CEDH, Cour (deuxième section), GOLETTO c. la FRANCE, 12 mars 2002, 54596/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 12 mars 2002, n° 54596/00
Numéro(s) : 54596/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 6 avril 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Fredin c. Suède (n° 1) du 18 février 1991, série A n° 192, p. 17, § 51
Arrêt Les Saints Monastères c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-A, § 71
Arrêt Phocas c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, § 53
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-43356
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2002:0312DEC005459600
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 54596/00
présentée par Louis et Hélène GOLETTO
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 12 mars 2002 en une chambre composée de

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 6 avril 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les circonstances de la cause

Les requérants, Louis et  Hélène Goletto, sont des ressortissants français résidant à Cabasse. Ils assurent eux-mêmes la défense de leurs intérêts devant la Cour.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les requérants sont propriétaires d’un terrain situé sur le territoire de la Commune de Cabasse. En 1986, ils décidèrent de procéder à un échange de parcelles avec leur voisine ; celle-ci conclut avec eux un accord à cette fin, sous la condition suspensive de pouvoir effectivement construire sur ledit terrain. En conséquence, le 2 décembre 1986, les requérants formulèrent une demande de certificat d’urbanisme. 

Le plan d’occupation des sols (« POS ») de la Commune de Cabasse fut rendu public le 27 octobre 1986.

Le 23 janvier 1987, la direction départementale de l’Equipement délivra aux requérants un certificat d’urbanisme assorti d’une réserve indiquant que le projet de POS prévoyait la classification d’une partie du terrain litigieux en zone ND (zone à protéger en raison de l’existence de risques ou de nuisances, ou de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique).

L’enquête publique eut lieu du 2 mars au 1er avril 1987, et le POS fut approuvé le 26 juin 1987 par le Conseil municipal.

Le 27 juin 1988, les requérants saisirent le tribunal administratif de Nice d’une demande tendant à l’annulation du POS en tant qu’il classait leur terrain en zone ND alors que ce terrain était auparavant constructible ainsi qu’à l’annulation du certificat d’urbanisme, et à la condamnation de la Commune et de l’Etat à réparer leur préjudice.

Le 20 décembre 1990, les requérants adressèrent au maire de Cabasse une demande préalable d’indemnisation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi du fait de la délibération du 26 juin 1987. Le maire n’ayant pas répondu, ils saisirent, le tribunal administratif de Nice, le 21 juin 1991, d’une requête tendant à l’annulation de sa décision implicite de rejet.

Par un jugement du 8 octobre 1992, le tribunal administratif de Nice joignit les requêtes et les rejeta.

Le 10 décembre 1992, les requérants déposèrent devant le Conseil d’Etat, une déclaration « d’appel à titre conservatoire » ainsi qu’une demande d’aide juridictionnelle. La décision du bureau d’aide juridictionnelle leur fut notifiée le 23 juin 1993.

Les requérants déposèrent leur mémoire ampliatif le 1er octobre 1993.

Le 7 avril 1999, le Conseil d’Etat rejeta leur requête par un arrêt ainsi libellé :

« (...)

Considérant que  [les requérants] critiquent le jugement attaqué (...) pour n’avoir pas écarté l’application de [l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme], au motif qu’[il] serai[t] incompatibl[e] avec l’article 1er du Protocole (...) ;

Considérant que si ces stipulations ont pour objet d’assurer un juste équilibre entre l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, elles laissent au législateur une marge d’appréciation étendue, en particulier pour mener une  politique d’urbanisme, tant pour choisir les modalités de mise en œuvre d’une telle politique que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre les objectifs poursuivis par la loi ;

Considérant, d’une part, que l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme subordonne le principe qu’il édicte de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme à la condition que celles-ci aient été instituées légalement, aux fins de mener une politique d’urbanisme conforme à l’intérêt général et dans le respect des règles de compétence, de procédure et de forme prévues par la loi ; que, d’autre part, cet article ne pose pas un principe général et absolu, mais l’assortit expressément de deux exceptions touchant aux droits acquis par les propriétaires et à la modification de l’état antérieur des lieux ; qu’enfin, le même article ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en œuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ; que, dans ces conditions, [les requérants] ne sont pas fondés à soutenir que l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme serait incompatible avec les stipulations de l’article 1er du Protocole (...) ;

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le classement en zone ND de la parcelle (...) appartenant [aux requérants] porterait atteinte à des droits acquis, ni que, par son contenu ou par les conditions dans lesquelles il a été prononcé, il ferait peser sur les intéressés une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec les justifications d’intérêt général sur lesquelles repose le plan d’occupation des sols approuvés (...) ; que, par suite, c’est par une exacte qualification des faits de la cause (...) que le tribunal administratif de Nice a jugé que [les requérants] n’avaient pas droit à indemnité ;

(...) »

2. Le droit interne pertinent

Article L. 160-5 du code de l’urbanisme :

« N’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d’hygiène et d’esthétique ou pour d’autres objets et concernant, notamment, l’utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l’interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones.

   Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d’occupation des sols rendu public ou du plan local d’urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu. »


GRIEFS

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants dénoncent une violation de leur droit à un procès équitable résultant du fait que le Conseil d’Etat « a statué au contentieux alors que, en sa qualité de juge en cassation, il était saisi d’un pourvoi en cassation ».

Sur le fondement de cette même disposition, les requérants se plaignent de la durée de la procédure.

Invoquant l’article 1 du Protocole n° 1, les requérants dénoncent une violation de leur droit au respect de leur bien, résultant de l’absence d’indemnisation  du classement de leur terrain en zone inconstructible.

EN DROIT

1. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur pour observations écrites conformément à l’article 54 § 3 b) de son règlement.

2. Sur le fondement de cette même disposition, les requérants dénoncent une violation de leur droit à un procès équitable résultant du fait que le Conseil d’Etat « a statué au contentieux alors que, en sa qualité de juge en cassation, il était saisi d’un pourvoi en cassation ».

La Cour ne relève dans les allégations des requérants aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 

3. Les requérants dénoncent enfin une violation de leur droit au respect de leur bien, résultant du classement de leur terrain en zone inconstructible. Ils soulignent qu’ils ne purent en conséquence procéder à l’échange de parcelles qu’ils avaient prévu et se plaignent du rejet de leur demande d’indemnisation. Ils invoquent l’article 1 du Protocole n° 1, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

La Cour constate qu’en vertu du POS approuvé le 26 juin 1987 par la Commune de Cabasse, le terrain litigieux dont les requérants sont propriétaire se trouve classé en une zone inconstructible, alors qu’antérieurement, il ne tombait pas sous le coup d’une prescription générale de cette nature. Cela limite l’usage de leur propriété, laquelle s’en trouve vraisemblablement dépréciée et plus difficilement aliénable. Il s’agit donc sans aucun doute d’une ingérence dans leur droit au respect de leur bien, relevant de la « réglementation de l’usage des biens » au sens du second paragraphe de l’article 1 du Protocole n° 1.

Les requérants ne contestent pas devant la Cour la légalité de cette ingérence. Ils ne soutiennent pas davantage qu’elle ne relevait pas de l’intérêt général. La Cour constate au demeurant que ladite ingérence résulte d’une planification dont l’objet est la maîtrise de l’urbanisation. Rappelant que les Etats contractants jouissent d’une grande marge d’appréciation pour mener leur politique d’urbanisme, la Cour tient pour établi qu’elle répondait aux exigences de l’intérêt général (arrêt Phocas c. France du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, § 55).

Reste à déterminer si l’ingérence incriminée ménage un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux des requérants : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. A cet égard, la Cour rappelle qu’en contrôlant le respect de cette exigence, elle reconnaît à l’Etat une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (arrêt Fredin c. Suède (n° 1) du 18 février 1991, série A n° 192, p. 17, § 51).

Selon la Cour, si une privation de propriété sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien dont il est question constitue normalement une atteinte excessive (voir, par exemple, l’arrêt Saints Monastères c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-A, § 71), l’on ne saurait déduire de l’article 1 du Protocole n° 1 un principe général selon lequel toute ingérence dans le droit qu’il garantit doit être indemnisée. Or, en l’espèce, d’une part, les requérants n’ont pas été privés de leur bien. D’autre part, avant l’entrée en vigueur du POS, la constructibilité du terrain litigieux était soumise aux règles générales d’urbanisme  ; en particulier, les requérants ne pouvaient y procéder à des travaux de construction sans autorisation. A défaut de l’obtention préalable d’une telle autorisation, les requérants ne peuvent se prévaloir d’un droit acquis à cet égard, dont ils auraient ensuite été privés du fait de l’entrée en vigueur du POS. Constatant en outre que les requérants n’ont pas été privés de la jouissance de l’essentiel des attributs de leur droit de propriété, la Cour déduit de ce qui précède que l’inscription dudit terrain en zone inconstructible sans indemnisation n’est pas constitutive, pour les requérants, d’une charge exorbitante, disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief des requérants tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à la durée de la procédure ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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