CEDH, Cour (deuxième section), KARAKAYA c. TURQUIE, 13 décembre 2005, 11424/03

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 13 déc. 2005, n° 11424/03
Numéro(s) : 11424/03
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 25 mars 2003
Jurisprudence de Strasbourg : Imrek c. Turquie (déc.), n° 57175/00, 28 janvier 2003
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-71957
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2005:1213DEC001142403
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 11424/03
présentée par Emin KARAKAYA
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 13 décembre 2005 en une chambre composée de :

MM.J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
MmeD. Jočienė,
M.D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 25 mars 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Emin Karakaya, est un ressortissant turc, né en 1956 et résidant à Istanbul. Il est représenté devant la Cour par Me M. İriz, avocat à Istanbul.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 20 mars 2002, à 12 heures, la direction de la sûreté de Güngören (Istanbul) reçut un coup de téléphone anonyme selon lequel, sous prétexte de fêter le Newruz, la section locale du Hadep (« le parti démocratique du peuple ») de Güngören préparait des cocktails « Molotov ». La personne indiqua également que dans les locaux de cette section se trouvaient de nombreuses publications et tracts interdits en attente de distribution.

Par une ordonnance du 20 mars 2002, sur le fondement de l’article 97 de l’ancien code de procédure pénale, le juge près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul ordonna la perquisition des locaux de la section locale du Hadep de Güngören.

Le 20 mars 2002, vers 15 heures, la police perquisitionna ces locaux et saisit trente-cinq exemplaires de la revue « Yeni Özgür Halk », treize exemplaires de la revue « Genç Bakış », trente-cinq exemplaires de la revue « Özgür Halk » et un supplément de la revue « Vest Özgür Halk Kültür Sanat Özel ». La police saisit également cent affiches sur lesquelles était inscrit « Newroz Piroz Bê Kutlu olsun – Barıştır – Özgürlüktür – Kardeşliktir – Birliktir Section de la ville d’Istanbul ». La police saisit également cent trente-cinq tracts avec l’entête « İnsan Hakları Bülteni (Hadi Newruza) ».

Par un acte d’accusation du 3 avril 2002, le parquet près le tribunal d’instance pénale de Bakırköy intenta une action pénale pour détention de publications interdites contre, entre autres, le requérant.

Par un jugement du 29 avril 2002, le tribunal d’instance pénale de Bakırköy condamna, entre autres, le requérant à une peine d’emprisonnement de trois mois et à une amende de 1 000 livres turques puis commua la peine d’emprisonnement en une amende pénale de 381 682 144 livres turques. Sur le fondement de l’article 6 de la loi no 647, le tribunal sursit à l’exécution de la peine.

Le 23 juillet 2002, le requérant interjeta appel contre ce jugement devant le tribunal correctionnel de Bakırköy.

Par un jugement du 23 août 2002, notifié au requérant le 17 septembre 2002, le tribunal correctionnel de Bakırköy confirma le jugement attaqué.

B.  Le droit interne pertinent

Par une décision du 30 juin 2004, la Cour constitutionnelle a prononcé l’inconstitutionnalité des articles 302, 386 et 390 § 3 du code de procédure pénale.

A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale étaient ainsi libellées :

Article 386

« Le juge d’instance statue sans tenir d’audience par une ordonnance pénale sur les infractions du domaine de compétence des tribunaux d’instance.

L’ordonnance pénale peut uniquement porter sur la condamnation à une amende légère ou lourde ou à une peine d’emprisonnement de trois ans au maximum ou à l’interdiction temporaire d’exercer une profession et un métier ou une saisie (...) »

Article 387

« Si le juge pénal voit un inconvénient à statuer sans audience, il peut fixer une date pour la tenue de celle-ci. »

Article 390

« Une audience est tenue en cas d’opposition formée contre une ordonnance pénale portant sur une peine d’emprisonnement légère.

(...)

En cas d’opposition formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde ou à une interdiction temporaire d’exercer une profession et un métier ou une saisie (...), le président du tribunal correctionnel ou le juge examine l’opposition en application des article 301, 302 et 303 [du présent code]. (...) »

Article 302

« A l’exception des cas prévus par la loi, la procédure d’opposition se déroule sans audience. Le procureur de la République est entendu si nécessaire.

Si l’opposition est accueillie, la même juridiction examine le fond de l’affaire. »

Les dispositions constitutionnelles régissant l’organisation judiciaire sont ainsi libellées :

Article 138 §§ 1 et 2

« Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent, selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit.

