CEDH, Cour (deuxième section), TABET c. FRANCE, 12 décembre 2006, 12922/03

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 12 déc. 2006, n° 12922/03
Numéro(s) : 12922/03
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 7 avril 2003
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-78721
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:1212DEC001292203
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 12922/03
présentée par Abderrhamane TABET
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 12 décembre 2006 en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
MmesA. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M.D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 7 avril 2003,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision partielle du 3 novembre 2005,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Vu la demande tendant à la tenue d’une audience publique consacrée à la recevabilité et au fond de l’affaire, présentée le 27 avril 2006 par la partie requérante, à laquelle la chambre a décidé de ne pas faire droit,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Abderrahmane Tabet, est un ressortissant français, né en 1956 et résidant à Meyreuil. Il est représenté devant la Cour par Me Alexandre, avocat au barreau de Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 7 juin 2000 à trois heures du matin, le requérant, roulant à vive allure, fut interpellé par une patrouille de police qui, agissant sur les instructions d’un officier de police judiciaire, intercepta le véhicule. Le requérant, en état d’ivresse, fut immédiatement placé en garde à vue après avoir été examiné par un médecin ayant attesté de la nécessité d’un dégrisement. Il fut soumis à l’épreuve de dépistage à l’aide d’un éthylomètre qui révéla la présence dans l’air expiré d’un taux d’alcool pur de 0,87 milligramme par litre d’air, supérieur au taux légal fixé à 0,40 ; à sept heures du matin, le requérant se vit notifier ses droits.

Le 11 septembre 2000, le requérant fut cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Marseille pour conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé.

Par un jugement contradictoire du 12 mars 2001, le tribunal prononça la nullité des vérifications effectuées au moyen de l’éthylomètre et renvoya le requérant des fins de la poursuite.

Le 21 février 2002, la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à deux mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 900 euros ; elle prononça également la suspension du permis de conduire du prévenu pour une durée de 18 mois, en limitant cette suspension à la conduite en dehors de l’activité professionnelle.

Le 25 février 2002, le requérant constitua avocat auprès d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation aux fins de former un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel du 21 février 2001. Par un courrier du 5 juillet 2002, l’avocat aux Conseils du requérant lui écrivit pour lui faire part de son étonnement du fait que celui-ci avait sollicité un autre confrère à la Cour de cassation dans cette affaire pour qu’il dépose en son nom un mémoire ampliatif. Il releva également que le requérant ne lui avait envoyé ni la copie de l’arrêt attaqué ni son dossier de plaidoirie ni davantage la provision d’usage, et informa le requérant que, dans ces conditions, il n’entendait effectuer aucune diligence supplémentaire que celle de déposer le mémoire ampliatif que ce dernier souhaitait établir personnellement. Le requérant rédigea donc lui-même un mémoire ampliatif, qui fut régularisé et déposé par son avocat au greffe pénal de la Cour de cassation. Le 24 septembre 2002, le conseiller rapporteur désigné déposa son rapport le 24 septembre 2002. Par un courrier du 16 octobre 2002, son avocat, en réponse à une demande de communication des conclusions de l’avocat général, répondit au requérant que dès lors qu’il avait choisi de se défendre seul, il lui appartenait de faire directement auprès de la Cour de cassation toutes les diligences qu’il estimait nécessaires à la défense de ses intérêts.

Par un arrêt du 29 octobre 2002, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant.

Par une lettre du 14 janvier 2003, l’avocat aux Conseils du requérant, en réponse à un courrier du 12 décembre 2002 de ce dernier, lui indiqua que dans la mesure où il assumait seul sa défense, il n’était pas présent à l’audience de jugement du pourvoi et n’avait donc présenté aucune observation orale.

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, ni lui ni son conseil ne reçurent le rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document a été communiqué à l’avocat général.

EN DROIT

Le requérant se plaint de l’iniquité de l’instance devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, en ce que ni lui ni son conseil ne reçurent le rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été communiqué à l’avocat général. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...).»

Le Gouvernement expose tout d’abord que la Cour de cassation française a modifié les modalités d’instruction et de jugement des affaires qui lui sont soumises, afin notamment de prendre en compte les conclusions de la Cour dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998. Il précise qu’elle modifia, à compter du 5 février 2002, les conditions dans lesquelles les avocats aux Conseils pouvaient avoir communication de la fiche d’orientation établie par le conseiller rapporteur ou du rapport établi par celui-ci pour les affaires renvoyées en plénière de chambre, en formation ordinaire ou en formation restreinte. A la demande du Greffe de la Cour, le Gouvernement produit en annexe un courrier du premier Président de la Cour de cassation adressé, le 23 janvier 2002, à la Présidente de l’ordre des avocats aux Conseils l’avisant de la mise en place de ces nouveaux dispositifs. Elle se lit comme suit :

« Madame le Président,

(...).

