CEDH, Cour (deuxième section), RIINA c. ITALIE, 11 mars 2014, 43575/09

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 20 juillet 2016

Le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté, le 15 juillet 2016, le recours de Salah Abdeslam, lui demandant de "prendre toute mesure pour mettre un terme" à la décision du ministre de la justice de la placer sous "vidéoprotection" permanente dans sa cellule, décision prise pour une période de trois mois renouvelable. A dire vrai, la décision ne surprend personne et elle est d'ailleurs passée relativement inaperçue. Comment la presse aurait-elle pu s'étendre sur les nuisances apportées à la vie privée d'Abdeslam au lendemain de l'attentat de Nice ? Rappelons …

 

Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 8 juillet 2016

Frank Berton, avocat de Salah Abdeslam, annonce son intention de porter plainte pour atteinte à la vie privée de son client, à la suite de la visite à Fleury-Mérogis du député Thierry Solère (LR Hauts de Seine). Ce dernier a pu en effet visionner les images de la vidéo-surveillance dont le détenu fait l'objet, jour et nuit. Il a ensuite raconté certains détails de la vie quotidienne du détenu, de la rapidité avec laquelle il se brosse les dents à la longueur de ses prières. Il s'est également étonné que l'administration pénitentiaire ait aménagé une "salle de sport" particulière à Salah …

 

Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 13 juin 2016

Un arrêté du 9 juin 2016 portant création de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention, signé du ministre de la justice Jean-Jacques Urvoas, est publié au Journal Officiel du 12 juin. Déjà baptisé "arrêté Abdeslam", il a pour objet de permettre la surveillance permanente par vidéo du principal suspect des attentats de Paris. La recherche d'un fondement juridique Cette surveillance a été décidée pour des motifs difficilement contestables, compte tenu de la situation. Il s'agissait d'empêcher toute tentative de suicide de la …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 11 mars 2014, n° 43575/09
Numéro(s) : 43575/09
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 5 août 2009
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-142365
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2014:0311DEC004357509
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 43575/09
Salvatore RIINA
contre l’Italie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 11 mars 2014 en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 5 août 2009,

Vu la décision du 19 mars 2013,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Salvatore Riina, est un ressortissant italien né en 1930. Il purge sa peine à la prison de Milano Opera. Il est représenté devant la Cour par Me L. Bauccio, avocat à Milan.

Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Spatafora.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant a été condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir commis des crimes très graves, entre autres association de malfaiteurs de type mafieux et de multiples assassinats. Au moment de l’introduction de la requête, plusieurs procédures pénales étaient pendantes à son encontre.

4.  Incarcéré depuis le 15 janvier 1993, le requérant expose avoir été depuis lors soumis au régime de détention spécial prévu à l’article 41 bis, alinéa 2, de la loi sur l’administration pénitentiaire (ci-après, la « loi no 354 de 1975 »). Modifiée par la loi no 279 du 23 décembre 2002, cette disposition permet de suspendre, totalement ou partiellement, l’application du régime normal de détention lorsque des raisons d’ordre et de sécurité publics l’exigent.

5.  Par ailleurs, le requérant a été placé dans un quartier pénitentiaire de haute sécurité (area riservata) à la prison d’Ascoli Piceno, puis, à compter du 24 décembre 2003, à la prison de Milan Opera.

6.  Le Gouvernement a fait savoir que trois caméras surveillent la cellule individuelle du requérant à la prison de Milan Opera. Deux d’entre-elles visualisent la partie avant de la cellule qui contient un lit, une table et une télévision. Un muret cache la partie arrière de la cellule, contenant lavabo, toilette et douche. Cette zone, qui n’est pas visible depuis l’extérieur de la cellule, est contrôlée par une troisième caméra qui toutefois ne vise pas la douche. Les caméras en question transmettent les images sur l’écran de 17 pouces de la salle de contrôle. L’écran montre simultanément sept images en mosaïque : trois images montrent ce qui se passe dans la cellule du requérant, les quatre autres montrent les zones extérieures à la cellule (passages, salle de socialisation, salle de vidéoconférence). L’on peut ainsi voir la silhouette du détenu en dimension réduite mais suffisante pour permettre au personnel pénitentiaire de détecter des anomalies (chutes, état d’ivresse) et par conséquent d’intervenir si nécessaire. Les images en question sont transférées sur un support qui est conservé et qui est consultable uniquement par les juges (le personnel travaillant au poste de contrôle ne pouvant plus revoir les images).

