CEDH, Cour (deuxième section), WIOT c. la FRANCE, 15 mars 2001, 43722/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 15 mars 2001, n° 43722/98
Numéro(s) : 43722/98
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 29 juin 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Camilla c. France (déc.), n° 38840/97, 8.12.1998
Arrêt Cardot c. France du 9 mars 1991, série A n° 200, p. 19, § 36
Arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38
Arrêt Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11-12, § 27
No 31800/96, déc. 16.4.98
No 8000/77, déc. 9.5.78, D.R. 13, p. 81
No 8988/80, déc. 10.3.81, D.R. 24, p. 198
non publiée
Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), n° 44952/98, 44953/98, 7.11.2000 Comm. Eur. D.H. No 7990/77, déc. 11.5.81, D.R. 24, p. 57
Zutter c. France (déc.), n° 30197/96, 27.6.2000
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-32134
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0315DEC004372298
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

 SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 43722/98
présentée par Didier WIOT
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 15 mars 2001 en une chambre composée de

MM.C.L. Rozakis, président,
J.-P. Costa,
G. Bonello,
MmeV. Strážnická,
M.M. Fischbach,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
M.E. Levits, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 29 juin 1998 et enregistrée le 5 octobre 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

A.  Les circonstances de l’espèce

Le requérant est un ressortissant français, né en 1962 et résidant à Paris.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Procédure au fond

Le 3 juin 1992, à l’issue d’un entretien préalable à licenciement, le requérant et son employeur signèrent une transaction. Le requérant fut licencié par lettre du 9 juin et signa le 11 juin un reçu pour solde de tout compte.

Le 24 août 1992, estimant avoir fait l’objet de pressions pour l’amener à signer la transaction, le requérant saisit le conseil de prud’hommes de Corbeil Essonnes en demandant diverses sommes pour licenciement abusif, déduction faite des sommes déjà perçues en exécution de la transaction.

Par jugement du 19 mai 1993, le conseil de prud’hommes déclara son action irrecevable, la transaction n’ayant pas été dénoncée dans les délais. Ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Paris le 3 mars 1994.

Le 3 avril 1994, le requérant forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel. Le 10 mai 1994, il sollicita l’aide juridictionnelle, qui lui fut partiellement accordée le 9 mars 1995.  Un conseiller rapporteur fut nommé le 2 mai 1997.

Par arrêt du 13 janvier 1998, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt d’appel et renvoya la cause et les parties devant la même cour d’appel, autrement composée.

Par arrêt du 3 septembre 1999, la cour d’appel de Paris cassa le jugement du 19 mai 1993 et, considérant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, alloua au requérant une indemnité de licenciement.

Le 12 septembre 1999, l’employeur introduisit une requête en rectification d’erreur matérielle, qui fut examinée le 16 novembre 1999 par la cour d’appel de Paris et donna lieu à un nouvel arrêt rendu le 4 février 2000. Le requérant se pourvut en cassation de ce deuxième arrêt.

L’affaire est actuellement pendante devant la Cour de cassation.

Procédure en référé

Le 13 juillet 1998, le requérant saisit le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en référé afin d’obtenir le paiement de certaines sommes. Il fut débouté par ordonnance du 14 août 1998.

Le 5 septembre 1998, le requérant interjeta appel de l’ordonnance précitée et sollicita la saisine de la cour d’appel de Paris, déjà saisie du litige au fond.  Le 18 novembre 1998, il fut néanmoins convoqué par le greffe de la cour d’appel de Versailles à une audience fixée au 12 novembre 1998. Par courrier du 22 octobre 1998, le requérant réitéra sa demande visant le dessaisissement de la cour d’appel de Versailles au profit de celle de Paris, mais n’obtint aucune réponse.

Par ordonnance du 12 novembre 1998, sa requête fut retirée du rôle au motif que l’appelant ne s’était pas présenté ni fait représenter à l’audience à laquelle il avait été convoqué. Le requérant se pourvut en cassation contre cette ordonnance. Son pourvoi fut déclaré irrecevable le 12 janvier 2000.

B.  Eléments de droit interne

Article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire :

« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

EN DROIT

Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, lequel est rédigé comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

1.Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes

A titre principal, le Gouvernement plaide que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Selon lui, l’intéressé aurait dû saisir les juridictions françaises d’une action en responsabilité dirigée contre l’Etat et fondée sur l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire.

Le Gouvernement souligne que ce recours se fonde désormais sur une jurisprudence consolidée. En effet, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 novembre 1997 vise expressément l’article 6 de la Convention et indique qu’aux fins de l’article L 781-1, « il faut entendre par déni de justice, non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires en état de l’être, mais plus largement, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ».

