CEDH, Cour (cinquième section), CHAPMAN c. BELGIQUE, 5 mars 2013, 39619/06

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Anne-marie Tournepiche · Revue Jade

Cour européenne des droit de l'homme, 5 mars 2013, Requête n° 39619/06, Richard Chapman contre Belgique. Dans cette affaire, un ancien agent de l'OTAN et de la NACMA (Agence de gestion de comandement et de contrôle aérien) sollicitait une requalification de ses contrats de travail successifs auprès des juridictions belges. Dans un premier temps, le tribunal du travail de Bruxelles a fait droit à sa demande et a condamné les deux organisations à lui verser des indemnités. Ces deux organisations, ainsi que la Belgique, ont fait appel devant les juridictions internes en se fondant sur …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 5 mars 2013, n° 39619/06
Numéro(s) : 39619/06
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 18 septembre 2006
Jurisprudence de Strasbourg : Behrami et Behrami c. France et Saramati c. Allemagne, France et Norvège [GC] (déc.), no 78166/01, 2 mai 2007
Beygo c. 46 Etats membres du Conseil de l'Europe (déc.), no 36099/06, 16 juin 2009
Blagojevic c. Pays-Bas (déc.), no 49032/07, 9 juin 2009
Connolly c. 15 Etats membres de l'Union européenne (déc.), no 73274/01, 9 décembre 2008
Boivin c. 34 Etats membres du Conseil de l'Europe (déc.), no 73250/01, CEDH 2008
Galic c. Pays-Bas (déc.), no 22617/07, 9 juin 2009
Gasparini c. Italie et Belgique (déc.), no 10750/03, 12 mai 2009
Kart c. Turquie [GC], no 8917/05, § 79, CEDH 2009 (extraits)
Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, CEDH, 1999-I
Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 118, CEDH 2012
Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 48, CEDH 2001-VIII
Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, CEDH 2005-VI
Van Oosterwijck c. Belgique, arrêt du 6 novembre 1980, §§ 36 à 40, série A no 40
Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 157, CEDH 2009
Organisation mentionnée :
  • Organisation du traité de l'Atlantique Nord
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-117918
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0305DEC003961906
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 39619/06
Richard CHAPMAN
contre la Belgique

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 5 mars 2013 en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,

Ann Power-Forde,

Ganna Yudkivska,

André Potocki,

 Paul Lemmens,

 Helena Jäderblom,

 Aleš Pejchal, juges

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 septembre 2006,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Richard Chapman, est un ressortissant américain, né en 1943 et résidant à Novato (Etats-Unis). Il est représenté devant la Cour par Me M. Dulk, avocate à Leefdaal (Belgique).

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils sont exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant travailla entre 1988 et 2001 à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (« OTAN ») et auprès d’agences de l’OTAN, parmi lesquelles l’Agence de gestion du système de commandement et de contrôle aériens (« NACMA ») sur la base de contrats à durée déterminée successifs.

4.  Courant 2001, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, adressa à l’OTAN et à la NACMA des courriers afin de voir reconnaître qu’ayant dépassé les dix années de service, il était lié à ces organisations par un contrat à durée indéterminée courant depuis 1998 et qu’il bénéficiait dès lors des avantages liés à ce titre, notamment en termes de pension.

5.  Le 21 mars 2002, le requérant assigna ces organisations devant le tribunal du travail de Bruxelles.

6.  Le 28 mai 2002, le tribunal, statuant par défaut à l’égard des parties défenderesses, déclara la demande recevable et fondée. Il condamna les parties défenderesses solidairement à payer et/ou à reconnaître au requérant : le droit aux soins de santé à vie, sa réintégration au grade A4 en tant que fonctionnaire de l’OTAN, les promotions et les augmentations de salaire correspondantes depuis octobre 2002, la compensation de la perte de revenus non imposables depuis octobre 1998, les allocations afférentes aux congés au foyer et aux congés annuels auxquels il aurait dû avoir droit.

7.  Par citation signifiée les 28 août et 10 septembre 2002, l’auditeur du travail près le tribunal du travail forma tierce opposition contre le jugement. Par citation signifiée le 28 novembre 2002, l’Etat belge forma également tierce opposition.

