CEDH, Cour (cinquième section), MULLER c. ALLEMAGNE, 14 septembre 2010, 43829/07

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 14 sept. 2010, n° 43829/07
Numéro(s) : 43829/07
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 4 octobre 2007
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-100682
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0914DEC004382907
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 43829/07
présentée par Eckhardt et Gabriele MÜLLER
contre l'Allemagne

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 14 septembre 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 4 octobre 2007,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. et Mme Eckhardt et Gabriele Müller, sont des ressortissants allemands nés respectivement en 1955 et 1956 et résidant à Hohenstein. Ils sont représentés devant la Cour par Me Istvan Cocron, avocat à Munich.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

1.  La genèse de l'affaire

Le 12 mars 2003, le fils des requérants, à la suite de difficultés dans la relation avec sa compagne, se suicida par le feu dans sa voiture dans une forêt éloignée.

Le 13 mars 2003, un communiqué de presse de la police rapporta que le cadavre d'un homme âgé de 19 ans avait été retrouvé carbonisé dans sa voiture, que, d'après les premières investigations, il avait mis lui-même le feu à son véhicule pour se suicider, et que l'enquête de la police criminelle concernant les faits et les motifs était en cours. Le même jour, la police se présenta chez les requérants, leur demandant un objet appartenant à leur fils, susceptible de porter des traces ADN. Les intéressés lui remirent une brosse à dents.

Le 14 mars 2003, l'édition régionale de Thuringe du quotidien Bild rendit compte du suicide et publia une photo grand format du fils des requérants, qui le montrait en tenue de pompier. Le texte accompagnant la photo indiquait le prénom et l'initiale du nom de famille du fils, son âge, sa profession (apprenti électricien) et son domicile. Les requérants apprirent la parution de cet article par un appel téléphonique d'un de leurs parents.

Le même jour, un journaliste du quotidien se présenta chez les requérants et leur montra l'article. Voyant la photo de son fils, une image qu'elle ne connaissait pas, la deuxième requérante subit un choc et se mit à crier. Les requérants firent comprendre au journaliste qu'ils n'étaient pas d'accord avec la caractérisation de leur fils par l'article. Le journaliste leur proposa alors de rectifier l'image donnée en publiant un autre article et leur demanda s'ils n'avaient pas d'autres photos à cet effet. Les requérants remirent alors au journaliste quatre photos de leur fils.

Le nouvel article parut le lendemain (15 mars 2003) dans l'édition de Thuringe et de Saxe-Anhalt du quotidien.

Le 17 mars 2003, le tribunal d'instance de Nordhausen ordonna l'autopsie du corps carbonisé en vue d'établir l'identité de celui-ci et de comparer un échantillon des tissus de la victime avec ceux du fils des requérants. L'autopsie eut lieu le 20 mars 2003 ; ses résultats furent présentés deux semaines plus tard et confirmèrent que la victime était bien le fils des requérants.

2.  Les décisions des juridictions civiles

a)  Le jugement du tribunal régional

Le 24 mars 2003, l'avocat des requérants réclama au quotidien 20 000 euros (EUR) pour dommage moral. Ayant essuyé un refus, ses clients assignèrent le quotidien en justice.

Par un jugement du 13 septembre 2004, le tribunal régional d'Erfurt accueillit la demande des requérants et leur octroya 6 000 EUR au titre du dommage moral. Il considéra que, si les intéressés ne pouvaient pas invoquer le droit à la protection de la personnalité post mortem de leur fils en l'absence d'éléments visant à entacher l'image de celui-ci, la publication de la photo sans le consentement des requérants s'analysait en une violation grave du droit des requérants à la protection de leur personnalité, dont faisait partie leur droit à être seuls pour faire le deuil de leur fils présumé mort. En publiant l'article, le quotidien aurait mis en relief le sort du fils des requérants aux yeux d'un grand nombre de lecteurs en Thuringe. A cet égard, le tribunal régional releva que la reproduction en grand format de la photo permettait de reconnaître les traits du fils (dont l'identité avait en effet été reconnue, comme en témoignait l'appel téléphonique chez les requérants) et que l'article indiquait le prénom, l'initiale du nom de famille, la profession, le domicile et l'âge de celui-ci.

