CEDH, Cour (cinquième section), OULD DAH c. FRANCE, 17 mars 2009, 13113/03

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 17 mars 2009, n° 13113/03
Numéro(s) : 13113/03
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2009
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 22 avril 2003
Jurisprudence de Strasbourg : Achour c. France [GC], no 67335/01, respectivement §§ 41-42, 43, 44, 51 et 54, CEDH 2006-IV
Aksoy c. Turquie, du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2278, § 62
Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001, § 60, 61, Recueil des arrêts et décisions 2001-XI
Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996-V
Lawless c. Irlande, arrêt du 1er juillet 1961, série A no 3, § 7, p. 45
Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22, § 52
Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3288, § 93
Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII
S.W. et C.R. c. Royaume-Uni, arrêts du 22 novembre 1995, respectivement série A n° 335-B, pp. 41-42, §§ 34-36, et série A no 335-C, pp. 68-69, §§ 32-34
Jorgic c. Allemagne, no 74613/01, § 101, 113, 12 juillet 2007
Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 69, 70 et 71, CEDH 2008-...
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V
Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, 82 et 108, CEDH 2001-II
Références à des textes internationaux :
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1984;Article 17 du Statut de la Cour pénale internationale;Convention américaine relative aux droits de l'homme du 22 novembre 1969;Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981
Organisations mentionnées :
  • Cour internationale de Justice
  • Cour pénale internationale
  • Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-91980
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:0317DEC001311303
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 13113/03
présentée par Ely OULD DAH
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 17 mars 2009 en une chambre composée de :

Rait Maruste, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 22 avril 2003,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Ely Ould Dah, est un ressortissant mauritanien, né en 1962. Il est représenté devant la Cour par Me C. Waquet, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Entre les mois de novembre 1990 et mars 1991, des affrontements eurent lieu entre des Mauritaniens d’origine arabo-berbère et d’autres appartenant à des ethnies d’Afrique noire. Des militaires de ces ethnies, accusés d’avoir fomenté un coup d’Etat, furent retenus prisonniers. Certains d’entre eux furent victimes d’actes de torture ou de barbarie de la part de leurs gardiens, parmi ces derniers le requérant, officier de renseignements à l’état-major de Nouakchott, en Mauritanie, avec le grade de lieutenant.

Le 14 juin 1993, une loi d’amnistie fut adoptée au bénéfice des membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992, et relatives aux événements ayant entraîné des actions armées et des actes de violence. En raison de cette loi, le requérant ne fut pas inquiété pour les faits commis sur des prisonniers.

En août 1998, le requérant, alors capitaine de l’armée mauritanienne, arriva en France pour effectuer un stage à l’école du commissariat de l’armée de terre de Montpellier.

Le 8 juin 1999, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et la Ligue des droits de l’homme déposèrent une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre du requérant, en raison des tortures qu’il aurait commises en Mauritanie en 1990 et 1991. Ces poursuites se fondaient sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 26 juin 1987 (ci-après « la Convention contre la torture »).

Le 1er juillet 1999, le requérant fut interpellé.

Le 2 juillet 1999, une information fut ouverte et le requérant fut mis en examen pour tortures ou actes de barbarie. Il fut placé en détention provisoire jusqu’au 28 septembre 1999, avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le requérant prit la fuite à une date non précisée. Un mandat d’arrêt fut délivré à son encontre au mois d’avril 2000.

Le 25 mai 2001, le juge d’instruction rendit une ordonnance de mise en accusation pour tortures et actes de barbarie et complicité. Il se fonda notamment sur les témoignages de neuf anciens militaires et sur celui de la veuve d’un dixième. Deux de ces personnes, réfugiées en France, avaient été confrontées avec le requérant au cours de l’instruction, les autres ayant apporté des témoignages écrits. Le requérant interjeta appel de cette ordonnance.

Par un arrêt du 8 novembre 2001, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier déclara l’appel du requérant irrecevable comme étant tardif. Le requérant forma un pourvoi en cassation.

Le 6 mars 2002, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la chambre de l’instruction et renvoya les parties devant la cour d’appel de Nîmes.

