CEDH, Cour (troisième section), MOLIE c. ROUMANIE, 1er septembre 2009, 13754/02

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 1er sept. 2009, n° 13754/02
Numéro(s) : 13754/02
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 22 février 2002
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-94259
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:0901DEC001375402
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 13754/02
présentée par Viorel MOLIE
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 1er septembre 2009 en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 22 février 2002,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Viorel Molie, est un ressortissant roumain, né en 1956 et résidant à Botoşani. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  L’accident mortel du fils du requérant

3.  Le 24 septembre 1998, le fils aîné du requérant, Cristian Molie, alors âgé de quinze ans, fut victime d’un grave accident sur le terrain de sport de son lycée. Pendant la pause, avant la classe d’éducation physique, il s’était rendu sur le terrain de sport accompagné par deux camarades de classe. Alors qu’il était en train de se balancer sur la barre supérieure du cadre d’un des buts placés sur le terrain de sport, le cadre, qui n’était pas fixé au sol ou à l’aide d’un autre dispositif, se renversa et écrasa sa tête.

4.  Après avoir été hospitalisé d’urgence le même jour, Cristian Molie décéda des suites de ses blessures deux jours après l’accident, le 26 septembre 1998.

5.  Le requérant porta plainte avec constitution de partie civile contre la direction de l’école pour n’avoir pas assuré le respect des règlements de sécurités relatifs aux appareils sportifs, y compris par l’absence d’instruction aux élèves sur l’usage de ces appareils, et demanda au parquet que les personnes responsables soient identifiées.

6.  Le 17 décembre 1998, le parquet ordonna une expertise technique visant à établir les circonstances de la chute du cadre et les caractéristiques de l’équipement impliqué. Une des questions posées par le procureur était celle de savoir quelles étaient les possibilités concrètes de fixation des cadres des buts de handball sur le terrain sur lequel ils étaient posés.

7.  Dans son rapport d’expertise soumis le 25 mai 1999, le troisième expert désigné, après le désistement de deux autres experts, répondit que « les cadres des buts pouvaient être fixés, par ancrage, à partir des murs de clôture, seulement pendant la période dans laquelle ils n’étaient pas utilisés ».

8.  Le 4 juin 1999, le parquet auprès du tribunal de première instance de Botoşani classa le dossier au motif que personne n’était responsable pénalement pour la mort du fils du requérant. Le parquet constata que pendant la pause avant la classe d’éducation physique, vers 15 heures, Cristian Molie s’était rendu sur le terrain de sport accompagné par deux camarades, Florin Z. et Adrian T. Un des deux camarades de classe, Florin, avait escaladé le cadre du but placé sur le terrain. Le fils du requérant s’était accroché sur la barre supérieure du même but et avait commencé à se balancer, alors que son camarade Florin était penché, le ventre posé au dessus du cadre. L’appareil s’était alors déséquilibré et avait entraîné dans sa chute les deux élèves. Le fils du requérant était tombé par terre subissant une grave blessure à la tête, qui avait provoqué un coma. Le rapport médico-légal établi indiquait que « les lésions cérébrales de la victime pourraient être dues à l’impact avec un plan dur, provoqué par une chute associée à une compression de la tête ».

9.  Le procureur observa que le règlement datant de 1986 et émanant du ministère de l’Éducation prévoyait la nécessité d’assurer « la fixation au sol des cadres des buts de handball, de football [...] et des autres appareils sportifs placés dans les cours des écoles » et obligeait les directions des écoles « à interdire lesdits appareils s’ils n’étaient pas solidement fixés au sol ». Cependant, le procureur considéra que selon « les recommandations techniques relatives à l’aménagement des terrains sportifs éditées en 1978 », deux types de cadres de buts de handball pouvaient être utilisés : des cadres fixes et des cadres mobiles. D’après le procureur, ces derniers ne devaient pas être fixés au sol, car ils étaient mobiles. Par ailleurs, le procureur nota que la direction du lycée en cause était contrainte à recourir à ce type d’appareil car il y avait un seul terrain de sport de dimensions très réduites où un grand nombre d’élèves venaient faire du sport.

