CEDH, Cour (troisième section), STRIVAY ET SIMON c. la BELGIQUE, 14 mars 2000, 44559/98 et autres

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 14 mars 2000, n° 44559/98 et autres
Numéro(s) : 44559/98, 45038/98, 45083/98
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 25 août 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 470, par. 67
Arrêt Rekvenyi c. Hongrie [GC], n° 25390/94, § 35, CEDH 1999-III - (20.5.99)
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-31076
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:0314DEC004455998
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

Requêtes no 44559/98, 45038/98 et 45083/98,

introduites par Clairette STRIVAY, Albert SIMON et Pierre SIMON

contre la Belgique

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 14 mars 2000 en une chambre composée de

SirNicolas Bratza, président,

M.J.-P. Costa,

Mme F. Tulkens,

M.W. Fuhrmann,

M.K. Jungwiert,

M.K. Traja,

M.M. Ugrekhelidze, juges,

et deMmeS. Dollé, greffière de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites devant la Commission européenne des Droits de l’Homme les 25 août et 16 octobre 1998 et enregistrée les 16 novembre et 17‑18 décembre 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

La requérante, Clairette Strivay, est une ressortissante belge, née en 1949 et actuellement détenue à la prison de Lantin (Belgique). Elle est représentée devant la Cour par Mes Nicolas et Jean-Yves Evrard, avocats au barreau de Liège.

Le deuxième requérant, Albert Simon, est un ressortissant belge, né en 1977 et actuellement détenu à la prison de Huy (Belgique). Il est représenté devant la Cour par Me Jean-Marc Husson, avocat à Huy, et Me Michel Saint-Remi, avocat à Flémalle.

Le troisième requérant, Pierre Simon, est un ressortissant belge, né en 1971 et actuellement détenu à la prison de Huy (Belgique). Il est représenté devant la Cour par Mes Philippe Vander Eecken et Xavier Mercier, avocats à Huy.

A.Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 4 septembre 1996, André Simon, un ami de la requérante, tua trois personnes à Comblain : Christian Strivay, le frère de la requérante, Annette Van Schoor, l’épouse de celui-ci, et Kevin Strivay, leur petit-fils.

La veille vers 23 h, les deuxième et troisième requérants avaient accompagné André Simon en voiture jusqu’au domicile des victimes. Ils prétendirent y avoir été contraints par leur oncle, qui était armé. Ils auraient fui au moment où André Simon pénétra par effraction dans l’habitation.

Le 4 septembre 1996, un mandat d’arrêt fut délivré contre André Simon par le juge d’instruction Hollart.

Lors des premiers interrogatoires, André Simon prétendit avoir été accompagné au moment des faits par la requérante, ce qui se révéla inexact. Par la suite, il l’accusa d’avoir commandité le crime, en lui promettant 50.000 francs belges pour le commettre.

Interrogée les 4 et 5 septembre 1996 par la police judiciaire, la requérante déclara qu’elle dormait au moment des faits.

Le 7 septembre 1996, la requérante fut hospitalisée à Verviers.

Le 9 septembre 1996, la requérante fut emmenée dans les locaux de la police judiciaire de Verviers pour y être interrogée. Ses médecins ne s’y étaient pas opposés, à condition que le traitement médical fût respecté, ce qui fut fait. Lors de l’interrogatoire, la requérante confirma sa déposition des 4 et 5 septembre 1996.

Le 10 septembre 1996, un mandat d’arrêt fut délivré par le juge Hollart contre les deuxième et troisième requérants.


Le 26 septembre 1996, à sa sortie de l’hôpital, la requérante accepta d’accompagner, pour interrogatoire, deux officiers de la police judiciaire de Huy. Les policiers agissaient sur ordre du juge d’instruction Hollart, sans qu’une commission rogatoire n’eût été délivrée à cet effet. L’interrogatoire dura quatre heures. D’après le procès-verbal d’audition – qui faisait faussement état d’une commission rogatoire délivrée aux policiers –, la requérante déclara que le 3 septembre 1996, elle avait bu, qu’elle était en rage contre sa famille, qu’il se pourrait qu’elle ait dit à André Simon, en parlant de sa famille : « il faut qu’ils crèvent tous », et qu’elle avait été prête à lui donner 50.000 francs belges dans ce but. Ultérieurement et jusqu’à sa condamnation, la requérante contesta cette version des faits, affirmant qu’elle lui avait été extorquée par les policiers, lesquels l’auraient notamment privée de ses médicaments. Elle envoya néanmoins 50.000 francs par mandat postal à André Simon, après qu’il eut été arrêté, car il aurait dit qu’on en voulait à sa vie à la prison.

