CEDH, Cour (cinquième section), LORIEL c. FRANCE, 21 septembre 2010, 63846/09

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 21 sept. 2010, n° 63846/09
Numéro(s) : 63846/09
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 novembre 2009
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-100988
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0921DEC006384609
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 63846/09
présentée par Patrick LORIEL
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 21 septembre 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva,
Ganna Yudkivska, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 novembre 2009,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Patrick Loriel, est un ressortissant français, né en 1953 et résidant à Pontavert. Il est représenté devant la Cour par Me H. Farge, avocat à Paris.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant, numismate professionnel, exploitait une boutique à Lille sous la forme d'une société, avec l'aide d'un employé, ainsi que deux établissements en nom propre à Reims et Epernay, avec l'aide de son épouse.

Dans le cadre d'une information ouverte à Orléans pour blanchiment du produit d'un trafic de stupéfiants, il apparut que l'un des suspects, Ali B., était en relation d'affaires avec le requérant.

Des perquisitions furent menées dans la boutique du requérant à Lille et à son domicile personnel. Des sommes de 13 910 et 44 000 euros (« EUR »), furent saisies dans la boutique, outre un papier mentionnant une date, ainsi que les coordonnées téléphoniques de « M. Ali ». Par ailleurs, 6,8 kg de pièces d'or et 10 000 EUR furent découverts dans une cache.

Les fouilles réalisées dans la maison du requérant permirent la découverte, dans différents endroits mentionnés sur une feuille de papier, de plus de 42 kg de pièces d'or, deux lingots d'or, ainsi que 10 000 et 3 300 EUR, sommes que le requérant reconnut avoir reçus de B. (cotes D 413 et suivantes du dossier d'instruction). Une seconde fouille, réalisée dans la maison, permit la découverte d'un carton portant la mention « Ali : Maroc ou France – Belgique OK, espèces pour achat d'or ».

Le requérant reconnut qu'une part importante des sommes découvertes (notamment celles de 44 000 et 10 000 EUR saisies à la boutique de Lille : cotes D 413, 417 et 420 du dossier) provenait de la vente de lingots d'or à B. Il admit la vente de biens présentés comme provenant d'une réserve personnelle, à savoir d'environ 30 kg d'argent, et d'une trentaine de pièces d'or au total, à quatre ou cinq reprises entre fin 2003 et mai 2004, ainsi que la vente, le 30 avril 2004, de deux lingots d'or, pour une somme totale de 107 000 EUR. Il nia toute autre transaction, démentant ainsi les affirmations de son assistant. Celui-ci évoquait en effet des transactions portant sur cinq à sept kilos d'or. Le gendre de B. mentionna par ailleurs que son beau-père effectuait trois ou quatre transactions par an à Lille. Des traces de cocaïne furent identifiées sur certains billets saisis tant à la boutique qu'au domicile du requérant. Ce dernier reconnut avoir eu des doutes sur l'origine frauduleuse des sommes remises et avoir tenu ses registres avec plus de rigueur après avoir été informé de l'arrestation de B., entrant notamment en comptabilité 45 000 EUR provenant de la vente des lingots en plusieurs opérations fictives d'un montant moindre.

Le requérant reconnut par ailleurs des transactions, à compter de novembre 2002, avec D., également mis en cause dans l'affaire, auquel il aurait cédé au total 120 kg d'or, voire 150 kg aux dires de D.

L'information fit par ailleurs apparaître que le requérant n'avait pas respecté, au moins partiellement, ses obligations légales ou réglementaires concernant l'enregistrement de l'achat et de la revente des pièces.

Le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel d'Orléans.

Par un jugement du 8 novembre 2007, le tribunal correctionnel déclara le requérant coupable de blanchiment par concours à une opération de conversion du produit d'un délit en matière de stupéfiants, blanchiment aggravé en raison de sa qualité de professionnel et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit. La juridiction le condamna à quatre ans d'emprisonnement. Elle prononça en outre la confiscation : des objets saisis durant l'information ; d'un immeuble du requérant ayant fait l'objet d'une inscription hypothécaire ; des parts détenues par le requérant dans une SCI établie à Epernay et dans la société exploitant l'établissement de Lille, parts qui avaient fait l'objet de saisies conservatoires.

Le 16 septembre 2008, la cour d'appel d'Orléans confirma la culpabilité du requérant. Elle estima que le requérant avait vendu régulièrement d'importantes quantités de métaux précieux sans respecter ses obligations légales ; il connaissait la provenance douteuse des fonds qui lui avaient été remis ; de surcroît, à compter de mai 2004, il avait procédé à la dissimulation de fonds dont il connaissait précisément l'origine, pour avoir été informé par D. de l'arrestation de B. La peine d'emprisonnement fut réduite à trente mois, dont douze avec sursis. La confiscation fut maintenue pour les objets saisis au cours de l'enquête et de l'instruction (en référence aux pièces D 413, D 417, D 420 et D 428) et sur les parts détenues dans la SCI. Les juges précisèrent que cette mesure constituait une sanction efficace des agissements délictueux du requérant, sans qu'il soit nécessaire de l'étendre aux autres biens, acquis avant le début de la période litigieuse et fruit du travail de toute une vie de couple.

Le 20 mai 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, aux motifs, notamment, que les confiscations litigieuses étaient conformes à la loi, dont les dispositions n'étaient pas contraires aux articles 3 et 17 de la Convention, et 1 du Protocole no 1.

B.  Le droit interne pertinent

Les dispositions du code pénal pertinentes en l'espèce se lisent comme suit :

Article 324-1

« Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.

Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375000 euros d'amende. »

Article 324-7

« Les personnes physiques coupables des infractions définies aux articles 324-1 et 324-2 encourent également les peines complémentaires suivantes :

(...)

12o La confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis. »

GRIEFS

Invoquant les articles 3 de la Convention et 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de s'être vu infliger une peine complémentaire de confiscation appliquée à des biens sans lien avec l'infraction pour laquelle il a été pénalement condamné.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de la confiscation de biens étrangers à l'infraction dont il a été déclaré coupable. Il dénonce une violation de son droit au respect de ses biens, lequel est garanti par l'article 1 du Protocole no 1 en ces termes :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

La Cour observe que la confiscation litigieuse constitue une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens. Tout en relevant que la mesure en question a entraîné une privation de propriété, la Cour estime que celle-ci relève d'une réglementation de l'usage des biens au sens du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, qui laisse aux Etats le droit d'adopter « les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » (voir, entre autres, AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 51, série A no 108, Riela c. Italie (déc.), no 52439/99, 4 septembre 2001, Butler c. Royaume-Uni (déc.), no 41661/98, CEDH 2002-VI, et Bowler International Unit c. France, no 1946/06, §§ 39 ‑ 41, 23 juillet 2009).

Toutefois, une telle mesure doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection des droits fondamentaux des individus. Il doit donc exister un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés et le but recherché (voir, parmi beaucoup d'autres, Mamidakis c. Grèce, no 35533/04, § 44, 11 janvier 2007).

A cet égard, la Cour souligne que la mesure litigieuse s'inscrit dans le cadre de la lutte contre ce fléau qu'est le trafic de stupéfiants, laquelle justifie que les autorités fasse preuve d'une grande fermeté envers ceux qui en tirent profit (voir, entre autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), mais également contre le blanchiment de capitaux issus d'activités illicites et pouvant servir à financer des activités criminelles, lutte qui revêt pour les Etats membres la plus grande importance (Grifhorst c. France, no 28336/02, § 93, CEDH 2009-...).

Par ailleurs, la Cour observe que la présente espèce se distingue d'autres affaires où étaient en cause soit l'objet de l'infraction (voir, entre autres, AGOSI, précité), soit son moyen (voir, entre autres, Air Canada c. Royaume-Uni, 5 mai 1995, série A no 316-A), soit encore son produit, même si c'est le cas d'une partie des biens saisis en l'espèce (Butler, précité). Pour autant, la Cour a déjà admis qu'une mesure de confiscation peut porter sur une somme correspondant au profit que, de l'avis de la juridiction qui l'a prononcée, le requérant a retiré de la commission de l'infraction au cours des années précédentes et au montant qu'il était en mesure de réaliser à partir des biens en sa possession (Phillips, précité, § 53).

De ce point de vue, la Cour rappelle que pour déterminer si une sanction présente un caractère disproportionné, elle s'attache d'abord au comportement du requérant, même si, de surcroît, la mesure ne doit pas imposer à celui auquel elle s'applique une charge excessive ou porter fondamentalement atteinte à sa situation financière (voir Monedero c. France (déc.), no 32798/06, 2 février 2010, et Grifhorst, précité, §§ 95,102 et 105).

En l'espèce, la Cour note que le requérant a été condamné pour sa participation à l'activité d'un réseau de délinquance organisée, dont les juges internes ont estimé qu'il avait assuré le recyclage des fonds illicites grâce à son activité professionnelle, conservant ensuite d'importantes sommes d'argent qu'il savait issues du produit d'un trafic de stupéfiants. Les juges nationaux ont ainsi relevé que les investigations, ainsi que les déclarations du requérant lui-même, avaient permis d'établir que ces faits portaient sur des quantités d'or importantes et que le requérant s'était sciemment affranchi des règles de prudence élémentaires s'imposant à sa profession.

La Cour observe en outre que les juges d'appel ont fait une application limitée de la sanction, dans la mesure où, contrairement aux juges de première instance, ils ont expressément exclu son application aux biens acquis par le requérant avant la période de commission des infractions pour lesquelles il a été condamné. Cette exclusion, qui vise, aux termes de l'arrêt de la cour d'appel, « à préserver le fruit du travail de toute une vie de couple », concerne notamment un immeuble appartenant au requérant, mais aussi des intérêts commerciaux. Quant aux biens saisis au cours de l'enquête et de l'instruction, si l'arrêt ne procède pas à leur inventaire exhaustif, se bornant pour une part à renvoyer à des procès-verbaux du dossier d'instruction, force est de constater que ces éléments, constitués pour l'essentiel des sommes d'argent liquide, des lingots et des pièces d'or saisis, sont en réalité pour la plupart mentionnés dans le corps de l'arrêt lui-même, le requérant disposant d'un accès aux pièces du dossier lui permettant d'en cerner l'ampleur exacte.

Dans ces conditions, la mesure frappant le requérant, bien que significative, s'inscrit dans le cadre de l'ample marge d'appréciation dont disposent les autorités pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général.

Au vu de ces éléments et dans les circonstances particulières de l'espèce, la Cour arrive à la conclusion que les sanctions imposées au requérant n'étaient pas disproportionnées au regard des manquements commis.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  Le requérant estime également que la peine de confiscation à laquelle il a été condamné serait inhumaine et dégradante. Il invoque l'article 3 de la Convention, qui est ainsi rédigé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation de l'article 3 de la Convention.

Partant, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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