CEDH, Cour (cinquième section), KROMBACH c. FRANCE, 10 mai 2016, 67521/14

  • Enlèvement·
  • Cour d'assises·
  • Violence·
  • Détention provisoire·
  • Allemagne·
  • Traitement·
  • Réclusion·
  • Fait·
  • État·
  • Juridiction

Chronologie de l’affaire

Commentaires3

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 5 avril 2018

L'affaire Krombach s'achève avec la décision rendue par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 29 mars 2018. Elle avait commencé en 1982 avec le décès, à l'âge de quinze ans, de Kalinka Bamberski, la belle fille de Dieter Krombach, alors qu'elle se trouvait chez lui, en Allemagne. Le père de la jeune fille, André Bamberski, a porté plainte contre D. Krombach pour viol et assassinat, mais il s'est vu opposer un classement sans suite par les tribunaux allemands. Kalinka Bamberski ayant la nationalité française, il également porté plainte en France, et la Cour d'assises de Paris …

 

CEDH · 26 mai 2016

Communiqué de presse sur les affaires 69735/11, 36286/14, 17280/08, 11167/12, 16270/12, 32163/13, 2430/06, 1454/08, 11670/10, 12938/12, …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 10 mai 2016, n° 67521/14
Numéro(s) : 67521/14
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 14 octobre 2014
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-163627
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2016:0510DEC006752114
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 67521/14
Dieter KROMBACH
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 10 mai 2016 en une Chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 9 octobre 2014,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Dieter Krombach, est un ressortissant allemand né en 1935 et détenu à Melun. Il est représenté devant la Cour par Me Yves Levano, avocat à Paris.

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3.  L’espèce s’inscrit dans le contexte d’une affaire qui avait fait l’objet d’une couverture médiatique importante en France, et qui a débuté en 1982 avec le décès, à l’âge de 15 ans, de la belle-fille du requérant, Kalinka Bamberski, alors qu’elle se trouvait chez lui en Allemagne.

4.  Une enquête contre X fut ouverte par la police allemande concernant les circonstances de ce décès. Le parquet de Kempten prit une décision de classement sans suite le 17 août 1982. Accédant à une demande du père de Kalinka Bamberski, André Bamberski, il requit une expertise médicale additionnelle mais, le 14 juin 1983, le procureur près le tribunal régional de Kempten prit une deuxième décision de classement sans suite. Le 17 octobre 1983, André Bamberski déposa une plainte nommément dirigée contre le requérant, qu’il soupçonnait d’avoir violé puis assassiné sa fille. Le 2 novembre 1983, le parquet du tribunal régional de Kempten prit, pour la troisième fois, une décision de classement sans suite, en se référant aux conclusions des diverses expertises effectuées dans le cadre de l’enquête précédente. Cette décision fut confirmée par le procureur général près la cour d’appel de Munich le 30 janvier 1984, au motif que les enquêtes n’apportaient pas d’éléments suffisants susceptibles de justifier l’exercice de l’action publique. Le 15 mars 1984, à la suite d’une pétition adressée au parlement régional bavarois, la procédure d’enquête fut ouverte pour la quatrième fois et, le 15 avril 1984, le procureur général près la cour d’appel chargea le parquet de Kempten d’effectuer d’autres vérifications. Ce dernier prit une quatrième décision de classement de l’affaire, retenant qu’il était improbable, au vu des éléments de preuve existants, qu’une inculpation conduise ensuite à une condamnation. Cette décision fut confirmée le 9 mai 1986 par le procureur général près la cour d’appel de Munich. Par un jugement daté du 9 septembre 1987, la première chambre pénale de cette juridiction déclara irrecevable le recours formé par André Bamberski contre la décision du 9 mai 1986 (voir Krombach c. France, no 29731/96, §§ 12‑22, CEDH 2001 II).

5.  Kalinka Bamberski étant française, une procédure pénale avait également été ouverte contre le requérant en France sur plainte de son père, et le requérant avait été condamné par contumace à quinze ans de réclusion pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (voir Krombach, précité, §§ 23-49).