10.  En outre, il nota qu’à la suite d’une expertise technique accomplie par des professeurs universitaires de l’institut de spécialité de Iaşi il s’était avéré que l’appareil en cause, « était stable, par sa construction », et n’aurait pas pu se renverser dans des conditions d’utilisation normale, et que :

« Il a été conclu que l’appareil n’aurait pu être renversé sous le poids d’un seul élève, même si ce dernier s’était balancé dessus. Par ailleurs, le but n’aurait pas pu être renversé non plus sous le poids de deux élèves accrochés à la barre supérieure. Le but s’est toutefois renversé à cause du fait qu’un des élèves s’est balancé avec des mouvements d’une amplitude de plus de 60 degrés par rapport à la verticale. »

Le procureur nota ensuite qu’une utilisation normale des cadres des buts n’impliquait pas de faire des « exercices acrobatiques ».

11.  Prenant en compte les déclarations de la professeure de sport et des camarades d’école de la victime, le procureur retint que les instructions de sécurité pour l’utilisation des appareils sportifs avaient été portées à la connaissance des élèves.

En dernier lieu, le parquet estima qu’il ne s’agissait pas d’un accident du travail et que la loi sur la protection du travail n’était, dès lors, pas applicable.

12.  Le 20 juin 1999, le parquet auprès du tribunal départemental de Botoşani décida, sur demande du requérant, la réouverture de l’enquête.

Le 14 octobre 1999, trois témoins furent entendus par le procureur, dont Adrian T. et deux autres camarades de classe du requérant, Ciprian G. et Cornel C.

13.  Dans sa déposition, le premier témoin, Adrian T. déclarait que :

« (...) nous n’avons rien signé (...)

Madame la professeure de sport ne nous a rien dit au sujet de la manière de se comporter et d’utiliser les cadres des buts ou les panneaux de basket, elle nous a seulement dit de venir à la salle des professeurs et, avant le début de la classe de sport, elle nous a informés de l’endroit où nous allons nous retrouver pour faire la classe. »

14.  Le témoin Ciprian G. déclara devant le procureur que sa première déclaration faite au cours de l’enquête ne correspondait pas à la réalité de ses dires et qu’il ne l’avait pas écrite lui-même. Il ajouta que les élèves n’avaient jamais été informés par la professeure de sport du fait que les buts n’étaient pas fixés au sol. En outre, il déclara que deux semaines après l’accident de Cristian Molie, les cadres des buts avaient été attachés par des cordes métalliques aux murs de clôture du terrain de sport.

15.  Le témoin Cornel C. déclara lui aussi que les élèves n’avaient pas été informés sur l’utilisation des cadres des buts, ni sur le fait qu’ils n’étaient pas fixés au sol. Il ajouta que sa première déclaration « à la page 11 du dossier » avait été écrite par un policier et que sa dernière phrase qui mentionnait qu’il aurait été informé des mesures de prévention des accidents lors de la première classe de sport, ne correspondait pas à la réalité.

16.  Le 3 décembre 1999, le parquet auprès du tribunal de première instance de Botoşani décida de classer le dossier, se fondant sur l’article 11, point 1, a) combiné avec l’article 10, a), du code de procédure pénale au motif que personne n’était pénalement responsable de l’accident (nu există învinuit în cauză). Le parquet indiquait dans sa décision que, en ce qui concernait les dédommagements, le requérant pouvait introduire une action civile contre le lycée, civilement responsable de la mort de son fils.

17.  Le 31 mai 2000 le parquet auprès du tribunal départemental de Botoşani confirma cette décision.

18.  Le 27 novembre 2000, le parquet auprès de la Cour suprême de justice confirma la décision du parquet auprès du tribunal de première instance.

19.  Le requérant se pourvut contre les décisions des parquets devant le tribunal de première instance de Botoşani. La professeure de sport et l’Inspection académique du département (Inspectoratul şcolar al judeţului Botoşani) comparurent devant le tribunal.

20.  Le 15 mai 2001, le tribunal de première instance rejeta la contestation du requérant contre la décision de classement prise par le parquet. Le tribunal rejeta toutes les demandes du requérant concernant l’administration de nouvelles preuves en « ne les considérant plus utiles » et motiva sa décision comme suit :

« Examinant l’ensemble des éléments de preuve produits en l’affaire, le tribunal constate que la décision du parquet auprès du tribunal de première instance de Botoşani de classer le dossier est bien fondée et légale. Pour ce motif, il rejette la contestation du requérant comme manifestement mal fondée. »

21.  Le 1er novembre 2001, le tribunal départemental de Botoşani rejeta le recours du requérant contre la décision du tribunal de première instance. Après avoir repris les faits établis par le parquet et les décisions rendues antérieurement, le tribunal estima que la culpabilité des professeurs du lycée où son fils avait été scolarisé n’avait pas été établie.

