CEDH, Cour (deuxième section), BIRZNIEKS c. la LETTONIE, 23 octobre 2001, 56930/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 23 oct. 2001, n° 56930/00
Numéro(s) : 56930/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 21 février 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Garcia Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, §§ 28-29, CEDH 1999-I - (21.1.99)Arrêt Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 46, CEDH 2000-V - (4.2.00)
Arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, § 71
Arrêt Amann c. Suisse [GC], n° 27798/95, §§ 69-70, CEDH 2000-II - (16.2.00)
Arrêt Garcia Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, §§ 28-29, CEDH 1999-I - (21.1.99)Arrêt Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 46, CEDH 2000-V - (4.2.00)
Arrêt Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, p. 1017, § 64
Arrêt Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 508, § 37
Arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 22, § 48
Arrêt Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 436, § 34
Arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, p. 571, § 33
Arrêt Garcia Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, §§ 28-29, CEDH 1999-I - (21.1.99)Arrêt Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 46, CEDH 2000-V - (4.2.00)
No 24967/94, déc. 2.2.95, D.R. 80, p. 175
No 28204/95, déc. 4.12.95, D.R. 83, p. 112
Vermeersch c. France (déc.), n° 39277/98, 30.1.2001 Comm. Eur. D.H. No 20357/92, déc. 7.3.94, D.R. 76, p. 80
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-43093
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:1023DEC005693000
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIEME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 56930/00
présentée par Aleksandrs BIRZNIEKS
contre la Lettonie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 23 octobre 2001 en une chambre composée de

MM.C.L. Rozakis, président,
G. Bonello,
MmesV. Strážnická,
M. Tsatsa-Nikolovska,

MM.E. Levits,
A. Kovler
V. Zagrebelsky, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 21 février 2001 et enregistrée le 2 mai 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant letton, né en 1922 et résidant à Riga (Lettonie).

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l’affaire

En mars et avril 1998, la Lettonie connut une période de crise et d’insécurité politique, marquée par une instabilité gouvernementale, une aggravation des relations avec la Russie à cause du statut des russophones non-citoyens résidant en Lettonie, et des agissements des groupements extrémistes clandestins. Au début du mois d’avril 1998, deux bombes explosèrent devant la synagogue et le bâtiment de l’ambassade de Russie à Riga.

Le 7 avril 1998, la Police d’Etat (Valsts policija) et la Police de Sécurité (Drošības policija), à l’initiative et sous le contrôle du Bureau de protection de la Constitution (Satversmes aizsardzības birojs), organisèrent une action d’enquête à l’échelle nationale. Au cours de cette action, les agents de ces deux branches de police se rendirent à environ deux cents adresses figurant sur la liste dressée par le Bureau de protection de la Constitution et comportant les lieux où les personnes suspectes pouvaient se trouver, ainsi que les domiciles des personnes susceptibles, selon l’avis du Bureau, d’avoir des renseignements quelconques sur les organisateurs des deux explosions.

Dans le cadre de l’action susmentionnée, le 7 avril 1998, à 5h55 du matin, les agents de la Police d’Etat et de la Police de Sécurité se présentèrent devant la porte de l’appartement du requérant et sollicitèrent le droit d’y entrer. Selon le requérant, les agents ne lui présentèrent aucun document pouvant justifier leur statut, ni n’expliquèrent la raison de la visite ; par conséquent, le requérant et son épouse refusèrent de les laisser entrer. Les agents de police menacèrent alors de briser la porte. Le requérant téléphona au bureau de police le plus proche dont l’agent lui affirma que les visiteurs venaient vraiment de la police. Néanmoins, le requérant persista dans son refus de les laisser entrer dans l’appartement. La conversation avec les agents de police, menée à travers la porte fermée, dura environ quinze à vingt minutes, après quoi les agents partirent sans avoir pénétré dans le domicile du requérant.