Par un arrêt du 8 juillet 2002, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes confirma l’ordonnance du juge d’instruction et ordonna sa mise en accusation devant la cour d’assises du Gard. Elle jugea que la condition prévue par l’article premier de la Convention contre la torture était remplie, les faits visés s’incluant dans le cadre « d’une purge ethnique » et d’une vaste campagne de répression mises en place par le gouvernement mauritanien au pouvoir à l’époque, et le requérant ayant reconnu avoir agi à titre officiel au sens des dispositions conventionnelles, en sa qualité d’officier de renseignements et de membre de la commission d’audition. La chambre de l’instruction estima en outre que les dispositions des articles 689, 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale, ainsi que l’article 7 § 2 de la Convention contre la torture donnaient compétence aux juridictions françaises pour juger de ces faits, pour leur appliquer la loi française et pour écarter une loi d’amnistie émanant d’un Etat étranger dont l’application entraînerait une violation des obligations internationales de la France et priverait de toute portée le principe de la compétence universelle. Considérant que le principe de légalité ne s’opposait pas à ce qu’une infraction soit définie dans un traité ou un accord international, celui-ci ayant une force supérieure à la loi, elle considéra que si les « tortures » avaient été érigées depuis le nouveau code pénal en « crime autonome » prévu et réprimé par les articles 222-1 et suivants du code pénal, elles constituaient cependant et antérieurement une circonstance aggravante de certaines infractions, et notamment du crime de violences qualifiées prévues par les articles 303 et 309 du code pénal abrogé, crime réprimé par une peine de « cinq à dix ans de réclusion criminelle » : elle en déduisit que les faits reprochés au requérant, constitutifs d’un crime, n’étaient pas prescrits et que l’unique limite à leur répression était l’application des seules peines applicables à l’époque des faits, sauf loi pénale plus douce.

Par un arrêt du 23 octobre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, estimant que la chambre de l’instruction avait justifié sa décision sur tous les points soulevés par le requérant.

Le requérant étant en fuite, une citation à comparaître devant la cour d’assises fut signifiée à parquet le 13 mai 2005.

Le 30 juin 2005, la cour d’assises du Gard tint son audience, les deux avocats de l’accusé étant entendus en l’absence de celui-ci.

Le 1er juillet 2005, la cour d’assises rendit deux arrêts. Dans le premier, elle condamna le requérant à dix ans de réclusion criminelle pour avoir, d’une part, volontairement soumis certaines personnes à des actes de torture et de barbarie et, d’autre part, provoqué de tels faits sur d’autres détenus par abus d’autorité ou en donnant des instructions aux militaires qui les ont commis. La cour d’assises visa notamment les articles 303 et 309 de l’ancien code pénal et 222-1 du code pénal, ainsi que la Convention contre la torture. Dans le second, elle alloua des dommages-intérêts aux différentes parties civiles.

B.  Le droit pertinent

1.  L’ancien code pénal

Article 303

« Seront punis comme coupables d’assassinat, tous malfaiteurs, quelle que soit leur dénomination, qui, pour l’exécution de leurs crimes, emploient des tortures ou commettent des actes de barbarie.

Ceux qui, pour l’exécution de leurs délits, emploient des tortures ou commettent des actes de barbarie seront punis de cinq à dix ans de réclusion criminelle. »

Article 309

« Toute personne qui, volontairement, aura porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné une maladie ou une incapacité totale de travail personnel pendant plus de huit jours sera punie d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 F à 20 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement. (...) »

2.  L’article 222-1 du nouveau code pénal (créé par la loi no 92-684 du 22 juillet 1992 et entré en vigueur le 1er mars 1994)

Article 222-1

« Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue par le présent article. »

La circulaire du 14 mai 1993 contenant les commentaires du nouveau code pénal et des dispositions de la loi du 16 décembre 1992 précise ce qui suit :

« L’expression tortures et actes de barbarie conserve le sens qui lui est actuellement donné par la jurisprudence lorsque ces actes sont visés à titre de circonstance aggravante. »

Tant le crime institué par la loi que l’ancienne circonstance aggravante de tortures ou actes de barbarie supposent la démonstration d’un élément matériel consistant dans la commission d’un ou plusieurs actes d’une gravité exceptionnelle qui dépassent de simples violences et occasionnent à la victime une douleur ou une souffrance aiguë, et d’un élément moral consistant dans la volonté de nier la dignité de la personne humaine (chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon, arrêt du 19 janvier 1996, commenté dans la revue Recueil Dalloz 1996, p. 258, et cité sous l’article 222-1 du Code pénal, Litec).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, les nouvelles incriminations relatives à la torture et aux actes de barbarie assurent la continuité des incriminations prévues par l’ancien code pénal (11 mai 2005, Bulletin criminel no 146, pourvoi no 05-81331 : fait une exacte application de la loi pénale dans le temps l’arrêt de renvoi devant une cour d’assises qui énonce que l’article 222-3, alinéa 2, du nouveau code pénal réprimant le crime de torture ou d’actes de barbarie en concours avec une agression sexuelle assure la continuité de l’incrimination prévue par l’ancien article 333-1, issu de la loi du 23 décembre 1980 et réprimant tout attentat à la pudeur accompagné de torture ou d’actes de barbarie).

