CEDH, Cour (cinquième section), P. M. c. FRANCE, 25 mai 2010, 25074/09

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 25 mai 2010, n° 25074/09
Numéro(s) : 25074/09
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 13 mai 2009
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Radiation du rôle
Identifiant HUDOC : 001-99481
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0525DEC002507409
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 25074/09
présentée par P. M.
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 25 mai 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section.

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 mai 2009,

Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l'article 39 du règlement de la Cour,

Vu la demande de radiation de la requête du rôle de la Cour par le Gouvernement en date du 9 février 2010 et les observations soumises par le requérant à cet égard,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, P. M., est un ressortissant congolais, né en 1969 et résidant à Palaiseau. Le président de la chambre a accédé à la demande de non‑divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement). Il est représenté devant la Cour par Me L. Hugon, avocat à Bordeaux.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1.  Quant aux faits s'étant déroulés au Congo Brazzaville

Le requérant est originaire du sud de Brazzaville et appartient à l'ethnie Lari. En juin 1997, éclata un conflit entre les « cobras », partisans de l'actuel président, M. Sassou N'Guesso, et les « cocoyes », partisans du président de l'époque, M. Lissouba. C'est finalement Denis Sassou N'Guesso qui gagna le conflit. Au courant de l'année 1998, ce dernier lança une offensive militaire dans les quartiers au sud de Brazzaville ainsi que dans le sud du pays, lieux où réside la majorité de la population appartenant à l'ethnie Lari. Le requérant se réfugia alors en République démocratique du Congo (RDC), comme bon nombre de Congolais Lari.

En mai 1999, suite à un accord entre le président Sassou N'Guesso, la RDC et le UNHCR (Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) définissant un couloir humanitaire, les réfugiés furent invités à rentrer dans leur pays par le port fluvial de Brazzaville, dit « le Beach ». Le requérant et son frère firent partie d'un des convois de retour. Après un accueil officiel sur la plage de Brazzaville, le requérant affirme que des officiers de police et deux généraux trièrent les réfugiés pour isoler les personnes d'ethnie Lari des autres. S'ensuivit l'assassinat de nombreux hommes dont le frère du requérant. Le requérant, quant à lui, affirme qu'il fut retenu avec d'autres hommes et torturé. Après deux jours de détention ‑ il aurait échappé au peloton d'exécution parce qu'il aurait pu parler le dialecte d'un soldat originaire d'un village voisin du sien ‑, il fuit vers Pointe-Noire, une ville du Congo Brazzaville où il vécut jusqu'à la fin de la guerre avant de rejoindre la capitale congolaise.

En 2005, suite à des pressions internationales, le procès dit des « Disparus du Beach » concernant les meurtres, enlèvements et actes de torture commis sur la plage de Brazzaville débuta. Le requérant rédigea un témoignage qui fut utilisé par l'avocat des parties civiles. Présent au procès, il dut se lever à la demande de la Cour lors de la lecture de son témoignage. Celui-ci mettait en cause les officiers de police et les généraux ayant opéré le tri sur la plage de Brazzaville en 1999. Tous les responsables mis en cause furent acquittés à l'issue de ce procès.

Par un jugement du tribunal correctionnel de Brazzaville du 21 juin 2005, suite à une plainte déposée par le général Frédéric Mondjo (un des officiers accusé par le requérant dans son témoignage), le requérant fut condamné par contumace à un an d'emprisonnement et à 800 000 francs CFA d'amende pour dénonciation calomnieuse. A la suite de ce procès, le requérant aurait subi de multiples menaces qui le poussèrent à quitter le pays pour rejoindre le territoire français le 5 décembre 2005. Le requérant produit deux convocations et un mandat d'arrêt le concernant émanant du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Brazzaville datés des 2, 9 et 16 juillet 2007.

En août 2007, des policiers se seraient présentés à son domicile au Congo Brazzaville. A cette occasion, ces derniers auraient fouillé son domicile, bâillonné, menotté et violé sa compagne. Cette dernière se serait réfugiée chez son père avec ses deux enfants, lequel aurait été abattu en octobre 2008. Suite à ces événements, la compagne du requérant s'est également enfuie pour la France.

2.  Quant aux faits s'étant déroulés en France

Le 2 janvier 2006, le requérant présenta une demande d'admission au bénéfice de l'asile.