6.  Le requérant est resté en Allemagne, libre, jusqu’à ce qu’André Bamberski organise son enlèvement et son transport en France en octobre 2009.

7.  Le 18 octobre 2009, le requérant fut déposé, ligoté, bâillonné et blessé, à Mulhouse où il fut arrêté (il était toujours sous le coup de l’ordonnance de prise de corps) et placé en détention provisoire par une ordonnance du 21 octobre 2009. Cette ordonnance fut confirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 10 novembre 2009. La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant par un arrêt du 3 mars 2010.

8.  Le 22 octobre 2011, la cour d’assises de Paris déclara le requérant coupable d’avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, de Kalinka Bamberski, mineure de quinze ans, par personne ayant autorité. Elle le condamna à la peine de quinze années de réclusion criminelle. Le 20 décembre 2012, statuant en appel, la cour d’assises du Val de Marne confirma la déclaration de culpabilité et la peine.

9.  Le requérant se pourvut en cassation. Développant sept moyens, il soutenait en particulier qu’en rejetant ses conclusions tendant à la constatation de l’extinction de l’action publique, la juridiction d’appel avait méconnu l’article 6 de le la Convention, et dénonçait une violation de cette disposition ainsi que de l’article 5 de la Convention à raison des conditions de son arrestation en France. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 2 avril 2014. Sur le premier point, elle souligna qu’un étranger ayant commis hors du territoire français un crime ou un délit puni d’emprisonnement contre une victime de nationalité française ne pouvait échapper à toute poursuite en France que s’il justifiait avoir été définitivement jugé à l’étranger pour les mêmes faits ; or la décision prise par une juridiction étrangère ne pouvait être regardée comme un jugement définitif que si, à la date où elle a été rendue, l’action publique avait été engagée, et le classement sans suite par le ministère public près une juridiction étrangère, confirmée par cette juridiction, disant n’y avoir lieu à l’exercice de l’action publique, sauf survenance de faits nouveaux, n’avait pas valeur de jugement définitif. Sur le second point, elle indiqua que l’exercice de l’action publique et l’application de la loi pénale à l’égard d’une personne se trouvant à l’étranger n’étaient pas subordonnés à son retour volontaire en France, à la mise en œuvre d’une procédure d’extradition ou à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, et que les conditions dans lesquelles cette personne avait été enlevée, transportée sur le territoire national et livrée à la justice n’apparaissaient pas imputables, directement ou indirectement, aux autorités françaises. Elle ajouta qu’ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt, le requérant avait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, être immédiatement présenté au juge des libertés et de la détention, auquel il a fait valoir ses moyens de défense, puis avait été mis en mesure d’exercer l’ensemble de ses droits à chaque étape de la procédure.

10.  André Bamberski et les deux personnes qu’il avait commanditées pour l’enlèvement du requérant avaient été poursuivis pour ces faits et pour les violences infligées au requérant à cette occasion. Le requérant s’était constitué partie civile dans cette procédure. Le 18 juin 2014, le tribunal correctionnel de Mulhouse déclara les deux personnes commanditées par André Bamberski coupables d’enlèvement. Il parvint à la même conclusion quant à ce dernier, bien qu’il n’eut pas participé physiquement à l’enlèvement et au transport en France du requérant, jugeant qu’il avait agi dans le cadre d’une coaction avec les deux autres. Le tribunal déclara également les deux personnes commanditées par André Bamberski coupables de violences volontaires. Il relaxa en revanche André Bamberski, qui était poursuivi pour complicité de violences volontaires, au motif qu’ « il n’[était] pas établi qu’il a[vait] donné des instructions pour que [le requérant] soit frappé pendant son transport ». Il condamna André Bamberski à un an d’emprisonnement avec sursis, et les deux autres à un an ferme. Le tribunal déclara par ailleurs les trois protagonistes responsables chacun pour un tiers du préjudice causé au requérant et ordonna une expertise médicale de celui-ci pour évaluer son préjudice.