2.  Observations de l’Inspection académique du département de Botoşani à l’égard de la sécurité des élèves à l’école

22.  Les observations datant du 13 octobre 1993, de l’Inspection académique (inspectoratul şcolar) du département de Botoşani furent versées au dossier de l’enquête concernant de décès accidentel de Cristian Molie. Ces observations avaient été renvoyées à tous les établissements scolaires du département et se lisent ainsi dans leurs parties pertinentes :

« Il ressort des contrôles réalisés que, dans beaucoup d’établissement d’enseignement, une attention insuffisante est accordée aux normes de protection de l’activité.

Dès le début de cette année académique, dans notre département deux accidents mortels ont été enregistrés, ayant des élèves pour victimes, l’un à l’orphelinat (Casa de Copii) no 1 de Dorohoi et l’autre à l’école Victoria de Hlipiceni.

Votre attention est attirée sur le fait que l’inexécution du Programme de mesures d’organisation et de déroulement des activités de protection de l’activité dans les établissements de l’enseignement primaire et secondaire (preuniversitar), élaboré par les ministères de l’Enseignement et du Travail, qui vous a été transmis par notre lettre no 3148/1993, entraîne la responsabilité contraventionnelle ou pénale, le cas échéant.

Pendant la période à venir, vous serez sujets à des contrôles par des agents chargés de la protection du travail (...) »

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

23.  L’essentiel du droit interne pertinent, à savoir les extraits du code civil et du code de procédure pénale, et de la pratique interne pertinente est décrit dans l’affaire Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, §§ 36-43, 26 juillet 2007.

GRIEFS

24.  Invoquant les articles 2, 6 et 13 de la Convention le requérant dénonce le manquement des autorités roumaines à leur obligation positive de protéger la vie de son fils et à leur obligation de procéder à une enquête effective, propre à conduire à l’identification et à la punition des responsables.

EN DROIT

25.  Le requérant se plaint d’une atteinte au droit à la vie de son fils. Il invoque, en substance, l’article 2 de la Convention, qui dispose :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) »

26.  Le Gouvernement excipe tout d’abord du non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que le requérant n’a pas entamé une action en responsabilité civile contre l’établissement scolaire ou contre les personnes qu’il considérait responsables de la survenance de l’accident dont son fils a été victime.

27.  Le requérant allègue qu’une action civile pour sanctionner la négligence coupable des responsables de l’école où son fils a subi l’accident mortel était vouée elle aussi à l’échec en raison de la conclusion du parquet selon laquelle personne ne pouvait en être tenu responsable.

28.  La Cour rappelle que, si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation positive découlant de l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Se prononçant dans le contexte spécifique des négligences médicales, la Cour a établi que pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I).

29.  Ces principes peuvent s’appliquer également s’agissant, comme en l’espèce, de la négligence des fonctionnaires ou organes de l’État ayant la garde de personnes vulnérables et chargés de veiller sur celle-ci, pour autant que leurs actes ou omissions puissent mettre en danger la vie de ces personnes dont la capacité de prendre soins d’eux-mêmes est limitée (voir mutatis mutandis, Dodov c. Bulgarie, no 59548/00, § 81, 17 janvier 2008).

30.  Dans le cas présent, la Cour note que le parquet auprès du tribunal de première instance de Botoşani, dans sa décision de non-lieu du 3 décembre 1999, a conseillé au requérant d’introduire une action en responsabilité civile délictuelle.

