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Sur la décision
| Référence : | CEDH, Cour (Deuxième Section), 11 avr. 2006, n° 2067/02 |
|---|---|
| Numéro(s) : | 2067/02 |
| Type de document : | Recevabilité |
| Date d’introduction : | 3 janvier 2002 |
| Niveau d’importance : | Importance faible |
| Opinion(s) séparée(s) : | Non |
| Conclusion : | Irrecevable |
| Identifiant HUDOC : | 001-75416 |
| Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:2006:0411DEC000206702 |
Texte intégral
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 2067/02
présentée par Monique FLAVIUS
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (Deuxième section), siégeant le 11 avril 2006 en une chambre composée de :
MM.I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
MmesE. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M.D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 3 janvier 2002,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Monique Flavius, est une ressortissante française, née en 1947 et résidant à Brest. Elle est représentée devant la Cour par Me C. Le Bret-Desache, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement défendeur (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 28 avril 1966, la requérante avait épousé B.
Le 27 mai 1994, elle introduisit une requête en divorce.
Le 1er avril 1999, le tribunal de grande instance de Brest prononça le divorce aux torts partagés des époux et condamna B. à verser à son épouse une prestation compensatoire mensuelle de 5 000 francs français (FRF) pendant quatre ans.
La requérante interjeta appel de ce jugement.
Le 3 avril 2000, la cour d’appel de Rennes, infirmant le jugement du 1er avril 1999, condamna B. à payer à la requérante la somme de 10 000 FRF à titre de dommages et intérêts et 400 000 FRF à titre de prestation compensatoire.
Le 7 juillet 2000, la requérante forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 3 avril 2000.
Le 1er décembre 2000, elle déposa au greffe de la Cour de cassation, par le biais de son avocat aux Conseils, un mémoire ampliatif.
Dans son mémoire en défense, B. soutint que la requérante devait être déclarée déchue de son pourvoi dans la mesure où le mémoire ampliatif de celle-ci ne lui avait été signifié que le 26 décembre 2000, alors que le délai pour procéder à telle signification avait expiré, à peine de déchéance, le 7 décembre 2000.
La requérante formula des observations en réponse aux conclusions d’irrecevabilité de B. Elle fit observer que la signification tardive de son mémoire était exclusivement imputable à la négligence de l’huissier chargé de ladite signification. Elle argua avoir chargé ce dernier, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 novembre 2000, et reçu par lui le 1er décembre 2000, de procéder à la signification à B. de son mémoire ampliatif. Elle affirme avoir, dans cette même lettre en date du 28 novembre 2000, porté l’attention de l’huissier à deux reprises sur la date d’expiration du délai de signification, soit le 7 décembre 2000.
Le 12 juillet 2001, la Cour de cassation déclara le pourvoi de la requérante irrecevable pour les motifs suivants :
« (...) attendu que les délais de procédure impartis par la loi à peine d’irrecevabilité, de forclusion, de déchéance ou de caducité sont nécessaires au bon déroulement des procédures et contribuent au procès équitable, dès lors qu’ils assurent la sécurité juridique, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction et du délai raisonnable ; que les défaillances des auxiliaires de justice chargés de délivrer les actes, si elles justifient des actions en responsabilité, ne peuvent atteindre l’efficacité des sanctions attachées à la méconnaissance de ces délais ; (...) »
Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, la requérante informa la Cour qu’à la suite de cette décision, elle a introduit une action en responsabilité contre l’huissier fautif devant le tribunal de grande instance de Brest, lequel, par un jugement du 24 septembre 2003, l’a déboutée de toutes ses demandes. Néanmoins, par un arrêt du 6 septembre 2005, la cour d’appel de Rennes a condamné les ayants droit de l’huissier fautif, aujourd’hui décédé, à lui verser la somme de 7 317,55 EUR (euros). La requérante précise avoir l’intention de se pourvoir en cassation contre cet arrêt.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Nouveau code de procédure civile
Article 978
« A peine de déchéance, le demandeur en cassation doit au plus tard dans le délai de cinq mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation et signifier au défendeur un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée. (...) »
2. Jurisprudence de la Cour de cassation
1ère chambre civile, 22 juin 1999
« (...) Attendu que si le mémoire en demande a été signifié, à la diligence de la banque H., à une adresse inexacte mentionnée dans la déclaration de pourvoi qu’elle a déposée au greffe et que cette erreur lui est exclusivement imputable, il résulte, cependant, des pièces de la procédure qu’au cours du délibéré, les services du greffe de la Cour de Cassation se sont aperçus du caractère erroné de cette adresse sans vérifier, en conséquence, la régularité des significations du mémoire en demande ;
(...) l’arrêt a été rendu par suite d’une erreur non imputable aux époux D. ;
(...) il sera procédé à un nouvel examen du pourvoi ; (...) »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante estime que l’irrecevabilité qui lui a été opposée s’analyse en une ingérence injustifiée dans son droit d’accès à un tribunal dans la mesure où elle est imputable à l’huissier saisi. Elle estime que l’interprétation par la Cour de cassation des dispositions relatives aux délais de procédure est contraire aux règles du procès équitable.
2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, elle conteste la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation.