8.  Après avoir joint les deux tierces oppositions, le tribunal du travail, par jugement du 16 juillet 2003, les déclara irrecevables. En ce qui concerne l’auditeur du travail, le tribunal estima qu’il ne pouvait invoquer une atteinte à l’ordre public. En ce qui concerne l’Etat belge, le tribunal estima qu’il n’avait pas d’intérêt personnel à son action.

9.  L’auditeur du travail et l’Etat belge saisirent la cour du travail de Bruxelles d’un appel contre le jugement du 16 juillet 2003. L’OTAN et la NACMA furent appelés en déclaration d’arrêt commun, mais ces parties continuèrent à faire défaut.

10.  Devant la cour du travail, les parties appelantes faisaient valoir en premier lieu que leurs tierces oppositions étaient recevables. Quant au bien‑fondé de celles-ci, elles arguaient notamment que l’OTAN bénéficiait en principe de l’immunité de juridiction et qu’il n’y avait pas de raison de l’écarter en l’espèce car le requérant aurait pu et dû recourir à la procédure interne à l’OTAN relative au règlement des litiges du personnel civil conformément à l’article 4.21 du règlement relatif aux réclamations et recours des litiges de l’OTAN, annexe IX du règlement du personnel civil de l’OTAN. Dans ses conclusions, le requérant expliqua qu’il avait déduit de l’article 61.1 de ce dernier règlement, en vertu duquel le recours devait en premier lieu être adressé au chef immédiat et ensuite au chef de l’organisme de l’OTAN intéressé avant de l’être à la commission des recours, que cette procédure ne concernait pas ceux qui, comme lui, n’étaient plus en service. Il en voulait pour preuve le fait qu’aucune procédure n’ait été mise en mouvement en réaction à ses courriers.

11.  Par un arrêt du 1er février 2005, la cour du travail déclara les tierces oppositions contre le jugement du 28 mai 2002 recevables, et examina dès lors le bien-fondé des griefs des parties appelantes. Elle constata que l’immunité de l’OTAN devant les juridictions belges résultait de son acte constitutif. Se référant à la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne [GC] (no 26083/94, § 63, CEDH, 1999-I), elle estima que l’immunité de juridiction était admissible au regard de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle considéra en effet qu’il résultait de l’article 62 du règlement relatif au personnel civil et de l’article 4 du règlement relatif aux réclamations et recours, que le requérant disposait de la possibilité de saisir la commission des recours instituée par le règlement relatif aux réclamations et recours des litiges même s’il n’était plus en service. Selon la cour du travail, eu égard principalement à la composition de la commission, à l’indépendance de ses membres, à la portée de ses compétences, au caractère contradictoire de la procédure suivie devant elle, à la possibilité de se faire assister par le représentant de son choix, au fait que les décisions étaient prises à la majorité des voix, consignées par écrit et motivées, la procédure présentait des garanties suffisantes au regard de la Convention et le requérant aurait donc dû y recourir. La cour du travail annula le jugement du tribunal du travail du 28 mai 2002 et déclara l’action du requérant irrecevable.

12.  L’arrêt de la cour du travail ne fut pas signifié au requérant.

13.  A la suite de l’arrêt de la cour du travail, le requérant s’adressa personnellement et par l’intermédiaire de son avocat aux services administratifs de l’OTAN afin d’être informé de la manière de mettre en mouvement la procédure interne de règlement des litiges. Ces courriers restèrent sans réponse.

14.  Il s’adressa également, par courriels, à l’association du personnel civil au sujet du fond du litige qui l’opposait à l’OTAN et de la portée des compétences de la commission des recours. En réponse, le président de l’association lui rappela qu’il avait accepté en toute connaissance de cause la politique contractuelle dont il se plaignait des effets et l’informa que ses services investiguaient sur les possibilités de porter l’affaire devant la commission des recours. Aucune suite ne fut donnée à cette réponse.

15.  Début 2006, le requérant s’adressa à un avocat à la Cour de cassation pour évaluer les chances de succès d’un pourvoi.