31.  S’agissant de l’efficacité d’une telle action fondée sur les dispositions du Code civil régissant la responsabilité civile délictuelle générale, la Cour note que cette question a été examinée par la Cour dans son arrêt Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 83, 26 juillet 2007. Dans cette affaire, la Cour a considéré sous l’angle de l’article 13 de la Convention, qu’une action civile en dédommagement contre des policiers accusés de mauvais traitements aurait des chances limitées de succès ; elle serait, dès lors, théorique et illusoire et inapte à offrir un redressement approprié au requérant. Analysant les exemples de pratique interne évoqués par le Gouvernement défendeur et plusieurs opinions de professeurs de droit réputés, elle a retenu à cet égard que, même si les tribunaux saisis d’une action civile avaient la possibilité d’apprécier les faits indépendamment, en pratique, le poids attaché au résultat d’une enquête pénale préalable était si important que, même les preuves les plus convaincantes fournies par le plaignant seraient très souvent ignorées. Parmi les nombreux exemples fournis par le Gouvernement, dans l’affaire Cobzaru précitée, la Cour n’a pas trouvé un seul cas dans lequel un tribunal civil ne se soit pas considéré lui-même tenu par les constats des procureurs estimant que les agents de l’État n’étaient pas les auteurs des mauvais traitements allégués.

32.  Toutefois, à la différence de l’affaire Cobzaru précitée, dans laquelle les policiers accusés avaient nié avoir perpétré des violences à l’encontre des victimes, dans la présente affaire, l’essentiel des faits à l’origine de la plainte pénale n’avait pas prêté à de controverses entre les parties, tout comme les règlements applicables. Toutefois, aux yeux des autorités responsables de l’enquête, ces faits ont semblé insuffisants pour engager la responsabilité pénale pour négligence. Dès lors, compte tenu du fait que les conditions pour engager la responsabilité civile pour faute sont moins exigeantes que ceux nécessaires pour une condamnation pénale (voir le paragraphe 23, ci-dessus), il aurait été loisible au requérant d’entamer une action civile. De plus, le procureur a indiqué lui-même, dans sa décision que la voie civile était ouverte au requérant.

33.  Or, une fois l’action pénale clôturée, le requérant n’a jamais entamé une action civile de ce type, se fermant ainsi l’accès à cette voie. En l’occurrence, celle-ci était de nature, dans le contexte spécifique de la présente affaire, à satisfaire aux obligations positives découlant de l’article 2 pour faire la lumière sur la portée de la responsabilité de l’école quant au décès de son fils s’agissant de l’absence d’instruction pour l’utilisation des appareils sportifs et des défaillances relatives à la fixation des buts mobiles, (Calvelli et Ciglio, précité, § 55).

34.  En tout état de cause, à supposer même que les voies de recours accessibles au requérant auraient été épuisées, la Cour considère que la requête est irrecevable pour les motifs indiqués ci-dessous.

35.  S’agissant du bien-fondé du grief relatif aux défaillances de l’État par rapport à ses obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, le Gouvernement souligne qu’en l’espèce l’État avait pris toutes les mesures de prévention afin d’éviter des accidents lors des classes d’éducation physique. Il renvoie à cet égard à l’arrêté ministériel no 6226/1986 du ministère de l’Éducation qui prévoyait, d’un part, « la nécessité de fixation au sol des cadres des buts de handball, de football (...) et d’autres appareils sportifs placés dans les cours des écoles » et d’autre part, que l’information des élèves quant à l’utilisation des appareils sportifs devait être réalisée par les professeurs, chargés également de dresser un procès-verbal à cette fin. En outre, le Gouvernement estime que les classes de sport dans à l’école ne représentent pas une activité dangereuse.

36.  Faisant valoir que l’accident dont le fils du requérant a été victime s’est produit dans des conditions d’utilisation de l’appareil sportif ne correspondant pas à son usage normal et pendant la pause, avant que le professeur commence sa classe de sport, le Gouvernement considère que la responsabilité de l’État ne peut pas être engagée dans des circonstances qui excèdent ce qui est prévisible, sans faire peser sur les autorités responsables une charge excessive.

37.  Le requérant estime que les autorités administratives responsables des écoles publiques doivent être tenues pour responsables du décès accidentel de son fils, en ce qu’elles n’avaient pas mis en œuvre des mesures adéquates de protection, de surveillance et d’instruction concernant les appareils affectés à l’éducation physique à l’école. Il fait valoir, en outre, que son fils de quinze ans était encore un enfant, en soulignant que le jeu est le propre de l’enfance et que les enseignants devraient être les premiers à le savoir. A cet égard, il soutient qu’il n’est pas rare que les buts de handball soient utilisés par les élèves pour exercer les muscles de leurs bras, afin de se préparer pour les épreuves de traction.