D'après le tribunal, l'ingérence était d'autant plus grave que l'identité du corps retrouvé dans l'épave de la voiture n'avait pas encore été clairement établie. Même si des indices permettaient de penser que la victime était bien le fils des requérants, aucune preuve définitive n'existait à ce moment-là, comme le montrait le fait que la police était passée la veille de la publication litigieuse chez les requérants en vue d'analyser les traces ADN sur une brosse à dents de leur fils et que, le 20 mars 2003, le corps de la victime du suicide avait encore fait l'objet d'une autopsie visant à son identification. Le tribunal régional ajouta que le quotidien n'était pas fondé à invoquer l'existence du communiqué de presse de la police car celui-ci s'était limité à rendre compte du suicide d'un homme de 19 ans, sans révéler son identité. Il précisa que, même si ce communiqué laissait entendre que ses auteurs partaient du fait que le cadavre retrouvé était celui du fils des requérants et que le jeune homme s'était suicidé, la police n'avait pas divulgué l'identité de la victime ni donné aucun nom. Le fait que les requérants savaient qu'un grand nombre de lecteurs, à cause de la parution de cet article, ne doutaient pas de la mort de leur fils alors qu'eux-mêmes espéraient encore – malgré leurs craintes – qu'il était toujours en vie constituait une charge émotionnelle forte pour les requérants, comme l'avait montré la réaction de la requérante à la vue de l'article. Que l'information se fût révélée vraie par la suite n'avait, d'après le tribunal régional, aucune incidence sur la gravité de l'ingérence, car le moment décisif à cet égard était le jour de la parution de l'article, lequel avait exposé sous forme de faits véridiques des faits qui n'avaient encore à ce moment-là qu'un caractère de forte probabilité.

En outre, le tribunal régional observa que la publication de la photo avait enfreint la loi dès lors que les requérants n'avaient pas donné leur consentement. Le quotidien ne pouvait pas non plus invoquer l'article 23 § 1 de la loi sur les droits d'auteur dans le domaine artistique (voir « Le droit et la pratique internes pertinents » ci-dessous) pour se passer d'un tel consentement, le fils des requérants n'étant pas une figure de l'histoire contemporaine. Son suicide n'était pas plus un événement à rattacher à l'histoire contemporaine. De plus, le jeune homme lui-même n'avait pas recherché le public, mais avait au contraire choisi un endroit isolé pour commettre son acte désespéré. En tout état de cause, le droit des requérants à la protection de leur personnalité l'emportait sur l'intérêt du quotidien à publier la photo. Le fait d'avoir transmis d'autres photos au journaliste du quotidien le jour de la parution ne changeait rien au caractère illégal de la première publication, les requérants ayant donné ces photos dans l'intention de rectifier l'image que l'article avait donnée de leur fils. Enfin, les requérants avaient déclaré devant le tribunal régional que, si on leur avait posé la question, ils auraient choisi de ne rien faire paraître dans la presse.

Le tribunal régional conclut que le quotidien avait fait preuve d'une négligence grave (grobe Fahrlässigkeit). Il observa à ce propos qu'au moment de la publication non autorisée il n'existait que des présomptions quant à l'identité de la victime du suicide et que le quotidien avait notamment enfreint la cinquième directive explétive du chiffre 8 du codex de la presse (voir « Le droit et la pratique internes pertinents » ci-dessous).

En ce qui concernait la question de savoir s'il y avait lieu d'allouer une compensation pécuniaire, le tribunal régional estima que le droit des requérants à une telle compensation ne se heurtait pas au principe de subsidiarité car ils n'avaient pas d'autre moyen d'obtenir une réparation. En particulier, ni une demande de démenti ni une demande tendant à obliger le quotidien à s'abstenir de toute nouvelle publication n'entraient en ligne de compte à cet égard. La publication d'une photo ne pouvait en effet pas faire l'objet d'un démenti et la prise de connaissance par le public de l'identité de la personne figurant sur la photo ne pouvait pas être annulée par le biais d'une interdiction de publier. D'après le tribunal régional, cette lacune dans la protection de la personnalité ne pouvait être comblée que par l'allocation d'une indemnité pécuniaire. Celle-ci, d'une part, constituerait une satisfaction pour les requérants au regard du mépris de leur sphère privée dont avait fait preuve le quotidien et, d'autre part, serait utile à la prévention de nouvelles publications de ce genre, qui étaient contraires à la loi et au codex de la presse et dont la seule fin était le but commercial d'une augmentation du tirage. A ce propos, le tribunal régional nota que le reportage avait un caractère racoleur (« Drame à la Roméo et Juliette ») et que le quotidien en cause, un des titres de la presse à sensation (Boulevardpresse), jouissait d'un large public surtout en raison de ses pages fortement illustrées et n'atteindrait pas le même tirage sans la présence de ses photos grand format.

b)  L'arrêt de la cour d'appel

Par un arrêt du 31 mars 2005, la cour d'appel du Land de Thuringe infirma le jugement du tribunal régional et débouta les requérants de leur demande.