3. Invoquant l’article 6 de la Convention, combiné avec l’article 14 de celle-ci, la requérante se plaint de ce que la Cour de cassation n’a pas appliqué à la présente espèce la solution qu’elle avait adoptée dans un cas similaire (voir infra, le droit et la pratique internes pertinents, arrêt rendu le 22 juin 1999 par la Cour de cassation), traitant ainsi de manière différente, et sans justification objective et raisonnable, deux situations pourtant identiques.
4. Invoquant l’article 6 de la Convention, combiné avec l’article 8 de celle-ci ainsi que l’article 1 du 1er Protocole additionnel à la Convention, la requérante estime que l’irrecevabilité de son pourvoi aurait causé un trouble certain à sa vie familiale et à son droit de propriété.
EN DROIT
1. La requérante allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose, dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) ».
Elle se plaint d’un défaut d’accès à la Cour de cassation imputable à l’huissier auquel elle a confié la charge de signifier son mémoire ampliatif à la partie adverse.
Le Gouvernement excipe d’emblée du non-épuisement des voies de recours internes. Il estime que la requérante aurait dû exercer une action en responsabilité contre l’huissier fautif.
La requérante indique avoir saisi les juridictions internes d’un tel recours et avoir l’intention de se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 6 septembre 2005.
La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir notamment l’arrêt Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999‑VII). La Cour rappelle également que le pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours à épuiser en principe pour se conformer à l’article 35 § 1 de la Convention (voir notamment Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, p. 572, § 42, ainsi que Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999‑VI).
La Cour note que le recours dont le Gouvernement excipe du non‑épuisement a effectivement été introduit par la requérante. La Cour constate à cet égard que l’erreur de l’huissier a été reconnue par la cour d’appel de Rennes qui a ordonné aux ayants droit dudit huissier de dédommager la requérante. La Cour n’estime cependant pas nécessaire d’examiner si cet arrêt a eu des conséquences sur la qualité de victime de la requérante, dès lors que cet arrêt est toujours susceptible d’être contesté devant la Cour de cassation.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante conteste la motivation de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juillet 2001.
La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais qu’il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 61).
A la lecture de l’arrêt contesté, et en ayant à l’esprit le caractère spécifique de la procédure en cassation, la Cour considère qu’il n’apparaît pas en l’espèce que la Cour de cassation ait manqué à son obligation de motivation. Elle relève au contraire qu’il a été procédé à un contrôle réel et approfondi des moyens soulevés par les parties, une particulière attention ayant notamment été portée au respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Invoquant l’article 6 de la Convention, combiné avec l’article 14 de celle-ci, la requérante se plaint de ce que la Cour de cassation n’a pas appliqué à la présente espèce la solution qu’elle avait adoptée dans un cas similaire, rendant ainsi une décision discriminatoire.
L’article 14 de la Convention, dans ses dispositions pertinentes pour l’espèce, se lit comme suit :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, (...) les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine (...) sociale, (...) ou toute autre situation. »
La Cour rappelle que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 de la Convention interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (voir, entre autres, Hoffmann c. Autriche, arrêt du 23 juin 1993, série A no 255‑C, § 31).
La Cour rappelle également que, aux termes de l’article 19 de la Convention, elle est seulement compétente pour assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les parties contractantes. Elle n’est donc pas compétente pour connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne (voir l’arrêt Garcia Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). Sa tâche se limite à vérifier que les décisions litigieuses ont été acquises dans le respect des garanties énoncées à l’article 6 de la Convention.
La Cour relève d’abord que l’arrêt rendu le 22 juin 1999 par la Cour de cassation, qui sert de référence à la requérante afin d’alléguer une violation de l’article 14 de la Convention en l’espèce, concernait la signification du mémoire d’une partie dont la responsabilité relevait notamment des services du greffe de la Cour de cassation, et non comme en l’espèce essentiellement d’un huissier. Il s’ensuit que les situations n’étaient pas comparables et qu’il ne pouvait, en tout état de cause, en résulter un traitement discriminatoire.
La Cour relève ensuite, et surtout, que la décision litigieuse est intervenue à l’issue d’une procédure contradictoire au cours de laquelle la requérante a pu contester les conclusions de B. alléguant l’irrecevabilité du pourvoi et faire valoir tous les arguments et observations qu’elle a estimés nécessaires. La Cour de cassation a apprécié la crédibilité des divers moyens présentés et a dûment motivé sa décision. Il n’apparaît pas que l’arrêt litigieux ait tiré des conclusions arbitraires ou aurait dépassé les limites d’une interprétation raisonnable des textes applicables au cas d’espèce, laquelle interprétation revient, en tout état de cause, au premier chef aux juridictions internes (Edificaciones March Gallego s.a. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, no 64, § 33).
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
4. La requérante allègue enfin une violation de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du 1er Protocole additionnel à la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) »
La requérante se plaint des conséquences de l’irrecevabilité de son pourvoi sur ses droits garantis par les dispositions visées ci-dessus.
La Cour observe que le grief soulevé par la requérante sous l’angle de ces dispositions coïncide dans une large mesure avec celui tiré d’un défaut allégué d’accès à la Cour de cassation. La Cour estime donc qu’aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 8 de la Convention ou de l’article 1 du 1er Protocole additionnel à celle-ci.
A la lumière de ce qui précède, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. DolléI. Cabral Barreto
GreffièrePrésident
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