CEDH, Cour (cinquième section), MANENC c. FRANCE, 21 septembre 2010, 66686/09

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CEDH · 21 septembre 2010

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 21 sept. 2010, n° 66686/09
Numéro(s) : 66686/09
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 16 novembre 2009
Jurisprudence de Strasbourg : Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 71, série A no 94
Antonio Mata Estevez c. Espagne (déc.), no 56501/00, 10 mai 2001
Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45
E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 43, 47, 49 and 91, CEDH 2008-...
Karlheinz Schmidt c. Allemagne, 18 juillet 1994, § 22, série A no 291-B, p. 32

Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1997-I
Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 40, série A no 31
Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil 1998-II
Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII
Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1507, § 72
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-100912
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0921DEC006668609
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 66686/09
présentée par Jean-Claude MANENC
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 21 septembre 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,

Jean-Paul Costa,

Rait Maruste,

Isabelle Berro-Lefèvre,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Zdravka Kalaydjieva,

Ganna Yudkivska, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 16 novembre 2009,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jean-Claude Manenc, est un ressortissant français, né en 1955 et résidant à Aramon.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant vécut vingt-six ans avec M. D., fonctionnaire hospitalier comme lui, avec lequel il expose avoir conclu en 2004 un pacte civil de solidarité. M. D. décéda le 8 septembre 2009.

Le requérant sollicita auprès de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (« la CNRACL »), ainsi que de la caisse de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités locales (« l'IRCANTEC »), le bénéfice d'une pension de réversion.

Par des courriers du 13 octobre 2009 pour l'IRCANTEC, et du 30 novembre 2009 pour la CNRACL, ses demandes furent rejetées, au motif que n'étaient pas remplies les conditions d'un mariage régulier et constaté par un acte de mariage.

En conséquence, le requérant adressa des courriers à différentes autorités internes (Présidence de la République, Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, médiateur de la République et médiateur européen, parlementaires) et saisit parallèlement la Cour.

  1. Le droit et la jurisprudence internes et internationaux pertinents

1.  Le droit interne pertinent

a)  Le code de la sécurité sociale

Les dispositions pertinentes en l'espèce du code de la sécurité sociale sont rédigées comme suit :

Article L. 353-1

« En cas de décès de l'assuré, son conjoint survivant a droit à une pension de réversion à partir d'un âge et dans des conditions déterminés par décret si ses ressources personnelles ou celles du ménage n'excèdent pas des plafonds fixés par décret.

(...) »

Article L. 353-3

« Le conjoint divorcé est assimilé à un conjoint survivant pour l'application de l'article L. 353-1.

Lorsque l'assuré est remarié, la pension de réversion à laquelle il est susceptible d'ouvrir droit à son décès, au titre de l'article L. 353-1, est partagée entre son conjoint survivant et le ou les précédents conjoints divorcés au prorata de la durée respective de chaque mariage. Ce partage est opéré lors de la liquidation des droits du premier d'entre eux qui en fait la demande.

(...) »

b)     Le code civil

L'article 220 du code civil est ainsi rédigé :

« Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement.

La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.

Elle n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante. »

Les articles 515-1 à 515-3-1 du code civil se lisent comme suit :

Article 515-1

« Un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. »

Article 515-2

« A peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :

1o Entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré inclus ;

2o Entre deux personnes dont l'une au moins est engagée dans les liens du mariage ;

3o Entre deux personnes dont l'une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité. »

Article 515-3

« Les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe au greffe du tribunal d'instance dans le ressort duquel elles fixent leur résidence commune ou, en cas d'empêchement grave à la fixation de celle-ci, dans le ressort duquel se trouve la résidence de l'une des parties.

(...)

La convention par laquelle les partenaires modifient le pacte civil de solidarité est remise ou adressée au greffe du tribunal qui a reçu l'acte initial afin d'y être enregistrée.

(...) »

Article 515-3-1

« Il est fait mention, en marge de l'acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l'identité de l'autre partenaire. Pour les personnes de nationalité étrangère nées à l'étranger, cette information est portée sur un registre tenu au greffe du tribunal de grande instance de Paris. L'existence de conventions modificatives est soumise à la même publicité.

