CEDH, Cour (cinquième section comité), DE MORTEMART c. FRANCE, 23 mai 2017, 67386/13

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 67386/13
Antoine DE MORTEMART
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 23 mai 2017 en un comité composé de :

Síofra O’Leary, présidente,
André Potocki,
Mārtiņš Mits, juges,

et de Anne-Marie Dougin, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête susmentionnée introduite le 22 octobre 2013,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Antoine de Mortemart, est un ressortissant français né en 1976 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me J. Ortscheidt, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant est propriétaire du parc de Saint-Vrain, exploité en parc zoologique et de loisir de 1974 à 1998, année au cours de laquelle il fut fermé afin de réaliser des travaux d’aménagement en vue du développement de son exploitation.

4.  Un décret du ministre de l’Écologie et du Développement durable (« le ministre ») du 18 juillet 2003 procéda au classement de la vallée de la Juine parmi les « sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général » (articles L. 341-1 et suivants du code de l’environnement). Ce décret fut publié au Journal Officiel le 25 juillet 2003. Une partie du parc de Saint-Vrain se trouve dans la zone classée.

5.  Le 20 janvier 2009, le requérant envoya au ministre une demande tendant au déclassement de la partie de la vallée de la Juine correspondant à sa propriété. Il soutenait notamment que celle-ci n’avait pas fait l’objet d’une visite préalablement au classement et qu’il n’avait pas été mis en mesure de présenter ses observations puisqu’il en avait été informé a posteriori et par hasard, alors que cette mesure faisait peser de telles servitudes sur son bien que son exploitation ne pouvait plus être envisagée. La demande fut rejetée par une décision du 27 avril 2009.

6.  Le 24 mai 2009, le requérant saisit le tribunal administratif de Versailles d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision ainsi que du décret de classement du 18 juillet 2003. Soutenant que ce décret était illégal dès sa signature, il exposait en particulier qu’il avait été pris en méconnaissance des principes de participation et d’accès à l’information, et que lui-même n’avait pas été mis en mesure de présenter ses observations. Il souleva par la suite une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») visant plusieurs dispositions du code de l’environnement relatives aux sites classés. Il dénonçait notamment une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif résultant du fait que le législateur n’avait pas expressément qualifié de « décisions règlementaires » l’inscription sur la liste des monuments naturels et des sites et le classement d’un monument naturel ou d’un site, ceci rendant impossible la faculté d’exciper de l’illégalité de ces décisions à l’occasion d’un recours contre un acte en dépendant, tel que, dans son cas, le refus de déclassement. Il soutenait aussi que le droit applicable méconnaissait le principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement.

7.  Par une ordonnance du 23 juin 2011, le président du tribunal administratif de Versailles transmit la requête au Conseil d’État.

8.  Le 14 septembre 2012, le Conseil d’État informa les parties que, faute pour lui de s’être prononcé dans les délais prévus par l’article 23-4 de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958, la QPC avait été soumise à l’examen du Conseil constitutionnel.

9.  Le 23 novembre 2012, le Conseil constitutionnel déclara conforme à la constitution la plupart des dispositions visées par la QPC. En particulier, il conclut ce qui suit quant au grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :

« (...) 12. Considérant que les dispositions contestées ne privent pas les administrés du droit d’introduire devant le juge administratif, dans le délai du recours contentieux, un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de l’acte de classement ; qu’en outre, il est loisible à toute personne intéressée, après avoir saisi l’autorité administrative d’une demande de déclassement total ou partiel d’un monument naturel ou d’un site classé, de former un recours devant le juge administratif tendant à l’annulation du refus qui lui serait opposé, en joignant à son recours, le cas échéant, des conclusions à fin d’injonction ; que, par suite, le grief tiré de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté (...) ».

10.  Il donna cependant raison au requérant s’agissant de la méconnaissance du principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. La décision est ainsi rédigée sur ce point :

« (...) 24. Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » ; que ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives, de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions ;

25. Considérant, d’une part, que le classement et le déclassement de monuments naturels ou de sites constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ;

26. Considérant, d’autre part, que l’article L. 341-3 renvoie au pouvoir réglementaire la détermination des conditions dans lesquelles les intéressés sont invités à présenter leurs observations lorsqu’un monument naturel ou un site appartenant en tout ou partie à des personnes autres que l’État, les départements, les communes ou les établissements publics fait l’objet d’un projet de classement ; que l’article L. 341-13 prévoit que le déclassement total ou partiel d’un monument naturel ou d’un site classé est prononcé, après avis de la commission supérieure des sites, par décret en Conseil d’État et qu’il est notifié aux intéressés et publié au bureau des hypothèques de la situation des biens, dans les mêmes conditions que le classement ;

27. Considérant que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en s’abstenant de modifier l’article L. 341-3 en vue de prévoir la participation du public et en modifiant l’article L. 341-13 sans prévoir cette participation, le législateur a méconnu les exigences de l’article 7 de la Charte de l’environnement (...) ».