Le 26 septembre 1996, un mandat d’arrêt fut décerné à charge de la requérante par le juge d’instruction Hollart, du chef d’assassinat.

Par lettre du 22 janvier 1997, l’avocat de la requérante demanda au Procureur du Roi de Huy l’autorisation de lever une copie d’un jugement du tribunal correctionnel de Huy du 23 avril 1987. Il était apparu, en effet, qu’alors qu’elle était avocat au barreau de Liège, le juge Hollart avait défendu André Simon dans une affaire de roulage. Dans ce cadre, elle avait fait opposition à un jugement rendu par défaut le 27 novembre 1986 par le tribunal correctionnel de Huy. Sur opposition, un jugement fut rendu le 23 avril 1987 et un autre, sur les intérêts civils, le 30 juin 1988. En outre, le 20 février 1992, Mme Hollart avait siégé comme membre du Ministère public dans une procédure contre le même André Simon, poursuivi cette fois pour coups et blessures volontaires qualifiés. La lettre du 22 janvier 1997 contenait également la phrase suivante : « Compte tenu de l’importance de cette affaire et de la suite procédurale que je serais amené à lui donner (éventuellement même par une requête en suspicion légitime), je vous remercie déjà de bien vouloir accorder à la présente le bénéfice de l’urgence. »

Le 30 janvier 1997, la Chambre des mises en accusation de Liège, statuant en appel sur la prolongation de la détention préventive de la requérante, ordonna la libération de celle‑ci.

Par ordonnance du 4 février 1997, le président du tribunal de première instance de Huy chargea Mme Wauthy de poursuivre l’instruction en remplacement de Mme Hollart, « empêchée ».

Sur pourvoi dirigé par André Simon contre l’arrêt par lequel, le 5 mars 1997, la Chambre des mises en accusation prolongea sa détention provisoire, la Cour de cassation rejeta, le 19 mars 1997, comme étranger à l’arrêt attaqué et dès lors irrecevable, le moyen soulevé contre le remplacement du juge Hollart.

Du 21 janvier au 4 février 1997, le juge Hollart ne réalisa qu’un acte de procédure, daté du 22 janvier 1997, en l’occurrence l’interrogatoire récapitulatif du deuxième requérant. Cet acte fut refait par le juge Wauthy le 6 février 1997. Du 22 janvier au 26 juin 1997, tous les actes d’instruction furent signés par le juge Wauthy. Le 27 juin 1997, le juge Wauthy signa une ordonnance de soit-communiqué.

Le 27 juin 1997, le juge Hollart signa une lettre adressée à l’avocat de la requérante et ainsi libellée : « Je vous informe que l’instruction de cette affaire me paraissant terminée, je communique le dossier à Monsieur le Procureur du Roi pour lui permettre de prendre ses réquisitions. »

Le 5 septembre 1997, le juge Wauthy présenta le rapport légal en Chambre du conseil.

Le 19 septembre 1997, la Chambre du conseil rendit une ordonnance de transmission des pièces, en vue d’un renvoi des requérants, par la Chambre des mises en accusation, devant la Cour d’assises. Devant la Chambre du conseil, les prévenus avaient soutenu qu’en instruisant l’affaire du 4 septembre 1996 au 4 février 1997, le juge Hollart avait laissé se développer une apparence de partialité justifiant l’annulation de toute l’instruction. La Chambre du conseil refusa d’annuler toute l’instruction mais examina, parmi les devoirs réalisés par le juge Hollart, les quatre devoirs que les prévenus avaient épinglés comme étant susceptibles d’annulation pour violation des droits de la défense et/ou suspicion de partialité dans le chef du magistrat instructeur. De l’avis de la Chambre du conseil, chacun de ces quatre actes se justifiait objectivement au vu de l’état du dossier.