Le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu'à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine. Il n'est opposable aux tiers qu'à compter du jour où les formalités de publicité sont accomplies. Il en va de même des conventions modificatives. »

L'article 515-4 pose les principes de l'engagement des partenaires à une vie commune, à une aide matérielle et à une assistance réciproques, ainsi que la solidarité vis-à-vis des tiers pour les dettes contractées pour les besoins de la vie courante.

L'article 515-5 prévoit notamment que chaque partenaire conserve, sauf dispositions contraires de la convention, l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, et est tenu personnellement de ses dettes.

L'article 515-5-1 prévoit la possibilité, dans la convention, de soumettre au régime de l'indivision les biens acquis, ensemble ou séparément, par les partenaires.

L'article 515-5-2 précise la liste des biens demeurant la propriété exclusive de l'un des partenaires.

L'article 515-6 prévoit l'application des règles successorales d'attribution préférentielle par voie de partage pour la transmission d'entreprise.

L'article 515-7 pose les conditions de la dissolution du pacte dans les termes qui suivent :

« Le pacte civil de solidarité se dissout par la mort de l'un des partenaires ou par le mariage des partenaires ou de l'un d'eux. En ce cas, la dissolution prend effet à la date de l'événement.

Le greffier du tribunal d'instance du lieu d'enregistrement du pacte civil de solidarité, informé du mariage ou du décès par l'officier de l'état civil compétent, enregistre la dissolution et fait procéder aux formalités de publicité.

Le pacte civil de solidarité se dissout également par déclaration conjointe des partenaires ou décision unilatérale de l'un d'eux.

Les partenaires qui décident de mettre fin d'un commun accord au pacte civil de solidarité remettent ou adressent au greffe du tribunal d'instance du lieu de son enregistrement une déclaration conjointe à cette fin.

Le partenaire qui décide de mettre fin au pacte civil de solidarité le fait signifier à l'autre. Une copie de cette signification est remise ou adressée au greffe du tribunal d'instance du lieu de son enregistrement.

Le greffier enregistre la dissolution et fait procéder aux formalités de publicité.

La dissolution du pacte civil de solidarité prend effet, dans les rapports entre les partenaires, à la date de son enregistrement au greffe.

Elle est opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de publicité ont été accomplies.

A l'étranger, les fonctions confiées par le présent article au greffier du tribunal d'instance sont assurées par les agents diplomatiques et consulaires français, qui procèdent ou font procéder également aux formalités prévues au sixième alinéa.

Les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacte civil de solidarité. A défaut d'accord, le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi.

Sauf convention contraire, les créances dont les partenaires sont titulaires l'un envers l'autre sont évaluées selon les règles prévues à l'article 1469. Ces créances peuvent être compensées avec les avantages que leur titulaire a pu retirer de la vie commune, notamment en ne contribuant pas à hauteur de ses facultés aux dettes contractées pour les besoins de la vie courante. »

  1. La jurisprudence interne pertinente

a)  La jurisprudence du Conseil constitutionnel

Les extraits pertinents de la décision no 99-419 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 9 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité sont ainsi rédigés :

« 26. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les débats parlementaires à l'issue desquels elles ont été adoptées, que la notion de vie commune ne couvre pas seulement une communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence d'une simple cohabitation entre deux personnes ; que la vie commune mentionnée par la loi déférée suppose, outre une résidence commune, une vie de couple, qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte qui, soit reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l'inceste, soit évitent une violation de l'obligation de fidélité découlant du mariage ;

(...)

67. Considérant, en premier lieu, que le pacte civil de solidarité est un contrat étranger au mariage ; qu'en conséquence, sa rupture unilatérale ne saurait être qualifiée de "répudiation" ;

68. Considérant, en deuxième lieu, comme il a été dit précédemment, que les contrats à durée indéterminée, catégorie à laquelle appartient le pacte civil de solidarité, peuvent toujours être résiliés par l'une ou l'autre des parties ; »

b)  La jurisprudence de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 9 octobre 1991 (1ère chambre civile, pourvoi no 89‑16.111, Bull. 1991, I, no 255), la Cour de cassation juge que l'article 220 du Code civil qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s'appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, et n'opère aucune distinction entre l'entretien actuel et futur du ménage. Il s'ensuit, pour la Cour de cassation, que constitue une dette ménagère le versement de cotisations d'assurance vieillesse, lequel a pour but de permettre au titulaire de la pension d'assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l'entretien du ménage et, en cas de décès, l'entretien de son conjoint survivant par réversion de l'avantage.