11.  En conséquence, le Conseil constitutionnel déclara les articles L. 341-3 et L. 341-13 du code de l’environnement contraires à la Constitution. Cependant, considérant que l’abrogation immédiate de ces dispositions pourrait avoir des conséquences manifestement excessives sans satisfaire aux exigences du principe de participation du public, il décida de reporter la déclaration d’inconstitutionnalité au 1er septembre 2013. Il précisa que les décisions prises avant cette date en application de ces dispositions ne pourraient être contestées sur le fondement de l’inconstitutionnalité de ces dernières.

12.  Par un arrêt du 24 avril 2013, le Conseil d’État rejeta la demande du requérant. Il jugea notamment ce qui suit :

« (...) 6. Considérant (...) qu’à l’appui de sa requête dirigée contre la décision portant refus d’abroger le décret du 18 juillet 2003 en tant qu’il classe le parc de Saint-Vrain parmi les sites du département de l’Essonne, [le requérant] soutient que le ministre chargé de la protection des sites était tenu de faire droit à sa demande d’abrogation dès lors que le décret du 18 juillet 2003 était, pour plusieurs motifs, illégal dès la date de sa signature ;

7. Considérant, toutefois, que l’autorité compétente n’est tenue de faire droit à la demande d’abrogation d’une décision illégale non réglementaire qui n’a pas créé de droits et est devenue définitive que si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce qu’une telle décision serait illégale depuis l’origine ne saurait être utilement soulevé à l’appui de conclusions tendant à l’annulation de la décision portant refus d’abroger cette décision ; que, par suite, [le requérant] ne peut pas utilement se prévaloir, à l’appui de sa requête, de l’illégalité dont serait entaché, depuis sa signature, le décret du 18 juillet 2003, aux motifs que ce dernier aurait été édicté à la suite d’une procédure irrégulière, serait constitutif d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, porterait atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et serait entaché de détournement de procédure et de détournement de pouvoir ; que le fait de ne pas pouvoir se prévaloir d’une telle illégalité ne saurait être regardé comme privant le requérant de son droit à un recours juridictionnel effectif garanti par les stipulations de l’article 6 de la Convention (...), alors même qu’une décision de classement d’un site n’a pas à être obligatoirement notifiée individuellement aux propriétaires concernés, dès lors qu’un recours pour excès de pouvoir est ouvert aux intéressés à l’encontre d’une telle décision dans le délai du recours contentieux courant à compter de la date de sa publication au Journal Officiel de la République française (...) ».

13.  Le 18 juillet 2013, le requérant adressa au ministre une demande d’abrogation partielle du décret du 18 juillet 2003 en tant qu’il classe le parc de Saint-Vrain parmi les sites classés du département de l’Essonne. Il soutenait que ce décret était devenu illégal à la suite du changement de circonstances de droit apparu après son édiction. Il faisait valoir à cet égard que les dispositions qui constituaient son fondement légal avaient été jugées inconstitutionnelles et étaient devenues contraire au droit communautaire (à la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil prévoyant notamment la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, à compter de la transposition de celle-ci, et à la décision 2005-370/CE du Conseil relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement).

14.  Le ministre rejeta la demande le 11 octobre 2013, au motif que le classement de la vallée de la Juine et de ses abords était intervenu antérieurement à la date fixée par la décision du Conseil constitutionnel pour l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, qu’il avait fait l’objet des procédures législatives et réglementaires alors en vigueur, et que le délai légal de recours était expiré.

15.  Le 10 décembre 2013, le requérant saisit le Conseil d’État d’une demande tendant à l’annulation de cette décision et à l’abrogation du décret du 18 juillet 2003 pour autant qu’il inclut le parc de Saint-Vrain dans le périmètre du site de la vallée de la Juine.

16.  Le Gouvernement indique, sans plus de précisions que, le 16 juillet 2015, le Conseil d’État a informé les parties que l’affaire était rayée du rôle de la séance du 9 juillet 2015.

GRIEF

17.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et se référant à l’arrêt De Geoufre de la Pradelle c. France (16 décembre 1992, série A no 253‑B), le requérant se plaint d’une violation de son droit à un tribunal résultant de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de contester l’inclusion de sa propriété dans le périmètre de classement du site de la vallée de la Juine. Il fait valoir à cet égard qu’il n’a pas eu une possibilité concrète et effective de contester par voie d’action la décision de classement puisqu’elle ne lui a pas été notifiée. Il ajoute qu’il n’a pas non plus eu la possibilité d’obtenir un examen de sa cause dans le cadre d’une saisine par voie d’exception, sa demande tendant au déclassement de la partie de la vallée de la Juine correspondant à sa propriété ayant été rejetée au motif qu’une demande d’abrogation d’une décision non réglementaire non créatrice de droits n’est recevable que si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de faits postérieurs à son édiction.

