CEDH, Cour (troisième section), BOTTI c. ITALIE, 2 décembre 2004, 77360/01

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 2 déc. 2004, n° 77360/01
Numéro(s) : 77360/01
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 29 août 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998 I, p. 228, § 60
Botta c. Italie, arrêt du 24 février 1998, Recueil 1998 I, p. 422, § 33
X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 23
McCann et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1995, série A no 324, p. 45, § 146
Osman c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998 VIII, p. 3159, § 115 Comm. Eur. D.H. No 32165/96, déc. 14.4.98, D.R. 93, p. 85
López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303 C, p. 55, § 51
L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998 III, p. 1403, § 36
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-67814
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1202DEC007736001
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 77360/01
présentée par Andrea BOTTI
contre l'Italie

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant le 2 décembre 2004 en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
M.V. Zagrebelsky,
MmeA. Gyulumyan,
M.David Thór Björgvinsson, juges
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 29 août 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Andrea Botti, est un ressortissant italien, né en 1966 et résidant à Rome.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant n'a jamais fumé de cigarettes. Cependant, à cause de sa profession et dans ses relations sociales, il serait exposé aux risques du tabagisme passif. Il lui arriverait en effet de se trouver souvent dans des bureaux publics ou bien dans des lieux privés ou ouverts au public (tels que des bars et restaurants), où plusieurs personnes fument.

Le requérant expose que selon les études scientifiques accomplies en la matière, la fumée de cigarette est une cause directe de plusieurs pathologies, parmi lesquelles le cancer du poumon. Ceci vaudrait non seulement pour les fumeurs, mais aussi pour ceux qui respirent, involontairement, la fumée des cigarettes d'autrui. En particulier, après seulement 30 minutes d'exposition au tabagisme passif, il y aurait une contraction coronarienne associée à des troubles de la circulation sanguine, ce qui augmenterait de 30% environ le risque de pathologies létales du système cardio-vasculaire.

En dépit des acquis scientifiques dans le domaine du tabagisme passif, la législation italienne en la matière serait non adéquate et en tout cas de facto non appliquée. Il s'agirait, en particulier, de la loi no 584 du 11 novembre 1975, qui interdit de fumer dans certains locaux (principalement des bureaux publics) et sur les moyens de transport collectifs. En ce qui concerne les locaux privés, l'interdiction de fumer touche uniquement les salles de cinéma et théâtre, les salles de danse et les locaux où on pratique les paris sur les courses.

B.  Le droit et la pratique internes pertinentes

Après l'introduction de la requête, l'article 51 de la loi no 3 du 16 janvier 2003 a établi une interdiction générale de fumer dans des locaux fermés, exception faite pour les locaux privés non ouverts au public et pour les locaux spécifiquement réservés aux fumeurs. Ces derniers doivent être équipés de ventilateurs. De plus, dans les restaurants les espaces réservés aux non-fumeurs doivent occuper plus de la moitié de la surface totale du local. Le ministère de la Santé publique peut cependant indiquer d'autres lieux fermés dans lesquels il est permis de fumer.

Par une loi publiée le 29 décembre 2003, il a été prévu d'appliquer, à partir du 14 janvier 2005, l'interdiction de fumer aussi aux cabinets des personnes exerçant des professions libérales, aux salons des coiffeurs et des esthéticiens, aux banques, aux assurances, aux agences immobilières, aux clubs privés, aux centres commerciaux et à d'autres commerces, aux hôtels et aux bars. Dans les bars et les restaurants il sera permis de fumer dans des locaux séparés, à condition qu'il existe un système de ventilation et de changement de l'air conforme aux caractéristiques techniques indiquées dans un règlement ministériel.

GRIEFS

1.  Invoquant les articles 2 § 1 et 8 de la Convention, le requérant se plaint d'un manque d'intervention de l'Etat contre les risques du tabagisme passif.

2.  Invoquant l'article 8 de la Convention, combiné avec l'article 11 de la Convention et l'article 2 du Protocole no 4, le requérant se plaint des répercussions négatives que la pratique de fumer dans des endroits publics et privés a eues sur ses relations sociales et sur sa liberté de mouvement.

EN DROIT

1.  Le requérant soutient que l'Etat italien n'a pas pris des mesures efficaces contre les risques du tabagisme passif. Il invoque les articles 2 § 1 et 8 de la Convention.

Article 2 § 1

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. »

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Le requérant considère que l'obligation de protéger la vie comprend celle de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter qu'elle puisse être menacée. Ceci entraînerait également l'obligation d'intervenir de façon préventive pour protéger la santé des citoyens.