S’agissant de la lettre envoyée le 27 juin 1997 par le juge Hollart, la Chambre du conseil considéra :

« Que suite à une erreur du greffier, le formulaire utilisé habituellement, non obligatoire, a été soumis à la signature du seul juge d’instruction de l’arrondissement en charge, sauf circonstances exceptionnelles, de tous les dossiers d’instruction ; que pareille distraction dans le cadre non d’une mesure d’instruction mais d’une marque de courtoisie à l’égard des conseils n’est pas de nature à entraîner une nullité générale de l’ensemble de la procédure ;  (...) ».

Le 2 octobre 1997, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Liège renvoya les prévenus devant la Cour d’assises. Elle considéra notamment :

« Par-delà les motifs de la Chambre du conseil à cet égard, il n’est pas du tout manifeste à ce stade de la procédure que le fait pour le juge d’instruction primitivement saisi d’avoir été le conseil d’un des inculpés huit ans plus tôt, dans le cadre d’une affaire de roulage avec intérêts civils (soit dans une matière où l’élément moral est réduit à sa plus simple expression), lui ait permis, comme le soutient la défense, de se faire de la personnalité de ce client une opinion susceptible de déteindre sur la façon d’instruire une affaire criminelle notamment à sa charge ; (...) ».

Le 10 décembre 1997, la Cour d’assises rejeta l’exception d’irrecevabilité des poursuites soulevée par la défense et tirée de l’illégalité de l’instruction menée par le juge Hollart. La Cour estima notamment :

« Attendu qu’il ne ressort d’aucune pièce de la procédure que Madame Hollart savait ou pouvait savoir, avant le 20 janvier 1997, que Simon André suspecté d’un triple assassinat était la même personne que celle qu’elle avait défendue 9 à 10 ans plus tôt dans une affaire de roulage et poursuivie dans une affaire de coups quatre ans
après son intervention comme avocat ; que le principal intéressé, Simon André, n’en a jamais fait état avant le 21 janvier 1997, même si, à l’entendre, il a pu s’en confier à Clairette Strivay au cours d’entretiens privés ; (...)

Attendu qu’au vu du rappel des actes de la procédure, force est de constater que Madame Hollart est d’une distraction telle qu’on pourrait douter de son aptitude à assumer les devoirs de sa charge ;  qu’aucun élément du dossier ne permet toutefois de douter a priori de sa bonne foi, de son honnêteté et de sa rigueur intellectuelle ; (...)

Attendu que la défense des accusés n’apporte aucun élément objectif précis permettant de suspecter l’impartialité du juge Hollart à l’égard de l’un d’eux ; que le fait pour celle-ci d’avoir été, plus de 8 années auparavant, le conseil de l’un des accusés alors impliqué dans une banale affaire de roulage, ne crée pas nécessairement un doute sur l’impartialité du juge d’instruction à son égard et à celui de ses coaccusés de faits criminels d’une gravité exceptionnelle ; (...)

Attendu, quant à la lettre que le juge Hollart a envoyée aux conseils des inculpés, le 27 juin 1997 (...), que celle-ci était sans pouvoir pour la rédiger et la signer ; que ce document est nul et doit être écarté des débats ; qu’il ne faut y voir qu’une distraction ou une négligence sans qu’il soit question d’une immixtion de Madame Hollart dans le dossier géré par Madame Wauthy qui, au vu de la procédure, fut la seule à prendre les décisions depuis le 4 février 1997, qu’elle a d’ailleurs signé l’ordonnance de soit communiqué le 27 juin 1997 et fait le rapport légal en chambre du conseil le 5 septembre 1997 ; (...) ».

