CEDH, Commission (plénière), SALABIAKU c. FRANCE, 16 avril 1986, 10519/83

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 16 avr. 1986, n° 10519/83
Numéro(s) : 10519/83
Publication : D.R. 46, p. 99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 29 juillet 1983
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Bönisch du 6 mai 1985, série A n° 92, par. 28 et ss.
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-27371
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1986:0416DEC001051983
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Sur les parties

Texte intégral

                      AS TO THE ADMISSIBILITY OF

                       de la requête N° 10519/83

                       présentée par Amosi SALABIAKU

                       contre la France

                                  _________

        La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 16 avril 1986 en présence de

        MM. C.A. NØRGAARD, Président

            G. SPERDUTI

            F. ERMACORA

            E. BUSUTTIL

            G. JÖRUNDSSON

            G. TENEKIDES

            B. KIERNAN

            A.S. GÖZÜBÜYÜK

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H. DANELIUS

            J. CAMPINOS

            H. VANDENBERGHE

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

         M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ;

         Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

         Vu la requête introduite le 29 juillet 1983 par Amosi

SALABIAKU contre la France et enregistrée le 1er août 1983 sous le N°

de dossier 10519/83 ;

         Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur

le 27 juin 1985 et les observations en réponse présentées par le

requérant le 7 octobre 1985 ;

         Vu les conclusions des parties développées à l'audience le 16

avril 1986 ;

         Après avoir délibéré,

         Rend la décision suivante :

EN FAIT

        Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit :

        Le requérant, de nationalité zaïroise, est né en 1951 à

Kinshasa.  Il est étudiant et réside à Paris.  Dans la procédure devant

la Commission il est représenté par Me Jean-Paul Combenegre, avocat à

la cour d'appel de Paris.

        Courant juillet 1979, le requérant qui avait eu à l'époque le

projet de se marier en France avec une jeune Ivoirienne, avait demandé

à l'un de ses parents employé de la compagnie Air Zaïre de lui faire

parvenir quelques échantillons de nourriture de son pays.

        Le 25 juillet 1979, le requérant a reçu, par l'intermédiaire

de l'agence de la compagnie susvisée à Paris, un télex lui indiquant

de se rendre à l'aéroport le samedi 28 juillet 1979 pour y retirer un

"colis" pour son mariage, arrivant par un vol QC 010.   Le samedi 28

juillet, il s'est donc rendu à l'aéroport pour y retirer ce colis.

Cependant, il n'a trouvé à l'aéroport aucun colis à son nom.

        Le requérant s'est alors adressé à un agent d'Air Zaïre à

Roissy, qui lui a désigné une malle qui ne portait aucun nom mais qui

n'avait pas été retirée.  En même temps, cet agent a tenté de faire

discrètement comprendre au requérant que cette malle était susceptible

de contenir des marchandises prohibées et lui a suggéré de ne pas s'en

emparer.

        Le requérant s'est néanmoins emparé de la malle et, celle-ci

étant plus importante que le colis qu'il attendait, il est allé

téléphoner à son frère pour lui demander de venir l'attendre au

terminal de la Porte Maillot près de leur domicile, afin de l'aider à

porter la malle.

        C'est dans  ces conditions, qu'après avoir passé la douane sans

encombre, le requérant a été interpellé, d'ailleurs en compagnie de

trois autres Zaïrois qu'il venait de rencontrer à l'aéroport et avec

lesquels il avait engagé la conversation.

        Le requérant a alors immédiatement reconnu être le destinataire

de la malle et a mis hors de cause ses trois compatriotes.  L'ouverture

de la malle a permis d'y découvrir 10 kilos de cannabis.

        Le frère du requérant était lui-même interpellé Porte Maillot.

        Mais, entre temps, le vol d'Air Zaïre N° QC 010 était reparti

pour sa destination finale : Bruxelles.  C'est à cet endroit qu'a été

débarqué un sac au nom et à l'adresse du requérant et contenant des

denrées alimentaires africaines en mauvais état.

        Le requérant et son frère ont été inculpés d'importation en

contrebande de marchandises prohibées.

        Au cours de l'instruction, deux des trois Zaïrois qui avaient

assisté à la scène à l'aéroport ont déclaré qu'une femme zaïroise était

également présente et que celle-ci aurait déclaré que la malle

litigieuse lui appartenait.

        Ces déclarations ont abouti à l'inculpation de M. K., parent

de cette femme.

        Par une ordonnance en date du 25 août 1980, le magistrat

instructeur a renvoyé les deux frères Salabiaku et M. K. devant le

tribunal correctionnel de Bobigny.

        Par jugement du 27 mars 1981, cette juridiction a prononcé la

relaxe du frère du requérant et de M. K.  Elle a déclaré coupable le

requérant d'avoir (a) contrevenu aux dispositions d'administration

publique concernant les substances vénéneuses classées comme

stupéfiants (articles L 626, L 627, L 629 et L 630-1 et R 5165 et suiv.

du Code de la Santé Publique) (b) commis le délit réputé importation

en contrebande de marchandises prohibées (articles 38-414, 417, 419,

215, 435 du Code des Douanes et 42, 43-1 et suiv., 44 du Code pénal).