En premier lieu, elle confirma les conclusions du tribunal régional quant à l'existence d'une ingérence illicite, à raison du reportage, dans le droit des requérants à la protection de leur personnalité, dont faisait partie le droit de faire le deuil de la mort d'un proche. Elle observa que ces conclusions n'élargissaient pas l'obligation de diligence (Sorgfaltspflicht) d'un journaliste de manière disproportionnée, le droit du quotidien de rendre compte du suicide en tant que tel n'étant pas mis en question.

En deuxième lieu, la cour d'appel précisa que l'existence d'une violation du droit des requérants à la protection de leur personnalité n'avait cependant pas pour conséquence automatique que les requérants pussent prétendre à une compensation pécuniaire. Une telle compensation ne pouvait en effet être allouée que s'il y avait une atteinte grave au droit à la protection de la personnalité et que cette ingérence ne pouvait pas être compensée d'une autre manière. Les critères pertinents à cet égard, tels qu'établis par la jurisprudence de la Cour fédérale de justice et de la Cour constitutionnelle fédérale, étaient la gravité de l'ingérence, la durée et la persistance de l'atteinte aux intérêts et à la réputation, l'intention du journaliste et le degré de faute de celui-ci. Or, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, la cour d'appel estima qu'il n'y avait pas une atteinte au droit des requérants qui n'eût pu être réparée que par le biais d'une compensation pécuniaire.

La cour d'appel releva que les informations relatées par le reportage correspondaient à la vérité et qu'elles ne comportaient pas d'éléments ayant porté atteinte à la réputation des requérants. En outre, contrairement à ce qu'avait conclu le tribunal régional, elle estima que le reportage ne dépassait pas la limite du tolérable. A cet égard, la cour d'appel distinguait l'affaire en cause de celle ayant fait l'objet d'un arrêt de la cour d'appel de Düsseldorf, dans laquelle la photo incriminée montrait le corps d'un homme asphyxié tel qu'il avait été trouvé sur les lieux de l'accident. Elle nota que, dans le cas soumis à son examen, il s'agissait d'une photo anodine, certes de grande taille, montrant le fils de son vivant. Si le texte accompagnant l'image employait des formules telles que « La fin d'un amour d'adolescents » ou « Drame à la Roméo et Juliette » dans le but de provoquer l'émotion des lecteurs, de pareils effets étaient caractéristiques du quotidien Bild et ne dépassaient pas la limite du tolérable (Geschmacklosigkeit) à respecter. La cour d'appel ajouta que l'article ne donnait pas de détails sur la façon dont le fils était décédé et qu'il se limitait à rapporter des faits véridiques, à savoir qu'un apprenti âgé de 19 ans s'était arrosé d'essence et immolé, et que son corps avait été retrouvé dans la voiture en flammes.

La cour d'appel conclut que le seul point pouvant justifier la reconnaissance d'une atteinte grave au droit à la protection de la personnalité était dès lors l'identification du fils des requérants par le reportage alors qu'il n'existait pas encore, au moment de la parution, de certitude quant au décès de celui-ci. Elle observa que le tribunal régional avait à raison relevé que ces circonstances donnaient à penser qu'il y avait une violation grave du droit des requérants à la protection de leur personnalité et que la faute du quotidien apparaissait comme grave. Il était clair que les requérants avaient été gravement atteints d'apprendre la mort de leur fils par un journal et par des tiers à un moment où ils pouvaient encore caresser l'espoir que le corps retrouvé n'était pas celui de leur fils. Cependant, les requérants auraient pu réagir face à cette ingérence grave en demandant au quotidien de s'abstenir de répandre l'allégation qu'il s'agissait de leur fils et de publier un démenti. La cour d'appel souligna que les requérants avaient précisément eu cette possibilité puisqu'ils avaient rencontré un rédacteur du quotidien le jour même de la parution. Au lieu de lui demander de ne plus faire de lien entre le suicide et leur fils et de démentir tout lien qui avait été fait à ce propos, ils lui avaient remis d'autres photos pour un autre article. Partant, puisque les requérants avaient été en mesure de réparer le préjudice causé par le lien fait entre le suicide et leur fils mais qu'ils n'avaient pas fait usage de cette possibilité et qu'ils avaient au contraire rendu possible un nouveau reportage, l'octroi d'une compensation pécuniaire ne pouvait pas être envisagé.