1. Pour les chambres civiles :

a) Pour les affaires orientées vers des audiences d’admissibilité :

Les avocats aux conseils seront informés par un avis du dépôt d’une fiche d’admissibilité et de la possibilité de consulter cette fiche au greffe des arrêts sur présentation de cet avis.

b) Pour les affaires orientées vers une plénière de chambre, une formation ordinaire ou une formation restreinte :

Lorsque l’avocat général chargé du pourvoi aura été désigné, un avis sera transmis aux avocats aux conseils leur indiquant qu’ils peuvent consulter au greffe des arrêts le rapport ; comme dans le cas précédent, l’avis devra être présenté au greffe des arrêts lors de la consultation.

S’agissant des affaires renvoyées devant la formation restreinte de la chambre pour lesquelles un rapport écrit n’aura pas été établi eu égard à la faculté ouverte par les dispositions de l’article 1013 du nouveau code de procédure civile, lors de leur passage au greffe des arrêts les avocats aux conseils auront connaissance du non dépôt d’un rapport par communication d’une fiche établie par le conseiller rapporteur.

2. Pour la chambre criminelle :

Les avocats aux conseils seront avertis de la possibilité de consulter le rapport ou la fiche lors de l’avis qui leur est adressé pour les informer de la date de l’audience ; la consultation pourra se faire au greffe criminel. (...). »

Désormais, à compter du 5 février 2002, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, le Gouvernement soutient que le rapport ou la fiche d’orientation établis par le conseiller rapporteur sont déposés au greffe criminel et que ce dernier édite automatiquement un avis afin d’informer l’avocat aux Conseils de la date de ce dépôt et de la possibilité de venir consulter le rapport ou la fiche d’orientation dans les locaux du greffe. Cet avis, qui pour des raisons pratiques n’est pas conservé dans le dossier, est immédiatement transmis à l’Ordre des avocats aux Conseils qui se charge ensuite de le déposer dans le casier réservé à l’avocat concerné. Il explique que dans la mesure où les modalités de communication du rapport du conseiller rapporteur en matière de représentation obligatoire ont été définies en étroite collaboration avec l’Ordre des avocats aux Conseils, les avocats concernés ne peuvent prétendre ignorer les conditions de communication du rapport. Il ajoute que le rapport du conseiller rapporteur comprend deux parties. La première, qui est communiquée à la fois aux parties et au ministère public, comprend une étude de l’affaire, à savoir l’exposé des faits et de la procédure, l’analyse des moyens, l’examen objectif de la question juridique, les textes et la jurisprudence utiles à la solution du pourvoi et la doctrine de référence. La seconde, qui n’est communiquée ni aux parties ni à l’avocat général, est composée de l’avis personnel du rapporteur ainsi que du projet d’arrêt.

Le Gouvernement constate en l’espèce que le nouveau dispositif était en vigueur à l’époque du pourvoi du requérant. Il estime dès lors que, le requérant étant représenté, le greffe criminel a communiqué l’ensemble des informations relatives à la procédure suivie dans le cadre du pourvoi à son avocat aux Conseils. Il apparaît donc que l’absence de communication du rapport du conseiller au requérant résulte d’un manque de diligence de la part de son avocat aux Conseils.

A titre subsidiaire, le Gouvernement considère en tout état de cause que le requérant n’est pas fondé à invoquer un quelconque déséquilibre résultant de la communication du rapport du conseiller rapporteur à l’avocat général, dès lors que la première partie du rapport se limitait à la partie technique de l’affaire, que l’avis personnel du conseiller n’était plus transmis à l’avocat général et que le requérant pouvait avoir accès au même volet du rapport par l’intermédiaire de son avocat.

