CEDH, Cour (cinquième section), TISSET c. FRANCE, 12 avril 2011, 60681/10

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 60681/10
présentée par Jean-Christian TISSET
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 12 avril 2011 en une Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Jean-Paul Costa,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ann Power,
Ganna Yudkivska, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 octobre 2010,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jean-Christian Tisset, est un ressortissant français, né en 1971 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 15 octobre 2008, à la suite d’une enquête préliminaire, le parquet de Marseille décida d’ouvrir une information judiciaire pour des faits d’infraction à la législation sur les stupéfiants.

Dans le cadre de cette procédure, le requérant fut interpellé le 19 octobre 2009 et placé en garde à vue pendant soixante-cinq heures au cours desquelles il fut auditionné à plusieurs reprises. Durant sa garde à vue, il reconnut son implication dans un réseau de trafic de stupéfiants ; il ne put bénéficier de l’assistance d’un avocat. A l’issue de cette mesure, le 22 octobre 2009, il fut placé sous mandat de dépôt.

Le 5 février 2010, il fut mis en examen des chefs d’acquisition, détention, transport, offre, cession de produits stupéfiants et association de malfaiteurs en vue de commettre des délits punis de dix ans d’emprisonnement.

Le jour même, il déposa une requête auprès de la chambre de l’instruction afin de faire écarter l’application de l’article 63-4 du code de procédure pénale et de faire prononcer la nullité des procès-verbaux d’audition établis au cours de la garde à vue, ainsi que des actes subséquents. Il soutenait notamment que l’impossibilité de s’entretenir avec un avocat au cours de sa garde à vue était contraire aux articles 6 §§ 1 et 3 de la Convention tels qu’interprétés par la jurisprudence récente de la Cour (voir la partie « droit interne pertinent »).

Le 11 mars 2010, le juge d’instruction en charge de l’enquête rendit une ordonnance de renvoi du requérant devant le tribunal correctionnel de Marseille pour y être jugé sur le fond.

Par un arrêt du 1er avril 2010, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rejeta cette argumentation, au motif que le juge national n’était pas lié par la jurisprudence de la Cour rendue contre un Etat dont il ne dépend pas, et qu’en l’absence de condamnation de la France sur l’assistance concrète et effective de l’avocat dès la première heure de garde à vue, le moyen ne pouvait qu’être rejeté.

La chambre de l’instruction estima par ailleurs que les conditions dans lesquelles s’était déroulée la garde à vue du requérant étaient conformes au droit interne.

Le requérant forma un pourvoi en cassation, dans lequel il soutint notamment que le défaut d’accès à un tribunal était contraire à l’article 6 de la Convention.


Par un arrêt du 19 octobre 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes :

« Attendu qu’en se prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu le texte conventionnel (...) d’où il résulte que, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou du délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée du droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;

Attendu que, toutefois, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que ces règles de procédure ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice.

Que ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue ou, au plus tard, le 1er juillet 2011. »

Le 13 janvier 2011, le tribunal correctionnel de Marseille condamna le requérant. Celui-ci interjeta appel de cette condamnation. La procédure est actuellement pendante.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

Le code de procédure pénale se lit ainsi :

Article 63-1

« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63 (...). »

Article 63-4, alinéa 1er

« Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier. »

Article 63-4, alinéa 7

« Si la personne est gardée à vue pour une infraction [liée au trafic de stupéfiants], l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante‑douze heures. Le procureur de la République est avisé de la qualification des faits retenue par les enquêteurs dès qu’il est informé par ces derniers du placement en garde à vue. »


Article 706-88

« (...) La personne dont la garde à vue est prolongée (...) peut demander à s’entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l’article 63-4, à l’issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure. (...) Toutefois, lorsque l’enquête porte sur [des crimes et délits de trafic de stupéfiants], l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue de la soixante-douzième heure (...) »

Dans sa décision no 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions régissant la garde à vue, a déclaré plusieurs d’entre elles (notamment les articles 63-1 et 63-4 alinéa 1er) non conformes à la Constitution et les a abrogées. Il a néanmoins reporté au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation, afin de permettre au législateur de modifier le régime de la garde à vue.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la conformité de l’article 63-4 alinéa 7 du code de procédure pénale avec la Constitution, dès lors qu’il avait précédemment validé cette disposition dans une décision du 2 mars 2004.

GRIEFS

Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention combinés, le requérant estime qu’en refusant de prononcer l’annulation des actes établis au cours de la garde à vue, la Cour de cassation n’a pas tiré les conséquences de la violation du droit à un procès équitable qu’elle a pourtant expressément constaté dans son arrêt et ainsi privé le requérant du droit à un recours effectif.

Invoquant l’article 1 de la Convention, il considère qu’en refusant de faire une application immédiate de ce texte, en méconnaissance de sa primauté sur la loi interne, la Cour de cassation lui a nié un effet direct en droit interne.


EN DROIT

Le requérant considère que l’arrêt rendu le 19 octobre 2010 par la Cour de cassation, rejetant son pourvoi, a méconnu ses droits à un procès équitable et à un recours effectif, tels que garantis par les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, dont les passages pertinents se lisent comme suit :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Il estime également qu’en reconnaissant que la procédure suivie à son encontre avait violé les dispositions de l’article 6 de la Convention et en refusant d’annuler les actes litigieux, la Cour de cassation a méconnu l’article 1 de la Convention qui se lit ainsi :

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention : »

La Cour considère que le grief tiré de l’article 1er de la Convention se confond avec celui tiré de l’ineffectivité du recours en cassation et décide de le joindre à ce dernier.

La Cour observe d’emblée que la présente requête concerne principalement l’arrêt rendu par la Cour de cassation, dans la mesure où celui-ci rejette le pourvoi après avoir toutefois constaté une violation de l’article 6 de la Convention pour défaut d’assistance du requérant par un avocat.

La Cour rappelle sa jurisprudence constante en vertu de laquelle l’examen de l’équité d’une procédure doit se faire à la lumière de l’ensemble de la procédure (voir notamment John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1996-I). La conformité d’un procès aux principes posés par l’article 6 de la Convention doit être examinée sur la base de l’ensemble de la procédure, sauf si un incident ou un aspect particulier ont été marquants ou ont revêtu une importance telle qu’ils constituent un élément décisif pour l’appréciation générale de l’ensemble du procès. Il est important de relever que, même en pareil cas, c’est sur la base du procès dans son ensemble qu’il convient de décider si la cause a été entendue équitablement (Mitterrand c. France (déc.), no 39344/04, 7 novembre 2006 ; voir aussi Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 46, CEDH 1999-II, Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275, et Miailhe c. France (no 2), 26 septembre 1996, § 43, Recueil 1996-IV).

En l’espèce, la Cour constate que si la procédure par laquelle le requérant a contesté les conditions de sa garde à vue s’est achevée par le rejet de son pourvoi, le requérant n’a toutefois pas encore été jugé définitivement sur le fond de l’affaire. Or, en cas de relaxe, il perdrait sa qualité de victime (voir, mutatis mutandis, Bouglame c. Belgique (déc.), no 16147/08, 2 mars 2010).

Par conséquent, la Cour considère que la requête est prématurée et qu’elle doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Stephen PhillipsDean Spielmann
Greffier adjointPrésident

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