Elle a condamné le requérant à une peine d'emprisonnement de 2 ans.

En outre, sur les conclusions de l'Administration des Douanes, le

tribunal a condamné le requérant à payer une amende douanière de

100.000 francs.  Le requérant a interjeté appel de cette décision.

        Devant la cour d'appel, il a insisté sur le fait qu'il ignorait

le contenu réel de la malle qu'il avait appréhendée à Roissy et qu'il

s'était trompé en croyant emporter le colis, arrivé en réalité à

Bruxelles et qui lui était destiné.  Le requérant a donc conclu à sa

relaxe sur le plan des poursuites pénales, ainsi qu'à l'irrecevabilité

par voie de conséquence de la constitution de partie civile de

l'administration des douanes.  En particulier, le requérant soulignait

qu'il avait commis une erreur invincible l'exonérant de toute

présomption de fraude attachée à la détention des marchandises.

        Par arrêt du 9 février 1982, la cour d'appel de Paris a infirmé

le jugement et prononcé la relaxe du requérant au bénéfice du doute du

point de vue de la poursuite pénale pour infraction à la législation

sur les stupéfiants (Code de la santé). Cependant, la cour a confirmé

le jugement sur le délit douanier d'importation en contrebande de

marchandises prohibées (Code des douanes) et maintenu la condamnation

du requérant au paiement d'une amende de 100.000 francs au profit des

douanes.

        Le requérant a formé un pourvoi en cassation contre cette

décision en soulevant un moyen tiré de ce que, d'une part, en mettant

à la charge du prévenu une présomption de culpabilité, profitant à

l'administration des douanes, la cour d'appel avait violé l'article 6,

par. 1, de la Convention, et que, d'autre part, en mettant à la charge

du prévenu une présomption de culpabilité quasiment irréfragable, la

cour d'appel avait encore violé l'article 6, par. 2.

        Mais par un arrêt rendu le 21 février 1983, la chambre

criminelle de la cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant.

GRIEFS

        Les griefs peuvent se résumer comme suit :

        Le requérant allègue la violation de l'article 6, par. 1 et 2

de la Convention.

        L'article 392 du Code des Douanes français dispose que :

        "Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable

        de la fraude".

        Cette disposition ne répond pas à certaines exigences de

l'article 6 de la Convention.  En effet, l'article 392 du Code des

Douanes édicte à la charge du détenteur une double présomption

d'imputabilité matérielle et de culpabilité.

        Selon ce système l'élément moral de l'infraction se trouve

réduit par le jeu d'une présomption d'imputabilité à une exigence

minimum : le législateur induit des faits matériels l'existence

préalable d'une volonté délictueuse, la simple constatation du fait

laissant supposer l'existence de l'infraction.

        Suivant les catégories juridiques du droit français, les délits

douaniers, dont celui visé par l'article 392 du Code des Douanes,

constituent des infractions dites "non intentionnelles" ou

"matérielles".  Le fardeau de la preuve qui incombe à la partie

poursuivante (le ministère public, l'Administration des Douanes et des

Droits Indirects) se trouve donc considérablement allégé puisqu'en

démontrant l'existence des faits constitutifs d'une violation de la loi

pénale, la partie poursuivante démontre à la fois l'élément matériel

de l'infraction et son élément moral.

        A cela s'ajoute que le détenteur, ainsi présumé coupable de

l'infraction, ne peut pas renverser la présomption, la jurisprudence

française se montrant particulièrement sévère en exigeant la

démonstration d'une erreur invincible ; comme l'ont souligné certains

auteurs, il s'agit en réalité d'une présomption "pratiquement

irréfragable".

        Les raisons politiques criminelles propres à la matière

douanière, ainsi que les nécessités de l'ordre public, la sauvegarde

des intérêts nationaux, mises en avant par le législateur français et

l'administration pour justifier l'existence des dipositions en cause,

ne sauraient faire perdre de vue que celles-ci méconnaissent plusieurs

principes de la Convention.

1.      Prétendue violation de l'article 6 par. 1 de la Convention

        A partir du moment où l'une des parties au procès pénal dispose

d'un principe qui lui fait directement présumer la volonté coupable du

prévenu d'un fait matériel, telle la simple détention d'un objet, et

voit l'objet de la preuve dont la charge lui incombe, considérablement

allégé, il faut admettre que les parties au procès ne se trouvent plus

sur le terrain d'égalité théorique  que les principes généraux de la

procédure pénale sont censés garantir. Il s'ensuit que l'article 392

du Code des Douanes méconnaît ouvertement le principe du procès

équitable.

        En l'espèce, la Cour de cassation a précisément mis en lumière

la méconnaissance de la règle du procès équitable en décidant que

l'article 392 du Code des Douanes n'avait pas été implicitement abrogé

par l'adhésion de la France à la Convention et devait recevoir

application dès lors que la cour d'appel, qui s'est déterminée au vu

des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, a

constaté la prise de possession par le prévenu du colis en cause et a

tiré de ce fait matériel de détention une présomption qu'aucun élément

résultant d'un évènement non imputable à l'auteur de l'infraction ou

qu'il lui était dans l'impossibilité d'éviter, n'est venue détruire.