La circulaire du 14 mai 1993 précise en outre que les dispositions du nouveau code pénal ont une portée beaucoup plus large que celles de la Convention contre la torture, cette dernière ne visant que les actes perpétrés par un agent public pour certains mobiles. Elle indique également que la nouvelle incrimination permet de combler d’importantes lacunes dans la répression en permettant de prendre en compte non seulement l’importance du préjudice subi par la victime, mais aussi la gravité des atteintes indépendamment de leur résultat : elle remédie en particulier aux inconvénients résultant de l’impossibilité de réprimer la tentative de coups et blessures volontaires sous l’ancien régime.

3.  Le code de procédure pénale

Article 379-2

« L’accusé absent sans excuse valable à l’ouverture de l’audience est jugé par défaut conformément aux dispositions du présent chapitre. Il en est de même lorsque l’absence de l’accusé est constatée au cours des débats et qu’il n’est pas possible de les suspendre jusqu’à son retour. (...) »

Article 379-5

« L’appel n’est pas ouvert à la personne condamnée par défaut. »

Article 689

« Les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre Ier du code pénal ou d’un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction. »

Article 689-1

« En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. Les dispositions du présent article sont applicables à la tentative de ces infractions, chaque fois que celle-ci est punissable. »

Article 689-2

« Pour l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l’article 689-1 toute personne coupable de tortures au sens de l’article 1er de la convention. »

4.  Les textes internationaux prohibant la torture

a)  La Convention contre la torture

Article 1

« 1.  Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

2.  Cet article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large. »

Article 2

« 1.  Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction.

2.  Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

3.  L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture. »

Article 4

« 1.  Tout Etat partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n’importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l’acte de torture.

2.  Tout Etat partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité. »

Article 5

« 1.  Tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants :

a)  Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit Etat ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet Etat ;

b)  Quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit Etat ;

c)  Quand la victime est un ressortissant dudit Etat et que ce dernier le juge approprié.

2.  Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article.

3.  La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois nationales. »

Article 6

« 1.  S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction visée à l’article 4 assure la détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être conformes à la législation dudit Etat ; elles ne peuvent être maintenues que pendant le délai nécessaire à l’engagement de poursuites pénales ou d’une procédure d’extradition.

2.  Ledit Etat procède immédiatement à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits.

3.  Toute personne détenue en application du paragraphe 1 du présent article peut communiquer immédiatement avec le plus proche représentant qualifié de l’Etat dont elle a la nationalité ou, s’il s’agit d’une personne apatride, avec le représentant de l’Etat où elle réside habituellement.

4.  Lorsqu’un Etat a mis une personne en détention, conformément aux dispositions du présent article, il avise immédiatement de cette détention et des circonstances qui la justifient les Etats visés au paragraphe 1 de l’article 5. L’Etat qui procède à l’enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du présent article en communique rapidement les conclusions auxdits Etats et leur indique s’il entend exercer sa compétence. »

Article 7

« 1.  L’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale.

2.  Ces autorités prennent leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction de droit commun de caractère grave en vertu du droit de cet Etat. Dans les cas visés au paragraphe 2 de l’article 5, les règles de preuve qui s’appliquent aux poursuites et à la condamnation ne sont en aucune façon moins rigoureuses que celles qui s’appliquent dans les cas visés au paragraphe 1 de l’article 5.

3.  Toute personne poursuivie pour l’une quelconque des infractions visées à l’article 4 bénéficie de la garantie d’un traitement équitable à tous les stades de la procédure. »

b)  Les autres textes internationaux

i.  Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

Article 5

« Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

ii.  Conventions de Genève du 12 août 1949

Article 3
[commun aux quatre Conventions]

« En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :

1)  Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.

A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :

a)  les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;

(...)

c)  les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;

(...) »

iii.  Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

iv.  Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966

Article 7

« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. »

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré en 1992, dans son Observation générale no 20 sur l’article 7 du Pacte international, avoir noté que certains Etats avaient octroyé l’amnistie pour des actes de torture, tout en précisant que « [l]’amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les Etats d’enquêter sur de tels actes ; de garantir la protection contre de tels actes dans leur juridiction ; et de veiller à ce qu’ils ne se reproduisent pas à l’avenir. Les Etats ne peuvent priver les particuliers du droit à un recours utile, y compris le droit à une indemnisation et à la réadaptation la plus complète possible » (Compilation des Observations générales et Recommandations générales adoptées par les organes de traités, UN Doc. HRI/GEN/1/Rev.1 (1994), p. 30).

v.  Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969

Article 5

« 1.  Toute personne a droit au respect de son intégrité physique, psychique et morale.