16.  Le 27 mars 2006, l’avocat rendit son avis. Celui-ci procédait à un examen détaillé des possibles moyens et conclut à l’absence de chance de succès d’un éventuel pourvoi au motif que la cour du travail avait rendu un arrêt conforme à la jurisprudence européenne et qu’il n’y avait donc rien dans l’arrêt, dûment motivé, que la Cour de cassation puisse remettre en question.

17.  Le requérant n’introduisit pas de pourvoi en cassation.

B.  Le droit international pertinent

18.  L’immunité de juridiction de l’OTAN découle de la Convention sur le statut de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, des représentants nationaux et du personnel international (Ottawa, 20 septembre 1951) dont les dispositions pertinentes sont formulées comme suit :

Article IV

« L’Organisation possède la personnalité juridique (...) ».

Article V

« L’Organisation, ses biens et avoirs (...) jouissent de l’immunité de juridiction, (...) ».

19.  Les relations entre les instances dirigeantes de l’OTAN et le personnel civil employé par l’Organisation sont régies par le règlement du personnel civil de l’OTAN, document approuvé par le Conseil de l’Atlantique Nord (composé de représentants permanents des Etats membres ayant rang d’ambassadeurs). Les dispositions pertinentes de ce règlement peuvent se résumer comme suit.

20.  Selon l’article 61.1 du règlement du personnel civil, tout agent ayant un grief à formuler au sujet de son travail ou de ses conditions de travail ou d’emploi, doit, en premier lieu, saisir le chef de division ou de service dont il relève, par l’entremise de son chef immédiat. Selon l’article 61.3, si cette procédure ne donne pas satisfaction à l’agent, celui-ci peut, dans un délai raisonnable, soumettre par écrit sa « réclamation » au chef de l’organisme de l’OTAN intéressé dans les conditions fixées aux articles 2 et 3 de l’annexe IX au règlement. L’article 62 du règlement dispose que les dispositions relatives aux « recours » ouverts aux agents, anciens agents ou leurs ayants droit sont fixées à l’article 4 de l’annexe IX au règlement.

21.  L’annexe IX au règlement contient le « règlement relatif aux réclamations et recours ».

22.  L’article 4.1.1 de l’annexe IX institue une commission de recours qui est composée d’un président et de deux membres titulaires, de nationalité différente. Leur désignation est faite par le Conseil de l’Atlantique Nord pour une durée de trois ans, en dehors du personnel de l’organisation et des délégations nationales près du Conseil, parmi les personnes de compétence établie, dont une au moins doit avoir une compétence juridique. L’article 4.1.7 dispose que les membres de la commission de recours ne peuvent recevoir aucun mandat impératif, ni être l’objet d’aucune mesure de contrainte. Ils jouissent, pour autant que cela est nécessaire pour l’exercice efficace de leurs fonctions, des privilèges et immunités fixés à l’article 21 de la Convention d’Ottawa.

23.  La commission de recours connaît des litiges d’ordre individuel auxquels pourrait donner lieu toute décision d’un chef d’un organisme de l’OTAN prise de sa propre autorité ou en application d’une décision du Conseil et qu’un agent, ancien agent ou ses ayants droit estiment leur faire grief (article 4.2.1 de l’annexe).

24.  La commission de recours peut annuler les décisions des chefs d’organisme contraires au contrat et autres conditions d’engagement de l’intéressé ou aux dispositions applicables au règlement du personnel civil, et condamner l’organisation à réparer le dommage résultant d’une irrégularité commise par le chef d’un organisme de l’OTAN (article 4.2.2 de l’annexe).

25.  Les requêtes doivent être déposées auprès du secrétariat de la commission de recours dans un délai de soixante jours à compter de la notification de la décision attaquée. Dans des cas très exceptionnels, et pour des motifs dûment justifiés, la Commission peut toutefois admettre des requêtes présentées hors ce délai (article 4.3.2 de l’annexe).