Le 15 décembre 1997, la Cour d’assises rejeta une autre exception d’irrégularité de la procédure, tirée par les accusés de ce que le procès-verbal d’audition du 26 septembre 1996 mentionnait faussement que les policiers avaient agi sur commission rogatoire du juge d’instruction de Huy. D’après la Cour, en procédant à la « prise en charge volontaire » de la requérante, les policiers n’avaient pas posé un acte d’instruction mais un acte de police, lequel ne nécessitait pas de commission rogatoire. Du reste, aucun élément du dossier ne permettait d’affirmer que la requérante n’avait pas pleinement, consciemment et volontairement consenti à suivre les policiers à Huy. En toute hypothèse, la Cour d’assises était incompétente pour décider le renvoi des poursuites de l’accusée.

A l’audience du 17 décembre 1997 devant la Cour d’assises, alors que certaines plaidoiries pour la défense avaient déjà été tenues, il fut donné connaissance, à la demande du Ministère public, du contenu de la déposition faite le même jour par une personne détenue à l’Institut de défense sociale de Paifve. Dans sa déposition, cette personne – qui avait contacté le substitut du Procureur du Roi la veille – disait connaître la requérante et accusait celle-ci. En outre, le commissaire Boucher fut entendu et une cassette vidéo réalisée le même jour (intitulée « Essais de positionnement de l’arme dans le coffre de la voiture et de manipulation de l’arme dans l’habitacle ») fut projetée. Ces pièces furent versées au dossier en vertu du pouvoir discrétionnaire du président de la Cour d’assises.

Le 19 décembre 1997, la Cour d’assises reconnut les quatre accusés coupables, comme auteurs ou coauteurs, d’assassinat et condamna André Simon à la réclusion à perpétuité, la requérante à trente ans de réclusion et les deuxième et troisième requérants à vingt ans de réclusion chacun.

Le 22 avril 1998, la Cour de cassation rejeta les pourvois dirigés par les condamnés contre l’arrêt du 2 octobre 1997 de la Chambre des mises en accusation et les arrêts des 10, 15 et 19 décembre de la Cour d’assises. La Cour de cassation releva tout d’abord que les demandeurs n’avaient pas, au cours de l’instruction préparatoire, usé des voies de recours mises à leur disposition par la loi à l’effet de faire dessaisir le juge d’instruction Hollart. Elle considéra ensuite que la Chambre des mises en accusation avait légalement justifié sa décision d’écarter l’exception de nullité de l’instruction, tirée du fait que le juge Hollart avait agi, antérieurement, dans deux procédures mettant en cause André Simon. D’après la Cour de cassation, le fait que le juge Wauthy avait été chargé de « poursuivre l’instruction depuis ce jour et jusqu’au règlement de la procédure » n’enlevait nullement au juge d’instruction ainsi délégué son entière indépendance dans l’accomplissement de sa tâche et ne le privait pas du droit, le cas échéant, de recommencer les devoirs d’enquête accomplis par son prédécesseur ou d’ordonner tous ceux qui lui apparaîtraient utiles à la manifestation de la vérité.

S’agissant du grief tiré de la méconnaissance, par le président du tribunal de première instance de Huy, des conditions légales auxquelles devait satisfaire le remplacement du juge Hollart par le juge Wauthy, la Cour de cassation releva qu’il était étranger à la décision contre laquelle le pourvoi était dirigée et était, partant, irrecevable. Pour le surplus, l’article 195 du code judiciaire ne concernait pas le juge ordinaire appelé à remplir les fonctions de juge d’instruction pendant un remplacement ou une période déterminée.

En outre, en énonçant « qu’au vu du rappel des actes de la procédure, force est de constater que Madame Hollart est d’une distraction telle qu’on pourrait douter de son aptitude à assumer les devoirs de sa charge », la Cour d’assises n’aurait entendu émettre aucune réserve quant à l’existence d’un doute sur l’impartialité ou l’apparence d’impartialité de ce magistrat ; dès lors, l’arrêt pourrait, sans se contredire, considérer par ailleurs qu’aucun élément du dossier ne permettait d’affirmer que le juge d’instruction initialement saisi n’aurait pas présenté toutes les garanties, tant objectives que subjectives, requises à cet égard.