Par la suite, le requérant adressa au Parquet général (Ģenerālprokuratūra), au ministère de l’Intérieur et au Bureau de protection de la Constitution des lettres exigeant des explications sur la conduite des agents de police et, notamment, sur les motifs pour lesquels il avait été inclus sur la liste des personnes pouvant avoir une information sur les organisateurs des explosions. Par lettres des 27 et 29 avril 1998 respectivement, le Parquet général et le Bureau de protection de la Constitution lui répondirent que l’action était menée conformément aux dispositions du code de procédure pénale, permettant de recourir à l’aide de la population pour obtenir des renseignements sur des infractions pénales et sur les personnes les ayant commises. Selon les deux institutions, les agents de police avaient agi dans les limites de leurs pouvoirs, en respectant le refus du requérant de les laisser entrer dans son domicile. De même, le parquet et le ministère de l’Intérieur affirmèrent au requérant qu’ils ne possédaient aucune information sur des relations quelconques entre celui-ci et des organisations extrémistes clandestines, mais que la police considérait le requérant comme un citoyen susceptible de fournir des renseignements sur les personnes ayant commis les actes de terrorisme.

En août 1998, le requérant saisit le tribunal de première instance de l’arrondissement de Zemgale de la ville de Riga d’une demande en  réparation du préjudice moral contre le Bureau de protection de la Constitution, la Police d’Etat et la Police de Sécurité. Selon le requérant, ce préjudice lui avait été causé par le comportement des agents de police qui avaient enfreint l’inviolabilité de son domicile, par le fait de figurer sur la liste des personnes susceptibles d’avoir des informations sur les auteurs des actes criminels, et, notamment, par le refus des défendeurs de lui communiquer les raisons pour lesquelles il avait été inclus sur une telle liste. Dans son mémoire, le requérant se référa à l’article 1779 du code civil, consacrant l’obligation générale de celui qui a causé un dommage à autrui de le réparer, et à l’article 2352-a du même texte, aux termes duquel toute personne ayant porté une atteinte illicite à l’honneur et à la dignité d’autrui « par ses propos, ses écrits ou son comportement », doit verser à la victime une réparation pécuniaire du dommage subi. En outre, le requérant, en soulignant son âge et son statut d’ancien déporté, demanda au tribunal d’ordonner une expertise médicale pouvant attester l’aggravation de son état de santé par la suite de l’angoisse et du choc émotionnel créé par la visite des agents de police.

Pour des raisons de compétence territoriale, l’affaire fut renvoyée au tribunal de première instance de l’arrondissement de Vidzeme, qui, par un jugement contradictoire du 16 février 1999, débouta le requérant de sa demande. Aux termes du jugement, les agents de police avaient agi dans les limites de leurs pouvoirs conférés par les lois sur la police et sur les mesures opérationnelles d’enquête. De plus, le tribunal admit l’argument des défendeurs que la législation pertinente leur interdisait de révéler les critères ayant justifié l’inclusion du requérant sur la liste en question. La demande d’expertise médicale fut rejetée en raison de l’absence de preuves pouvant justifier un lien de causalité entre le comportement des agents de police et les problèmes de santé du requérant.

Contre ce jugement, le requérant interjeta appel devant la cour régionale de Riga, en soutenant qu’il devait avoir le droit d’accès aux informations ayant servi de fondement pour son inclusion sur la liste des éventuels témoins, et que le refus du tribunal de première instance d’ordonner une expertise médicale constituait une violation de ses droits procéduraux.

Par un arrêt contradictoire du 12 octobre 1999, la cour régionale de Riga rejeta l’appel du requérant. Selon la cour régionale, le Bureau de protection de la Constitution, la Police d’Etat et la Police de Sécurité avaient le droit d’organiser une action d’enquête, qui, au surplus, était conforme à la loi. De même, le refus d’administrer une expertise médicale était fondé, une telle expertise étant inutile en l’absence de faute des agents de police. La cour régionale laissa sans examen les nouveaux arguments du requérant, soutenus par des copies des publications dans la presse, au motif que, conformément à la loi sur la procédure civile, le changement du fondement et de l’objet de la demande en appel n’était plus possible.