Par une décision du 28 février 2006, l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) rejeta sa demande.

Fournissant des documents médicaux attestant des tortures, le requérant demanda le réexamen de sa demande d'asile.

Par une décision du 28 septembre 2006, la nouvelle demande d'asile du requérant fut rejetée au motif qu'il n'apportait pas d'éléments nouveaux et que les documents judiciaires ne présentaient pas de garanties suffisantes d'authenticité. Ce rejet fut confirmé par la Commission des recours des réfugiés (CRR) en date du 16 février 2007.

Par une décision du 8 avril 2008, l'OFPRA rejeta une demande de réexamen du requérant au motif que les éléments ne permettaient pas de conclure à la réalité des faits nouveaux allégués ni au bien-fondé de ses craintes actuelles de persécution. Le requérant forma un recours contre cette décision devant la CNDA.

En France, par un arrêt du 9 avril 2008, la Cour de cassation a confirmé que les poursuites de certains des responsables des disparitions survenues sur la plage de Brazzaville étaient possibles devant les juridictions françaises en application des articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale (compétence universelle).

Le 30 avril 2009, le requérant fît l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière émis par le préfet de l'Essonne, suite à un contrôle de police. Il fut placé au centre de rétention administrative de Palaiseau.

Par un jugement du 5 mai 2009, le tribunal administratif de Versailles rejeta la requête en annulation du requérant contre l'arrêté de reconduite à la frontière.

Le 13 mai 2009, le requérant saisit la Cour d'une demande d'application de l'article 39 de son règlement en vue de faire suspendre sa mesure de renvoi. Le 15 mai 2009, le président de la section à laquelle l'affaire avait été attribuée décida de faire droit à cette demande pour la durée de la procédure devant la Cour.

Par une décision du 1er octobre 2009, la CNDA accorda le statut de réfugié au requérant.

GRIEFS

1.  Invoquant l'article 3 de la Convention, le requérant se plaint du fait qu'une mesure d'expulsion à son encontre l'expose à des risques de mauvais traitement en cas de retour au Congo Brazzaville.

2.  Invoquant l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3, le requérant allègue ne pas avoir disposé d'un recours effectif en raison du réexamen de sa demande d'asile selon la procédure prioritaire. A cet égard, il se plaint d'être seulement toléré sur le territoire français jusqu'à la décision de l'OFPRA. Il conteste en particulier le défaut de recours suspensif devant la CNDA et dénonce les conditions dans lesquelles le contentieux de première instance se déroule : recours formé dans les quarante-huit heures de la notification de l'arrêté de reconduite à la frontière, juge unique ayant soixante-douze heures pour statuer et saisi par un étranger en rétention soumis à des contraintes de temps et matérielles ne lui permettant pas de former un recours utile.

3.  Invoquant les articles 5 et 6 de la Convention, le requérant soutient qu'en cas de retour, le jugement du tribunal de grande instance de Brazzaville du 21 juin 2005 serait mis à exécution alors que cette décision se fonde sur une procédure qualifiée par les observateurs indépendants de « mascarade ».

EN DROIT

Le Gouvernement demande la radiation de la requête du rôle de la Cour en vertu de l'article 37 § 1 b) de la Convention, le litige ayant été résolu du fait de l'obtention du statut de réfugié par le requérant.

Le requérant demande le maintien de sa requête au motif que ce n'est que grâce à la mise en œuvre de l'article 39 du règlement de la Cour qu'il a pu poursuivre sa procédure de demande d'asile en France, être entendu et assisté d'un avocat devant la CNDA. Il ajoute que la reconnaissance in fine de la qualité de réfugié confirme le grief tiré de l'article 3 de la Convention, et ce d'autant que le Gouvernement n'a pas produit préalablement à sa demande de radiation ses observations ; il en est de même selon lui concernant le grief tiré des articles 3 et 13 de la Convention. L'absence de recours suspensif devant la CNDA en cas de procédure dite prioritaire demeure dans la législation française et la violation de l'article 3 combiné ave l'article 13 de la Convention n'a nullement été réparée par les autorités françaises.

