CEDH, Cour (première section), NASTOU et AUTRES c. la GRECE, 10 juin 2004, 16163/02

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 10 juin 2004, n° 16163/02
Numéro(s) : 16163/02
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 12 avril 2002
Jurisprudence de Strasbourg : Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, ECHR 1999-VI Katikaridis et autres c. Grèce, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1686, § 35
Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, ECHR 1999-VI Katikaridis et autres c. Grèce, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1686, § 35
Nastou c. Grèce, no 51356/99, § 28, 16 janvier 2003
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-45097
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:0610DEC001616302
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 16163/02
présentée par Maria NASTOU et autres
contre la Grèce

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant le 10 juin 2004 en une chambre composée de :

MM.P. Lorenzen, président,
C.L. Rozakis,
G. Bonello,
A. Kovler,
V. Zagrebelsky,
MmeE. Steiner,
M.K. Hajiyev, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 12 avril 2002,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, Mmes Maria Nastou, Alexandra Nastou, Styliani Al. Nastou, Constantina Al. Nastou, Heleni Nastou et Styliani I. Nastou et M. Constantinos Nastos, sont des ressortissants grecs, nés respectivement en 1930, 1932, 1956, 1958, 1932, 1957 et 1959 et résidant à Athènes. Ils sont représentés devant la Cour par Mes N. Frangakis et G. Zacharopoulos, avocats au barreau d'Athènes. Le gouvernement défendeur était représenté par les délégués de son agent, M. M. Apessos, conseiller auprès du Conseil Juridique de l'Etat, et M. C. Georghiades, auditeur auprès du Conseil Juridique de l'Etat.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  La genèse de l'affaire

La présente affaire concerne un terrain situé dans la banlieue d'Athènes, connu sous le nom de « domaine Karras », dont la superficie initiale était de 12 000 000 m² approximativement. Au 19ème siècle, ce terrain appartenait à des ressortissants turcs de l'empire ottoman, qui l'ont par la suite vendu à deux ressortissants britanniques. En 1922, le terrain appartenait à Miltiadis Skoufis. A sa mort, sa veuve obtint l'autorisation du ministre de l'Agriculture (décision no 78592/28.10.1922) de vendre le terrain à Alexios C. Nastos, qui le louait depuis 1918 (bail no 36467/1918). Par acte notarial no 3611 du 3 décembre 1922, Alexios C. Nastos acheta le terrain. En 1924, il obtint l'autorisation du ministre de l'Agriculture de vendre une partie du terrain de 2 700 000 m² environ à la société Drandakis-Pagalos & Cie (décision no 14006/12.12.1924).

En 1929, Alexios C. Nastos décéda. Les biens faisant l'objet de sa succession, dont faisaient partie 9 372 000 m² du domaine Karras, ont été déclarés auprès du fisc et imposés à ce titre. Constantinos I. Nastos, son fils adoptif, hérita de son père les trois quarts du terrain. En 1938, la veuve de Alexios C. Nastos, après avoir obtenu l'autorisation du ministre de l'Agriculture (décision no 152783/21.11.1938), vendit à son fils adoptif le quart restant, hérité de son mari (acte notarial no 4499/1938).

Au décès de Constantinos Nastos, survenu le 24 mai 1968, le terrain revint à ses quatre enfants, Maria (la première requérante), Ioannis, Antigoni et Alexios. Après la mort d'Ioannis en 1976, 1/4 de sa part revint à sa veuve Heleni (la cinquième requérante) et 3/8 à chacun de ses deux enfants, Constantinos (le septième requérant) et Styliani (la sixième requérante). Après la mort d'Alexios en 1977, 1/4 de sa part revint à sa veuve, Alexandra (la deuxième requérante) et 3/8 à chacun de ses deux enfants, Styliani (la troisième requérante) et Constantina (la quatrième requérante).

Par actes notariaux des 13 et 14 octobre 1997, les requérants se sont désistés de leurs droits sur 6 500 000 m² du domaine Karras.

2.  L'occupation des terrains litigieux par l'Etat

Le 19 septembre 1984, par décision no 3950/1246, le ministère des Finances ordonna l'inventaire des terrains occupés par les héritiers de Constantinos Nastos en tant que terrains publics. Par la suite, l'Etat occupa une grande partie des terrains litigieux en vertu de protocoles d'occupation (πρωτόκολλα κατάληψης) rendus sur la base dudit inventaire. Ces protocoles furent par la suite annulés au motif que les conditions prévues par la loi pour leur émission n'étaient pas remplies en l'espèce (décision no 7480/2002 du tribunal de grande instance d'Athènes et arrêts nos 2408/1997 et 10581/1998 de la cour d'appel d'Athènes).