26.  Une fois introduites, les requêtes sont immédiatement communiquées au chef de l’organisme de l’OTAN intéressé qui doit produire, dans un délai de soixante jours à compter du dépôt de la requête, des observations par écrit. Celles-ci sont ensuite transmises au requérant qui, pour présenter une réplique par écrit, dispose d’un délai de trente jours (article 4.4.1 de l’annexe).

27.  Les séances de la commission de recours ne sont pas publiques (article 4.7.1 de l’annexe).

28.  Les débats sont contradictoires. Les parties intéressées peuvent assister aux débats et développer oralement tout argument à l’appui des moyens invoqués dans leurs mémoires. A cet effet, elles peuvent se faire assister ou représenter par un membre du personnel civil ou militaire de l’OTAN, ou par un conseil choisi par elles (article 4.7.2 de l’annexe).

29.  Les décisions de la commission de recours sont prises à la majorité des voix. Elles sont rendues par écrit. Elles doivent comprendre le résumé de l’instruction et des débats, ainsi que l’énoncé des motifs retenus. Elles sont notifiées au chef de l’organisme de l’OTAN intéressé et au requérant (article 4.8.1 de l’annexe).

GRIEF

30.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la violation du droit d’accès à un tribunal au motif qu’il n’a pu voir sa « contestation » débattue utilement devant une juridiction que sur la question de la mise en œuvre de l’immunité de juridiction de l’OTAN.

EN DROIT

31.  Le requérant allègue qu’il n’a pas eu accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention au motif qu’il n’a pu voir sa « contestation » débattue utilement devant les juridictions belges. L’article 6 § 1, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

32.  A titre préalable, la Cour constate qu’après avoir invoqué le grief tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention devant les juridictions du fond, le requérant s’est adressé, afin de se conformer aux règles du droit judiciaire belge régissant la saisine de la Cour de cassation, à un avocat à la Cour de cassation. Comme il est d’usage, cet avocat a examiné le dossier et donné au requérant un avis sur les chances de succès d’un éventuel pourvoi en cassation. Envisageant en détail le problème, y compris sous l’angle de la Convention, l’avocat à la Cour de cassation estima qu’il n’y avait pas de chances raisonnables de succès. Il considéra qu’il était de jurisprudence constante que les décisions des juridictions du fond appliquant correctement la jurisprudence de la Convention n’étaient pas remises en cause en cassation. Sur base de cet avis négatif, le requérant renonça à se pourvoir en cassation.

33.  L’assistance d’un avocat à la Cour de cassation est obligatoire en matière civile. Le requérant en a consulté un en vue de l’introduction d’un pourvoi en cassation, et il a obtenu un avis négatif alors que le délai pour introduire un pourvoi n’avait pas encore commencé à courir, en l’absence d’une signification de l’arrêt de la cour du travail au requérant. Sur ce dernier point, la présente affaire est à distinguer de l’affaire Van Oosterwijck c. Belgique (arrêt du 6 novembre 1980, §§ 36 à 40, série A no 40), dans laquelle la Cour a conclu à l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Eu égard en particulier au rôle préventif de l’avocat à la Cour de cassation, dans l’intérêt tant de la Cour de cassation que des justiciables, la Cour estime qu’en l’espèce, le requérant a fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes. Ceci n’est d’ailleurs pas contesté par le Gouvernement.

34.  En ce qui concerne le calcul du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour rappelle qu’en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. Toutefois, l’article 35 § 1 ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne. Par conséquent, lorsqu’un requérant utilise un recours apparemment disponible et ne prend conscience que par la suite de l’existence de circonstances qui le rendent ineffectif, il peut être indiqué de considérer comme point de départ de la période de six mois la date à laquelle le requérant a eu ou aurait dû avoir pour la première fois connaissance de cette situation (Varnava et autres c. Turquie ([GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 157, CEDH 2009).

35.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant s’est précisément trouvé dans une telle situation. Il a entamé le processus pour introduire un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour du travail, mais il a abandonné cette idée après avoir reçu un avis négatif sur les chances de succès d’un pourvoi. La Cour estime, par conséquent, qu’il convient de prendre en considération, pour le calcul du délai de six mois, non pas le 1er février 2005, date de l’arrêt de la cour du travail, devenue désormais la décision interne définitive, mais le 27 mars 2006, date de l’avis de l’avocat à la Cour de cassation informant le requérant qu’un pourvoi en cassation serait voué à l’échec.

