CEDH, Cour (deuxième section), MIRAILLES c. la FRANCE, 23 septembre 2003, 63156/00

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 23 septembre 2003

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 23 sept. 2003, n° 63156/00
Numéro(s) : 63156/00
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2003-XI (extraits)
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 avril 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 105, CEDH 2000-I
Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 38
Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, § 36
Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no 198, § 27
Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21, § 31
Van der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, p. 23, § 48
Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 23, § 51
Lutz c. France, no 48215/99, § 20, 26 mars 2002
Malve c. France (déc.), n° 46051/99, 20 mars 2001
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V
Stretch c. Royaume Uni, no 44277/98, §§ 32-35, 24 juin 2003
Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), n° 44952/98, 44953/98, 7 novembre 2000
Zutter c. France (déc.), n° 30197/96, 27 juin 2000
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44429
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0923DEC006315600
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 63156/00
présentée par Robert MIRAILLES
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 23 septembre 2003 en une chambre composée de

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de M.T.L. Early, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 avril 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Robert Mirailles, est un agent immobilier, ressortissant français né en 1941 et résidant à Marseille. Il est représenté devant la Cour par Me Delattre, avocat au barreau de Strasbourg. Le Gouvernement défendeur est représenté par M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Selon acte authentique du 6 juin 1983, la Compagnie des Salins du Midi signa une promesse synallagmatique de vente au profit du requérant portant sur des terrains, à Hyères, avoisinant l’aéroport d’une superficie d’environ 12,5 hectares, en vue de la création d’un parc résidentiel de loisirs. Les conditions suspensives de cette promesse de vente étaient au nombre de trois : que les collectivités publiques bénéficiant d’un droit de préemption n’exercent pas ce droit, que l’acquéreur obtienne toutes les autorisations et accords administratifs nécessaires pour la création d’un groupe d’habitations légères de loisirs sur l’ensemble immobilier et que l’acquéreur obtienne le financement de cette opération d’acquisition à hauteur de 70 % du prix d’acquisition et des frais. Ces conditions suspensives devaient être réalisées au plus tard le 15 octobre 1983.

Pour valider cette promesse, un premier règlement de 250 000 F fut versé, le solde devant être payé à la conclusion d’un acte authentique.

Le 10 juin 1983, un certificat d’urbanisme positif fut délivré au requérant, certificat renouvelé le 27 décembre 1983.

Par une lettre du 3 octobre 1983, le maire informa le requérant qu’il était favorable au projet et mentionna quelques modifications nécessaires. Il spécifia « ce projet devra respecter les dispositions du plan d’occupation des sols de la commune et les dispositions prévues dans le cadre des zones d’aménagement concerté ».

A la date du 15 octobre 1983, la seconde des trois conditions suspensives n’était pas réalisée.

Le 20 janvier 1984, donc après la date du 15 octobre 1983 fixée dans la promesse de vente initiale, le maire de la commune indiqua au requérant qu’il était d’accord pour créer une zone d’aménagement concerté (ZAC) afin que le projet puisse être réalisé. Il confirma cet accord le 27 avril 1984.

Le 20 décembre 1984, le conseil municipal accepta le projet de ZAC.

Une collaboration étroite et régulière s’installa entre le requérant et la commune.

Le 11 juillet 1985, une loi relative à l’urbanisation au voisinage des aérodromes entra en vigueur. Le 18 juillet 1985, une loi relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement entra en vigueur, elle fut complétée par un décret d’application du 14 mars 1986.

Le 19 juillet 1985, intervint un avenant à la promesse de vente du 6 juin 1983.

Les 19, 20 et 21 décembre 1985, le projet de ZAC fut soumis à enquête publique.

Le 2 avril 1986, le maire écrivit en ces termes au requérant :

« J’ai l’honneur de vous informer (...) que compte tenu de l’entrée en vigueur du décret modifiant la procédure en matière de ZAC, il me paraît désormais exclu que votre dossier puisse faire l’objet d’une procédure conjointe de création-réalisation.

Conformément aux nouveaux textes, c’est une délibération du Conseil municipal qui crée la ZAC au vu d’un dossier de création comprenant un rapport de présentation, une étude d’impact, un plan de situation et un plan périmètre de la ZAC.