2.  Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne privée de sa liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. »

vi.  Protocole additionnel (no 2) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux du 8 juin 1977

Article 4

« (...)

2.  Sans préjudice du caractère général des dispositions qui précèdent, sont et demeurent prohibés en tout temps et en tout lieu à l’égard des personnes visées au paragraphe 1 :

a)  les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ;

(...) »

vii.  Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981

Article 5

« Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme, notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdites. »

viii.  Statut de la Cour pénale internationale

Article 17
Questions relatives à la recevabilité

« 1.  Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l’article premier, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque :

a)  L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ;

b)  L’affaire a fait l’objet d’une enquête de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce et que cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener véritablement à bien des poursuites ;

c)  La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l’objet de la plainte, et qu’elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l’article 20, paragraphe 3 ;

d)  L’affaire n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite.

2.  Pour déterminer s’il y a manque de volonté de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour considère l’existence, eu égard aux garanties d’un procès équitable reconnues par le droit international, de l’une ou de plusieurs des circonstances suivantes :

a)  La procédure a été ou est engagée ou la décision de l’Etat a été prise dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour visés à l’article 5 ;

b)  La procédure a subi un retard injustifié qui, dans les circonstances, est incompatible avec l’intention de traduire en justice la personne concernée ;

c)  La procédure n’a pas été ou n’est pas menée de manière indépendante ou impartiale mais d’une manière qui, dans les circonstances, est incompatible avec l’intention de traduire en justice la personne concernée.

3.  Pour déterminer s’il y a incapacité de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour considère si l’Etat est incapable, en raison de l’effondrement de la totalité ou d’une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l’indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure. »

5.  Les décisions de juridictions internationales

Dans un arrêt du 14 février 2002 (Affaire relative au mandat d’arrêt du 11 avril 2000, République démocratique du Congo c. Belgique), la Cour internationale de justice a constaté que le Congo n’invoquait plus la question de la prétention de la Belgique à exercer une compétence universelle et a décidé de n’examiner que la question du respect des immunités dont le ministre des Affaires étrangères congolais bénéficiait dans l’exercice de ses fonctions. La question de la compétence du juge belge et, partant, de l’exercice d’une compétence universelle, a été néanmoins abordée par certains juges dans des opinions individuelles jointes à l’arrêt (notamment, dans l’affaire précitée, au regard de la compétence universelle par défaut alors exercée par la Belgique).

Dans l’affaire Le Procureur c. Anto Furundzija (jugement du 10 décembre 1998, affaire no IT-95-17/1-T), le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a estimé ce qui suit :

« 153.  (...) En raison de l’importance des valeurs qu’il protège, [le] principe [de l’interdiction de la torture] est devenu une norme impérative ou jus cogens, c’est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier « ordinaire ». La conséquence la plus manifeste en est que les Etats ne peuvent déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales qui n’ont pas la même valeur normative.

154.  Clairement, la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture rend compte de l’idée que celle-ci est désormais l’une des normes les plus fondamentales de la communauté internationale. En outre, cette interdiction doit avoir un effet de dissuasion en ce sens qu’elle rappelle à tous les membres de la communauté internationale et aux individus sur lesquels ils ont autorité qu’il s’agit là d’une valeur absolue que nul ne peut transgresser.

155.  (...) Il serait absurde d’affirmer d’une part que, vu la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture, les traités ou règles coutumières prévoyant la torture sont nuls et non avenus ab initio et de laisser faire, d’autre part, les Etats qui, par exemple, prennent des mesures nationales autorisant ou tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les tortionnaires. (...)

156.  De surcroît, à l’échelon individuel, à savoir celui de la responsabilité pénale, il semblerait que l’une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à l’interdiction de la torture par la communauté internationale fait que tout Etat est en droit d’enquêter, de poursuivre et de punir ou d’extrader les individus accusés de torture, présents sur son territoire. (...) »

On trouve des déclarations similaires dans les jugements Procureur c. Mucić et consorts (16 novembre 1998, affaire no IT-96-21-T, § 454) et Procureur c. Kunarac et consorts (22 février 2001, affaire nos IT 96-23-T et IT-96-23/1-T, § 466).