Le requérant estime que l’argumentation du Gouvernement selon laquelle l’absence de communication du rapport du conseiller est dû à un manque de diligence de son avocat aux Conseils est mal fondée au regard de l’article 19 de la Convention et de l’article 600 du code de procédure pénale qui dispose que « Nul ne peut en aucun cas se prévaloir contre la partie poursuivie de la violation ou omission des règles établies pour assurer la défense de celle-ci ». En outre, et surtout, le requérant estime que le Gouvernement ne procède que par pure affirmation et ne rapporte pas la preuve de la communication du rapport du conseiller rapporteur ou de l’avis de dépôt dudit rapport invitant son avocat à en prendre connaissance dans les locaux du greffe criminel. A cet égard, à la demande du Greffe, il fournit une lettre de l’avocat aux Conseils du requérant daté du 24 octobre 2006, dans laquelle il indique que, « naturellement sauf exception, il est de pratique habituelle d’informer le correspondant de la date de dépôt du rapport du conseiller rapporteur et de la date de l’audience », et précise que « à l’époque de [l’]affaire, soit en 2002, s’ils étaient informés de la date de ces étapes procédurales, les avocats aux Conseils ne disposaient, sauf exception, ni du texte de la partie publique du rapport (...), ni de celui des conclusions de l’Avocat général ». Il relève de plus que le Gouvernement se contredit dans la mesure où il affirme que l’avis d’information de la date de dépôt du rapport est immédiatement transmis à l’Ordre des avocats aux Conseils qui se charge lui-même de le déposer dans le casier réservé à l’avocat concerné alors qu’il soutient également que c’est le greffe de la Cour de cassation qui dépose les informations et documents à son intention. Enfin, peu importe, selon le requérant, que seule la première partie du rapport dite technique ait été transmise à l’avocat général puisque celle-ci ne lui a, dans les faits, pas été transmise.

La Cour rappelle que, à maintes reprises, elle a déjà jugé que compte‑tenu de l’importance du rapport du conseiller rapporteur, du rôle de l’avocat général et des conséquences de l’issue de la procédure pour les intéressés, le déséquilibre créé, faute d’une communication identique du rapport au conseil du prévenu, ne s’accordait pas avec les exigences du procès équitable (voir Reinhardt et Slimane-Kaïd, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, § 105 ; voir également, parmi tant d’autres, Mac Gee c. France, no 46802/99, § 15, 7 janvier 2003, et Berger c. France, no 42221/99, §§ 42 et s., CEDH 2002-X).

Dans la présente affaire, le Gouvernement prétend que la procédure s’est déroulée autrement dans la mesure où à l’époque où le requérant a formé son pourvoi, de nouvelles modalités d’instruction et de jugement des pourvois avaient été mises en œuvre à la Cour de cassation en vue de préserver le caractère contradictoire de la procédure et l’égalité des armes. Ces mesures tendaient à ce que la partie représentée comme en l’espèce par un avocat aux Conseils pouvait avoir connaissance, par l’intermédiaire dudit avocat, du premier volet du rapport du conseiller rapporteur, et ce, à compter du 5 février 2002. Au soutien de ses dires, le Gouvernement fournit une lettre du premier Président de la Cour de cassation adressée le 23 janvier 2002 à la Présidente de l’Ordre des avocats aux Conseils, l’avisant de la mise en place, à compter du 5 février 2002, de ces nouvelles modalités.

De son côté, le requérant conteste avoir reçu de la part de son avocat aux Conseils la partie publique du rapport.

Or, la Cour relève qu’il ressort des faits de l’espèce et particulièrement de la teneur des courriers échangés entre le requérant et son avocat aux conseils que, d’un commun accord, celui-ci s’est uniquement borné à régulariser la procédure de cassation en déposant le mémoire ampliatif rédigé par le requérant au greffe de la Cour de cassation. Ce faisant, alors qu’il était juridiquement représenté par un avocat aux Conseils, le requérant choisit de se défendre seul, avec pour conséquence que son avocat ne se sentit nullement tenu de l’informer des diverses étapes procédurales telle que la connaissance de la date de l’audience ; à cet égard, la Cour note que son avocat n’assista d’ailleurs pas à l’audience de jugement du pourvoi pour y présenter, si le cas s’y prêtait, des observations orales. En outre, dans sa lettre du 24 octobre 2006, cet avocat ne conteste pas, formellement, n’avoir jamais reçu notification d’un avis de dépôt du rapport du conseiller rapporteur dans son casier réservé des locaux de l’Ordre des avocats au sein même des locaux de la Cour de cassation.

Dans ces conditions, malgré les doutes exprimés par le requérant, la Cour prend acte des changements opérés par la Haute juridiction française à compter du 5 février 2002 pour les parties représentées par un avocat aux Conseils, et estime que cette pratique nouvelle remédie au déséquilibre constaté dans les affaires précitées. Elle tient donc pour acquis que le requérant, par l’intermédiaire de son avocat aux Conseils, aurait pu avoir connaissance du rapport du conseiller rapporteur (voir en particulier Fabre c. France, no 69225/01, § 31, 2 novembre 2004 où la Cour prend acte de la nouvelle pratique mise en place, et Marion et Marion c. France, (déc.), no 43751/02, 23 mai 2006, où la Cour fonde sa décision sur la date d’entrée en vigueur de cette pratique, le 5 février 2002).

Partant, la Cour estime que le grief du requérant est dénué de tout fondement. Elle constate en sus que l’examen du dossier ne révèle aucune apparence de violation de la Convention ou de ses Protocoles.

Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée, et doit être rejetée, par application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Il convient, dès lors, de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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