11.  Le requérant ne fournit pas d’information sur la suite de la procédure. En particulier, il n’indique pas si les auteurs des violences ont interjeté appel de leur condamnation.

12.  Cela étant, il apparaît qu’André Bamberski a interjeté appel du jugement du 18 juin 2014 sur son volet civil et que, le 8 janvier 2015, la cour d’appel de Colmar a réformé ce jugement en ce qu’il le déclarait responsable à part égale des deux autres protagonistes alors qu’il n’avait été reconnu coupable que de l’enlèvement. Il semble que la procédure est toujours pendante quant à son volet civil.

GRIEFS

13.  Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu’il a été soumis à des violences constitutives de traitements inhumains et dégradants lors de son enlèvement. Il souligne que son arrestation en France puis son placement en détention provisoire et son jugement n’auraient pas été possible sans ces mauvais traitements et en déduit que la France a tiré bénéfice de ceux-ci.

14.  Invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant affirme qu’en le plaçant en détention provisoire consécutivement à son enlèvement par des malfaiteurs, la France a violé son droit à la sûreté.

15.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant, premièrement, dénonce une violation de son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, résultant de ce que les autorités l’auraient « oblig[é] [de] comparaître devant une cour d’assises pendant plusieurs semaines en qualité de seul accusé sans examiner s’[il] était à même de se défendre et pas simplement de comparaître, c’est-à-dire de comprendre et de contester tous les éléments du débat judiciaire ». Deuxièmement, il estime que le fait que les juridictions internes ont conclu que son enlèvement et les violences qu’il a subies ne pouvaient avoir aucune conséquence sur les poursuites conduites contre lui et sur son placement en détention provisoire l’a privé du bénéfice de toute coopération judiciaire avec les autorités allemandes, alors qu’un grand nombre d’éléments de preuve à décharge se trouvait en Allemagne. Troisièmement, il se plaint : (a) du fait que « les enquêteurs français ont délivré de nombreuses convocations à témoins allemands pour tenter de les entendre en France mentionnant une prétendue obligation de comparaître (...) totalement illégale » ; (b) du fait que la Cour d’assise a accepté d’entendre des témoins qui ont relaté des faits d’agressions sexuelles étrangers à la cause et dont la prescription avait été constatée par des décisions de justice allemandes ; (c) du fait que la cour d’assises a accepté d’entendre la partie civile André Bamberski en lui permettant à plusieurs reprises non pas de témoigner sur des faits mais de plaider sa cause. Quatrièmement, il soutient que « l’État français a violé le droit à ce que [sa] cause (...) soit équitablement entendue en refusant d’examiner à bref délai la régularité de la procédure sur le fondement de laquelle il a été détenu ». Cinquièmement, il dénonce la durée de la procédure pénale. Sixièmement, il soutient que l’État français a violé son droit à un procès équitable « en s’abstenant de motiver plus amplement les motifs de la condamnation mais aussi le quantum de la peine de 15 années de réclusion criminelle et en s’abstenant de juger si son état de santé était compatible avec cette condamnation ».

16.  Invoquant l’article 4 du Protocole no 7, le requérant dénonce une violation de son droit de ne pas être jugé deux fois pour les mêmes faits résultant de ce que sa condamnation en France est intervenue alors qu’il bénéficiait d’une décision de non-lieu prise par le parquet de Kempten en Allemagne.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLEGUéE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

17.  Le requérant se plaint de ce qu’il a été soumis à des violences constitutives de traitements inhumains et dégradants lors de son enlèvement. Il invoque l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

