CEDH, Cour (cinquième section), HARTUNG c. FRANCE, 3 novembre 2009, 10231/07

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 3 nov. 2009, n° 10231/07
Numéro(s) : 10231/07
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 23 février 2007
Jurisprudence de Strasbourg : Chappell c. Royaume-Uni, 30 mars 1989, §§ 26 et 63, série A no 152-A
Funke, Crémieux et Miailhe c. France, arrêts du 25 février 1993, série A no 256-A, B et C, §§ 56, 39 et 37
Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 131, CEDH 2007 XII
Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 30, série A no 251-B
Peev c. Bulgarie, no 64209/01, § 39, CEDH 2007-IX
Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 36, CEDH 2004 XI
Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 41, CEDH 2002-III
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-95822
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:1103DEC001023107
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 10231/07
présentée par Volker HARTUNG
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 3 novembre 2009 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 février 2007,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Volker Hartung, est un ressortissant allemand, né en 1955 et résidant au Luxembourg. Il est représenté devant la Cour par Me F.-H. Briard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant, chef d’orchestre, était gérant d’une société de droit luxembourgeoise dénommée Who SARL, dont l’activité principale était l’organisation de concerts philarmoniques.

Le 22 février 2005, cette société organisa un concert, orchestré par le requérant et auquel participèrent soixante-deux musiciens, au Palais de la musique et des congrès de Strasbourg.

Averti préalablement par une lettre du syndicat des artistes musiciens du Bas-Rhin de possibles infractions au droit du travail, le procureur de la République de Strasbourg requit la police judiciaire aux fins de rechercher et constater, lors de ce concert, des infractions de travail dissimulé prévues aux articles L. 324-9 et L. 341-6 du code du travail.

A 22 heures 30, à l’issue du concert, toutes les personnes participant à celui-ci firent l’objet d’un contrôle par les services de la police judiciaire, accompagnés d’agents de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et de la direction départementale du travail, agissant sur le fondement de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale.

L’identité des musiciens de l’orchestre fut contrôlée au moment où ils regagnaient leur loge. Quant au requérant, le contrôle d’identité eut lieu alors qu’il se trouvait déjà dans sa loge. Les policiers lui demandèrent de présenter tous les documents et justificatifs relatifs au statut de salarié ou de travailleur indépendant des musiciens. A l’issue de ce contrôle, le requérant fut placé en garde à vue.

Le 24 février 2005, le procureur de la République requit l’ouverture d’une information du chef de travail dissimulé contre le requérant. Ce dernier fut mis en examen, le même jour, par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Strasbourg et placé sous contrôle judiciaire.

Le syndicat des artistes musiciens du Bas-Rhin se constitua partie civile dans le cadre de l’instruction.

Le 15 septembre 2005, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Colmar se prononça sur une requête en nullité déposée par le requérant. Elle déclara la requête irrecevable en ce qu’elle tendait à voir déclarer nuls les actes d’instruction en raison de l’absence au dossier de la désignation du magistrat instructeur. Elle la déclara recevable pour le surplus et annula le transport dans la loge du requérant, son interrogatoire sur les lieux et les actes subséquents, au motif que la police avait en réalité effectué une visite domiciliaire qui ne pouvait être exécutée après 21 heures sans l’accord de l’intéressé. Enfin, la chambre de l’instruction rejeta les demandes du requérant tendant à l’annulation du contrôle des concertistes et des actes subséquents.

Le requérant, le procureur général près la cour d’appel de Colmar, ainsi que la partie civile formèrent un pourvoi en cassation.

Le 6 décembre 2005, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Statuant sur le pourvoi du procureur général et de la partie civile, elle cassa l’arrêt de la cour d’appel concernant la décision d’annuler le contrôle effectué dans la loge du requérant, en considérant que la loge ne pouvait être qualifiée de domicile et que les policiers avaient de ce fait légalement agi sur le fondement de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale.

Le 20 avril 2006, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy, statuant sur renvoi, annula le procès-verbal d’audition du requérant en date du 24 février 2005, mais rejeta les autres moyens de nullité soulevés, notamment s’agissant du contrôle effectué dans la loge.

Le requérant forma un pourvoi en cassation.

Le 23 août 2006, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt de renvoi s’agissant de la notification au procureur de la République du placement en garde à vue du requérant. Elle confirma néanmoins définitivement l’exclusion de la loge de la notion de domicile.

  1. Le droit interne pertinent

Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables à l’époque des faits, se lisent comme suit :

Article 59

 « Sauf réclamation faite de l’intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures.

Les formalités mentionnées aux articles 56, 56-1, 57 et au présent article sont prescrites à peine de nullité. »

Article 78-2-1

« Sur réquisitions du procureur de la République, les officiers de police judiciaire, et, sur l’ordre ou la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1o) sont habilités à entrer dans les lieux à usage professionnel, ainsi que dans leurs annexes et dépendances, sauf s’ils constituent un domicile, où sont en cours des activités de construction, de production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou de commercialisation, en vue :

– de s’assurer que ces activités ont donné lieu à l’immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés lorsqu’elle est obligatoire, ainsi qu’aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et l’administration fiscale ;

– de se faire présenter le registre unique du personnel et les documents attestant que les déclarations préalables à l’embauche ont été effectuées ;

– de contrôler l’identité des personnes occupées, dans le seul but de vérifier qu’elles figurent sur le registre ou qu’elles ont fait l’objet des déclarations mentionnées à l’alinéa précédent.