Les requérants affirment que les terrains occupés par l'Etat ont une superficie d'environ 320 000 m². En revanche, dans un document du 13 août 2003, la section des terrains publics du ministère de l'Economie et des Finances évalue l'étendue des terrains qui font l'objet de la présente requête à 177 500 m² environ.

3.  Les procédures litigieuses

a)  Procédures en reconnaissance des droits de propriété

Les 5 mai, 10 octobre et 12 novembre 1987, les requérants saisirent le tribunal de grande instance (Πολυμελές Πρωτοδικείο) d'Athènes d'une demande tendant à être reconnus propriétaires des terrains en question. Par acte no 269 du 28 janvier 1991, le tribunal ordonna une expertise. L'expert déposa son rapport de 195 pages le 18 mai 2001. Il concluait que les terrains litigieux appartenaient à la famille Nastou. L'affaire demeure pendante à ce jour.

Le 3 mai 1993, les cinquième, sixième et septième requérants saisirent le tribunal de grande instance d'Athènes d'une seconde demande tendant à être reconnus propriétaires des terrains en question. Par décision avant dire droit no 7037 du 12 novembre 1993, le tribunal ordonna une expertise. L'expert déposa son rapport de 69 pages le 14 décembre 1998. Il concluait que les terrains litigieux, à l'exception de quelques parcelles, appartenaient à la famille Nastou. L'affaire demeure pendante à ce jour.

b)  Procédure en dommages-intérêts

Le 3 juin 1992, les première, cinquième, sixième et septième requérants saisirent le tribunal de grande instance d'Athènes d'une action en dommages-intérêts contre l'Etat pour l'occupation illégale de leurs terrains. Le 15 novembre 1993, le tribunal suspendit l'examen de l'affaire, jusqu'à ce que le tribunal de grande instance d'Athènes se prononce sur leurs recours en reconnaissance de leur droit de propriété (décision no 7117/1993). Cette décision fut confirmée par décision no 6207/1997 du même tribunal. Le 15 septembre 1997, les requérants interjetèrent appel. Le 24 décembre 1998, la cour d'appel d'Athènes rejeta l'appel au motif que la décision attaquée, qui suspendait l'examen de l'affaire, n'était susceptible d'aucun recours (arrêt no 10580/1998). Le 5 avril 1999, les requérants se pourvurent en cassation. Le 11 février 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 240/2002).

4.  Décisions connexes

a)  Procédure de reconnaissance d'un droit de propriété par Constantinos Nastos

Le 3 avril 1967, Constantinos Nastos saisit le tribunal de grande instance d'Athènes d'une demande tendant à être reconnu propriétaire d'un terrain de 220 000 m² se trouvant dans le domaine Karras. Par décision no 16992/1973, le tribunal rejeta le recours. Le 14 juin 1977, la cour d'appel d'Athènes confirma cette décision. Elle jugea en particulier que l'Etat était le propriétaire du terrain litigieux et que Constantinos Nastos avait empiété sur plusieurs milliers de mètres carrés du domaine (arrêt no 4910/1997).

b)  Demande de mesures provisoires

Le 29 mai 1996, les requérants saisirent le procureur près le tribunal de première instance d'Athènes d'une demande tendant à faire adopter des mesures provisoires contre l'Etat. La demande, qui concernait un terrain de 4 000 m² environ du domaine Karras, fut rejetée par décision no 48/1996. Le 3 janvier 1997, les requérants formèrent une opposition (ανακοπή).

Le 30 mai 1997, le procureur près la cour d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée. Il jugea notamment que la superficie du domaine Karras ne dépassait pas 1 000 000 m² et qu'après l'avoir acheté en 1922, Alexios C. Nastos empiéta sur d'autres terrains qui appartenaient à l'Etat. Le procureur considéra en outre que la vente à la société Drandakis-Pagalos & Cie de 3 000 000 m² du terrain révéla l'intention d'Alexios C. Nastos d'usurper des terres domaniales en collusion avec cette société. Le procureur conclut que ni Alexios C. Nastos ni ses héritiers n'avaient aucun autre droit de propriété sur le domaine Karras hormis les 1 000 000 m² achetés en 1922 (décision no 23/1997).

c)  Procédures engagées par d'autres personnes physiques ou morales

Des personnes, ayant acheté aux héritiers Nastos d'autres terrains du domaine Karras, saisirent les juridictions grecques de demandes tendant à la protection de leurs droits de propriété. Par deux arrêts amplement motivés (nos 7586/1999 et 8443/2000), la cour d'appel d'Athènes jugea que Constantinos Nastos avait été le propriétaire de la totalité du domaine, dont la superficie initiale était de 12 000 000 m² environ. Par arrêt no 1529/2000, la Cour de cassation confirma l'arrêt no 7586/1999.