(...) Je ne peux que vous inviter à constituer, au plus tôt, le dossier nécessaire et à fournir tous les éléments qui vous ont été demandés (...) »

Le 5 mai 1986, une seconde promesse de vente complétant la promesse initiale et portant sur une autre parcelle de terrain fut signée entre la Compagnie des Salins du Midi et le requérant. Cette promesse de vente fut soumise aux mêmes conditions suspensives que la première, y étant ajoutée la réalisation de la première vente. Ces conditions devaient être réalisées au 31 mars 1986, soit à une date antérieure à la seconde promesse de vente, mais postérieure à la première, sauf en ce qui concerne les autorisations administratives pour l’obtention desquelles la date limite était fixée au 30 juin 1986. Un versement de 71 000 F fut effectué, le solde devant être versé à la signature de l’acte authentique.

Le 12 mai 1986, l’entier dossier du projet fut déposé à la mairie.

Le 16 mai 1986, le maire confirma à la Compagnie des Salins du Midi que la création de la ZAC serait instruite selon la procédure mise en place par la loi du 18 juillet 1985 et son décret d’application du 14 mars 1986. Cette lettre fut transmise au requérant le 27 mai 1986.

Par délibération du 30 mai 1986, le conseil municipal décida la création de la ZAC des Salins. Dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet l’invita à retirer sa délibération et « à rendre les dispositions du plan d’occupation des sols de la commune compatibles avec les prescriptions de la loi du 11 juillet 1985 ».

Une révision du plan d’occupation des sols fut arrêtée le 26 juin 1986.

Le 30 juin 1986, la condition suspensive relative aux autorisations administratives nécessaires ne se trouvait donc pas réalisée.

Le 2 août 1986, le requérant écrivit au maire pour se plaindre du lourd préjudice financier qu’il avait subi dans ce dossier, notamment en raison de l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1985. Il se plaignait du fait qu’aucun représentant de la mairie ne lui avait jamais parlé d’éventuels obstacles à son projet.

Le 14 août 1986, le préfet saisit le tribunal administratif de Nice en raison de l’illégalité de la délibération du 30 mai 1986. Le requérant en fut informé le 15 septembre 1986.

Le 3 octobre 1986, le conseil municipal retira cette délibération litigieuse et le préfet se désista de son recours.

Dans son courrier informant le requérant de ce retrait, le maire affirma :

« tel qu’il est présenté aujourd’hui, le dossier ne nous paraît pas susceptible d’éviter la censure du tribunal (...) Lors d’une prochaine séance, je proposerai au conseil municipal une nouvelle délibération de création qui s’appuiera sur un dossier solide ».

Par lettre du 9 octobre 1986, la Compagnie des Salins du Midi exprima ses doutes au requérant, « il semble que le projet de création de zone d’aménagement concerté, portant sur l’ensemble des [terrains en cause] soit caduc dans la mesure où toute construction d’habitation, même temporaire, aurait été réfutée par l’administration » et sollicita son opinion.

Le 24 octobre 1986, à la demande de la Compagnie des Salins du Midi, le maire remit en cause l’opportunité de l’opération. Dans sa lettre, le maire l’informa que le projet

« s’était heurté à certaines difficultés dans le déroulement de la procédure de ZAC. En effet, le plan d’exposition au bruit de l’aérodrome a classé ces terrains en zone de bruit B. L’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1985 sur l’urbanisation à proximité des aérodromes a entraîné de la part des services de l’État une prise de position telle qu’elle est de nature à remettre en cause l’opportunité de l’opération ».

Le 27 décembre 1986, le requérant fit un nouvel investissement de 320 000 F.

Par une délibération du 25 juin 1987, le conseil municipal approuva la révision du plan d’occupation des sols (le « POS II ») qui plaçait le terrain d’assiette du projet dans une zone où les opérations devaient se réaliser dans le cadre d’une ZAC ou sous forme d’opération d’aménagement dans le cadre d’une loi du 18 juillet 1985.