GRIEFS

Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été poursuivi et condamné en France pour des faits commis en Mauritanie en 1990 et 1991, alors qu’il ne pouvait prévoir que la loi mauritanienne serait écartée au profit de la loi française, que cette dernière n’érigeait pas la torture en infraction autonome à l’époque des faits et que les dispositions du nouveau code pénal lui ont été appliquées rétroactivement.

EN DROIT

Le requérant se plaint d’avoir été poursuivi et condamné par les juridictions françaises. Il invoque l’article 7 de la Convention, lequel dispose :

« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

A.  Arguments des parties

1.  Le Gouvernement

Le Gouvernement considère à titre principal que la présente requête constitue un abus de droit au sens de l’article 17 de la Convention, le requérant ayant commis des actes contraires à l’article 3 de la Convention au cours des événements qui se sont déroulés en Mauritanie en 1990 et 1991, autrement dit des actes visant à la destruction des droits et libertés reconnus par la Convention.

A titre subsidiaire, le Gouvernement estime la requête manifestement mal fondée. Il indique tout d’abord que la loi française appliquée au requérant était accessible et prévisible. A l’époque où les faits se sont déroulés, les règles de compétence universelle contenues dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (ci-après « la Convention contre la torture ») avaient été transposées dans le droit français, à savoir dans l’article 689-2 du code de procédure pénale introduit par une loi du 30 décembre 1985. La Convention contre la torture avait d’ailleurs été ratifiée dès 1985 par la loi, avant d’entrer en vigueur le 26 juin 1987. Par ailleurs, les faits de torture étaient réprimés par l’article 303 de l’ancien code pénal, sous la forme de circonstances aggravantes. Le Gouvernement en conclut que l’accessibilité de la loi ne peut être contestée par le requérant. Il rejette également l’argument de ce dernier, tiré du fait que la loi pénale était rédigée dans une langue qui lui est étrangère, dès lors que le requérant suivait une formation militaire de très haut niveau en France après avoir réussi un concours d’entrée en langue française. S’agissant de la prévisibilité, le Gouvernement observe que le requérant était assisté des conseils de son choix et que le système de compétence mis en application par les juridictions françaises découle d’un texte international à vocation universelle et, partant, prévisible. Il estime donc que le requérant ne pouvait sérieusement prétendre ignorer qu’en sa qualité d’officier de renseignement et de responsable d’un camp où furent torturés des dizaines de militaires mauritaniens d’origine subsaharienne, les faits commis étaient répréhensibles au niveau international, et que la loi mauritanienne d’amnistie ne pouvait être invoquée compte tenu de l’interdiction de la torture en toutes circonstances consacrée par le droit international.

Le Gouvernement estime que l’infraction de tortures existait dans le droit français avant l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, lorsque les faits ont été commis. D’une part, les Etats ayant ratifié la Convention contre la torture étaient tenus d’établir leur compétence en droit interne pour les actes de torture, alors même que ces actes n’avaient aucun lien de rattachement direct avec l’Etat. La France a donc adapté sa législation et adopté les dispositions des articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale à cette fin. Surtout, le Gouvernement précise que le requérant a été condamné, d’une part, en vertu des articles 303 et 309 du code pénal applicable au moment des faits et, d’autre part, s’est vu infliger une peine de dix années de réclusion criminelle qui constituait le maximum encouru pour des faits de torture à l’époque des faits. Il précise que si la torture ne constituait pas une infraction autonome au moment des faits, elle était néanmoins prévue, revêtait déjà une nature criminelle faisant encourir une peine criminelle.

Enfin, le Gouvernement rappelle que l’exception prévue au paragraphe 2 de l’article 7 de la Convention avait pour but d’empêcher la remise en cause des législations adoptées après la Seconde Guerre mondiale pour réprimer les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Selon lui, le recours aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » renvoie aux conventions de protection des droits de l’homme à vocation universelle. Or il ressort du droit international qu’aucune dérogation ne peut justifier l’acte de torture.

2.  Le requérant

Le requérant estime que l’invocation de l’article 17 de la Convention est hors de propos, puisqu’il ne cherche pas à soutenir le droit pour quiconque de se livrer à des actes de torture. Sa requête a pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles un Etat peut s’autoriser à juger une personne et des faits qui lui sont totalement étrangers, question suffisamment importante pour ne pas être éludée au travers de l’article 17. Or il rappelle qu’en changeant de régime la Mauritanie a adopté une loi d’amnistie destinée à permettre la reconstruction du pays, loi dont il réclame le bénéfice.

Concernant la prévisibilité de la loi, son affaire est la première hypothèse de ce type en France et la compétence des juridictions françaises, découlant éventuellement de la Convention contre la torture, n’impliquait pas celle de la loi française. D’ailleurs, une telle démarche pourrait rendre la règle de droit imprévisible si tous les pays appliquaient leurs propres règles.

