1998 et les requérants y ont répondu le 9 mars 1999.

En vertu de l’article 5 § 2 du Protocole n° 11, entré en vigueur le 1er novembre 1998, l’affaire est examinée par la Cour européenne des Droits de l’Homme à partir de cette date.

EN DROIT

1.Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable pour la détermination de leur droit civil à l’augmentation du montant de leurs pensions, du fait que la question soumise aux tribunaux nationaux a été tranchée par le législateur et non par le pouvoir judiciaire. Ils estiment qu’ils n’ont pas disposé d’un recours effectif pour faire valoir leurs droits et contester l’adoption de la loi N° 2320/1995. Les requérants invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

Les parties pertinentes de l’article 6 § 1 disposent :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

L’article 13 de la Convention se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement affirme d’emblée que les requérants ne peuvent pas se prétendre victimes d’une violation de la Convention, parce qu’ils n’ont pas été directement affectés par l’application de la loi N° 2320/1995. A cet égard, le Gouvernement relève que ce n’est qu’à titre subsidiaire que la Cour des comptes se fonda sur la loi en question pour rejeter les pourvois introduits par les requérants.

Par ailleurs, le Gouvernement affirme que les premier et troisième requérants - qui ont saisi la Cour des comptes après l’entrée en vigueur de la loi N° 2320/1995 - n’ont pas épuisé les voies de recours internes, en ayant omis de soulever ce grief devant les juridictions internes. Quant au fond, le Gouvernement estime que cette partie de la requête est dénuée de fondement.

Les requérants affirment avoir été directement affectés par l’application de la loi N° 2320/1995. Ils estiment en outre que l’exception de non épuisement soulevée par le Gouvernement n’est pas fondée.

La Cour doit d’abord rechercher si les requérants peuvent se prétendre victimes d’une violation de la Convention, au sens de l’article 34.

Aux termes de cet article, « la Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles (...) ».

La Cour rappelle que pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation de l’un des droits et libertés garantis par la Convention, il doit exister un lien suffisamment direct entre le requérant en tant que tel et le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la violation alléguée. A cet égard, la Cour rappelle que ne peut se prétendre victime celui qui est incapable de montrer qu’il est personnellement affecté par l’application de la loi qu’il critique (voir, entre autres, l’arrêt Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992, Série A n° 246-A, p.22, § 44).

Dans le cas d’espèce, la Cour estime que même si les procédures litigieuses n’ont pas été abrogées en vertu de la loi N° 2320/1995, toutefois la loi en question influença le dénouement judiciaire du litige. En effet, s’il est vrai que la Cour des comptes rejeta les recours des requérants après un examen au fond, la Cour relève qu’elle n’a pas omis de faire référence aux dispositions de la loi critiquée afin d’étayer ses décisions. De l’avis de la Cour, le fait que la Cour des comptes se fonda, même à titre subsidiaire, à la loi critiquée pour rejeter les recours dont elle était saisie, se traduit en une immixtion du pouvoir législatif dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire.

Il s’ensuit que les requérants ayant saisi la Cour des comptes avant l’entrée en vigueur de la loi N° 2320/1995 (requérants Nos 2, 4, 5, 6 et 7) peuvent se prétendre victimes d’une violation de la Convention.

La Cour a procédé à un examen préliminaire des thèses développées par les parties. Elle estime que celles-ci soulèvent des problèmes de fait et de droit qui ne sauraient être résolus à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.

Dès lors, le grief soulevé par les requérants Nos 2, 4, 5, 6 et 7 au regard de l’équité de la procédure ne saurait être déclaré manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, la Cour constate que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

b.Pour ce qui concerne les autres requérants (requérants Nos 1 et 3), la Cour note que ceux-ci  ayant saisi la Cour des comptes après l’entrée en vigueur de la loi N° 2320/1995, ils ne sauraient se plaindre d’une ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice.

Il s’ensuit que le grief soulevé par les requérants Nos 1 et 3 au regard de l’équité de la procédure est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent en outre de la durée de la procédure.

Le Gouvernement affirme que la durée des procédures litigieuses n’a pas été excessive, eu égard notamment à la complexité des affaires et au revirement de la jurisprudence de la Cour des comptes en la matière.

Les requérants combattent les thèses avancées par le Gouvernement et soulignent que leurs affaires n’étaient pas complexes.

La Cour estime qu’à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, ce grief doit faire l’objet d’un examen au fond.

3.Les requérants se plaignent enfin d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Ils affirment avoir perdu leur droit à obtenir l’augmentation de leurs pensions et considèrent avoir fait l’objet d’une discrimination par rapport aux retraités qui ont quitté leurs services après l’entrée en vigueur de la loi N° 1881/1990. Les requérants invoquent les articles 1 du Protocole N° 1 et 14 de la Convention.

L’article 1 du Protocole N° 1 se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.  Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour rappelle qu’une « créance » peut constituer un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole N° 1, mais qu’il n’y a pas privation de propriété lorsqu’une créance conditionnelle se trouve périmée par la suite de la non-réalisation de la condition (voir N° 12164/86, déc. 12.10.88, D.R. 58, p. 63).

A la différence de l’affaire Andreadis c. Grèce (arrêt Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994, Série A, n° 301-B), où la loi avait annulé une sentence arbitrale ayant conféré aux requérants un droit de créance, la Cour observe qu’en l’espèce les requérants ne sont pas titulaires d’un droit de créance contre l’État grec. En effet, tant que leur affaire était pendante devant les juridictions internes, leur action ne faisait naître, dans le chef des requérants, aucun droit de créance, mais uniquement l’éventualité d’obtenir pareille créance. Dès lors, les arrêts de la Cour des comptes ayant débouté les requérants de leurs demandes n’ont pu avoir pour effet de les priver d’un bien dont ils étaient propriétaires.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, le grief tiré de la durée de la procédure, ainsi que le grief tiré de l’équité de la procédure dans la mesure où il est soulevé par les requérants Nos 2, 4, 5, 6, 7 ;

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.

S. DolléN. Bratza
GreffièrePrésident


[Note1]Ne pas oublier de bloquer le texte avec Alt+B pour éviter que les informations en zones grisées disparaissent.

[Note2]Ne mettre que les initiales si non public ; prénom et, en majuscules, le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.

[Note3]Première lettre du pays en majuscule. Mettre l’article selon l’usage normal de la langue.

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