Le 17 novembre 1987, la Compagnie des salins du Midi et le requérant conclurent un avenant à la promesse de vente du 6 juin 1983 complétée par celle du 5 mai 1986, stipulant notamment

« ladite vente se réalisera si toutes les autorisations et accords administratifs nécessaires pour la création d’un complexe sous forme d’opérations et d’aménagements dans le cadre de la loi (...) du 18 juillet 1985 sont obtenues ; dans ce cas, le règlement de la zone UI sera applicable (...) procédure que [le requérant] préconise sauf si la municipalité d’Hyères demandait le traitement de cette zone selon une procédure différente pour obtenir ces autorisations. La date limite de la durée de la condition suspensive ci-dessus fixée est reportée (...) au 30 avril 1988. »

Le 20 novembre 1987, une nouvelle réunion eut lieu en vue du dépôt d’un nouveau dossier se fondant sur l’une ou l’autre des procédures.

Dans sa séance du 4 décembre 1987, le conseil municipal souhaita reprendre le projet et organisa de nouvelles mesures de concertation du 22 février au 11 mars 1988. Le 30 mars 1988, un calendrier sur la procédure de réalisation du projet fut arrêté. Le 29 avril 1988, le maire informa le requérant que le POS II avait été annulé par le tribunal administratif et qu’aucune suite ne serait donnée au projet.

Le 30 avril 1988, la condition suspensive relative aux autorisations administratives nécessaires ne se trouvait toujours pas réalisée.

Le 19 avril 1991, le requérant adressa une réclamation préalable indemnitaire au maire. Il reprochait à la commune ses encouragements postérieurs à la loi du 11 juillet 1985 et les erreurs commises dans la procédure de prise des délibérations des 30 mai 1986 et 25 juin 1987, et sollicitait une indemnisation.

Suite à la décision implicite de rejet de cette demande d’indemnisation, le requérant introduisit, le 3 octobre 1991, un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif.

Il déposa en même temps une requête en référé qui fut communiquée à la partie adverse le 10 octobre 1991. Après réception des mémoires du défendeur et du requérant, respectivement les 4 et 21 octobre, la demande fut rejetée par une ordonnance en référé du 22 novembre 1991, notifiée le 27 novembre 1991.

Dans l’affaire au principal, la requête fut communiquée à la commune d’Hyères le 21 octobre 1991 ; celle-ci répondit le 29 octobre 1991 par un mémoire transmis au requérant le 16 janvier 1992. Ce dernier déposa un mémoire le 17 février 1992, communiqué à la commune le 1er avril 1992. Le 26 juin 1992, elle fit parvenir au tribunal des pièces complémentaires, communiquées au requérant le 15 décembre 1992, et déposa un mémoire en duplique le 2 juillet 1993. Il fut communiqué au requérant le 9 juillet 1993.

Le 8 mars 1996, une ordonnance de clôture de l’instruction au 28 mars 1996 fut rendue et le tribunal tint audience le 3 avril 1996.

Par jugement du 18 avril 1996, notifiée le 15 juillet 1996, le tribunal administratif rejeta la demande du requérant. Il releva notamment que le requérant n’avait aucun lien contractuel avec la commune, que l’annulation de la délibération POS II n’avait pas modifié la classification du secteur en cause, que la commune n’avait pris aucun engagement précis quant à la création de la ZAC et qu’en tout état de cause, le préjudice invoqué par le requérant était soit non justifié, soit purement éventuel.

Le 9 septembre 1996, le requérant fit appel de ce jugement. Le 30 septembre 1996, un rapporteur fut désigné. L’appel fut communiqué à la commune le 10 octobre 1996. Le 22 janvier 1997, elle fut mise en demeure de conclure avant le 17 février 1997, ce qu’elle fit à cette dernière date. Le requérant répondit à ce mémoire le 21 février et la commune déposa un nouveau mémoire le 15 juillet 1997. 

Par ordonnance du 29 août 1997, la cour administrative d’appel de Lyon transmit la requête à la cour administrative d’appel de Marseille.

Le 5 septembre 1997, le requérant déposa de nouvelles observations en réplique et un mémoire de production de pièces, le 10 septembre 1997.

Un rapporteur fut désigné le 16 octobre 1998 et la cour administrative d’appel confirma le jugement attaqué par un arrêt du 10 novembre 1998.

