CEDH, Cour (troisième section), BARELLI c. la FRANCE, 23 mai 2000, 46246/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 23 mai 2000, n° 46246/99
Numéro(s) : 46246/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 19 octobre 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Casenave de la Roche c. France du 9 juin 1998, Recueil 1998-III, p. 1327, par. 47
Arrêt Duclos c. France du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2180, par. 55
Arrêt Katte Klitsche de la Grange c. Italie du 27 octobre 1994, série A n° 293-B, p. 39, par. 61
Arrêt Monnet c. France du 27 octobre 1993, série A n° 273, p. 12, par. 30
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-31357
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:0523DEC004624699
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 46246/99
présentée par Henri BARELLI
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 23 mai 2000 en une chambre composée de

M.W. Fuhrmann, président,
M.J.-P. Costa,
M.P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
M.K. Traja, juges,
et deMmeS. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 19 octobre 1998 et enregistrée le 19 février 1999,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu la décision partielle adoptée le 22 juin 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant français, né en 1950 et résidant à Nice (Alpes-Maritimes).

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A.Circonstances particulières de l’affaire

Le 14 novembre 1988, le requérant saisit le tribunal de grande instance de Nice en référé aux fins que soit ordonnée une expertise sur les causes et conséquences des diverses interventions pratiquées sur lui par deux orthodontistes. Par ordonnance de référé du 3 janvier 1989, le professeur G. fut désigné en qualité d’expert. Il déposa son rapport le 7 avril 1989.

Procédure en première instance

Le 11 mai 1990, le requérant assigna cinq chirurgiens-dentistes, l’Assureur Dentaire et la MACSF (Mutuelle Assurances du Corps Sanitaire Français), pour voir désigner deux experts pour être examiné sur les causes et conséquences des interventions desdits praticiens.

Le 23 octobre 1990, le tribunal de grande instance de Nice mit hors de cause quatre des docteurs assignés, et ordonna une expertise concernant les soins et interventions pratiqués par le docteur D.

Procédure en appel

Le 3 janvier 1991, le requérant interjeta appel de cette décision. Il demanda notamment à la cour d’appel de constater que les experts précédents qui l’avaient examiné n’étaient pas dans la discipline qu’il convenait, et d’ordonner en conséquence la désignation d’un collège d’orthodontistes.

Le 10 avril 1991, l’expert désigné par la cour d’appel déposa son rapport.

Le 25 avril 1991, le requérant demanda un complément d’expertise. Il déposa ses conclusions le 29 avril 1991. Le 6 mai 1991, il renouvela sa demande du complément d’expertise. Il déposa de nouvelles conclusions le 21 mai 1991. Le 28 mai 1991, les cinq défendeurs déposèrent leurs conclusions. Le requérant déposa de nouvelles conclusions le 9 février 1992.

Le 12 février 1992, une ordonnance de clôture fut rendue.Le 13 août 1992, les défendeurs déposèrent de nouvelles conclusions. Le 11 janvier 1993, l’ordonnance de clôture fut révoquée. Le 30 juillet 1993, le requérant communiqua des pièces. Les défendeurs déposèrent leurs conclusions les 2 février et 14 octobre 1993, et le requérant déposa les siennes les 2 août et 18 octobre 1993.

Le 20 septembre 1993, le requérant fut admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale.

Le 28 octobre 1993, une nouvelle ordonnance de clôture fut rendue. Le requérant continua à produire de nombreuses pièces et lettres rejetées par la cour d’appel.

Par arrêt du 31 mai 1994, la cour d’appel d’Aix-en-Provence fit droit à la demande du requérant et ordonna une expertise médicale, en précisant que celle-ci se ferait sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Par la suite, le requérant demanda au conseiller de la mise en état l’extension de la mission d’experts aux docteurs G. et S., déjà mis hors de cause par la décision du 23 octobre 1990 du tribunal de grande instance de Nice. Par ordonnance du 18 novembre 1994, le conseiller de la mise en état se déclara incompétent et renvoya la demande du requérant devant la cour d’appel. Par arrêt du 29 mars 1995, la cour d’appel rectifia pour cause d’erreur matérielle l’arrêt rendu le 31 mai 1994 et ordonna l’extension de la mission d’experts aux docteurs G. et S. et aux compagnies les assurant.

Par conclusions du 19 avril 1995, le requérant demanda la récusation d’un expert. Le 30 mai 1995, le conseiller de la mise en état ordonna le remplacement de ce dernier. Le nouvel expert désigné ayant refusé sa mission, un autre expert fut commis, par ordonnance du 7 juillet 1995. Par une troisième ordonnance en date du 29 octobre 1995, un nouvel expert fut commis en remplacement d’un des experts qui prit sa retraite.