Contre cet arrêt, le requérant se pourvut en cassation devant le Sénat de la Cour suprême, en soutenant que le refus de lui révéler les critères de son inclusion sur la liste des témoins éventuels violait son droit de recevoir des informations. De plus, il se plaignit de l’illégalité de l’administration des preuves faite par les juges de la première instance et d’appel. Par une ordonnance du 22 novembre 1999, le Sénat de la Cour suprême rejeta le pourvoi au motif que, conformément à la loi sur la procédure civile, il ressortait de la compétence exclusive de la cour d’appel de décider de l’admissibilité des preuves.

B. Le droit interne pertinent

1. Dispositions relatives aux mesures opérationnelles d’enquête

En vertu de l’article 96 de la Constitution lettonne (Satversme), chacun a le droit à l’inviolabilité de sa vie privée et de son domicile. Toutefois, l’article 116 de la même Constitution prévoit la possibilité, pour le législateur, de limiter l’exercice de ces droits afin de protéger les droits des autres personnes, le régime démocratique, la sûreté, le bien-être et la morale publics.

Le texte principal régissant le comportement de la police et des autres organes de sécurité publique dans les cas semblables à celui d’espèce, est la loi du 16 décembre 1993 relative aux mesures opérationnelles (Operatīvās darbības likums). Par les « mesures opérationnelles », la loi désigne l’ensemble d’opérations, secrètes ou non, tendant à la protection des particuliers, de l’indépendance et de la souveraineté de l’Etat, de l’ordre constitutionnel, du potentiel économique et scientifique national, ainsi que des informations classées, contre des menaces extérieures et intérieures (article 1er). Toutes les mesures opérationnelles doivent être effectuées dans le plus strict respect de la loi et des droits de l’homme. En particulier, il est interdit de porter préjudice, physique ou moral, aux personnes concernées, de recourir à la violence ou à des menaces à leur égard (article 4 §§ 1-3). Toute personne s’estimant lésée par le comportement des agents de sécurité publique, peut adresser une plainte au procureur de la République ou saisir le tribunal compétent d’une demande (article 5).

Les mesures opérationnelles se divisent en deux catégories selon le degré d’ingérence dans les droits fondamentaux des individus. Alors que les opérations de la première catégorie peuvent être autorisées par le supérieur hiérarchique de l’agent responsable, les actes relevant de la deuxième catégorie nécessitent un mandat judiciaire (article 7 §§ 1-4). Ainsi, les agents de police peuvent interroger les personnes susceptibles de disposer d’informations voulues, même s’ils ont des suspicions fondées que l’individu cache les renseignements qu’il possède (article 9). Toutefois, ils n’ont pas le droit de pénétrer dans le domicile de la personne sans la permission de celle-ci (article 11 § 2). L’entrée des agents dans une maison ou un appartement privé contre la volonté du possesseur n’est possible que dans certains cas spécifiques et doit être autorisée par le juge (articles 14 et 7 § 4).

La même loi régit également la collecte et le traitement des données pertinentes pour les mesures opérationnelles. Les autorités compétentes ont le droit de recueillir, systématiser, analyser, stocker et traiter des informations, secrètes ou non, concernant « les personnes, les faits, les événements et les affaires », lorsque ces données sont nécessaires aux fins des mesures opérationnelles et de la procédure pénale (article 23 § 1). L’organisation, les méthodes et la tactique des mesures opérationnelles sont strictement confidentiels (article 8 § 3). Il en est de même des données obtenues lors des mesures opérationnelles ; elles peuvent être utilisées uniquement dans les cas prévus par la loi.

2. Dispositions relatives au recours contre le comportement des autorités

Aux termes de l’article 239-1 du code de procédure civile (Latvijas Civilprocesa kodekss), toute personne physique ou morale peut saisir un tribunal d’une requête lorsqu’elle estime qu’une décision ou le comportement de l’administration centrale ou locale (valsts pārvaldes vai pašvaldības institūcija), a porté atteinte à ses droits, c’est-à-dire l’a empêchée d’exercer, totalement ou partiellement, les droits qui lui sont conférés par une loi ou par un autre acte normatif. Conformément à l’article 239-7 du même code, lorsque le tribunal constate l’illégalité du comportement de l’administration, il rend un jugement obligeant l’autorité concernée à mettre fin à la violation commise.