Les réquisitions du procureur de la République sont écrites et précisent les infractions, parmi celles visées aux articles L. 324-9 et L. 341-6 du code du travail, qu’il entend faire rechercher et poursuivre, ainsi que les lieux dans lesquels l’opération de contrôle se déroulera. Ces réquisitions sont prises pour une durée maximum d’un mois et sont présentées à la personne disposant des lieux ou à celle qui la représente.

Les mesures prises en application des dispositions prévues au présent article font l’objet d’un procès-verbal remis à l’intéressé. »

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de ce que le contrôle effectué dans sa loge l’a été sans base légale, méconnaissant son droit au respect de son « domicile ».

2.  Sur le fondement des articles 5 § 1 et 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’une violation de l’égalité des armes, au motif que l’enquête de flagrance n’était justifiée par aucun indice apparent d’infraction, et de l’illégalité subséquente de son placement en garde à vue.

EN DROIT

1.  Le requérant allègue du non-respect de son « domicile » et estime que l’ingérence en cause n’avait pas de base légale. Il invoque l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour rappelle que la notion de « domicile » figurant à l’article 8 de la Convention est un concept autonome, qui ne dépend pas d’une qualification en droit interne, mais est défini en fonction des circonstances factuelles, notamment par l’existence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé (Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 36, CEDH 2004‑XI).

Ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs occasions, la notion de « domicile » se prête à une interprétation extensive et peut s’appliquer, aux termes de sa jurisprudence, à des locaux commerciaux. Elle a en particulier considéré, dans le prolongement de son interprétation dynamique de la Convention, que le droit d’une société au respect de son siège social, de ses agences et de ses autres locaux professionnels peut relever de l’article 8 (voir Chappell c. Royaume-Uni, 30 mars 1989, §§ 26 et 63, série A no 152-A, Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 30, série A no 251-B, et Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 41, CEDH 2002-III). Toutefois, cette conception extensive du « domicile » et cette interprétation évolutive de l’article 8 doivent trouver des limites, sauf à heurter le bon sens et à dénaturer totalement l’intention des rédacteurs de la Convention (voir, notamment, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 131, CEDH 2007‑XII).

En l’espèce, la Cour relève qu’en vertu des dispositions de droit interne applicables, il s’agissait pour les policiers de vérifier le respect de la réglementation en matière de droit du travail et de protection sociale par le requérant. Les juridictions internes ont considéré que les policiers avaient effectivement agi dans le cadre de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale, qui exclut tout contrôle à un « domicile ».

La Cour constate également, nonobstant le fait qu’une loge d’artiste permette à son bénéficiaire de disposer d’une certaine intimité, que le requérant ne disposait de son usage que de manière très ponctuelle, s’agissant d’une loge mise provisoirement, en l’espèce le temps d’un concert unique, à la disposition des différents artistes susceptibles de se produire dans la salle de spectacle.

Dans ces conditions, la Cour émet des doutes sur l’assimilation de ce local à un « domicile », privé ou professionnel, au sens de l’article 8 de la Convention.

A supposer même qu’il puisse être considéré que le contrôle opéré par les policiers constituait une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée, également protégé par l’article 8 de la Convention (Peev c. Bulgarie, no 64209/01, § 39, CEDH 2007-IX), la Cour estime qu’une telle ingérence serait, en tout état de cause, justifiée pour les motifs suivants.

La Cour rappelle tout d’abord que le contrôle a eu lieu sur le fondement de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale et était donc « prévu par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. Il visait à vérifier le respect de la législation du travail par le requérant et poursuivait ainsi le but légitime de prévention des infractions pénales.

Reste à examiner la question de savoir si le contrôle opéré était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre cet objectif.

La Cour reconnaît que les Etats peuvent estimer nécessaire de recourir à ce type de mesures pour établir la preuve matérielle de certaines infractions. Encore faut-il que leur législation et leur pratique offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus (Funke, Crémieux et Miailhe c. France, arrêts du 25 février 1993, série A no 256-A, B et C, §§ 56, 39 et 37 respectivement).

En l’espèce, la Cour relève que le contrôle était justifié par la nécessité de contrôler le respect des dispositions en matière de droit du travail et, le cas échéant, pour recueillir des éléments de preuve d’un éventuel délit dont le requérant aurait pu se rendre coupable. Conformément aux dispositions pertinentes du code de procédure pénale, la mesure a été ordonnée par des réquisitions écrites du procureur de la République, qui précisaient la mission exacte des policiers.

S’agissant des conditions dans lesquelles le contrôle s’est déroulé, la Cour constate que les policiers, après être entrés dans la loge du requérant, ont contrôlé son identité et lui ont demandé de fournir les documents pertinents au regard du droit du travail, dans le cadre de la mission définie par le procureur, et ce sans procéder ni à une fouille de la loge, ni à des saisies.

Enfin, la Cour relève que le requérant a pu contester le contrôle effectué, la chambre de l’instruction de Colmar ayant, dans un premier temps, accueilli sa demande en nullité de cet acte.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée, à supposer qu’elle soit établie, n’était pas disproportionnée par rapport au but poursuivi.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Le requérant allègue également une violation des articles 5 § 1 et 6 § 1.

Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
  2. Code du travail
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CEDH, Cour (cinquième section), HARTUNG c. FRANCE, 3 novembre 2009, 10231/07