A.  Thèses des parties

36.  Le Gouvernement est d’avis que le requérant ne relève pas de la « juridiction » de l’Etat belge, que celui-ci n’est pas intervenu et que la requête est donc irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention à l’instar de ce que la Cour a décidé dans les affaires Behrami et Behrami c. France et Saramati c. Allemagne, France et Norvège [GC] (déc., no 78166/01, 2 mai 2007), Boivin c. 34 Etats membres du Conseil de l’Europe (déc., no 73250/01, CEDH 2008) et Connolly c. 15 Etats membres de l’Union européenne (déc., no 73274/01, 9 décembre 2008).

37.  A supposer que la responsabilité de l’Etat belge résulte de la mise en cause par le requérant de la protection des droits fondamentaux offerte par l’organisation internationale concernée, le Gouvernement rappelle que, dans l’affaire Gasparini c. Italie et Belgique (déc., no 10750/03, 12 mai 2009), la Cour s’est déjà prononcée sur la même procédure interne de l’OTAN que celle mise en cause en l’espèce. Or, dans cette affaire, la Cour a estimé que la procédure de règlement des conflits interne à l’OTAN n’était pas entachée d’une « insuffisance manifeste » au sens donné à ce terme dans l’arrêt Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC] (no 45036/98, CEDH 2005‑VI). Partant, les griefs du requérant sont manifestement mal fondés.

38.  Cela étant, il est de jurisprudence constante (voir, notamment, Waite et Kennedy précité) que le droit d’accès à un tribunal interne n’est pas absolu et qu’il peut être limité par le principe de l’immunité de juridiction, même en matière de conflits relatifs aux contrats de travail, si les intéressés disposent au sein de l’organisation internationale concernée de voies raisonnables pour protéger leurs droits garantis par la Convention. Or, en l’espèce le requérant disposait d’une telle voie de recours devant la commission de recours de l’OTAN instituée par le règlement relatif aux recours et plaintes. Il aurait donc pu et dû emprunter cette voie qu’il a considérée à tort comme ne s’appliquant pas à lui. Par conséquent et en tout état de cause, la requête est manifestement mal fondée.

39.  Le requérant fait observer que dans les affaires citées par le Gouvernement, les Etats défendeurs n’étaient pas intervenus et que les décisions litigieuses s’inscrivaient entièrement dans l’ordre juridique des organisations internationales elles-mêmes. La situation en l’espèce est différente car l’Etat belge est intervenu par l’intermédiaire de ses juridictions. Il en résulte, selon le requérant, que la Cour est compétente ratione personae.

40.  Selon le requérant, il faut tenir compte de la tendance générale, doctrinale et jurisprudentielle, à la limitation de l’immunité accordée aux organisations internationales aux actes « fonction publique » et à l’exclusion des litiges relatifs aux contrats de travail.

41.  A supposer, quod non, que de tels litiges soient couverts par l’immunité accordée à l’OTAN, celle-ci n’est de toute façon pas absolue et doit être mise en balance avec le droit d’accès à un tribunal garanti par la Convention lequel ne peut se trouver vidé de sa substance par le jeu de l’immunité. La responsabilité des Etats parties peut en effet se trouver engagée s’il apparaît que la protection des droits fondamentaux au sein de l’organisation n’est pas adéquate et ne constitue donc pas une alternative raisonnable pour la résolution du conflit. Or, c’est exactement la situation en l’espèce vu les lacunes procédurales qui caractérisent la procédure devant la commission de recours de l’OTAN : absence de publicité des séances, pas d’obligation de représentation, nomination des membres de la commission de recours par des représentants gouvernementaux, etc. De plus, il appartenait à la cour du travail d’évaluer la situation du requérant in concreto et de tenir compte que, dans son cas, la mise en mouvement de la procédure s’est révélée impossible vu l’absence de réaction aux contacts qu’il a pris. Dans ces conditions, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir saisi la commission de recours de l’OTAN.