La cour d'appel n'autorisa pas le pourvoi en cassation, en dépit du fait que la question du droit de savoir si et à quelles conditions un article d'un journal rendant compte d'un décès pouvait enfreindre le droit de parents survivants à la protection de leur personnalité n'avait pas encore été tranchée par une juridiction suprême et ne faisait pas non plus l'objet d'une jurisprudence de cours d'appel établie. Elle précisa toutefois que cette question n'était pas décisive en l'espèce, car la demande de compensation des requérants devait être rejetée pour d'autres motifs, lesquels étaient fondés sur une jurisprudence suprême bien établie qui ne prêtait pas à la critique.

Le 25 mai 2007, la Cour constitutionnelle fédérale n'admit pas le recours constitutionnel des requérants (no 1 BvR 1088/05), sans motiver sa décision.


B.  Le droit et la pratique internes pertinents

L'article 22 § 1 de la loi sur les droits d'auteur dans le domaine artistique (Gesetz betreffend das Urheberrecht an Werken der bildenden Künste und der Photographie – Kunsturhebergesetz) dispose que les images représentant une personne ne peuvent être diffusées qu'avec l'autorisation expresse de la personne concernée ou, en cas de décès de celle-ci, des proches parents.

L'article 23 § 1 no 1 de la loi prévoit des exceptions à cette règle, notamment lorsque les images en cause relèvent de l'histoire contemporaine (Bildnisse aus dem Bereich der Zeitgeschichte), à condition que leur publication ne porte pas atteinte à un intérêt légitime (berechtigtes Interesse) de la personne concernée (article 23 § 2).

Le chiffre 8 du codex de la presse (Pressekodex) du conseil supérieur de la presse (Presserat) allemand du 12 décembre 1973 dispose que la presse doit respecter la vie privée et la sphère intime des personnes. D'après la directive explétive no 8.5, tout reportage sur des suicides commande une retenue, en particulier en ce qui concerne l'indication de noms et l'exposé des circonstances détaillées, à moins qu'il ne s'agisse d'un événement de l'histoire contemporaine qui présente un intérêt public.

GRIEFS

Invoquant l'article 8 de la Convention, les requérants se plaignent du refus de la cour d'appel de leur octroyer une compensation pécuniaire.

EN DROIT

Les requérants se plaignent du refus par la cour d'appel de leur allouer une compensation pécuniaire pour la publication sans leur consentement de la photo de leur fils. Ils invoquent l'article 8 de la Convention, dont la partie pertinente en l'espèce est ainsi libellée :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d'autrui. »


Ils rappellent qu'ils ont été informés de l'existence du reportage par l'appel téléphonique d'un proche et qu'ils ont pris connaissance de la photo et de l'article par le journaliste venu à leur domicile le jour de la publication. D'après les requérants, la violation de leur droit à être seuls pour faire le deuil de leur fils ne pouvait plus être réparée par un démenti ou par une demande tendant à interdire toute nouvelle publication à ce sujet. Selon eux, le rejet de leur demande de compensation pécuniaire a pour effet d'inviter les médias à faire fi du respect du droit à la protection de la personnalité des personnes concernées par un reportage.

La Cour rappelle que si l'article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Celles-ci peuvent nécessiter l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. Cela vaut également pour la protection du droit à l'image contre des abus de la part de tiers. Si la frontière entre les obligations positives et négatives de l'Etat au regard de l'article 8 ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu, l'Etat jouissant en toute hypothèse d'une marge d'appréciation. Cette protection de la vie privée doit être mise en balance avec la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention (Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, §§ 57-58, CEDH 2004‑VI). En l'espèce, c'est donc en tenant compte de la mise en balance par les juridictions civiles des différents droits que la Cour doit apprécier le degré suffisant ou non de la protection offerte aux requérants.