Le 8 janvier 1998, le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Il déposa un mémoire complémentaire le 10 mai 1999.

Par une décision du 8 octobre 1999, notifiée le 22 octobre 1999, le Conseil d’État déclara le pourvoi du requérant non-admis, aucun des moyens n’étant de nature à permettre son admission.

B.  Le droit interne pertinent

Article 1181 du code civil :

« L’obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties.

Dans le premier cas, l’obligation ne peut être exécutée qu’après l’événement.

Dans le second cas, l’obligation a son effet du jour où elle a été contractée. »

Article 1182 du code civil :

« Lorsque l’obligation a été contractée sous une condition suspensive, la chose qui fait la matière de la convention demeure aux risques du débiteur qui ne s’est obligé de la livrer que dans le cas de l’événement de la condition.

Si la chose est entièrement périe sans la faute du débiteur, l’obligation est éteinte.

Si la chose s’est détériorée sans la faute du débiteur, le créancier a le choix ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état où elle se trouve, sans diminution du prix.

Si la chose s’est détériorée par la faute du débiteur, le créancier a le droit ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état où elle se trouve, avec des dommages et intérêts. »

Article 1589 du Code civil

« La promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.

Si cette promesse s’applique à des terrains déjà lotis ou à lotir, son acceptation et la convention qui en résultera s’établiront par le paiement d’un acompte sur le prix, quel que soit le nom donné à cet acompte, et par la prise de possession du terrain.

La date de la convention, même régularisée ultérieurement, sera celle du versement du premier acompte. »

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure devant les juridictions administratives.

2.  Invoquant l’article 1 du Protocole No1, le requérant estime que le fait pour la commune de l’encourager dans son projet postérieurement à la loi du 11 juillet 1985, ainsi que les illégalités commises par le conseil municipal dans la prise des délibérations des 30 mai 1986 et 25 juin 1987, lui ont fait acquérir des terrains dans l’unique but de construire un complexe d’habitations légères de loisirs, alors qu’un tel projet n’était légalement plus possible et lui ont fait perdre des sommes d’argent importantes. Il se plaint d’une atteinte à ses biens en raison de l’attitude fautive de la commune d’Hyères dans le traitement de son projet immobilier.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure devant les juridictions administratives et invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention

A titre principal, le Gouvernement estime que la contestation du requérant porte en réalité sur le comportement de la commune en tant que prescripteur de règles d’urbanisme, qui, régissant le droit de construire, sont édictées de façon unilatérale par les pouvoirs publics, en vue d’assurer la satisfaction de l’intérêt général. Il considère en conséquence qu’elles sont fortement marquées de l’empreinte du droit public et ne peuvent être considérées comme relatives à des « droits et obligations de caractère civil », même si elles affectent l’usage qui peut être fait de biens immeubles.

Le Gouvernement ajoute que l’évocation puis l’abandon du projet de ZAC, par la commune, répondait à des considérations d’intérêt général. Il souligne, ensuite, que le requérant ne se plaint pas de l’intervention d’une décision qui changeait sa situation de fait et de droit, mais du fait que la commune n’aurait pas entrepris la création d’une ZAC qui lui aurait été promise, c’est pourquoi, devant les juridictions internes, le requérant n’avait pas la possibilité d’intenter un recours en annulation, mais seul un recours en responsabilité pour faute lui était ouvert.

Le Gouvernement estime donc que l’article 6 § 1 de la Convention est inapplicable ratione materiae au présent litige.

Le requérant expose que ses revendications ont été considérées comme sérieuses par les juridictions internes et examinées comme telles, que son action avait un objet patrimonial et conteste l’affirmation du Gouvernement selon laquelle aucun lien précis ne se serait créé entre lui et la commune d’Hyères. Il ajoute que la procédure interne ne portait pas sur l’abstention de créer une ZAC mais sur les pertes qu’il a subies du fait des encouragements caractérisés par des attitudes et des décisions positives à son égard prises par la commune, alors que cette dernière ne devait rien ignorer de l’impossibilité de réaliser le projet. Cette série d’actes serait à l’origine d’une modification de sa situation et d’un préjudice patrimonial. Il estime en conséquence que l’article 6 § 1 de la Convention est applicable en l’espèce.