Le requérant maintient qu’il a en outre été condamné pour une infraction qui n’existait pas de façon autonome à la date des faits poursuivis.

Enfin, il estime que l’exception prévue au paragraphe 2 de l’article 7 est étrangère à la question posée de l’application de la loi d’amnistie mauritanienne, une loi d’amnistie n’équivalant pas à refuser la condamnation des actes de torture, mais visant à la réconciliation nationale.

B.  Appréciation de la Cour

La Cour rappelle tout d’abord que l’article 17 de la Convention, pour autant qu’il vise des individus, a pour but de les mettre dans l’impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention. Si personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés ci-dessus visés, cette disposition, qui a une portée négative, ne saurait être interprétée a contrario comme privant une personne physique des droits individuels fondamentaux garantis aux articles 5 et 6 de la Convention (Lawless c. Irlande (no 3), 1er juillet 1961, p. 45, § 7, série A no 3). De l’avis de la Cour, il en va de même s’agissant des droits garantis à l’article 7 de la Convention.

En l’espèce, le requérant ne se prévaut pas de la Convention en vue de justifier ou d’accomplir des actes contraires aux dispositions de l’article 3. Il a saisi la Cour d’une requête pour avoir été privé, selon lui, des garanties de l’article 7 de la Convention. Par conséquent, il ne saurait être empêché de s’en prévaloir en vertu des dispositions de l’article 17 de la Convention.

La Cour note également que le requérant ne conteste pas la compétence des juridictions françaises, question qui ne relève au demeurant pas de l’article 7 de la Convention, mais qu’il se plaint de ce que celles-ci ont appliqué le droit français et non le droit mauritanien, dans des conditions contraires aux prescriptions de l’article 7.

La Cour rappelle que dans son arrêt Achour c. France ([GC], no 67335/01, CEDH 2006-IV), elle a estimé que « les Hautes Parties contractantes [sont libres] de décider de leur politique criminelle, sur laquelle elle n’a pas en principe à se prononcer » et que « le choix par un Etat de tel ou tel système pénal échappe en principe au contrôle européen exercé par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention » (ibidem, respectivement §§ 44 et 51).

La Cour rappelle également que la garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 69, CEDH 2008)

L’article 7 de la Convention consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier, l’application rétroactive du droit pénal lorsqu’elle s’opère au détriment de l’accusé (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie.

Il s’ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et quelles omissions engagent sa responsabilité pénale. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l’accessibilité et de la prévisibilité (voir, notamment, Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, Achour, précité, §§ 41-42, et Korbely, précité, § 70).

La tâche qui incombe à la Cour est donc de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII, et Achour, précité, § 43).

Par ailleurs, la Cour réaffirme que sous l’angle de l’article 7 § 1 de la Convention, aussi clair que le libellé d’une disposition pénale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire et il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. En effet, il est solidement établi dans la tradition juridique des Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (S.W. c. Royaume‑Uni, 22 novembre 1995, §§ 34-36, série A no 335-B, et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, §§ 32-34, série A no 335-C, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001-II, Jorgic c Allemagne, no 74613/01, § 101, CEDH 2007‑III, et Korbely, précité, § 71). Certes, cette notion s’applique en principe à l’évolution progressive de la jurisprudence dans un même Etat de droit et sous un régime démocratique, éléments qui constituent les pierres angulaires de la Convention, comme l’atteste son préambule, mais elle garde toute sa valeur lorsque, comme en l’espèce, il y a eu adoption d’un texte international de défense des droits de l’homme à valeur universelle (voir, mutatis mutandis, Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 82). Un raisonnement contraire irait à l’encontre des principes mêmes sur lesquels est bâti tout le système de protection mis en place par la Convention (ibidem).

En l’espèce, la Cour relève que les juridictions françaises bénéficient dans certains cas d’une compétence universelle, dont le principe est posé par l’article 689-1 du code de procédure pénale. Elles peuvent ainsi juger l’auteur d’une infraction quelle que soit sa nationalité, celle de sa victime et où que soit situé le lieu de commission, à la double condition qu’il se trouve sur le territoire français et que cela intervienne en application de certaines conventions internationales.