B.  Appréciation de la Cour

42.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 1 de la Convention, les Etats contractants s’engagent à « reconnaître » aux personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés énoncés dans la Convention. La « juridiction », au sens de cette disposition, est une condition sine qua non pour qu’un Etat contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 118, CEDH 2012).

43.  En l’espèce, la Cour constate que les doléances du requérant sont dirigées contre la décision des juges belges qui, en appel, n’ont pas examiné le bien-fondé de ses griefs en raison de l’immunité de juridiction de l’OTAN. Pour déclarer irrecevable l’action du requérant, la cour du travail a relevé, en particulier, que le requérant disposait, au sein de l’OTAN, d’une voie alternative raisonnable.

44.  La Cour estime qu’à l’instar de la situation qui se présentait dans les affaires Waite et Kennedy et Bosphorus précitées, sa compétence ratione personae résulte du fait que la décision litigieuse a été prise par un organe de l’Etat défendeur, à savoir la cour du travail de Bruxelles. Il s’agit là d’un élément qui distingue la présente affaire des affaires citées par le Gouvernement, y compris de l’affaire Gasparini, ainsi que d’autres affaires telles que Galić c. Pays-Bas (déc., no 22617/07, 9 juin 2009), Blagojević c. Pays-Bas (déc., no 49032/07, 9 juin 2009), Beygo c. 46 Etats membres du Conseil de l’Europe (déc., no 36099/06, 16 juin 2009), dans lesquelles la Cour a décliné sa compétence en raison de l’absence d’intervention directe de l’Etat défendeur et/ou du fait que les griefs étaient dirigés contre des actes de l’organisation internationale mise en cause.

45.  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 garantit à toute personne le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect. Elle rappelle également que ce droit n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande, de par sa nature même, une règlementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Les limitations mises en œuvre ne peuvent toutefois restreindre le droit de l’individu d’une manière ou à un point tel qu’il s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy précité, § 59 ; Kart c. Turquie [GC], no 8917/05, § 79, CEDH 2009 (extraits)).

46.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a eu accès au tribunal du travail de Bruxelles puis à la cour du travail de Bruxelles. Devant ces deux juridictions du fond, il a pu exposer ses contestations relatives à ses droits contractuels et ses moyens quant à l’application de l’immunité de juridiction de l’OTAN.

47.  Devant la Cour, le requérant a réitéré l’argument selon lequel l’immunité de l’OTAN avait été indûment invoquée devant la cour du travail et ne pouvait légitimement entraver son droit d’accès à un tribunal. Selon lui, l’immunité accordée aux organisations internationales devait être limitée aux litiges concernant des actes de « fonction publique » à l’exclusion des litiges relatifs aux contrats de travail.

48.  La Cour rappelle que la Convention ne s’oppose pas à ce que les Etats créent des organisations internationales pour coopérer dans certains domaines d’activité ou pour renforcer leur coopération et qu’ils leur transfèrent des compétences et leur accordent des immunités (ibidem, § 67 ; Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 48, CEDH 2001-VIII ; Bosphorus précité, § 152). Elle a reconnu que l’octroi de privilèges et immunités aux organisations internationales était un moyen indispensable au bon fonctionnement de celles-ci, sans ingérence unilatérale d’un gouvernement, et poursuivait un but légitime (Waite et Kennedy précité, § 63).

49.  En l’espèce, la cour du travail de Bruxelles constata que l’OTAN jouissait de l’immunité de juridiction en vertu de son instrument constitutif. Se référant à la jurisprudence de la Cour telle qu’énoncée dans l’arrêt Waite et Kennedy précité, elle considéra que cette règle conventionnelle poursuivait un but légitime. Eu égard à ce qui précède, la Cour arrive à la même conclusion.

50.  Toutefois, étant donné que la protection des droits fondamentaux peut se trouver affectée par le jeu des immunités, il y a lieu de rappeler qu’il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les Etats, en transférant des compétences à des organisations internationales et en leur accordant des immunités, soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concernée (Waite et Kennedy précité, § 67 ; Prince Hans-Adam II de Liechtenstein précité, § 48).