38.  Enfin, le requérant fait valoir que l’accident ne se serait pas produit si les cadres des buts de handball mobiles avaient été fixés. D’après le requérant, il ne s’agirait là que d’une simple opération n’ayant rien d’irréalisable pour les autorités responsables.

39.  La Cour rappelle, en premier lieu que la première phrase de l’article 2 § 1 de la Convention, qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe, astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (voir, par exemple, L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998-III).

40.  La Cour a ainsi jugé qu’il existait à la charge de l’État une obligation positive d’adopter et de respecter une réglementation de protection des citoyens dans le domaine de la santé publique (cf. Calvelli et Ciglio précité § 49; Vo c. France [GC], no 53924/00, § 89, CEDH 2004-VIII) ou des activités dangereuses (cf. Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, §§ 89-90, 30 novembre 2004) ou à risque. Elle a également eu à connaître des affaires dans lesquelles était en cause le respect par les autorités nationales d’une réglementation imposant des normes de sécurité (voir l’arrêt Öneryildiz c. Turquie précité et aussi Bône c. France (déc), no 69869/01, 1er mars 2005, concernant la sécurité à bord d’un train et Pereira Henriques c. Luxembourg, no 60255/00, 9 mai 2006, sur des mesures de sécurité sur un chantier de construction).

41.  Elle rappelle en outre que si l’article 2 de la Convention peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, sans perdre de vue, notamment, l’imprévisibilité du comportement humain et les choix opérationnels à faire en matière de priorités et de ressources (voir, mutatis mutandis, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 90, CEDH 2001‑III ; A.A. et autres c. Turquie, no 30015/96, §§ 44-45, 27 juillet 2004).

42.  La Cour relève qu’en l’espèce il existait une réglementation visant à garantir la sécurité des élèves utilisant les appareils disponibles sur les terrains sportifs dans les écoles.

43.  Le requérant fait valoir que ces normes n’ont pas été respectées à un niveau suffisant afin de protéger la vie de son fils, et plus largement, de tout élève se trouvant dans la même situation.

44.  La Cour est, certes, consciente de la dimension tragique que revêtent les circonstances de l’affaire qui lui est soumise. Elle considère cependant que l’article 2 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant à toute personne un niveau absolu de sécurité dans toutes les activités de la vie comportant un risque d’atteinte à l’intégrité physique. En particulier, l’on ne saurait reconnaître à la charge de l’État une obligation positive de protection des personnes imprudentes (voir la décision Bône, précité, dans laquelle s’agissait d’un adolescent âgé de quatorze ans).

45.  Il ressort des éléments de l’enquête que le règlement datant de 1986 et adopté par le ministère de l’Éducation prévoyait la nécessité d’assurer la fixation au sol des cadres des buts de handball, de football et des autres appareils sportifs placés dans les cours des écoles et obligeait les directions des écoles à interdire lesdits appareils s’ils n’étaient pas solidement fixés au sol. Toutefois, ce règlement avait été assoupli pour tenir compte des recommandations techniques relatives à l’aménagement des terrains sportifs éditées en 1978, selon lesquelles deux types de cadres de buts de handball pouvaient être utilisés : des cadres fixes et des cadres mobiles. D’après les conclusions du parquet, ces derniers ne devraient pas être fixés au sol, car ils étaient mobiles. Par ailleurs, le procureur nota que la direction du lycée en cause était contrainte à recourir à ce type d’appareil mobile car il y avait un seul terrain de sport de dimensions très réduites où un grand nombre d’élèves devraient suivre leurs cours d’éducation physique.

46.  Ensuite, la Cour relève également qu’il ressort des éléments de l’enquête que l’adolescent s’était lui-même exposé à un risque important pour sa vie, en utilisant la barre supérieure du cadre du but pour se balancer accroché par ses bras, conjointement avec un autre camarade, et cela hors des conditions normales d’utilisation de ce type d’appareil sportif.

La Cour constate l’analogie avec les affaires précitées A.A. et autres contre Turquie et Bône c. France dans lesquelles était en cause l’attitude de l’État, auquel on reprochait de n’avoir pas pris les mesures propres à empêcher respectivement un suicide et un accident à la descente d’un train d’un adolescent de quatorze ans.