EN DROIT

18.  Le requérant dénonce une violation de son droit à un tribunal. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.Thèses des parties

1.Le Gouvernement

19.  Le Gouvernement soutient tout d’abord que le requérant disposait d’une voie d’action concrète et effective contre la décision de classement de la vallée de la Juine. Il rappelle que, dans la décision Geffre c. France (no 51307/99, 23 janvier 2003), la Cour a jugé que la mise en œuvre dans cette affaire des mesures prises par la France dans le cadre de l’exécution de l’arrêt De Geouffre de la Pradelle (précité) avaient permis le maintien d’un juste équilibre entre les intérêts en présence et que le requérant n’avait pas subi d’entrave disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. Il estime que le raisonnement suivi dans cette affaire est transposable en l’espèce. Il fait valoir à cet égard que le décret du 18 juillet 2003 portant classement de la vallée de la Juine a fait l’objet de plusieurs mesures de publicité collective : il a été publié au Journal Officiel ; à la demande du ministre (formulée le 9 septembre 2003), le préfet a notifié le décret aux maires des onze communes concernées ainsi qu’un exemplaire des plans cadastraux sur lequel figure le périmètre du site, et leur a notamment demandé d’afficher en mairie durant au moins un mois l’extrait de ce décret qui avait été publié au Journal Officiel et de lui retourner un certificat d’affichage (selon le Gouvernement, l’affichage a été effectué ; il produit des certificats d’affichages pour quatre de ces mairies – autres que Saint-Vrain – qui montrent que, selon les cas, les affichages ont eu lieu des 16, 17 ou 18 septembre aux 16, 18 ou 19 octobre 2003) ; un extrait de la décision de classement et la mention selon laquelle le texte intégral du décret et les plans annexés pouvaient être consultés à la préfecture et dans les mairies concernées ont été publiés dans Le Parisien et Le Républicain. Il souligne que cela s’ajoute à la publicité qui a eu lieu lors de la procédure précédant le classement.

20.  Renvoyant à trois décisions du Conseil d’État (8 juillet 1999, no 122.262 ; 18 septembre 1992, no 122.274 ; 22 mars 1999, no 178.455), le Gouvernement précise que le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de classement court, pour les particuliers, non pas à compter de la publication de l’acte de classement au Journal Officiel, mais à compter de la mise à disposition en préfecture ou en mairie du décret dans son intégralité ainsi que des plans et cartes y afférents. Ainsi, ajoute-t-il, le délai de recours contre le décret du 18 juillet 2003 n’expirait pas deux mois après sa publication au Journal Officiel mais à la mi-novembre, soit plus de deux mois après la date indiquée par le requérant.

21.  Le Gouvernement estime par ailleurs que l’allégation du requérant selon laquelle il n’a pas eu la possibilité d’obtenir un examen de sa cause dans le cadre d’une saisine par voie d’exception relève de la quatrième instance. À supposer cet aspect de la requête recevable, il souligne que le principe jurisprudentiel qui fonde cette impossibilité, selon lequel une demande d’abrogation d’une décision non réglementaire non créatrice de droits n’est recevable que si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de faits postérieurs à son édiction, se justifie par le souci d’assurer la sécurité juridique des situations acquises et par la nécessité de maintenir une distinction entre les décisions réglementaires et les décisions non réglementaires.

2.Le requérant

22.  Le requérant fait valoir que le décret du 18 juillet 2003 a été publié au Journal Officiel le 25 juillet 2003, de sorte que le délai de recours a commencé à courir le 26 juillet 2003 et a expiré le 26 septembre 2003. Il observe ensuite que ce n’est que le 9 septembre 2003 que le ministre a demandé au préfet de l’Essonne d’informer les maires des communes concernées, et le 12 septembre 2003 que ce dernier a donné suite, et que les affichages n’ont été réalisés qu’à partir des 16, 17 ou 18 septembre 2003 et jusqu’aux 16, 18 ou 19 octobre 2003. Il ajoute que la publication dans des journaux n’a eu lieu que le 18 septembre 2003. Il en déduit qu’il ne restait que quelques jours entre la date des mesures prises pour la publicité du décret du 18 juillet 2003 et l’expiration du délai de recours. Soulignant par ailleurs qu’il n’apparaît pas que les publications dont il est question aient mentionné la date de publication du décret au Journal Officiel, il invite la Cour à conclure qu’il n’a pas bénéficié d’un système cohérent ménageant un juste équilibre entre les intérêts de l’administration et les siens, lui offrant une possibilité claire, concrète et effective de contester ce décret. S’agissant de la circonstance que des mesures de publicité ont été mises en œuvre en amont du décret du 18 juillet 2003 dans le cadre de l’enquête publique prévue par la loi, il fait valoir que cela ne permettait pas de déterminer la date à laquelle le décret serait adopté.