18.  Les autorités françaises n’étant pas impliquées dans les mauvais traitements dénoncés par le requérant, l’affaire doit être examinée sous l’angle de l’obligation positive que l’article 3 met à la charge des États lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi des traitements contraires à cette disposition, de mener une enquête officielle effective susceptible de conduire à l’identification et à la punition des responsables, cette obligation s’imposant même lorsque les mauvais traitements en cause n’ont pas été infligés par des agents de l’État (voir, par exemple, Baştürk c. Turquie, no 49742/09, §§ 23-26, 28 avril 2015). Or non seulement une telle enquête a été conduite en l’espèce, mais en plus, elle a abouti à l’identification des auteurs des mauvais traitements subis par le requérant lors de son enlèvement, à leur poursuite devant les juridictions répressives et à leur condamnation pour violences volontaires à une peine sévère (un an ferme) ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts au requérant (paragraphe 10 ci-dessus). Relevant que ce dernier ne soutient pas que les auteurs de ces mauvais traitements auraient interjeté appel de leur condamnation, la Cour retient que cette condamnation est définitive. Elle en déduit que le requérant ne peut se dire victime de la violation alléguée de l’article 3.

19.  Partant, cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejetée en vertu de l’article 35 § 4.

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUéE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

20.  Le requérant affirme qu’en le plaçant en détention provisoire consécutivement à son enlèvement par des malfaiteurs, la France a violé son droit à la sûreté. Il invoque l’article 5 de la Convention, dont le premier paragraphe est ainsi rédigé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...) »

21.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes et dans les six mois suivant la date de la décision interne définitive.

22.  Pour dûment épuiser les voies de recours internes, le requérant devait soulever son grief tiré de l’article 5 dans le cadre d’un recours contre l’ordonnance de placement en détention provisoire ou contre les ordonnances de prolongation ou de refus de faire droit à sa mise en liberté. Or, s’il a exercé un tel recours contre l’ordonnance du 21 octobre 2009, le pourvoi qu’il a exercé dans ce contexte a été rejeté le 3 mars 2010, soit plus de six mois avant la saisine de la Cour. Il apparaît en outre qu’il a déposé plusieurs demandes de mise en liberté, toutes définitivement rejetées à des dates qu’il ne précise pas mais qui, mentionnées dans l’arrêt de la cour d’assises du Val de Marne du 20 décembre 2012, sont nécessairement antérieures de plus de six mois à la date de la saisine de la Cour. La Cour, qui relève par ailleurs que le requérant avait formulé un grief similaire dans une requête antérieure (no 29493/10) qui avait été rejetée comme étant manifestement mal fondée par une décision de juge unique du 26 août 2010, déduit que cette partie de la requête est en tout état de cause tardive et, comme telle, doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

23.  Le requérant soutient également que « l’État français a violé le droit à ce que [sa] cause (...) soit équitablement entendue en refusant d’examiner à bref délai la régularité de la procédure sur le fondement de laquelle il a été détenu ». Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Patoux c. France, no 35079/06, § 60, 14 avril 2011), la Cour estime cependant qu’il y a lieu d’examiner cette partie de la requête sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, qui, en matière de privation de liberté, est lex specialis par rapport à l’article 6 de la Convention (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 55, CEDH 2005‑XII). L’article 5 § 4 est ainsi libellé :

«Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

24.  Cela étant, la Cour constate que, comme indiqué précédemment (paragraphe 22 ci-dessus), d’une part, le requérant a eu la possibilité de contester la régularité de sa détention provisoire et, d’autre part, les décisions définitives y relatives sont intervenues plus de six mois avant qu’elle ne soit saisie. Cette partie de la requête est donc en tout état de cause tardive. Elle doit en conséquence être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III.  SUR LES VIOLATIONS ALLEGUéES DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

25.  Le requérant dénonce plusieurs violations de l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...)du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...).

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...) ».

26.  Premièrement, le requérant dénonce une violation de son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, résultant de ce que les autorités l’auraient « oblig[é] [de] comparaître devant une cour d’assises pendant plusieurs semaines en qualité de seul accusé sans examiner s’[il] était à même de se défendre et pas simplement de comparaître, c’est-à-dire de comprendre et de contester tous les éléments du débat judiciaire ». Deuxièmement, le requérant estime que le fait que les juridictions internes ont conclu que son enlèvement et les violences qu’il a subies ne pouvaient avoir aucune conséquence sur les poursuites conduites contre lui et sur son placement en détention provisoire l’a privé du bénéfice de toute coopération judiciaire avec les autorités allemandes, alors qu’un grand nombre d’éléments de preuve à décharge se trouvait en Allemagne.