La Cour constate que la procédure litigieuse en l’espèce portait sur l’engagement, ou non, de la responsabilité pour faute de la commune d’Hyères, en raison de l’attitude que cette dernière a adoptée dans la préparation et la mise en œuvre d’un projet d’aménagement. Elle constate également que le requérant s’est exclusivement placé sur le terrain de la responsabilité et a sollicité la réparation du préjudice matériel qu’il a subi.

La Cour rappelle que la notion de « droits et obligations de caractère civil » ne doit pas s’interpréter par simple renvoi au droit interne de l’État défendeur et que l’article 6 § 1 s’applique indépendamment de la qualité, publique ou privée, des parties comme de la nature de la loi régissant la « contestation » : il suffit que l’issue de la procédure soit déterminante pour des droits et obligations de caractère privé.

Or, en raison de la finalité de l’action du requérant, il en va ainsi en l’espèce. L’article 6 § 1 de la Convention trouve, dès lors, à s’appliquer.

B.  Sur l’épuisement des voies de recours internes

A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que le requérant disposait en droit interne d’un recours efficace permettant de dénoncer la durée de la procédure et d’obtenir réparation. Il expose qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat (Darmont, Assemblée, 29 décembre 1978, Rec. p. 542) qu’une faute lourde commise par une juridiction administrative dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, est susceptible d’engager sa responsabilité. Il se réfère à deux jugements prononcés en 1999 par le tribunal administratif de Paris (Magiera, 24 juin 1999 ; Lévy, 30 septembre 1999) qui indiqueraient que la durée d’une procédure est susceptible de mettre cette responsabilité en jeu. Le Gouvernement tend ensuite à démontrer que la jurisprudence Magiera satisfait aux mêmes objectifs que la loi Pinto (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX) et explique que le recours interne dont l’effectivité a été reconnue par l’affaire Magiera n’est soumis qu’à la prescription quadriennale et, qu’en l’espèce, la décision interne définitive ayant été rendue le 8 octobre 1999, le requérant peut encore introduire un tel recours devant les juridictions administratives.

Le Gouvernement en déduit que, n’ayant pas usé préalablement de ce recours, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention ; le grief serait en conséquence irrecevable.

Le requérant conteste n’avoir pas épuisé les voies de recours internes.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes : tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (voir, par exemple, l’arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A no 200, § 36). Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no 198, § 27, et Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, § 38).

A cela, il faut ajouter que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour (voir, par exemple, Zutter c. France, (déc.), no 30197/96, du 27 juin 2000, Van der Kar et Lissaur van West c. France, (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, du 7 novembre 2000, et Malve c. France, (déc.), no 46051/99, du 20 janvier 2001) soit, en l’espèce, le 20 avril 2000.

Or, seules deux des décisions internes auxquelles se réfère le Gouvernement sont antérieures à cette date. Il s’agit des jugements du tribunal administratif de Paris des 24 juin et 30 septembre 1999, lesquels se bornent à indiquer ce qui suit (respectivement) :

« considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. Magiera ait subi un préjudice indemnisable ; qu’en effet, le préjudice invoqué n’est établi ni dans sa réalité, ni dans son montant ; que, dès lors, les conclusions de la requête tendant à l’octroi d’une indemnité ne peuvent qu’être rejetées » ;

« considérant (...) que le requérant n’établit pas que le délai anormalement long mis par le tribunal administratif de Versailles pour juger son recours fiscal résulterait d’une faute lourde dans le fonctionnement de cette juridiction administrative. »

Ils ne suffisent manifestement pas à faire la démonstration du caractère effectif et accessible de la voie de recours invoquée s’agissant d’un grief tiré de la durée d’une procédure devant le juge administratif, d’autant moins qu’ils émanent d’une juridiction de première instance (voir, mutatis mutandis, Lutz c. France, no 48215/99, arrêt du 26 mars 2002, § 20). Il ne saurait donc être reproché au requérant de ne pas avoir usé de ce recours.