Ce principe a été réaffirmé par la suite, notamment dans des termes analogues par un arrêt du 4 juin 2009 (pourvoi no 07-13.122, Bull. 2009, I, no 118).

3.  La recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et sur l'identité de genre

« (...)

Le Comité des Ministres

(...)

Considérant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après « la Cour ») et d'autres juridictions internationales, qui reconnaissent l'orientation sexuelle comme un motif interdit de discrimination et contribuent à l'amélioration de la protection des droits des personnes transgenres ;

Rappelant que, conformément à la jurisprudence de la Cour, toute différence de traitement, afin de ne pas être discriminatoire, doit reposer sur une justification objective et raisonnable, c'est-à-dire, poursuivre un but légitime et employer des moyens qui soient raisonnablement proportionnés au but recherché ;

(...)

Prenant note de la déclaration commune faite le 18 décembre 2008 par 66 Etats, à l'Assemblée générale des Nations Unies, qui condamne les violations des droits de l'homme fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre, telles que les assassinats, les actes de torture, les arrestations arbitraires et « la privation des droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit à la santé » ;

Soulignant que la meilleure manière de vaincre la discrimination et l'exclusion sociale fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre pourrait consister à adopter des mesures visant à la fois les victimes de telles discriminations et exclusions, et le grand public,

Recommande aux Etats membres :

(...)

24. Lorsque la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes de même sexe, les Etats membres devraient viser à ce que leur statut juridique, ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples hétérosexuels dans une situation comparable.

25. Lorsque la législation nationale ne reconnaît ni confère de droit ou d'obligation aux partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non mariés, les Etats membres sont invités à considérer la possibilité de fournir, sans aucune discrimination, y compris vis-à-vis de couples de sexes différents, aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. »

4.  Le « Bilan démographique 2009 » de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

« 175 000 couples ont choisi le PACS en 2009. 95% de ces pacs ont été conclus par des partenaires de sexes opposés ».

GRIEF

Le requérant se plaint de ce que le bénéfice d'une pension de réversion soit soumis à la condition de mariage qu'il estime discriminatoire, notamment vis-à-vis des personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité, plus spécialement lorsqu'elles sont du même sexe.

EN DROIT

Le requérant se plaint du refus de lui accorder une pension de réversion, qui constituerait un traitement discriminatoire au regard de son statut de personne liée par un pacte civil de solidarité et de son orientation sexuelle.

A supposer les voies de recours internes épuisées, la Cour indique qu'elle examinera ce grief sous l'angle de l'article 14 de la Convention, combiné à l'article 8, dispositions pertinentes en l'espèce, qui se lisent comme suit :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour rappelle tout d'abord que la notion de « vie privée », au sens de l'article 8 de la Convention, est un concept large qui comprend, entre autres, l'identification sexuelle, l'orientation sexuelle et la vie (voir, entre autres, Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 43, CEDH 2008-...). Dans ces conditions, une relation affective et sexuelle telle que celle que le requérant affirme avoir vécu durant de nombreuses années relève de sa vie privée au sens du premier alinéa de cette disposition (Antonio Mata Estevez c. Espagne (déc.), no 56501/00, 10 mai 2001).

S'agissant de l'article 14 de la Convention, la Cour rappelle qu'il ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent (voir, parmi beaucoup d'autres, Şahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII). L'application de l'article 14 ne présuppose pas nécessairement la violation de l'un des droits matériels garantis par la Convention. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent « sous l'empire » de l'un au moins des articles de la Convention (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 71, série A no 94 ; Karlheinz Schmidt c. Allemagne, 18 juillet 1994, § 22, série A no 291-B, p. 32, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil 1998-II, et E.B, précité, § 47).

Si l'article 8 de la Convention ignore la question d'un droit à pension de réversion pour les conjoints survivants d'un assuré décédé, la Cour constate que la législation française accorde quant à elle expressément un tel droit. Dès lors, la Cour estime que les circonstances de l'espèce tombent sous l'empire de l'article 8 de la Convention. En conséquence, l'Etat, qui est allé au-delà de ses obligations découlant de l'article 8 en créant pareil droit, ce qu'il lui est loisible de faire en application de l'article 53 de la Convention, ne peut, dans la mise en application de ce dernier, prendre des mesures discriminatoires au sens de l'article 14 (voir, mutatis mutandis, E.B., § 49).