L’article 1779 du code civil (Latvijas Republikas Civillikums), consacre l’obligation générale de celui qui a causé un dommage à autrui de le réparer. Aux termes de l’article 2352-a du même code, toute personne ayant porté une atteinte illicite à l’honneur et à la dignité d’autrui « par ses propos, ses écrits ou son comportement », doit verser à la victime une réparation pécuniaire du dommage subi.

GRIEFS

1. Le requérant allègue une violation de ses droits garantis par l’article 8 de la Convention. En premier lieu, il soutient que le fait, pour les agents de police, de solliciter le droit d’entrer dans son appartement à une heure normalement destinée au repos nocturne, en proférant des menaces et sans présenter des documents justificatifs, constitue une atteinte au respect de son domicile. En deuxième lieu, il se plaint que l’impossibilité d’accéder à des informations le concernant directement et personnellement et ayant justifié son inclusion sur la liste des personnes susceptibles de fournir des renseignements quelconques sur les auteurs des actes de terrorisme, constitue une atteinte à son droit au respect de la vie privée. Le requérant fait notamment valoir que les atteintes dénoncées ne sont pas conformes aux exigences de l’article 8 § 2.

2. Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant se plaint que le refus du Bureau de protection de la Constitution, de la Police d’Etat et de la Police de Sécurité de lui communiquer les raisons de son inclusion sur la liste litigieuse s’analyse en une violation de sa liberté de recevoir des informations.

3. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint qu’aucune des institutions nationales n’a pu lui assurer une protection efficace et adéquate de son droit au respect du domicile, garanti par l’article 8 § 1 de la Convention.

4. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que les tribunaux ont enfreint le principe de l’équité du procès en appréciant les preuves d’une manière univoque, contraire à la réalité objective et favorable aux défendeurs. Selon le requérant, l’équité du procès a été également violée par la manière d’administrer les preuves, en refusant d’ordonner une expertise médicale et d’examiner en appel les nouvelles preuves qu’il avait présentées, au motif qu’elles constitueraient une modification de la demande, alors que celles-ci n’étaient présentées qu’à l’appui de la demande déjà introduite.

5. Enfin, invoquant l’article 17 de la Convention, le requérant se plaint qu’en violant ses droits garantis par la Constitution, les autorités lettonnes ont commis un abus de droit.

EN DROIT

1. Griefs tirés de l’article 8 de la Convention

Le requérant estime que le refus du Bureau de protection de la Constitution, de la Police d’Etat et de la Police de Sécurité de lui communiquer les raisons de son inclusion sur la liste des éventuels témoins, ainsi que le comportement des agents de police le 7 avril 1998, ont violé ses droits garantis par l’article 8 de la Convention. Pour autant qu’il est pertinent en l’espèce, cet article dispose :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...), de son domicile (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, (...) à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, (...) ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour constate que les griefs soulevés par le requérant sous l’angle de l’article 8 de la Convention portent sur deux droits distincts protégés par cette disposition. En conséquence, la Cour les examinera séparément.