Par ailleurs, c’est à juste titre que, d’après la Cour de cassation, la Cour d’assises avait considéré qu’en procédant à la « prise en charge volontaire » de la requérante, les policiers n’avaient pas posé un acte d’instruction mais un acte de police, lequel ne nécessitait pas de commission rogatoire. La Cour d’assises avait légalement décidé que la mention inexacte, dans le procès-verbal, d’une commission rogatoire validée par le juge d’instruction de Verviers, n’avait pas d’incidence sur la régularité de cette pièce et de la procédure qui a suivi. En outre, en se déclarant incompétente pour décider le renvoi des poursuites de la demanderesse, la Cour d’assises n’avait pas pour autant refusé de se prononcer sur une exception de nullité et n’avait donc ni omis ni refusé de se prononcer sur une demande de l’accusée.

Quant aux moyens dirigés contre la décision du président de la Cour d’assises de verser, le 17 décembre 1997, plusieurs nouvelles pièces au dossier, la Cour de cassation les déclara irrecevables, au motif qu’il s’agissait de moyens nouveaux, les demandeurs n’ayant pas invoqué devant la Cour d’assises une violation de leurs droits de la défense, ni sollicité un report de plaidoiries. S’agissant en particulier de l’audition du commissaire Boucher, la Cour de cassation releva que celui-ci avait été chargé la veille, par le président de la Cour d’assises, d’examiner le véhicule d’un des accusés et que la défense ne s’y était pas opposée.


GRIEFS

1.Les trois requérants dénoncent, sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, le manque d’impartialité du juge Hollart, lequel résulterait de ce que ce magistrat a agi antérieurement, dans deux procédures différentes, d’abord comme avocat d’un des coaccusés, puis comme membre du Ministère public.

2.Au titre de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et d) de la Convention, les requérants dénoncent le fait que le Ministère public a fait interroger in extremis un témoin et qu’il a présenté ce témoignage et une cassette vidéo à l’audience, alors que les plaidoiries étaient déjà en cours.

3.La requérante allègue en outre plusieurs autres violations de l’article 6 § 1 :

a)L’ordonnance de remplacement du juge Hollart serait illégale.

b)Les aveux faits le 26 septembre 1996 auraient été obtenus en la privant de médicaments.

c)La police judiciaire a procédé à l’interrogatoire du 26 septembre 1996 sans avoir obtenu au préalable une commission rogatoire à cet effet et en mentionnant faussement, dans le procès-verbal de l’interrogatoire, l’existence de celle-ci.

d)La Cour d’assises aurait refusé de statuer sur la recevabilité des poursuites.

EN DROIT

1.  Les requérants dénoncent le manque d’impartialité du juge Hollart, lequel avait agi antérieurement, dans deux procédures différentes, d’abord comme avocat d’un des coaccusés, puis comme membre du Ministère public. Ils n’auraient dès lors pas bénéficié d’un procès équitable.

 En l’état actuel du dossier, la Cour estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en application de l’article 54 § 3 b) du Règlement de la Cour.

2.  Au titre de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et d) de la Convention, les requérants dénoncent le fait que le Ministère public a fait interroger in extremis un témoin, qu’il a présenté ce témoignage et une cassette vidéo à l’audience, alors que les plaidoiries étaient déjà en cours.

La Cour note que la Cour de cassation déclara irrecevables les moyens dirigés contre la décision du président de la Cour d’assises de verser, le 17 décembre 1997, plusieurs nouvelles pièces au dossier, au motif qu’il s’agissait de moyens nouveaux, les demandeurs n’ayant pas invoqué devant la Cour d’assises une violation de leurs droits de la défense, ni sollicité un report de plaidoiries.

Il s’en suit qu’en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, ce grief s’avère irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.


3.  a) La requérante affirme ensuite que l’ordonnance par laquelle, le 4 février 1997, le président du tribunal de première instance de Huy remplaça le juge Hollart par le juge Wauthy était irrégulière, en ce qu’elle aurait privé la requérante de la possibilité d’agir en suspicion légitime, conformément à l’article 542 al. 2 du Code d’instruction criminelle. De surcroît, Mme Wauthy, qui fut nommée juge par arrêté royal du 24 avril 1996, n’aurait pas satisfait aux dispositions légales prescrivant qu’un juge d’instruction ne peut être nommé que parmi les juges en fonction depuis au moins un an (articles 79 , 80 et 195 du code judiciaire).

La Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et appliquer le droit interne (arrêt Rekvényi c. Hongrie du 20 mai 1999, § 35). Elle note à cet égard que d’après la Cour de cassation, l’article 195 du code judiciaire ne concerne pas le juge ordinaire appelé à remplir les fonctions de juge d’instruction pendant un remplacement ou une période déterminée. Du reste, la Haute juridiction a relevé que le grief tiré de la méconnaissance, par le président du tribunal de première instance de Huy, des conditions légales auxquelles devait satisfaire le remplacement du juge Hollart par le juge Wauthy, était étranger à la décision contre laquelle le pourvoi était dirigée et était, partant, irrecevable. En conséquence, ce grief est irrecevable, par application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.

b)  La requérante allègue également que les aveux qu’elle a fait le 26 septembre 1996, après quatre heures d’interrogatoire, ont été obtenus en la privant de médicaments. Le 9 septembre 1996 en effet, la police judiciaire avait remis des médicaments à la requérante pour pouvoir l’interroger, à l’initiative des médecins de l’hôpital.

La Cour note que l’interrogatoire du 26 septembre 1996 eut lieu après que l’intéressée eut été autorisée par les médecins à quitter l’hôpital. D’après la Cour d’assises, aucun élément du dossier ne permettait d’affirmer que la requérante n’avait pas pleinement, consciemment et volontairement consenti à suivre les policiers à Huy. La Cour relève en outre que rien dans le dossier n’indique qu’à ce moment un interrogatoire de la requérante requérait qu’elle prît des médicaments, comme c’était encore le cas lors de l’interrogatoire du 9 septembre 1996, pendant l’hospitalisation de l’intéressée.

Il s’en suit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

c)  La requérante dénonce en outre le fait que la police judiciaire a procédé à l’interrogatoire du 26 septembre 1996 sans avoir obtenu au préalable une commission rogatoire à cet effet et en mentionnant faussement, dans le procès-verbal de l’interrogatoire, l’existence de celle-ci.

La Cour note que, le 15 décembre 1997, la Cour d’assises rejeta une exception d’irrégularité de la procédure, tirée par les accusés de ce que le procès-verbal d’audition du 26 septembre 1996 mentionnait faussement que les policiers avaient agi sur commission rogatoire du juge d’instruction de Huy. D’après la Cour d’assises, en procédant à la « prise en charge volontaire » de Mme Strivay, les policiers n’avaient pas posé un acte d’instruction mais un acte de police, lequel ne nécessitait pas de commission rogatoire. Cette thèse fut ensuite confirmée par la Cour de cassation.


Ici aussi, il y a lieu de rappeler qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et appliquer le droit interne (arrêt Rekvényi c. Hongrie du 20 mai 1999, § 35). En outre, la tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble a revêtu un caractère équitable (arrêt Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 470, § 67). En l’espèce, rien n’indique que l’absence de commission rogatoire en vue d’interroger la requérante le 26 septembre 1996 ait affecté le caractère équitable du procès dans son ensemble.

Il s’en suit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

d)  La requérante se plaint de ce que la Cour d’assises aurait refusé de statuer sur la recevabilité des poursuites. Dans son arrêt incidentel du 15 décembre 1997, en effet, la Cour d’assises a estimé être incompétente pour décider le renvoi des poursuites de l’accusée.

Avec la Cour de cassation, la Cour relève qu’en se déclarant incompétente pour décider le renvoi des poursuites de la demanderesse, la Cour d’assises n’a pas pour autant refusé de se prononcer sur une exception de nullité et n’a donc ni omis ni refusé de se prononcer sur une demande de la requérante.

Il s’en suit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DECIDE DE JOINDRE les requêtes ;

AJOURNE l’examen du grief tiré du manque d’impartialité ;

DÉCLARE LES REQUÊTES IRRECEVABLES pour le surplus.

S. DolléN. Bratza
GreffièrePrésident

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