Le requérant rappelle également que la pollution de l'environnement est susceptible de miner le bien-être des individus et soutient que les obligations positives inhérentes au respect de la vie privée imposent à l'Etat d'intervenir pour en éliminer les effets. De l'avis du requérant, entre l'intérêt des fumeurs à continuer à fumer et le droit à la santé des non-fumeurs, le deuxième devrait primer.

En Italie, l'interdiction de fumer ne serait pas assez étendue. De plus, elle ne serait pas respectée, compte tenu du fait que peu de contrôles seraient effectués et que presque aucune sanction ne serait appliquée à ceux qui ne respectent pas la loi no 584 de 1975. Par ailleurs, l'interdiction en question serait contredite et démentie par le fait que l'Etat lui-même est un producteur et un distributeur de cigarettes. L'obligation de protéger la santé publique découlant de la Constitution serait ainsi en conflit avec l'intérêt économique de l'Etat à vendre des cigarettes.

Le requérant soutient enfin que son affaire se différencie de l'affaire Wöckel c. Allemagne, déclarée irrecevable par la Commission. En effet, à la différence de ce qui se passait en Allemagne, en Italie la législation en la matière ne serait pas adéquate pour protéger la santé publique et aucune campagne sérieuse d'information sur les conséquences du tabagisme n'aurait été mise en place.

La Cour rappelle qu'il faut baser l'interprétation de l'article 2 sur le fait que l'objet et le but de la Convention, en tant qu'instrument de protection des êtres humains, appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d'une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (McCann et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1995, série A no 324, p. 45, § 146). Dès lors, elle a estimé que la première phrase de l'article 2 § 1 astreint l'Etat non seulement à s'abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998 ‑ III, p. 1403, § 36, et Osman c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3159, § 115).

Quant à l'article 8 de la Convention, la Cour a eu l'occasion d'observer que des atteintes graves à l'environnement pouvaient affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l'intéressée (López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-C, p. 55, § 51, et Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 228, § 60). Les obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale peuvent impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, Série A no 91, p. 11, § 23, et Botta c. Italie, arrêt du 24 février 1998, Recueil 1998-I, p. 422, § 33).

En l'espèce, il s'agit de déterminer si l'Etat italien est tenu, comme le prétend le requérant, d'adopter une législation interdisant de fumer dans des endroits publics et privés, afin de protéger les non-fumeurs.

La Cour observe que le choix des mesures propres à garantir l'observation de la Convention dans les relations des individus entre eux relève en principe de la marge d'appréciation des Etats contractants. Il existe différentes manières d'assurer le respect des droits protégés par la Convention et la nature de l'obligation de l'Etat dépend des aspects du droit en cause (voir Wöckel c. Allemagne, no 32165/96, décision de la Commission du 16 avril 1998, Décisions et rapports (DR) 93, p. 85).

La Cour constate que la législation italienne en vigueur à l'époque de l'introduction de la requête (loi no 584 de 1975) contenait des dispositions interdisant de fumer dans certains lieux publics et ouverts au public. Cette législation a ensuite connu une certaine évolution avec la loi no 3 de 2003, qui a élargi la portée de l'interdiction de fumer. Elle a également imposé la présence, dans les espaces fumeurs, de systèmes de ventilation visant à assurer le changement de l'air. De plus, à partir du 14 janvier 2005, de nombreux autres lieux ouverts au public seront inclus dans la liste de ceux dans lesquels il n'est pas permis de fumer.

Considérant que les intérêts du requérant, en tant que non-fumeur, s'opposent à ceux d'autres individus à continuer de fumer, et eu égard à la marge d'appréciation laissée aux autorités nationales, la Cour estime que l'absence d'interdiction générale de fumer dans les endroits ouverts au public ne s'analyse pas en un défaut de protection de la part de l'Etat italien des droits du requérant au regard des articles 2 et 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Wöckel, loc. cit.).

Dès lors, aucune apparence de violation des articles 2 et 8 de la Convention ne saurait être décelée.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Observant que la pratique de fumer dans de nombreux locaux publics et privés limite également ses relations sociales et sa liberté de mouvement, le requérant allègue l'existence d'une violation distincte de l'article 8 de la Convention, combiné avec l'article 11 de la Convention et l'article 2 du Protocole no 4.

Article 11 de la Convention

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2.  L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat. »

Article 2 du Protocole no 4

« 1.  Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.

2.  Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.

3.  L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

4.  Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique. »

La Cour observe d'emblée qu'il est douteux que la simple circonstance que d'autres personnes puissent fumer ait affecté les droits du requérant à la liberté de réunion et association et à la libre circulation au point de constituer une « ingérence » dans l'exercice de ces mêmes droits.

Quoi qu'il en soit, la Cour estime qu'il s'agit de conséquences secondaires et inévitables des faits examinés sous l'angle des articles 2 et 8 de la Convention.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (troisième section), BOTTI c. ITALIE, 2 décembre 2004, 77360/01