La Cour constate que ces deux conditions étaient remplies en l’espèce. D’une part, le requérant, officier de l’armée mauritanienne, ressortissant mauritanien, a été poursuivi en France et arrêté alors qu’il se trouvait en France en 1999 et finalement condamné par défaut, le 1er juillet 2005, pour avoir commis des actes de torture et de barbarie en Mauritanie courant 1990 et 1991. D’autre part, la Cour note qu’à l’époque des faits, la Convention contre la torture adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984, était déjà entrée en vigueur, et ce depuis le 26 juin 1987, y compris en France, laquelle avait préalablement transposé cette convention dans son droit interne par la loi no 85-1407 du 30 décembre 1985 insérant un nouvel article 689-2 dans le code de procédure pénale à cette fin.

De plus, l’interdiction de la torture occupe une place primordiale dans tous les instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme, notamment, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ou encore dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui a spécialement vocation à s’appliquer sur le continent dont est originaire le requérant. L’article 3 de la Convention prohibe également en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, et il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 62, Recueil 1996-VI, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 93, Recueil 1998-VIII, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V).

La Cour estime, en accord avec la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), que l’interdiction de la torture a valeur de norme impérative, c’est-à-dire de jus cogens (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 60, CEDH 2001-XI). Si elle a admis que les Etats peuvent néanmoins prétendre à l’immunité en cas d’actions civiles en dommages-intérêts pour des actes de torture qui auraient été perpétrés en dehors de la loi de l’Etat du for (ibidem, § 66), la présente affaire ne concerne pas la question de l’immunité d’un Etat en cas d’action civile d’une victime de torture, mais la responsabilité pénale d’un individu pour des actes de torture qui auraient été commis (voir, a contrario, ibidem, § 61).

Or, de l’avis de la Cour, l’impérieuse nécessité de l’interdiction de la torture et de la poursuite éventuelle des personnes qui enfreignent cette règle universelle, ainsi que l’exercice par un Etat signataire de la compétence universelle prévue par la Convention contre la torture, seraient vidés de leur substance s’il fallait retenir seulement la compétence juridictionnelle de cet Etat, sans pour autant admettre l’applicabilité de la législation pertinente dudit Etat. A n’en pas douter, écarter cette législation au profit de décisions ou de lois de circonstance adoptées par l’Etat du lieu des infractions, agissant pour protéger ses propres ressortissants ou, le cas échéant, sous l’influence directe ou indirecte des auteurs de ces infractions, en vue de les disculper, conduirait à paralyser tout exercice de la compétence universelle, et réduirait à néant le but poursuivi par la Convention contre la torture. A l’instar du Comité des droits de l’homme des Nations unies et du TPIY, elle considère que l’amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les Etats d’enquêter sur de tels actes.

Force est de constater qu’en l’espèce la loi d’amnistie mauritanienne est intervenue non pas après jugement et condamnation du requérant, mais précisément en vue d’empêcher toute poursuite pénale à l’encontre de celui-ci. Certes, d’une manière générale, on ne saurait exclure la possibilité d’un conflit entre, d’une part, la nécessité de poursuivre les crimes commis et, d’autre part, la volonté de réconciliation du corps social d’un pays. En tout état de cause, aucun processus de réconciliation de ce type n’a été mis en place en Mauritanie. Cependant, comme la Cour l’a déjà relevé, l’interdiction de la torture occupe une place primordiale dans tous les instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme et consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. On ne saurait dès lors remettre en cause l’obligation de poursuivre de tels faits en accordant l’impunité à son auteur par l’adoption d’une loi d’amnistie susceptible d’être qualifiée d’abusive au regard du droit international. La Cour relève au demeurant que ce dernier n’exclut pas le jugement d’une personne amnistiée avant jugement dans son Etat d’origine par un autre Etat, ce qui ressort par exemple de l’article 17 du Statut de la Cour pénale internationale qui ne compte pas cette situation au nombre des causes d’irrecevabilité d’une affaire.

Enfin, une lecture combinée des articles 4 et 7 de la Convention contre la torture qui prévoient, d’une part, l’obligation qu’ont les Etats de veiller à ce que les actes de torture constituent des infractions au regard de leur propre législation et, d’autre part, la compétence des autorités internes pour prendre leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction de droit commun de caractère grave en vertu de leur droit interne, permet raisonnablement d’en conclure, comme le fit la cour d’appel de Nîmes, à la compétence non seulement des juridictions françaises, mais également de la loi française. La Cour note d’ailleurs que le Comité contre la torture des Nations unies, dans ses conclusions et recommandations relatives à la France en date du 3 avril 2006, a expressément salué l’arrêt de la cour d’assises de Nîmes condamnant le requérant.

Eu égard à ce qui précède, la Cour estime, en l’espèce, que la loi d’amnistie mauritanienne n’était pas de nature, en soi, à empêcher l’application de la loi française par les juridictions françaises saisies des faits au titre de la compétence universelle, et que la solution retenue par les juridictions françaises était fondée.