La Cour rappelle aussi qu'il existe différentes manières d'assurer le respect de la vie privée et que les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation en ce qui concerne le choix des mesures propres à garantir l'observation de cette obligation positive, notamment en ce qui concerne les questions de compensation pour dommage moral (Armonienė c. Lituanie, no 36919/02, §§ 46-47, 25 novembre 2008, et Biriuk c. Lituanie, no 23373/03, §§ 45-46, 25 novembre 2008 ; voir aussi, mutatis mutandis, Zavoloka c. Lettonie, no 58447/00, § 40, 7 juillet 2009).

Dans la présente affaire, la Cour note que le tribunal régional et la cour d'appel ont reconnu que la publication de la photo de leur fils et du texte accompagnant celle-ci s'analysait en une ingérence illicite dans le droit des requérants à la protection de leur personnalité. Les deux juridictions ont relevé à cet égard que le quotidien n'avait pas obtenu le consentement des requérants, pourtant nécessaire en vertu des articles 22 et 23 de la loi sur les droits d'auteur dans le domaine artistique, et que la publication avait notamment enfreint le codex de la presse en raison de la communication de détails relatifs à la victime du suicide.

La Cour observe ensuite que la cour d'appel a estimé que, suivant une jurisprudence bien établie de la Cour fédérale de justice, l'existence d'une ingérence illicite dans le droit à la protection de la personnalité ne justifiait l'octroi d'une compensation pécuniaire que s'il existait une atteinte grave au droit à la protection de la personnalité et si les intéressés ne pouvaient être dédommagés d'une autre manière. Sur ce point, la cour d'appel a observé que l'article n'avait pas dépassé la limite du tolérable car son contenu, comme cela avait été montré par la suite, correspondait à la vérité et qu'il ne comportait pas d'éléments portant atteinte à la réputation des requérants. De même, la photo litigieuse, montrant le fils de son vivant, ne présentait pas de particularités.

Le seul point pouvant justifier l'existence d'une atteinte grave, d'après la cour d'appel, était dès lors le fait que le reportage prétendait relater des faits véridiques alors qu'au moment de la parution de l'article l'identité de la victime n'avait pas encore été établie sans nul doute. La Cour note à ce propos que la cour d'appel a reconnu que le fait que les requérants avaient appris la mort de leur fils par le quotidien alors qu'ils avaient encore l'espoir non totalement injustifié que leur fils était vivant, les avait gravement atteints. Cependant, la cour d'appel a estimé que les requérants avaient à leur disposition d'autres moyens, offerts par le droit interne, pour obtenir une compensation pour le préjudice subi. En effet, d'après la cour d'appel, ils auraient pu demander au quotidien de publier un démenti et de s'abstenir de répandre l'allégation selon laquelle la victime était leur fils et qu'il y avait un lien entre lui et le suicide du jeune homme, et ce d'autant plus qu'un journaliste du quotidien s'était entretenu avec eux à leur domicile le jour de la parution. Sur ce point, la Cour observe qu'au lieu de faire des démarches visant à la rectification ou au démenti des faits rapportés, les requérants ont donné au journaliste d'autres photos en vue de la parution d'un autre article.

La Cour note aussi que le reportage litigieux ne contenait pas d'éléments de nature à porter atteinte à la réputation des requérants et qu'il y avait, comme le tribunal régional l'a relevé, une forte probabilité que la victime fût bien le fils des requérants. En effet, la voiture dans laquelle le corps avait été retrouvé était celle du fils des requérants, d'une part, et la police, dans son communiqué de presse paru le lendemain de l'acte désespéré, avait pu indiquer que, en dépit de l'état carbonisé du cadavre, que celui-ci appartenait à un homme de 19 ans, d'autre part. La Cour relève en outre que la police s'est rendue au domicile des requérants la veille de la parution de l'article en vue d'obtenir un objet personnel portant des traces ADN de leur fils. Elle estime dès lors que l'on ne saurait soutenir que, lorsqu'ils prirent connaissance de la parution de l'article, les requérants ont été pris au dépourvu quant à la mort de leur fils.

Au vu de ce qui précède, eu égard à l'absence de considérations arbitraires ou déraisonnables de la cour d'appel et compte tenu de la marge dont jouissent les Etats contractants en la matière, la Cour estime dans les circonstances particulières de l'affaire que l'Etat a assuré une protection suffisante aux requérants.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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