23.  S’agissant de l’impossibilité de contester le décret par voie d’exception à laquelle il s’est heurtée, le requérant déclare notamment ne voir ni pourquoi il serait particulièrement important de maintenir une différence entre les décisions réglementaires et les décisions non réglementaires quant aux modalités de leur abrogation, ni pourquoi assurer la sécurité juridique des situations acquises en vertu de décisions non règlementaires serait plus important que d’assurer celle des situations acquises en vertu de décisions réglementaires.

B.Appréciation de la Cour

24.  La Cour rappelle que le droit d’accès aux tribunaux – qui constitue un aspect du « droit à un tribunal » – peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 89, CEDH 2016 (extraits)).

25.  Cela étant rappelé, la Cour estime que, contrairement à ce qu’il soutient, le requérant disposait d’une possibilité adéquate de contester devant le juge interne le décret du 18 juillet 2003, qui procède au classement du secteur où se trouve sa propriété.

26.  En effet, d’une part, il ressort des observations du Gouvernement et des pièces qu’il produit que ce décret a été publié au Journal Officiel le 25 juillet 2003 (il était précisé dans le Journal Officiel que le texte intégral du décret et les plans annexés pourraient être consultés à la préfecture et aux mairies concernées), et a été notifié par le préfet aux maires des onze communes concernées le 12 septembre 2003.

Le Gouvernement indique par ailleurs que les communes ont affiché le décret en mairie durant un mois. La Cour note à cet égard que le Gouvernement produit des certificats d’affichages pour quatre de ces mairies, qui montrent que, selon les cas, les affichages ont eu lieu des 16, 17 ou 18 septembre aux 16, 18 ou 19 octobre 2003. Elle relève aussi que la mairie de la commune où se trouve la propriété du requérant ne figure pas parmi ces quatre mairies, mais observe que le requérant n’en tire aucune conclusion ; en particulier, il ne soutient pas qu’il faudrait en déduire que l’affichage n’y aurait pas été effectué. Elle constate du reste, plus largement, qu’il ne conteste pas que l’affichage a été effectué selon les modalités indiquées par le Gouvernement dans les mairies des onze communes concernées. Elle tient donc ce fait pour avéré.

La Cour constate en outre, qu’un extrait de la décision de classement et la mention que le texte intégral pouvait être consulté à la préfecture et en mairie a été publié le 18 septembre 2003 dans deux journaux distribués localement.

Comme le souligne le Gouvernement, ces mesures s’ajoutent à la publicité qui a eu lieu lors de la procédure précédant le classement.

27.  Ces modalités sont comparables à celles qui ont été mises en œuvre dans l’affaire Geffre précitée, dans laquelle la Cour a conclu que le mécanisme de publicité collective mis en œuvre constituait un système cohérent, ménageant un juste équilibre entre les intérêts de l’administration et ceux des personnes concernées. Elle a en particulier noté qu’il offrait à ces dernières une possibilité claire, concrète et effective de contester l’acte administratif dont il était question.

28.  D’autre part, l’allégation du requérant selon lequel le délai dont il a disposé après la réalisation de ces mesures de publicité pour saisir le juge interne était très court est erronée. Il fait valoir à cet égard que, le décret du 18 juillet 2003 ayant été publié au Journal Officiel le 25 juillet 2003, le délai de recours de deux mois a expiré le 26 septembre 2003 ; or, souligne-t-il, les affichages en mairie et la publication dans des journaux n’ont été réalisés qu’environ une semaine avant cette dernière date. Le Gouvernement indique cependant qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que, les plans annexés au décret n’ayant pas été publiés au Journal Officiel, le délai de recours contre celui-ci ne courait pas à compter de cette publication, mais à compter de la mise à disposition en préfecture ou en mairie du décret dans son intégralité et des plans et cartes y afférents. Le délai de recours n’a ainsi expiré qu’à la mi-novembre 2003. Le requérant a donc disposé d’un délai d’environ deux mois à partir de la mise en œuvre des mesures de publicité sus-décrites pour saisir le juge administratif d’un recours contre le décret de classement.

29.  La Cour en déduit que, comme dans l’affaire Geffre précitée, bien que, conformément au droit interne, le décret du 18 juillet 2003 ne lui ait pas été notifié, le requérant a eu une possibilité claire, concrète et effective de saisir le juge administratif d’un recours contre celui-ci. Il ne saurait donc soutenir qu’il y a eu en sa cause atteinte à la substance du droit à un tribunal que garantit l’article 6 § 1.

30.  La requête est en conséquence manifestement mal fondée et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 15 juin 2017.

Anne-Marie DouginSíofra O’Leary
Greffière adjointe f.f.Présidente

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