27.  La Cour constate que le requérant n’étaye pas ces griefs. Quant au premier en particulier, il n’indique aucun élément factuel susceptible de caractériser des difficultés du type de celles qu’il dénonce alors qu’il est constant qu’il était assisté par des avocats tout au long de la procédure. Il apparaît en outre qu’en tout état de cause, il ne les a pas soulevés devant la Cour de cassation.

28.  Troisièmement, le requérant se plaint : (a) du fait que « les enquêteurs français ont délivré de nombreuses convocations à témoins allemands pour tenter de les entendre en France mentionnant une prétendue obligation de comparaître (...) totalement illégale » ; (b) du fait que la Cour d’assise a accepté d’entendre des témoins qui ont relaté des faits d’agressions sexuelles étrangers à la cause et dont la prescription avait été constatée par des décisions de justice allemandes ; (c) du fait que la cour d’assises a accepté d’entendre la partie civile André Bamberski en lui permettant à plusieurs reprises non pas de témoigner sur des faits mais de plaider sa cause.

29.  Pour autant que ce grief puisse être compris comme visant l’administration de la preuve par le juge interne, la Cour rappelle que si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir, notamment, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). Elle relève par ailleurs que les points (a) et (b) n’ont pas été préalablement soumis à la Cour de cassation.

30.  Quatrièmement, le requérant dénonce la durée de la procédure pénale.

31.  La Cour relève cependant qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir exercé le recours prévu par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (ancien article L. 781-1 du même code ; Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, CEDH 2002‑VIII).

32.  Cinquièmement, le requérant soutient que l’État français a violé son droit à un procès équitable « en s’abstenant de motiver plus amplement les motifs de la condamnation mais aussi le quantum de la peine de quinze années de réclusion criminelle et en s’abstenant de juger si son état de santé était compatible avec cette condamnation ».

33.  La Cour constate que, conformément aux exigences de la loi no 2011-939 du 10 août 2011, une feuille de motivation a été délivrée dans le cadre de la procédure devant la cour d’assises du Val de Marne, ce qui répond aux exigences de la Convention quant à la motivation de la condamnation (Mathis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015). Elle relève en outre que, si le requérant a soulève la question de la motivation dans le cadre de son pourvoi, il l’a fait sous un angle différent : sans évoquer la Convention et se fondant sur le droit constitutionnel français, il soutenait que le droit interne méconnaissait notamment le droit à une procédure équitable dès lors qu’il imposait à la cour d’assises de motiver la déclaration de culpabilité mais pas la peine de réclusion ; ayant demandé qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit posée au Conseil constitutionnel sur ce point (que la Cour de cassation n’a pas renvoyée au Conseil constitutionnel), il concluait qu’une fois l’inconstitutionnalité prononcée, l’arrêt attaqué serait privé de tout fondement juridique. Ainsi, en tout état de cause, il n’a pas préalablement saisi la Cour de cassation du grief dont il entend saisir la Cour, ne serait-ce qu’en substance.

34.  Il résulte de ce qui précède que cette partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1, 3 a) et 4 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLEGUéE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 A LA CONVENTION

35.  Le requérant estime que l’État français a violé son droit de ne pas être jugé deux fois pour les mêmes faits dès lors qu’il bénéficiait d’une décision de non-lieu du parquet de Kempten en Allemagne. Il invoque l’article 4 du Protocole no 7, lequel est ainsi rédigé :

« 1.  Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2.  Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3.  Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »

36.  En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité et le bien-fondé de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief du requérant tiré de l’article 4 du Protocole no 7 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 juin 2016.

              Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (cinquième section), KROMBACH c. FRANCE, 10 mai 2016, 67521/14