7.  Le requérant n’a soumis aucune des décisions d’application et de prolongation du régime 41bis. Seulement cinq décisions rendues par les tribunaux d’application des peines territorialement compétents sont versées au dossier. Il ressort de celles-ci que le requérant a contesté à plusieurs reprises le maintien du régime 41bis compte tenu en particulier de son état de santé et que ses recours ont tous été rejetés (Riina c. Italie (déc.), no 43575/09, §§ 8-11, 19 mars 2013).

8.  Il ressort de la décision du 16 octobre 2003 du tribunal d’application des peines d’Ancône que le requérant s’était plaint également de la vidéosurveillance des toilettes de sa cellule. Le tribunal ne se prononça pas sur ce grief et rejeta le recours. Le requérant ne se pourvut pas en cassation.

9.  Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait ultérieurement soulevé le grief tiré de la vidéosurveillance devant un autre tribunal d’application des peines.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

10.  Les restrictions découlant de l’article 41bis de loi no 354 de 1975 et les règles en matière de placement d’un détenu dans un quartier pénitentiaire de haute sécurité sont décrites dans l’arrêt Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, §§ 30-47, CEDH 1999).

11.  L’article 1 de la loi no 354 de 1975 dispose que toute mesure tendant à assurer l’ordre et la discipline doit respecter la dignité de la personne. La vidéosurveillance peut être décidée sur la base de l’article 41bis alinéa quater, qui permet d’adopter des mesures de sûreté tendant à éviter que le détenu ait des contacts avec le milieu criminel d’origine ou avec d’autres détenus appartenant à la même organisation ou à une organisation alliée.

Par ailleurs, le règlement de service du personnel pénitentiaire (Décret du Président de la République no 82/99, article 24) prévoit la possibilité de surveiller constamment les détenus pour s’assurer du respect du régime de détention auquel les intéressés sont soumis.

12.  Aux termes de la loi no 354 de 1975, les restrictions aux droits fondamentaux peuvent être contestées devant le tribunal d’application des peines territorialement compétent par les détenus soumis au régime de détention 41bis (article 41bis alinéas quinquies et sexties) et par ceux qui sont soumis à un régime de surveillance particulier (article 14ter de la loi). Contre les décisions du tribunal d’application des peines il est possible de former un pourvoi en cassation. Dans l’affaire Lo Piccolo, la Cour de cassation (Sec. I, décision du 24 novembre 2009) s’est prononcée sur un recours où l’intéressé s’était plaint devant une juridiction d’application des peines de la vidéosurveillance continue de sa cellule y compris des toilettes. Étant donné que la décision attaquée n’était pas motivée sur ce point, l’intéressé avait formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a rappelé que le grief tiré de la vidéosurveillance en question se prêtait à un examen sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention. Étant donné qu’il s’agissait d’une mesure très intrusive et susceptible d’avoir des conséquences sur l’état psychologique du détenu et donc sur sa santé, elle devait être motivée par rapport à des exigences explicitées et motivées (« evidenziate e motivate necessità »). Par conséquent, la Cour de cassation a annulé la décision attaquée et a renvoyé l’affaire à la juridiction d’application des peines pour qu’elle motive ladite décision.

GRIEFS

13.  Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, le requérant se plaint de la vidéosurveillance constante dans sa cellule, y compris dans les toilettes.

EN DROIT

14.  Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, le requérant se plaint de la mise sous vidéosurveillance constante de sa cellule, y compris des toilettes. Aux termes de l’article 3 de la Convention,

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

L’article 8 de la Convention dispose :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales (...) »

15.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant n’a pas soulevé devant les juridictions compétentes le grief tiré de la vidéosurveillance. Il se réfère aux remèdes prévus par les dispositions pertinentes et à la jurisprudence de la Cour de cassation. En outre, il fait remarquer que le requérant n’a pratiquement pas soumis de documents concernant ses griefs.

16.  Sur le fond, le Gouvernement soutient que la mesure litigieuse n’a pas atteint le seuil minimal de gravité requis par l’article 3 de la Convention. S’agissant de l’article 8 de la Convention, le Gouvernement observe que la vie privée en prison ne bénéficie pas du même niveau de protection qu’au domicile. La mesure de la vidéosurveillance est en tout état de cause prévue par la loi, poursuit les buts légitimes de la défense de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales. En outre, elle dessert la sécurité et la protection de la santé de l’intéressé puisqu’elle permet de détecter des chutes et des actes d’automutilation et prévient tout risque de mauvais traitement. Dans le passé on faisait appel à un nombre plus élevé de surveillants, qui utilisaient les judas présents même dans le muret de séparation entre la cellule et les toilettes. L’ancien système était donc bien plus intrusif que celui actuellement utilisé. Compte tenu de ce qu’à l’écran on peut voir seulement la silhouette du requérant et qu’aucun détail n’est visible, le Gouvernement estime que la mesure est proportionnée.