Or, ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 1999, qui constitue, selon le Gouvernement, un arrêt de principe largement suivi par les juridictions internes. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a confirmé cette jurisprudence les 9 juin et 22 septembre 1999, et les cours d’appel d’Aix en Provence et de Lyon se sont prononcées dans le même sens les 14 juin et 27 octobre 1999, de même que plusieurs autres juridictions dans de récentes décisions. Cette évolution jurisprudentielle a été, par ailleurs, largement commentée dans la presse spécialisée.

Le requérant, en revanche, considère que le recours fondé sur l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire n’est pas un recours efficace en raison de son coût prohibitif, la représentation par avocat étant obligatoire. Il fait également valoir le fait que la procédure interne n’est pas terminée et souligne la nécessité d’une condamnation par la Cour seule susceptible de conduire l’Etat français à prendre les mesures d’ordre général qui s’imposent.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Se pose donc en premier lieu la question de savoir si l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement se révèle fondée en l’espèce. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 19, § 36). Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11–12, § 27 ; Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38).

La Cour reconnaît qu’il ressort de l’ensemble des jugements et arrêts auquel le Gouvernement se réfère que le recours en cause fait désormais l’objet d’un usage de plus en plus fréquent, notamment dans le domaine du non-respect du délai raisonnable, les juridictions compétentes appliquant l’article L 781-1 du Code de l’organisation judiciaire en se référant à l’article 6 § 1 de la Convention.

Toutefois, la Cour rappelle que l’épuisement des recours internes s’apprécie, sauf exceptions, à la date d’introduction de la requête devant la Cour. Or, en l’espèce, elle note que l’arrêt de la cour d’appel de Paris du
20 janvier 1999, ainsi que les autres arrêts mentionnés par le Gouvernement, sont postérieurs à l’introduction de la requête, à savoir le 29 juin 1998.

Par conséquent, il ne saurait être reproché au requérant de n’avoir pas épuisé, avant de saisir la Cour, un recours qui ne présentait pas, à ce moment-là, les caractères de certitude et d’efficacité requis (Zutter c. France, (déc.), n° 30197/96, 27.6.2000, Van der Kar et Lissaur van West c. France, (déc.), n° 44952/98 et 44953/98, 7.11.2000). Partant, l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

2.Sur le caractère raisonnable de la durée

Selon le requérant, la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention.

Le Gouvernement reconnaît que la durée de la procédure devant la Cour de cassation, qui a duré trois ans, dix mois et dix jours, a été relativement longue, puisqu’il a fallu onze mois pour traiter une demande d’aide juridictionnelle du requérant et près de deux ans pour désigner le conseiller rapporteur. Toutefois, le Gouvernement souligne que cette période de latence due à l’encombrement de la chambre sociale de la Cour de cassation a été en partie compensée par la particulière diligence dont a fait preuve le conseiller rapporteur et la célérité avec laquelle il a rendu son rapport, vingt-six jours après avoir été désigné. En conséquence, le Gouvernement considère qu’une évaluation globale de la durée de la procédure permet de conclure à son caractère raisonnable, d’autant qu’elle s’est déclinée sur quatre[1] niveaux de juridiction.

La Cour relève que le requérant fait état pour la première fois dans ses observations en réponse à celle du gouvernement d’une procédure en référé dont il entend également contester la durée.

Toutefois, la Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention ne s’applique qu’aux procédures dans lesquelles il est «décidé d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil ». Ainsi, cette disposition ne s’applique pas à une procédure de caractère conservatoire tendant à une ordonnance de référé, procédure dans laquelle ne peuvent être prises que des mesures préliminaires ou provisoires qui n’affectent pas le fond de l’affaire ou dans laquelle il n’est pas tranché sur une contestation (N° 7990/77, déc. 11.5.81, DR. 24, p. 57; N° 8988/80, déc. 10.3.81, D.R 24, p. 198 ; N° 8000/77, déc. 9.5.78, D.R. 13, p. 81; N°31800/96, déc. 16.4.98, non publiée).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

S’agissant de la procédure au fond, la Cour constate qu’elle a débuté le 24 août 1992 avec la saisine du tribunal de prud’hommes de Corbeil-Essones et est actuellement pendante devant la Cour de cassation. Elle a donc duré à ce jour  plus de huit ans et cinq mois pour cinq instances.

La Cour estime, à la lumière des critères dégagés par sa jurisprudence en matière de « délai raisonnable », et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l’objet d’un examen au fond. Il ne saurait dès lors être déclaré manifestement mal fondé, en application de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de la durée de la procédure au fond ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

E. FriberghC.L. Rosakis
GreffierPrésident


[1] cinq niveaux de juridiction, la Cour de cassation ayant été saisie postérieurement au dépôt des observations du gouvernement (note de la Cour Eur).

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