a) Le droit au respect du domicile

Pour autant que le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect du domicile, la Cour constate d’emblée que les agents de police ont respecté son refus de les laisser entrer dans son appartement. S’il est vrai qu’un harcèlement angoissant de la part d’un tiers, rendant insupportables les conditions de résidence dans un local d’habitation, peut poser problème sous cet angle (cf. n° 20357/92, déc. 7.3.94, D.R. 76, p. 80), encore faut-il que la mesure critiquée atteigne un niveau minimum de gravité pour être qualifiée d’ingérence de l’article 8 § 1 de la Convention (cf., mutatis mutandis, n° 24967/94, déc. 20.2.95, D.R. 80, p. 175 ; n° 28204/95, déc. 4.12.95, D.R. 83, p. 112). Dans le cas d’espèce, et à supposer même que les agents de police aient effectivement menacé de briser la porte de l’appartement du requérant, la Cour note qu’aucune tentative d’y pénétrer de force n’a été commise, et qu’au surplus, cette menace n’a revêtu qu’un caractère incident. Par conséquent, même si un tel comportement de la police peut s’avérer discutable du point de vue de la déontologie du service public, la Cour estime qu’il n’atteint pas un niveau de gravité tel qu’il puisse constituer une atteinte au domicile au sens de l’article 8 de la Convention. Il n’y a donc eu aucune ingérence dans l’exercice, par le requérant, de son droit au respect du domicile.

Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b) Le droit au respect de la vie privée

Pour ce qui est du grief du requérant portant sur le refus des autorités lettonnes de lui communiquer les raisons de son inclusion sur la liste d’éventuels témoins, la Cour rappelle que la mémorisation et la conservation par une autorité publique de données relatives à la vie privée d’un individu, assortie du refus de lui accorder la faculté de les consulter et les réfuter, constitue incontestablement une ingérence dans son droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention (cf. arrêts Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 22, § 48, Amann c. Suisse [GC], n° 27798/95, 16.2.2000, §§ 69-70, et Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, 4.5.2000, § 46). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur la compatibilité de cette ingérence avec les exigences de l’article 8 § 2 de la Convention, ce grief étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons suivantes.

La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement, par le requérant, des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus. Cependant, l’article 35 § 1 exige l’épuisement des seuls recours effectifs et adéquats, c’est-à-dire de nature à porter remède aux griefs soulevés (cf., par exemple, arrêt Remli c. France du 24 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 571, § 33).

Dans la présente affaire, la Cour constate que le requérant a saisi les tribunaux d’une demande civile fondée sur l’article 2352-a du code civil letton, prévoyant une réparation pécuniaire du préjudice causé par une atteinte illicite à l’honneur et à la réputation d’autrui. Elle constate également que cet article confère à la victime d’une telle atteinte le droit à une réparation pécuniaire, mais ne contient aucune clause autorisant le juge à prononcer des injonctions à l’égard de l’autorité publique, telle une injonction de communiquer des informations. Par conséquent, à supposer même que l’action engagée par le requérant ait eu une issue favorable pour lui, une indemnisation pour préjudice moral n’aurait pas constitué une mesure suffisante au regard de l’obligation incombant à l’Etat de lui permettre d’avoir accès aux données le concernant (cf., mutatis mutandis, arrêt Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, p. 508, § 37). Partant, la procédure engagée par le requérant devant les juridictions internes ne constituait pas un recours efficace et adéquat au sens de l’article 35 § 1.

Cela étant, la Cour note que l’article 239-1 du code letton de procédure civile confère aux particuliers le droit de saisir les tribunaux d’un recours contre les actes des autorités administratives, lorsque la personne concernée s’estime lésée par les décisions ou le comportement de celles-ci. Aux termes de l’article 239-7 du même code, le tribunal, constatant l’illégalité d’un tel comportement, peut enjoindre à l’administration de mettre fin à la violation commise. La Cour estime donc que cette procédure était susceptible de redresser le grief soulevé par le requérant au regard de son droit au respect de la vie privée. Toutefois, elle constate que le requérant n’a pas tenté ce recours, ni n’a présenté des arguments quelconques sur sa prétendue inefficacité. A cet égard, la Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier sa non-utilisation (cf. arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 du septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 71).

Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Grief tiré de l’article 10 de la Convention

Le requérant se plaint également que le refus de lui révéler les données conservées par les organes de sécurité et concernant sa vie privée, s’analyse en une violation de son droit de recevoir des informations, garanti par l’article 10 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées:

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend (...) la liberté de recevoir ou de communiquer des informations (...) sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (...). (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

La Cour renvoie à sa conclusion quant au non-respect, par le requérant, de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes (cf. supra). Par conséquent, le grief tiré de l’article 10 de la Convention portant sur les mêmes faits que le grief relatif au respect de la vie privée du requérant, la Cour parvient à la même conclusion. Ce grief doit donc également être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. Grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention

Le requérant se plaint également de l’absence d’un recours interne susceptible de protéger, d’une manière effective, son droit au respect du domicile. A cet égard, il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

La Cour rappelle que le droit garanti par l’article 13 de la Convention ne peut être exercé que pour un grief défendable, c’est-à-dire ne manquant pas totalement de fondement et posant à première vue un problème au regard de la Convention (cf., parmi beaucoup d’autres, arrêt Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III, p. 1017, § 64, et Vermeersch c. France (déc.), n° 39277/98, 30.1.2001). Or en l’espèce, la Cour vient de constater que le requérant n’a subi aucune atteinte à son domicile au sens de l’article 8 de la Convention, et que son grief soulevé sous cet angle est dénué de fondement. Le grief fondé sur l’article 13 doit donc également être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention

Le requérant critique la manière dont les juridictions internes ont examiné sa cause. Selon lui, les tribunaux ont administré et apprécié les preuves d’une manière partiale, favorable à la partie adverse. En particulier, le requérant se plaint que, lors de l’examen de son appel, la cour régionale de Riga a rejeté sa demande de joindre au dossier des copies des articles ayant paru dans les journaux et constituant des preuves à l’appui de sa demande. Le requérant s’estime victime d’une violation du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

La Cour rappelle qu’elle a pour seule tâche, conformément à l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. En particulier, elle n’est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, ou pour substituer sa propre appréciation à celle des juridictions nationales, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d’avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention (cf., par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, §§ 28-29 CEDH 1999-I).

Dans le cas d’espèce, la Cour relève que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire devant les juridictions de première instance et d’appel. De même, il a pu présenter aux tribunaux les arguments qu’il jugeait pertinents pour la défense de sa cause et qui ont été effectivement examinés par le juge. Au surplus, les juridictions nationales n’ont mis aucun obstacle à ce que le requérant puisse contrer les arguments de la partie adverse. Enfin, la Cour constate que les décisions critiquées des tribunaux de première instance et d’appel ont été suffisamment motivées par des considérations tant de fait que de droit.

Pour ce qui est du refus de la juridiction d’appel d’ordonner une expertise psychiatrique et de joindre au dossier les copies des publications présentées par le requérant, la Cour rappelle que la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel, qu’il s’agisse de leur admissibilité ou de leur appréciation, et qu’il revient aux juridictions internes d’apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production (cf., notamment, arrêt Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, p. 436, § 34, ainsi que García Ruiz précité, § 28). Dans le cas d’espèce, la Cour estime que le rejet de ces deux demandes a été motivé respectivement par l’absence de toute responsabilité délictuelle de la police, rendant inutile un examen des répercussions des faits critiqués sur la santé du requérant, et par l’impertinence du contenu des publications en question au regard de l’objet du litige. Aux yeux de la Cour, cette motivation ne paraît ni arbitraire ni même déraisonnable.

Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que, considérée dans son ensemble, la procédure suivie par le requérant a revêtu un caractère équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, et que ce grief doit donc être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

5. Grief tiré de l’article 17 de la Convention

Le requérant soutient qu’en violant ses droits garantis par la Convention, la Lettonie a commis un abus de droit prohibé par l’article 17 de la Convention, ainsi libellé :

« Aucune des dispositions de la (...) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la (...) Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à [la] Convention. »

La Cour relève toutefois que rien dans la présente affaire ne montre que les autorités lettonnes se seraient prévalues de la Convention pour se livrer à une activité ou pour accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qu’elle reconnaît. Il s’ensuit que ce grief doit lui aussi être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Erik Fribergh Christos Rozakis
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code civil
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CEDH, Cour (deuxième section), BIRZNIEKS c. la LETTONIE, 23 octobre 2001, 56930/00