B.  Le droit interne pertinent

L'article 17 de la Constitution de 1975 se lit ainsi :

« 1. La propriété est placée sous la protection de l'Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général.

2. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est que pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l'audience du tribunal sur cette demande.  (...)

4. L'indemnité est toujours fixée par les tribunaux civils ; elle peut même être fixée provisoirement par voie judiciaire, après audition ou convocation de l'ayant droit, que le tribunal peut, à sa discrétion, obliger à fournir une caution analogue avant l'encaissement de l'indemnité, selon les dispositions de la loi.

Jusqu'au versement de l'indemnité définitive ou provisoire, tous les droits du propriétaire restent intacts, l'occupation de sa propriété n'étant pas permise.

L'indemnité fixée doit être versée au plus tard dans un délai d'un an et demi après la publication de la décision fixant l'indemnité provisoire ; dans le cas d'une demande de fixation immédiate de l'indemnité définitive, celle-ci doit être versée au plus tard dans un délai d'un an et demi après la publication de la décision du tribunal fixant l'indemnité définitive, faute de quoi l'expropriation est levée de plein droit.   (...) »

GRIEFS

1.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure qu'ils ont engagée en 1987 tendant à être reconnus propriétaires du terrain litigieux.

2.  Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent en outre que l'occupation de leur terrain par l'Etat sans décision judiciaire préalable et sans versement d'une indemnisation porte une atteinte à leur droit au respect de leurs biens.

3.  Invoquant l'article 14 de la Convention, les requérants se plaignent enfin d'avoir subi une discrimination dans la jouissance de leurs droits garantis par la Convention du fait que leurs titres de propriété proviennent des ressortissants turcs de l'empire ottoman.

EN DROIT

1.  Les requérants se plaignent de la durée de la procédure. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

Les parties pertinentes de l'article 6 § 1 de la Convention sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

L'article 13 de la Convention dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement excipe de la complexité de l'affaire et affirme que les requérants ont considérablement contribué à l'allongement de cette procédure, en manquant de diligence dans la conduite de l'affaire.

Les requérants affirment que leur cause connaît une durée excessive et cela en dépit de plusieurs demandes qu'ils avaient déposées tendant à faire accélérer la procédure. Ils reprochent à l'Etat d'avoir abusé de sa position et de retarder sciemment les procédures afin de ne pas perdre la jouissance des biens occupés.

La Cour estime, à la lumière des critères dégagés par sa jurisprudence en matière de « délai raisonnable », et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.

2.  Les requérants se plaignent que leur terrain fut occupé par l'Etat sans décision judiciaire préalable et sans versement d'aucune indemnisation. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement soutient à titre principal que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes, car ils auraient omis de soulever ‑ même en substance ‑ devant les juridictions internes, le grief concernant leur droit au respect de leurs biens.

Quant au fond, le Gouvernement affirme que le grief est dénué de fondement. Tout d'abord, il allègue que les requérants omettent de préciser quelle est la superficie exacte des terrains qui font l'objet du présent litige. De toute façon, il souligne que les requérants n'ont pas encore été reconnus propriétaires par voie judiciaire. Cette procédure, qui est pendante devant les juridictions grecques, déterminera le statut de propriété des terrains litigieux et les droits des propriétaires qui en découlent. Dès lors, les requérants ne sont titulaires, à l'heure actuelle, d'aucune créance exigible.

Le Gouvernement ajoute qu'à son avis, les terrains litigieux appartiennent à l'Etat. Cela ressort clairement de l'arrêt no 4910/1997 de la cour d'appel d'Athènes, ainsi que de la décision no 23/1997 du procureur près la cour d'appel d'Athènes (voir ci-dessus). Le fait que les requérants ont acquitté des frais de succession et des taxes foncières sur les biens en question, ne signifie pas que l'Etat leur a reconnu la qualité de propriétaires, car lesdites taxes sont redevables et encaissées sur déclaration de l'intéressé, sans que le fisc ne vérifie si le bien foncier appartient réellement à la personne ayant fait la déclaration.