Partant, il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

2.  Le requérant se plaint d’une atteinte à ses biens en raison de l’attitude fautive de la commune d’Hyères dans le traitement de son projet immobilier et invoque l’article 1 du Protocole No1, qui se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A titre principal, le Gouvernement rappelle que le requérant avait conclu, le 6 juin 1983, une promesse de vente, sous condition suspensive d’obtention des autorisations administratives nécessaires au 15 octobre 1983 (ce délai a été prolongé ultérieurement, d’abord au 30 juin 1986, ensuite et en dernier lieu au 30 avril 1988). Or, en l’espèce, la condition suspensive n’a jamais été remplie, la délibération portant création de la ZAC ayant été annulée ou en tout cas retirée.

Le Gouvernement explique qu’en vertu des articles 1181 et 1182 du code civil, la défaillance d’une condition suspensive a un effet rétroactif et que, notamment, lorsque la condition suspend le transfert d’un droit réel, le titulaire désigné n’est pas encore investi et l’« aliénateur » reste seul maître du droit. Il ajoute, qu’en l’espèce, la délibération créant une ZAC a été déférée au juge administratif par le préfet avant de devenir définitive. Elle ne peut donc être considérée comme ayant rempli la condition suspensive d’obtention des autorisations administratives nécessaires. La condition du contrat n’ayant pas été remplie, le contrat est réputé n’avoir jamais existé. Le Gouvernement en déduit que le requérant n’a jamais possédé de droit de propriété sur le terrain en cause.

A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que la situation du requérant est à distinguer des affaires où les requérants avaient connu une évolution de leur situation juridique du fait d’une réglementation nouvelle qui leur était préjudiciable et souligne que le requérant se plaint uniquement du comportement de la commune. Il estime, en conséquence, que le simple fait que la mairie se soit abstenue de l’informer de la promulgation de la loi du 11 juillet 1985 et des conséquences de celle-ci sur son projet ne saurait constituer une ingérence qui l’aurait conduit à immobiliser un capital pour « consolider » la promesse de vente et à investir des sommes importantes pour faire analyser et préparer les terrains.

Le requérant estime que les dispositions du droit interne relatives à la promesse synallagmatique de vente sont applicables en l’espèce et estime qu’elles tendent à donner à la promesse synallagmatique de vente la valeur d’une vente. Il souligne, également, que la condition suspensive accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté. Le requérant estime donc qu’il était titulaire de droits acquis sur le terrain et considère la délibération du 30 mai 1986, décidant la création de la ZAC, comme l’aboutissement des autorisations administratives, condition suspensive de la promesse de vente. Cette délibération ayant été annulée non en raison de la décision de créer la ZAC mais en raison du non respect par la commune de la législation dans sa gestion du POS, le requérant estime avoir eu des droits acquis sur le terrain dès le 30 mai 1986 et rétroactivement à compter du 6 juin 1983, date de la promesse de vente initiale. Il estime, de plus, que son analyse est confirmée par l’attitude de la commune suite au retrait de la délibération.

La Cour rappelle qu’un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportaient à ses « biens », au sens de cette disposition.

La notion de « biens », au sens de l’article 1 du Protocole no 1, recouvre des « biens actuels » (Van der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, p. 23, § 48), mais peut également recouvrir des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 23, § 51). Dans cette affaire, la Cour a jugé que la société requérante - qui avait acheté un domaine, et qui s’était fondée sur l’existence d’un certificat d’urbanisme positif, qui impliquait une approbation de son projet d’aménagement - avait pour le moins l’espérance légitime de pouvoir réaliser ce projet.

En l’espèce, la Cour note en premier lieu que l’achat des terrains par le requérant n’a jamais eu lieu. S’il est vrai, selon le droit interne, que la promesse de vente vaut vente, dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix, encore faut-il que les conditions suspensives qui assortissent la promesse soient réalisées (ou que les conditions résolutoires, s’il y a lieu, ne soient pas réalisées) ; or tel n’a pas été le cas en l’espèce pour la condition suspensive (d’ailleurs déterminante) relative à l’obtention par le futur acquéreur des autorisations administratives nécessaires.