Il convient dès lors d’examiner la question de l’accessibilité et de la prévisibilité de la loi française appliquée au requérant.

Sur ce point, la Cour relève qu’à l’époque des faits reprochés au requérant, à savoir avant l’entrée en vigueur du nouveau code pénal intervenue le 1er mars 1994, tant la torture que les actes de barbarie étaient expressément visés par l’article 303 du code pénal. Aux termes de ce dernier, ils constituaient une circonstance aggravante entraînant soit une peine semblable à celle encourue par une personne coupable d’assassinat lorsqu’ils accompagnaient un crime, soit une peine de cinq à dix ans de réclusion criminelle lorsqu’ils accompagnaient un délit. L’article 309 visait quant à lui les coups et violences ayant entraîné une incapacité totale de travail personnel de plus de huit jours.

La Cour constate que le requérant a notamment été condamné en vertu des articles 303 et 309 du code pénal applicables au moment des faits, dispositions expressément citées dans le dispositif de la décision. Certes, le requérant estime que ces textes ne pouvaient fonder sa condamnation, dès lors qu’ils ne constituaient pas des infractions distinctes, mais des circonstances aggravantes de la commission d’un crime ou d’un délit. Par ailleurs, l’arrêt de la cour d’assises fait expressément mention de l’article 222-1 du code pénal.

La Cour note cependant que les faits de torture et d’actes de barbarie étaient, comme elle l’a relevé, expressément prévus par le code pénal applicable à l’époque des faits. Il ne saurait être déterminant, en l’espèce, qu’ils aient alors constitué non des infractions distinctes, mais des circonstances aggravantes : ils pouvaient en tout état de cause être légalement opposés à toute personne auteur d’un crime ou d’un délit, et constituaient, sur le fondement d’un texte spécial, des éléments supplémentaires et distincts de l’infraction principale, entraînant une peine supérieure à celle prévue pour l’infraction principale. La Cour constate d’ailleurs que la circulaire du 14 mai 1993 commentant la nouvelle incrimination indique expressément que l’expression « tortures et actes de barbarie » conserve le sens qui lui était donné par la jurisprudence lorsque ces actes étaient visés à titre de circonstance aggravante, ce qui a ultérieurement été confirmé dans une jurisprudence interne, la Cour de cassation ayant même jugé que les nouvelles incriminations relatives à la torture et aux actes de barbarie assurent la continuité des incriminations prévues par l’ancien code pénal. Elle note en outre que la différence entre la nouvelle incrimination et les anciennes dispositions s’expliquent surtout par le fait que le nouveau texte a une portée plus large que celui de la Convention contre la torture, puisque cette incrimination tend à combler des lacunes en matière de poursuites dans des situations toutefois étrangères à la présente espèce.

Par ailleurs, la peine infligée au requérant n’a pas dépassé le maximum encouru aux termes des dispositions de l’article 303 du code pénal applicable à l’époque des faits.

Quant aux dispositions de l’article 222-1 du code pénal entrées en vigueur le 1er mars 1994, elles constituent essentiellement, aux yeux de la Cour, une évolution du code pénal entraînant non pas l’apparition d’une nouvelle infraction, mais un aménagement législatif concernant des comportements qui étaient déjà expressément visés et réprimés par l’ancien code pénal. Force est de constater que la peine plus forte encourue au regard de l’article 222-1 n’a pas été appliquée au requérant en l’espèce. Il ne saurait donc y avoir un quelconque problème de rétroactivité.

Eu égard à tout ce qui précède, la Cour estime qu’au moment où elles ont été commises, les actions du requérant constituaient des infractions définies avec suffisamment d’accessibilité et de prévisibilité d’après le droit français et le droit international, et que le requérant pouvait raisonnablement, au besoin à l’aide d’un avis juridique éclairé, prévoir le risque d’être poursuivi et condamné pour les actes de torture qu’il a commis entre 1990 et 1991 (voir, notamment, Achour, précité, § 54, Jorgic, précité, § 113, et Korbely, précité, § 70).

Dès lors, la condamnation du requérant par les juridictions françaises n’est pas intervenue en méconnaissance de l’article 7 § 1 de la Convention.

A la lumière de cette considération, la Cour n’a pas à examiner la question de savoir si cette condamnation se justifiait sur la base de l’article 7 § 2 de la Convention (Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 108).

Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.



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CEDH, Cour (cinquième section), OULD DAH c. FRANCE, 17 mars 2009, 13113/03