Les 14 et 21 décembre 1995, le requérant demanda au conseiller de la mise en état « de plus amples renseignements » concernant les deux nouveaux experts commis.

La procédure d’expertise fut fixée au 25 janvier 1996. Le requérant adressa plusieurs courriers aux experts, leur demandant des renseignements sur leur spécialisation, les hôpitaux où ils avaient exercé, leurs relations avec les docteurs mis en cause, etc. Les experts n’ayant pas répondu à ces courriers, le requérant ne se présenta pas aux rendez-vous fixés pour le déroulement de l’expertise. Le 30 janvier 1996, les experts mirent fin à leur mission, aux termes suivants :

« Consécutivement aux deux convocations d’expertise qui n’ont pas été acceptées et qui ont été préjudiciables pour l’emploi du temps de nos cabinets. Suite aux courriers qui nous ont été adressés et dont la rédaction nous paraît irrecevable et pourrait nous entraîner à ne plus avoir un raisonnement impartial. Il nous semble plus sage de nous désister conjointement. »

Par injonctions des 13 février et 27 juin 1996, le conseiller de la mise en état enjoignait aux parties de conclure sur le déroulement de l’expertise.

Parallèlement, le 18 mars 1996, le requérant avait demandé à la cour d’appel de dire que les experts désignés n’avaient pas l’indépendance nécessaire à la mission d’expertise, et de nommer trois nouveaux experts, « en dehors de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, soit Lyon ou Paris, dans la mesure où ils ne connaissent pas les experts précédents ». Les défendeurs déposèrent  leurs conclusions les 5 août et 24 septembre 1996. Une ordonnance de clôture fut rendue le 23 octobre 1996. Le 7 novembre 1996, le requérant communiqua des pièces au conseiller de la mise en état.

Le 20 novembre 1996, la cour d’appel d’Aix-en-Provence débouta le requérant de ces demandes et ordonna la réouverture des débats sur le fond du litige. La cour d’appel observa en particulier que :

« Contrairement à ce que soutient [le requérant] dans ses conclusions, les experts ne se sont pas récusés en admettant que leurs relations avec les médecins et les experts leur retiraient leur impartialité, ils se sont désistés conjointement de leur mission, suite aux deux rendez-vous non honorés et aux courriers reçus dont les termes leur paraissent entraîner une modification de leur impartialité.

Cette lettre s’analyse, d’une part en un procès-verbal de carence, la mission d’expertise n’ayant pu se dérouler du fait de la personne à expertiser, d’autre part comme un refus de poursuivre toute éventuelle mission en l’état de leur mise en cause par [le requérant].

Il reste donc à examiner si [le requérant] peut justifier des motifs de sa carence (...)

La conception très personnelle [du requérant] de la déontologie impose ainsi que les experts n’aient jamais eu à croiser, durant leur vie professionnelle, soit les médecins en cause soit les précédents experts (deux experts ne peuvent avoir leurs cabinets dans la même rue, ne peuvent exercer dans le même hôpital ou enseigner dans la même faculté).

Cette suspicion systématique et préalable ne relève pas d’une application conforme aux règles déontologiques de l’expertise et ne saurait légitimer l’attitude [du requérant] qui doit ainsi supporter les conséquences de sa carence en étant débouté de sa demande de désignation d’un nouveau collège d’experts. »

Une ordonnance de clôture fut rendue le 7 février 1997. Le requérant continua, par lettres et conclusions, à demander la désignation d’un nouveau collège d’experts.

Par arrêt du 14 mai 1997, la cour d’appel débouta le requérant de l’ensemble de ces demandes, et le condamna à verser 1 000 FRF à chacun des médecins qu’il avait assignés ; le requérant fut en outre condamné aux dépens de premier instance et d’appel. La cour d’appel nota en particulier que :

« Attendu qu’en matière de responsabilité contractuelle médicale, le praticien n’est tenu que d’une obligation de prudence et de diligence s’analysant comme une obligation de moyen imposant au médecin de fournir des soins appropriés à l’état du malade, attentifs diligents conformes aux données acquises de la science médicale ; qu’il appartient au patient de rapporter la preuve d’une faute ;

Attendu qu’en l’espèce la preuve de la faute incombe [au requérant], qu’au vu des éléments apportés par ce dernier la cour a fait droit à sa demande de contre-expertise par deux arrêts en dates des 31 mai 1994 et 29 mars 1995, qu’il convient d’observer que la contre-expertise ordonnée n’a pas pu se dérouler par le fait [du requérant] ainsi que cela a été constaté par l’arrêt du 20 novembre 1996 qui l’a débouté de sa demande de nouvelle expertise ;

Attendu qu’en l’état la preuve n’est pas rapportée de la faute alléguée à l’encontre des médecins (...) mis en cause (...) »

Au total, le requérant a déposé plus de quarante jeux de conclusions et lettres devant la cour d’appel.