Nul organe, autorité, poste ou personne ne peut donner d’ordres ou d’instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser de circulaires, ni leur faire de recommandations ou suggestions. »

Article 139 § 1

« Les juges (...) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent (...) »

En vertu de l’article 159 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature, chargé entre autres de la nomination, de la notation et de la révocation des juges civils et administratifs, est composé du ministre de la Justice, de son conseiller et de cinq membres titulaires et cinq membres suppléants. Les dix membres titulaires et suppléants sont nommés par le président de la République, pour une période de quatre ans, parmi les juges élus par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. Dans son fonctionnement, il doit veiller au respect du principe de l’indépendance des tribunaux et aux garanties dont jouissent les juges.

GRIEFS

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint, en particulier, de ce que sa cause n’a pas été entendue équitablement par le tribunal d’instance pénale de Bakırköy qui n’est pas un tribunal indépendant et impartial, du fait que le juge civil ayant participé à son procès ait été désigné par le Conseil supérieur de la magistrature, composé de cinq juges, du ministre de la Justice et de son secrétaire. Ce juge civil fait également l’objet de notations par ce conseil dépendant de l’exécutif, en raison de la présence du ministre de la Justice en son sein.

Invoquant les articles 6 §§ 1, 2 et 3 a), b), c) et d) de la Convention combiné avec l’article 14, le requérant se plaint de n’avoir pas été informé des accusations portées contre lui. Il soutient que sa cause n’a pas été entendue équitablement dans la mesure où les juridictions n’ont pas tenu d’audience, le privant ainsi de son droit d’assister aux débats et, par conséquent, d’exercer pleinement son droit de défense. Il se plaint aussi de n’avoir pas bénéficié du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et d’avoir été privé de la possibilité de se faire assister d’un avocat. Il soutient que sa condamnation a également été motivée par son origine kurde et son appartenance au parti du « Hadep ».

Invoquant l’article 13 de la Convention, il soutient l’absence de voie de recours interne pour faire valoir ses droits tirés de l’article 6 de la Convention. Il explique qu’il a contesté en vain le jugement de condamnation devant le tribunal correctionnel de Bakırköy qui l’a confirmé sur le fondement de l’article 390 du code de procédure pénale.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de n’avoir pas été informé des accusations portées contre lui, que les juridictions internes n’ont pas tenu d’audience, le privant ainsi de son droit d’assister aux débats et, par conséquent, d’exercer pleinement son droit de défense, de n’avoir pas bénéficié du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et d’avoir été privé de la possibilité de se faire assister d’un avocat. Il invoque les articles 6 §§ 1, 2 et 3 a), b), c) et d) de la Convention, combiné avec l’article 14. La Cour propose d’examiner ces griefs, à un stade ultérieur de la procédure, sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

Il allègue également l’absence de voie de recours interne pour faire valoir ses droits tirés de l’article 6 de la Convention. Il invoque l’article 13 de la Convention.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’indépendance du tribunal d’instance pénale de Bakırköy.

La Cour se réfère d’abord aux garanties constitutionnelles accordées aux juges des tribunaux répressifs : lors de l’exercice de leurs fonctions dans un tribunal d’instance pénale, les juges civils jouissent de garanties constitutionnelles ; ils sont inamovibles et à l’abri d’une révocation anticipée ; ils siègent à titre individuel ; la Constitution postule leur indépendance et interdit à tout pouvoir public de leur donner des instructions relatives à leurs activités juridictionnelles ou de les influencer dans l’exercice de leurs tâches (voir, mutatis mutandis, İmrek c. Turquie (déc.), no 57175/00, 28 janvier 2003, ainsi que les articles 138 et 139 de la Constitution).

Par ailleurs, il convient de relever notamment qu’il n’est pas allégué ni constaté que le ministre de la Justice ou son secrétaire, faisant partie du Conseil supérieur de la magistrature, peuvent adresser aux juges des instructions dans l’accomplissement de leurs fonctions judiciaires, ni qu’il existe un état de subordination de fonctions et de services.

La Cour considère qu’au vu des garanties constitutionnelles et légales dont jouissent les juges siégeant dans les tribunaux d’instance pénale, et qu’étant donné l’absence d’une argumentation pertinente qui rendrait sujettes à caution leur indépendance et leur impartialité, il convient de rejeter cette partie de la requête pour défaut manifeste de fondement, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare irrecevable le grief du requérant concernant l’impartialité du tribunal d’instance pénale ;

Ajourne l’examen de la requête pour le surplus.

S. DolléJ.-P. Costa
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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