Toute différence de traitement n'emporte toutefois pas automatiquement violation des dispositions précitées. Il faut établir que des personnes placées dans des situations analogues ou comparables en la matière jouissent d'un traitement préférentiel et que cette distinction ne trouve aucune justification objective ou raisonnable, c'est-à-dire qu'elle ne poursuit pas un but légitime ou il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure les différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique (voir, entre autres, Stubbings et autres c. Royaume-Uni du 22 octobre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1507, § 72). S'agissant de droits tombant sous l'empire de l'article 8, lorsque l'orientation sexuelle est en cause, il faut des raisons particulièrement graves et convaincantes pour justifier une différence de traitement (voir, entre autres, E.B., précité, § 91).

En l'espèce, la Cour constate que la législation française retient le lien du mariage comme une condition essentielle pour l'ouverture du droit à une pension de réversion au profit du conjoint survivant. Or le requérant revendique le bénéfice de ce droit en tant que partenaire lié par un pacte civil de solidarité (« PACS »).

Dans ces conditions, la Cour estime qu'il lui revient, avant toute autre considération, d'examiner si, à ce titre, le requérant se trouve dans une situation identique ou analogue à celle d'un époux survivant.

A cet égard, la Cour relève que le PACS obéit à une certaine solennité dans la conclusion du contrat de partenariat, lequel a pour objet, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel (voir « la jurisprudence interne pertinente » ci-dessus), d'organiser la vie de couple, au-delà d'une simple communauté d'intérêts. Il confère ainsi aux partenaires un certain nombre de droits et obligations en matière fiscale, patrimoniale et sociale.

Pour autant, malgré les évolutions de ce statut, il reste, comme l'a également affirmé le Conseil constitutionnel, « étranger au mariage », dont il diffère spécialement, qu'il s'agisse de ses conditions de conclusion, de sa portée, notamment sur le plan successoral, ainsi que de sa rupture, laquelle peut résulter d'une simple déclaration unilatérale de l'un des partenaires.

La Cour observe en particulier que l'obligation de solidarité financière prévue par le code civil, laquelle s'étend aux cotisations d'assurance vieillesse, et qui fonde en cas de décès, l'entretien du conjoint survivant par réversion de l'avantage (voir « la jurisprudence interne pertinente » ci‑dessus), ne concerne que les époux.

La Cour en déduit que le requérant n'était pas, à la suite du décès de la personne à laquelle il était lié par un PACS, dans une situation analogue ou comparable à celle d'un conjoint survivant. A cet égard, le fait que le cadre juridique en vigueur en France ne permette pas le mariage des personnes du même sexe ne saurait par lui-même suffire à le placer dans une telle situation au regard du droit à pension qu'il revendique.

Par ailleurs, de l'avis de la Cour, rien ne permet d'établir que cette différence de situation reposait de manière déterminante sur l'orientation sexuelle du requérant, dans la mesure où toute personne placée dans une situation identique à la sienne aurait eu un traitement identique, et que ce quel que soit le sexe du partenaire. La Cour note à cet égard que la plupart des partenaires liés par un PACS sont de sexe différent, ainsi qu'en attestent les statistiques officielles de l'INSEE (voir Le « Bilan démographique 2009 » ci-dessus). Or c'est au seul motif que le requérant était le bénéficiaire d'un PACS que la pension de réversion qu'il sollicitait lui a été refusée.

Par conséquent, la législation française en matière de droit aux prestations de survivants a un but légitime, à savoir la protection de la famille fondée sur les liens du mariage (voir, mutatis mutandis, Mata Estevez, précitée, et Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 40, série A no 31), et la limitation du champ d'application de cette législation aux couples mariés, à l'exclusion des partenaires d'un PACS, quelle que soit leur orientation sexuelle, s'inscrit dans le cadre de la grande marge d'appréciation que la Convention laisse aux Etats dans ce domaine (Mata Estevez, précitée).

La Cour considère que la législation interne n'est donc pas, compte tenu de cette marge d'appréciation, « manifestement dépourvue de base raisonnable ». Partant, il n'y a pas eu de discrimination au sens de l'article 14 de la Convention.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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