Procédure en cassation

Le 21 juillet 1997, le requérant saisit le bureau d’aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation d’une demande tendant à obtenir l’aide juridictionnelle, afin de se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel.

Le 12 mars 1998, le bureau d’aide juridictionnelle rejeta la demande du requérant, au motif qu’aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé. Le 25 avril 1998, le requérant forma un recours contre cette décision. Par ordonnance du 22 mai 1998, le premier président de la Cour de cassation rejeta le recours exercé par le requérant.

B.Droit et pratique internes pertinents

a.Aux termes de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que pour faute lourde ou déni de justice.

b.Tribunal de grande instance de Paris (5 novembre 1997, Gauthier c. Agent Judiciaire du Trésor), qui a élargi l’interprétation de la notion de déni de justice à « tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ». Le tribunal octroya au demandeur, un salarié qui avait reçu du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence un avis l’informant de ce que son appel ne pourrait être examiné que quarante mois après la saisine de la cour, 50 000 FRF de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Cette décision a été frappée d’appel par l’agent judiciaire du Trésor, représentant l’État.

Par arrêt du 20 janvier 1999, la cour d’appel de Paris confirma le jugement attaqué mais réduisit l’indemnité à allouer à M. Gauthier à la somme de 20 000 FRF. Cet arrêt, à défaut d’avoir fait l’objet d’un pourvoi en cassation, est devenu définitif.

c.Au cours des années 1998-1999, plusieurs jugements et arrêts des tribunaux de grande instance de Paris et de Nice et des cours d’appel de Lyon, Paris et Aix-en-Provence ont confirmé cette jurisprudence. Dans son arrêt du 10 novembre 1999, la cour d’appel de Paris indique notamment : « Considérant que toute personne ayant soumis une contestation à un tribunal a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ; que la méconnaissance de ce droit, constitutive d’un déni de justice au sens de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire, oblige l’État à réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ». Ce principe a trouvé application tant dans le domaine pénal que civil.

Dans le domaine pénal, ont été sanctionné le défaut de diligence a) d’un juge d’instruction à conduire son information (arrêt de la cour d’appel de Lyon du 27 octobre 1999 dans l’affaire Association défense libre), b) d’un procureur à régler un dossier d’instruction (jugement du tribunal de grande instance de Paris du 18 novembre 1998 dans l’affaire Ulysse Barbe et Chantal Huguier), et c) d’un procureur à audiencer une affaire devant le tribunal correctionnel (arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 5 octobre 1999 dans l’affaire Lagarde).

Dans le domaine civil, ont été sanctionnés a) le défaut de célérité d’une juridiction de première instance (arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 novembre 1999 dans l’affaire Sarri), b) la durée de mise en état des affaires devant les juridictions d’appel (jugement du tribunal de grande instance de Paris du 22 septembre 1999 dans l’affaire Le Grix de la Salle), et c) les délais du prononcé d’un jugement (jugement du tribunal de grande instance de Paris du 14 juin 1999 dans l’affaire Mme Krempff).

Les arrêts précités des cours d’appel d’Aix-en-Provence, Lyon et Paris sont devenus définitifs, l’agent judiciaire du Trésor ne s’étant pas pourvu en cassation. De même il a renoncé à interjeter appel contre les jugements du tribunal de grande instance de Paris des 14 juin et 22 septembre 1999.

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure.

EN DROIT

Le requérant se plaint de la durée de la procédure et invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Le gouvernement défendeur affirme, à titre principal, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. En particulier, le Gouvernement considère que le requérant aurait dû engager une action contre l’État, sur le fondement de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire. A cet égard, le Gouvernement affirme ne pas ignorer que, selon la jurisprudence habituelle des organes de la Convention en la matière, le recours en question est considéré comme un recours inefficace contre la durée excessive d’une procédure. Il mentionne cependant un jugement du tribunal de grande instance de Paris, en date du 5 novembre 1997, qui entend très largement la notion de déni de justice. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris, qui est par ailleurs définitif. Le Gouvernement affirme que cet arrêt constitue une décision de principe en la matière, et considère que la jurisprudence est désormais consolidée.

A titre subsidiaire, le Gouvernement affirme que le grief est dénué de fondement. Il note tout d’abord que la procédure antérieure à l’assignation du 11 mai 1990 ne doit pas être prise en considération pour la détermination de la durée de la procédure, puisqu’elle correspond à une procédure de référé introduite par le requérant afin d’obtenir une expertise médicale, mesure préliminaire n’affectant pas le fond de l’affaire. Le Gouvernement souligne que les procédures, au cours desquelles ne peuvent être prises que des mesures préliminaires ou provisoires, ne tranchent pas un litige, mais permettent au demandeur d’établir rapidement la preuve des faits dont il pourra se prévaloir en cas de litige ultérieur.