La Cour doit rechercher si le fait nouveau porté à sa connaissance, à savoir l'obtention du statut de réfugié doit l'amener à conclure que le litige est désormais résolu ou qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête pour un autre motif et que dès lors la requête peut être rayée du rôle de la Cour en application de l'article 37 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

a)  que le requérant n'entend plus la maintenir ; ou

b)  que le litige a été résolu ; ou

c)  que, pour tout autre motif dont la Cour constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l'examen de la requête si le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles l'exige. (...) »

Le requérant souhaite maintenir la requête, a fortiori en l'absence d'observations du Gouvernement sur la recevabilité et le fond de l'affaire. Cela n'exclut pas d'appliquer les alinéas b) et c) sans l'accord du requérant, le consentement de celui-ci n'étant pas une condition à cet égard (Pisano c. Italie [GC] (radiation), no 36732/97, § 41, 24 octobre 2002).

La Cour rappelle tout d'abord que, pour conclure que le litige a été résolu au sens de l'article 37 § 1 b) et que le maintien de la requête par le requérant ne se justifie donc plus objectivement, il lui faut examiner, d'une part, la question de savoir si les faits dont le requérant fait directement grief persistent ou non et, d'autre part, si les conséquences qui pourraient résulter d'une éventuelle violation de la Convention à raison de ces faits ont également été effacées (Pisano, précité, § 42).

Quant au premier de ces critères, la Cour relève que les préoccupations du requérant tenaient essentiellement au risque de mauvais traitements qu'il aurait encouru s'il avait été renvoyé de la France vers le Congo, de sorte que son renvoi aurait emporté violation de l'article 3 de la Convention. Or, l'octroi de l'asile à l'intéressé le 1er octobre 2009 a permis de faire disparaître toute préoccupation à cet égard. Le requérant se plaint en outre de ne pas avoir disposé d'un recours conforme à l'article 13 qui lui aurait permis de faire valoir son grief tiré de l'article 3. Le risque de renvoi ayant disparu, la Cour estime que la nécessité pour le requérant de disposer d'un tel recours a également trouvé solution en pratique.

Quant au second critère, la Cour observe que le principal grief du requérant, à savoir le risque de subir des mauvais traitements en cas de renvoi vers le Congo, était quoi qu'il en soit conditionné à un renvoi en pratique. C'est la raison pour laquelle en pareil cas la Cour se refuse régulièrement à accorder une indemnité à titre de satisfaction équitable dans des affaires similaires (voir, pour un exemple récent, Daoudi c. France, no 19576/08, § 82, 3 décembre 2009) ou dans des affaires impliquant également une violation de l'article 13 ((Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 79, CEDH 2007‑V). Les effets d'un éventuel renvoi, et les questions de recours y afférentes, sont donc redressés de manière adéquate par l'octroi du statut de réfugié.

La Cour doit ensuite examiner si le respect des droits de l'homme exige qu'elle poursuive son examen de la requête (article 37 in fine).

Elle remarque en premier lieu que le point de savoir si elle doit ou non rayer une requête du rôle est indépendante de la question de savoir si un requérant conserve ou non la qualité de « victime » au sens de l'article 34 (El Majjaoui et Stichting Touba Moskee c. Pays-Bas (radiation) [GC], no 25525/03, § 28, 20 décembre 2007 ; Pisano, précité, §§ 37-50). Il s'ensuit que si un requérant peut continuer à se prétendre victime d'une violation alléguée de l'article 13 combiné avec l'article 3 même après avoir obtenu le statut de réfugié (Gebremedhin, précité, § 56), le maintien de la qualité de victime n'interdit pas la radiation de la requête.

La Cour observe ensuite que le point de savoir si l'absence d'effet suspensif des recours devant la CNDA est conforme au droit à un recours effectif pour faire valoir des griefs tirés de l'article 3 a été soulevé dans plusieurs affaires pendantes devant la Cour. Dès lors, il n'y a aucun risque qu'une question d'intérêt général échappe à tout examen si la Cour décide de rayer la présente affaire de son rôle.

Partant, la Cour conclut que le litige a été résolu au sens de l'article 37 § 1 b). Elle constate par ailleurs qu'aucun motif particulier touchant au respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige la poursuite de l'examen de la requête en vertu de l'article 37 § 1 in fine de la Convention.

Il résulte de ce qui précède qu'il convient de mettre fin à l'application de l'article 39 du règlement de la Cour et de rayer la requête du rôle.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Décide de rayer la requête du rôle.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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  1. Code de procédure pénale
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