51.  Ainsi, l’immunité de juridiction d’une organisation internationale n’est admissible au regard de l’article 6 § 1 de la Convention que si la restriction qu’elle engendre n’est pas disproportionnée. A ce sujet, la Cour est d’avis que compte tenu du but légitime des immunités des organisations internationales (paragraphe 48 ci-dessus), le critère de proportionnalité ne saurait s’appliquer de façon à contraindre une telle organisation à se défendre devant les tribunaux nationaux au sujet des conditions de travail de son personnel au sujet de conditions de travail énoncées par le droit interne du travail. Interpréter l’article 6 § 1 de la Convention et ses garanties d’accès à un tribunal comme exigeant que l’organisation accepte forcément la juridiction des tribunaux nationaux, à tout le moins en ce qui concerne les conditions du travail de son personnel, entraverait, de l’avis de la Cour, le bon fonctionnement des organisations internationales et irait à l’encontre de la tendance existant depuis de nombreuses années à l’élargissement et à l’intensification de la coopération internationale (Waite et Kennedy précité, § 72). Il n’en demeure pas moins que la question de la proportionnalité doit être appréciée à la lumière des circonstances particulières de l’espèce. C’est pour cette raison que la Cour a examiné, dans une affaire comparable à la présente affaire, si les personnes concernées disposaient d’une autre voie raisonnable pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention (ibidem, § 68).

52.  En l’espèce, la cour du travail de Bruxelles considéra qu’il y avait lieu d’apprécier le caractère éventuellement disproportionné de la restriction au regard de la procédure mise en place devant la commission de recours de l’OTAN et estima, après examen des règles figurant dans le règlement relatif aux réclamations et recours des litiges de l’OTAN, qu’elle présentait des garanties suffisantes au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 11 ci-dessus). De plus, elle observa que, contrairement à ce que soutenait le requérant, cette procédure était accessible aux anciens agents. La cour du travail conclut qu’en présence d’une voie interne alternative raisonnable, l’immunité de juridiction de l’OTAN jouait pleinement.

53.  La Cour n’aperçoit rien dans la démarche de la cour du travail qui puisse être considéré comme étant arbitraire.

54.  Elle constate en particulier que, devant les juridictions internes, l’argument principal du requérant tenait à l’inaccessibilité de cette voie pour les anciens agents qui, comme lui, n’étaient plus en service. Il avait déduit cela du règlement relatif au personnel civil de l’organisation et de l’absence de mise en mouvement spontanée de la procédure malgré ses courriers (paragraphe 10 ci-dessus). A l’instar de la cour du travail, la Cour estime que, pris dans leur ensemble, les textes applicables étaient pourtant suffisamment clairs (paragraphes 20 à 23 ci-dessus) et que le requérant a, en réalité, laissé de côté une voie qui s’ouvrait à lui.

55.  De surcroît, la Cour constate que, n’ayant pas saisi la commission de recours, le requérant est resté en défaut de démontrer en quoi, s’il avait valablement saisi la commission de recours, les défaillances qu’il impute, devant la Cour, à cette procédure (paragraphe 41 ci-dessus) l’auraient empêché de bénéficier, dans le cadre de son litige devant cette instance, de garanties suffisantes au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

56.  Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Cour conclut que la cour du travail de Bruxelles n’a pas excédé sa marge d’appréciation en entérinant l’immunité de juridiction de l’OTAN. Eu égard en particulier à l’autre voie de droit qui s’offrait au requérant, on ne saurait dire que les restrictions de l’accès aux juridictions belges pour régler son différend avec l’OTAN aient porté atteinte à la substance même de son « droit à un tribunal » ou qu’elles aient été disproportionnées sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (comparer Waite et Kennedy précité, § 73).

57.  Il s’ensuit que le grief du requérant est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Mark Villiger
 Greffière Président

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CEDH, Cour (cinquième section), CHAPMAN c. BELGIQUE, 5 mars 2013, 39619/06