Le Gouvernement considère que si toute action en justice visant à déterminer la responsabilité médicale peut être qualifiée de complexe, la présente affaire l’était particulièrement en raison notamment de la suspicion systématique du requérant à l’égard des différents experts désignés. Le Gouvernement ajoute que le requérant a considérablement contribué à l’allongement de la procédure, en produisant de nombreuses lettres et pièces et en refusant de déférer aux convocations des experts. Le Gouvernement note enfin que le comportement des autorités judiciaires paraît irréprochable.

Le requérant combat les thèses avancées par le Gouvernement.

Pour ce qui est du recours prévu par l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire, la Cour note qu’il a fait l’objet dans les dernières années d’un usage de plus en plus fréquent, notamment dans le domaine du non-respect du délai raisonnable, les juridictions compétentes l’appliquant en se référant à l’article 6 § 1 de la Convention.

Toutefois, en ce qui concerne la présente affaire, la Cour note que l’arrêt de la cour d’appel de Paris, du 20 janvier 1999, ainsi que les autres arrêts mentionnés par le Gouvernement sont postérieurs à l’introduction de la requête devant la Cour, à savoir le 19 octobre 1998. Par ailleurs, lorsque la procédure litigieuse a débuté, en 1990, la jurisprudence à laquelle se réfère le Gouvernement n’était aucunement établie. Partant, l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

Période à prendre en considération

La Cour note que la procédure a débuté le 11 mai 1990, avec l’assignation délivrée par le requérant devant le tribunal de grande instance de Nice à cinq chirurgiens-dentistes, et s’est terminée le 22 mai 1998, par l’ordonnance du premier président de la Cour de cassation, soit une durée de huit ans et onze jours.

Caractère raisonnable de la durée de la procédure

Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, entre autres, l’arrêt Cazenave de la Roche c. France du 9 juin 1998, Recueil 1998-III, p. 1327, § 47).

En matière civile, l’article 2 du Nouveau Code de procédure civile laisse l’initiative aux parties : il leur incombe « d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis ». Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux de veiller à ce que le procès se déroule dans un délai raisonnable. L’article 3 du même Code prescrit d’ailleurs au juge de veiller au bon déroulement de l’instance et l’investit du « pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires » (voir l’arrêt Duclos c. France du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-VI, p. 2180, § 55). Seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à constater un dépassement du « délai raisonnable » (voir l’ arrêt Monnet c. France du 27 octobre 1993, série A n° 273, p. 12, § 30).

En l’espèce, la Cour considère, en premier lieu, que l’affaire présentait une complexité certaine en droit comme en fait, en raison de la nature du contentieux de la responsabilité médicale et des circonstances de l’espèce ; c’est ainsi notamment que les juridictions nationales jugèrent nécessaire la réalisation d’expertises médicales, et qu’elles soulignèrent la difficulté de l’appréciation des conséquences d’opérations d’orthodontie sur l’état dentaire d’un patient.

La Cour estime que la durée de la procédure s’explique, en second lieu, par le comportement des parties, en particulier du requérant, devant la cour d’appel. Il ressort de la chronologie des actes de la procédure devant cette cour que les parties multiplièrent les jeux de conclusions, tout en tardant souvent à conclure. Le requérant, pour sa part, a déposé plus de quarante jeux de conclusions et lettres devant la cour d’appel ; de plus, en se livrant à un véritable interrogatoire des experts quant à leurs formations et relations, il provoqua leur récusation successive, puis leur désistement collectif.

La Cour relève, en dernier lieu, que les autorités judiciaires ont, pour leur part, conduit la procédure avec diligence. Elles montrèrent une diligence particulière en première instance et devant la Cour de cassation. Devant la cour d’appel, le conseiller de la mise en état veilla au bon déroulement de l’instance en suivant de près les travaux d’expertise et les délais pour le dépôt des conclusions par les parties ; il usa régulièrement de son pouvoir d’injonction pour impartir des délais et les faire respecter par les parties, ainsi que de son pouvoir d’ordonner les mesures nécessaires à l’échange diligent de pièces entre les parties ; en outre, il fixa rapidement les audiences après la clôture de l’instruction. Enfin, la cour d’appel rendit ses arrêts à bref délai après l’audience.

Dès lors, la Cour considère qu’en l’espèce la justice n’a pas été « administrée avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité » (voir l’arrêt Katte Klitsche de la Grange c. Italie du 27 octobre 1994, série A n° 293-B, p. 39, § 61).

Examinant la procédure dans son ensemble, la Cour conclut qu’en l’espèce, il n’y a pas eu manquement au devoir de diligence incombant aux autorités judiciaires au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que le restant de la requête est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LE RESTANT DE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

S. DolléW. Fuhrmann
GreffièrePrésident

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