17.  Le requérant demande à la Cour d’appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours avec souplesse. À ce sujet, il observe qu’il n’y avait pas de remèdes pour se plaindre de la vidéosurveillance. En tout état de cause, ceux qui existent seraient inefficaces, vu que pendant vingt ans il n’a pas réussi à obtenir une décision positive des juridictions saisies de la question de la compatibilité de son état de santé avec le maintien du régime de détention 41bis.

18.  Le requérant rappelle la liste de restrictions imposées par le régime 41bis, parmi lesquelles la vidéosurveillance ne figure pas. Selon lui, cette mesure est un acte sadique et dégradant qui provoque un état de frustration psychologique chez un détenu qui, comme lui, dispose d’une cellule individuelle. La vidéosurveillance est également un acte incompatible avec la vie privée et ne répond pas au but de protéger la santé du détenu : en effet, si c’était le cas, la zone de la douche serait couverte par la caméra car c’est la plus dangereuse pour le risque de chute. En outre, toutes les cellules seraient équipées de caméras, ce qui n’est pas le cas. Et les lumières ne seraient pas allumées tout le temps. Se référant aux affaires Horych c. Pologne (no 13621/08, 17 avril 2012) et Piechowicz c. Pologne (no 20071/07, 17 avril 2012), le requérant demande à la Cour de conclure à une violation de la Convention. Le requérant observe ensuite que la loi ne prévoit pas de manière spécifique l’usage de caméras de surveillance et elle manque complètement de règles quant à l’usage de cette mesure. Il y aurait par conséquent une base légale insuffisante. En outre, la mesure litigieuse n’est pas nécessaire dans une société démocratique vu que le requérant est déjà soumis depuis longtemps aux restrictions découlant de l’application du régime 41bis, que les caméras fonctionnent en permanence, que sa vie privée et son intimité sont compromises. S’agissant des modalités de conservation des images, le requérant soutient que celles-ci ne reposent pas sur une base légale et qu’elles se heurtent à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (Série des traités européens no 108, Strasbourg, 1981).

19.  La Cour rappelle d’emblée qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour permettre d’obtenir la réparation des violations alléguées. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Rien n’impose d’utiliser les remèdes qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Andronicou et Constantinou c. Chypre, 9 octobre 1997, § 159, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI).

20.  En l’espèce, le requérant ne conteste ni l’existence ni l’accessibilité des recours permettant de contester l’application de la mesure de la vidéosurveillance. Il estime toutefois que ces recours ne sauraient pas passer comme étant efficaces et ne doivent dès lors pas être utilisés, étant donné que tous les autres griefs relatifs aux conditions de détention qu’il a soulevés devant les juridictions nationales ont été rejetés.

21.  La Cour n’est pas convaincue par l’argument du requérant et estime que le rejet d’autres griefs par les juridictions nationales n’a aucunement impacté l’efficacité des recours en question. En l’occurrence, le requérant a soulevé une seule fois le grief tiré de la vidéosurveillance devant les juridictions nationales, à savoir devant le tribunal d’application des peines d’Ancône. Ce tribunal a rejeté le recours, composé de plusieurs griefs, sans motiver sur le point en question (paragraphe 8 ci-dessus). Contre cette décision, le requérant ne s’est pas pourvu en cassation. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 12 ci-dessus) que le requérant aurait pu contester devant la juridiction suprême le manque de motivation de la décision sur le fond et exiger qu’un juge se prononce sur la mesure contestée. La Cour de cassation est en effet l’instance nationale susceptible d’interpréter la loi et de renforcer la protection juridictionnelle des personnes détenues se trouvant sous le coup des restrictions aux droits fondamentaux comme celle dénoncée. Par ailleurs, la Cour note que le requérant n’a pas soulevé le grief litigieux devant les juridictions nationales après son transfert à la prison de Milan Opera.

22.  Il s’ensuit que le requérant n’a pas satisfait à la condition de l’épuisement des voies de recours internes. Le restant de la requête doit dès lors être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

              Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

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