47.  De l’avis de la Cour, l’on ne saurait reprocher, dans les circonstances de la cause, aux autorités nationales de ne pas avoir pris des mesures propres à leurs obligations positives d’assurer une prévention générale.

48.  Partant, la Cour estime que le grief tiré de la violation l’article 2 de la Convention, pris sous son volet substantiel, est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

49.  Le requérant se plaint des insuffisances de l’enquête pénale sur les circonstances du décès de son fils, faisant valoir que les autorités internes auraient cherché à « étouffer l’affaire ». Il allègue la violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

50.  Le requérant allègue également la violation de l’article 13 de la Convention.

En ses passages pertinents, l’article 13 dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) »

51.  Compte tenu des circonstances de l’espèce, la Cour analysera le grief sous l’angle de l’article 2 précité de la Convention, pris sous son volet procédural, que le requérant invoque en substance (voir Bône c. France, décision précitée).

52.  Pour autant que le requérant se plaint que l’enquête pénale n’aient abouti à l’identification et à la condamnation d’un responsable, la Cour rappelle que l’article 2 précité, pas plus que l’article 6 § 1 de la Convention, n’implique une obligation de résultat supposant que toute poursuite doit se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée (cf. mutatis mutandis, Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004-I et l’arrêt Öneryildiz c. Turquie précité, § 96).

53.  Toutefois, les obligations positives énoncées à la première phrase de l’article 2 impliquent également, notamment dans l’hypothèse où est en cause le respect d’une réglementation de protection de la vie, l’instauration d’un système judiciaire d’enquête efficace au terme duquel l’on ne pourra relever l’apparence d’une appréciation arbitraire des faits à l’origine du décès et de nature à mener, le cas échéant, à la répression et à la sanction des violations du droit en jeu (Bône c. France, décision précitée ; Öneryildiz c. Turquie, arrêt précité, § 91).

54.  La Cour estime qu’en l’espèce, l’enquête diligentée par les autorités internes remplissait les exigences découlant de l’article 2 de la Convention.

55.  Elle constate qu’une enquête judiciaire préliminaire a débuté dès la survenance du décès de Cristian Molie le 26 septembre 1998 et qu’elle a consisté en divers actes visant à déterminer les circonstances de l’accident. Un examen médical du corps de la victime a été pratiqué, une expertise technique a été réalisée et les témoins directs et indirects de l’accident ont été entendus. A l’issue de ces mesures d’enquête, soit le 4 juin 1999, le procureur a classé l’affaire, concluant au décès accidentel de la victime dû à sa propre imprudence.

56.  A cet égard, la Cour relève que l’enquête a été complétée par de nouveaux actes d’investigation, notamment l’audition de témoignages, après la décision de réouverture du 20 juin 1999, rendue par le parquet auprès du tribunal départemental de Botoşani. Ensuite, l’affaire a été étudiée également par le tribunal de première instance et devant le tribunal départemental de Botoşani qui ont examiné eux aussi le bien-fondé de la décision de non-lieu rendue par le procureur le 3 décembre 1999 et confirmée le 31 mai 2000. Au vu de l’ensemble des éléments en leur possession, et par des décisions motivées, les tribunaux ont conclu à l’absence de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis le délit d’homicide involontaire. La Cour estime que les autorités judiciaires ont réalisé tous les actes d’enquête de nature à assurer la clarification des zones d’ombre qui subsistaient dans le dossier à l’issue de la première phase de l’enquête conclue par la décision du 4 juin 1999 et ont rendu une décision de classement motivée (voir a contrario, Pereira Henriques c. Luxembourg, no 60255/00, § 62, 9 mai 2006).

La Cour relève que les autorités ont conclu que la responsabilité pénale de l’Inspection académique ou de la professeure d’éducation physique chargée de la surveillance de la classe à laquelle la victime appartenait, ne pouvait pas être engagée, à l’issue d’une procédure contradictoire à laquelle le requérant a eu pleinement accès. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les autorités judiciaires ont procédé à un examen approfondi et impartial des circonstances entourant le décès de Cristian Molie.

Partant, la Cour ne décèle, dans les circonstances de l’espèce, aucune raison laissant penser que l’État défendeur n’aurait pas satisfait à ses obligations au regard de l’article 2 de la Convention, pris sous son volet procédural.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

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  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (troisième section), MOLIE c. ROUMANIE, 1er septembre 2009, 13754/02