En second lieu, et même en admettant que cette délibération puisse être regardée comme valant autorisation administrative, y compris quant aux immeubles que le requérant projetait de construire, la Cour constate que la délibération du conseil municipal en date du 30 mai 1986 a été retirée dans les délais requis et selon les formes légales. Elle ne peut, en conséquence, être considérée comme l’autorisation administrative remplissant la condition suspensive de la promesse de vente. Le droit de propriété sur les terrains en cause n’a donc jamais été transféré au requérant, ni à cette date, ni même plus tard, la dernière prorogation du délai pour la condition (le 30 avril 1988) n’ayant pas suffi à ce qu’elle soit remplie.

En conséquence, l’atteinte alléguée n’a pas été portée à des « biens actuels » du requérant.

Le Gouvernement ne se prononce pas sur le point de savoir si le requérant pouvait avoir une « espérance légitime » de voir son projet immobilier se réaliser.

Le requérant affirme, par contre, avoir investi de fortes sommes d’argent dans ce projet, d’une part, pour consolider le compromis de vente et, d’autre part, pour préparer le terrain et constituer le dossier à déposer en vue de l’adoption, par le conseil municipal, des décisions et autorisations nécessaires. Il affirme avoir investi de telles sommes en raison de l’attitude du maire qui le confortait dans son projet, l’encourageait à persévérer et lui laissait espérer légitimement une issue positive.

La Cour estime que plusieurs éléments du dossier témoignent de la persistance d’un doute sérieux quant à l’aboutissement du projet. En effet, malgré la collaboration étroite et régulière du requérant et de la commune, cette dernière lui a fait part, à plusieurs reprises, des difficultés que pourrait rencontrer le projet. De plus, le requérant s’est plaint, dès 1986, du lourd préjudice financier qu’il avait subi, notamment en raison de l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1985. Malgré cela, il a poursuivi ses investissements. Or, la Cour relève que le requérant est un professionnel de l’immobilier, qui a exposé des frais pour mettre en forme un projet de parc résidentiel de loisirs. Or, une telle activité comporte des risques dont un professionnel poursuivant un projet d’aménagement doit être conscient et qu’il se doit d’assumer. De plus, les investissements financiers du requérant poursuivaient un but économique, la réalisation de gains financiers futurs. Or, la Cour rappelle que le revenu futur ne peut être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il fait l’objet d’une créance certaine (Størksen c. Norvège, no 19819/92, décision de la Commission du 5 juillet 1994), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Finalement, la Cour estime qu’il y a une différence entre un simple espoir entretenu (à tort ou à raison) par l’attitude des autorités internes vis à vis d’un projet immobilier et une « espérance légitime », au sens de l’article 1 du Protocole no 1, qui doit être de nature plus concrète et se baser sur une disposition légale ou un acte juridique, telle une décision judiciaire définitive (voir Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21, § 31, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 105, CEDH 2000‑I  et Stretch c. Royaume-Uni, no 44277/98, §§ 32 à 35, 24 juin 2003,).

Du reste, il ne suffit évidemment pas qu’une personne considère qu’elle a subi un préjudice financier de la part d’une collectivité publique - ce que, en l’espèce, les juridictions internes n’ont d’ailleurs pas admis - pour que le préjudice allégué soit de nature à représenter une ingérence dans son droit de propriété, actuel ou potentiel, faute de quoi tout litige patrimonial pourrait être considéré comme entrant dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no1 ; une telle conception n’a jamais été admise par la Cour.

La Cour estime, dès lors, que l’espoir du requérant de voir son projet se réaliser, de devenir propriétaire des terrains et, en conséquence, de rentabiliser ses investissements en y construisant des immeubles, ne peut être considéré comme une forme d’ « espérance légitime » au sens de la jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole no 1. Elle en déduit que le requérant ne peut pas se prévaloir d’un « bien » tel qu’envisagé par l’article 1 du Protocole no 1 et que les faits invoqués échappent au champ d’application de cet article.

Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de la durée de la procédure ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

T.L. EarlyA.B. Baka
Greffier adjointPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n° 85-729 du 18 juillet 1985
  2. Code civil
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CEDH, Cour (deuxième section), MIRAILLES c. la FRANCE, 23 septembre 2003, 63156/00