En tout état de cause, le Gouvernement estime qu'il faut attendre l'issue de la procédure engagée devant les tribunaux grecs. Il souligne que la Cour n'est pas une juridiction civile et n'a pas compétence pour se prononcer sur le droit de propriété des requérants. Le Gouvernement affirme à cet égard que si la Cour reconnaît aux requérants la qualité de propriétaires, ceux-ci pourront s'appuyer sur cet arrêt devant les juridictions internes, ce qui placera l'Etat dans une position de net désavantage. De même, si la Cour condamne l'Etat à octroyer une satisfaction équitable aux requérants, celui-ci subira une perte économique importante qui ne pourra être rétablie, dans l'hypothèse où les tribunaux grecs le reconnaissent comme propriétaire des terrains en question. Sur ce point, le Gouvernement regrette que la Cour ait pu juger, dans le cadre de la première affaire introduite par les requérants pour un autre terrain du domaine, que « pour les besoins du présent litige, il y a donc lieu de considérer ces derniers comme propriétaires du terrain en cause » (Nastou c. Grèce, no 51356/99, § 28, 16 janvier 2003). Selon lui, cette affirmation n'était suffisamment motivée et la Cour doit revoir sa position quant à la présente affaire.

Les requérants reprochent au Gouvernement de créer une confusion quant à la superficie exacte des terrains litigieux. Ils affirment que ceux-ci sont décrits de façon détaillée dans les protocoles d'occupation versés au dossier. Leur description figure aussi dans le rapport d'expertise du 18 mai 2001, dont le Gouvernement aurait omis de façon intentionnelle d'informer la Cour.

Les requérants affirment en outre qu'ils sont propriétaires des terrains litigieux depuis 150 ans. Cela ressort clairement des arrêts nos7586/1999 et 8443/2000 de la cour d'appel d'Athènes ainsi que de l'arrêt no 1529/2000 de la Cour de cassation. A la lumière desdits arrêts précités, qui sont les plus récents rendus en l'espèce, il est inutile de réfuter les conclusions du procureur près la cour d'appel d'Athènes dans sa décision no 523/1997 invoquée par le Gouvernement.

Les requérants soulignent en outre qu'entre 1922 et 1983 l'Etat a perçu des frais de succession et des taxes foncières par les propriétaires des terrains. Ils voient mal comment une personne pourrait être assujettie à l'impôt afférent à un terrain dont elle ne serait pas propriétaire, ni comment le Gouvernement pourrait à bon droit et de bonne foi avoir demandé et accepté le paiement de ces impôts si ce n'était sur cette base.

Les requérants critiquent l'attitude de l'Etat qui aurait illégalement occupé leurs terrains et qui les aurait empêchés à ce jour d'obtenir une indemnité pour la privation de leur propriété.

Aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

La Cour rappelle que le fondement de la règle de l'épuisement des voies de recours internes consiste en ce qu'avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l'Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale pourvu qu'elles se révèlent efficaces et suffisantes (Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, ECHR 1999-VI).

En outre, l'article 35 § 1 doit s'appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l'intéressé ait soulevé « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne », les griefs qu'il entend formuler par la suite devant la Cour (voir, entre autres, Katikaridis et autres c. Grèce, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1686, § 35).

La Cour note que la présente affaire, à l'origine de laquelle se trouve une occupation des terrains, porte avant tout sur l'impossibilité des requérants d'obtenir pendant plusieurs années la reconnaissance de leurs droits de propriété et d'obtenir une indemnité pour la privation de celle-ci. Il est donc évident que les requérants ont invoqué devant les juridictions grecques, au moins en substance, leur droit au respect de leurs biens.

Par ailleurs, la Cour note que, même si la procédure est encore pendante devant les juridictions grecques, les requérants produisent suffisamment de preuves à l'appui de leurs allégations, de sorte qu'ils peuvent valablement invoquer une violation de leur droit de propriété. Pour les besoins du présent litige, il y a donc lieu de considérer ces derniers comme propriétaires des terrains en cause. Or, l'occupation de ceux-ci eut lieu il y a plus de dix-huit ans. Il serait donc excessif d'exiger des requérants d'attendre encore l'épuisement des voies de recours internes.

Il échet donc de rejeter l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.

3. Les requérants se plaignent enfin d'avoir subi une discrimination dans la jouissance de leurs droits garantis par la Convention du fait que leurs titres de propriété proviennent des ressortissants turcs de l'empire ottoman. Ils invoquent l'article 14 de la Convention, ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour estime que l'allégation des requérants n'est corroborée par aucun élément du dossier. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs des requérants tirés de la durée de la procédure et de leur droit au respect de leurs biens ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Santiago QuesadaPeer Lorenzen
Greffier adjointPrésident

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