2.      Prétendue violation de l'article 6, par. 2, de la Convention

        De même, la double présomption d'imputabilité matérielle et de

culpabilité édictée par l'article 392 du Code des Douanes, ainsi que

la jurisprudence très restrictive de la chambre criminelle de la Cour

de cassation française et des juridictions du fond, aboutissent à

remettre en cause la présomption d'innocence qui doit bénéficier au

prévenu.

        En effet, celui-ci, dès lors que le fait matériel, telle que

la détention, est démontré, ne pourra quasiment pas faire valoir la

présomption d'innocence pourtant édictée à son profit.  A tout le

moins, c'est au contraire une présomption de culpabilité qui pèsera en

définitive sur le prévenu.

        En l'espèce, il est particulièrement significatif que la cour

d'appel de Paris ait pu relaxer, même au bénéfice du doute, le

requérant de la poursuite pénale pour importation illicite de

stupéfiants, tout en le déclarant coupable du délit douanier et en le

condamnant au paiement d'une somme de 100.000 francs au profit de

l'Administration des Douanes.

        Seul le système de la double présomption d'imputabilité et de

culpabilité édictée par l'article incriminé permet d'expliquer que pour

les mêmes faits le même prévenu puisse être dans un cas présumé

innocent et dans l'autre se voir refuser l'application de la

présomption d'innocence.

        De l'avis du requérant cette situation ne répond ni aux

exigences du paragraphe 1er de l'article 6 ni à celles du paragraphe

2 du même article.

Procédure

        La requête a été introduite le 29 juillet 1983 et enregistrée

le 1er août 1983.

        Le 10 décembre 1984, la Commission a décidé de donner

connaissance de la requête au Gouvernement, en application de l'article

42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à

présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le

bien-fondé de la requête.

        En particulier, la Commission a invité le Gouvernement à se

prononcer sur les questions suivantes :

        Peut-on considérer que le principe du procès équitable, posé

à l'article 6 par. 1, et la présomption d'innocence, posée à l'article

6 par. 2 de la Convention, ont été respectés lorsque dans un système,

tel que celui qui est prévu par l'article 392 du Code des Douanes, le

renversement de la charge de la preuve aboutit à ce que, tout en étant

accusé, le requérant doit apporter la preuve de sa non-responsabilité

et que le principe "in dubio pro reo" ne peut lui être appliqué ?  En

d'autres termes, les dispositions de l'article 392 du Code des Douanes

sont-elles compatibles avec les garanties énoncées à l'article 6 ?

        Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité

et le bien-fondé le 27 janvier 1985 et les observations en réponse du

requérant sont parvenues le 7 octobre 1985.

        Le 5 décembre 1985, la Commission a décidé de tenir une

audience contradictoire en ce qui concerne les griefs tirés de

l'article 6 par. 1 et 2.  A cet égard, la Commission a prié les parties

de bien vouloir répondre aux questions suivantes :

1.      L'article 392 du Code des Douanes, tel qu'il a été appliqué en

l'espèce, dispose : "Le détenteur de marchandises de fraude est réputé

responsable de la fraude".  Peut-on considérer que dans les

circonstances de la cause, le principe de l'égalité des armes découlant

de la notion de procès équitable, posé à l'article 6 par. 1 de la

Convention, et qui exige un certain "équilibre" de la procédure, tel

qu'il ressort de la jurisprudence de la Commission et de la Cour

européennes des Droits de l'Homme (voir notamment l'arrêt de la Cour

dans l'affaire Bönisch, Cour europ. D.H., arrêt du 6 mars 1985, par.

28 et suiv.), a été respecté ?

        Dans cet ordre d'idées, peut-on considérer, ainsi que le

soutient le Gouvernement défendeur, que la Convention n'exige pas que

toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante et que par

conséquent cet "allègement de la charge de la preuve de la partie

poursuivante peut s'inscrire dans le cadre d'un procès équitable" ?

2.      D'autre part, peut-on considérer que le principe de la

présomption d'innocence posé à l'article 6 par. 2, a été respecté alors

que le renversement de la charge de la preuve semble aboutir à ce que

tout en étant accusé, le requérant doit apporter la preuve de sa

non-culpabilité ?

3.      Dans ses observations écrites, le Gouvernement exprime l'avis

que les dispositions de l'article 392 du Code des Douanes n'édictent

pas une présomption de culpabilité mais une présomption de

responsabilité.  La Commission souhaiterait obtenir des précisions sur

cette distinction.  S'appuie-t-elle sur la jurisprudence française ?

Si oui, laquelle ?

        L'audience contradictoire eut lieu le 16 avril 1986.

        Les parties étaient représentées comme suit :

pour le Gouvernement français :

- Mlle Alice PEZARD :       Magistrat détaché à la Direction des

                            Affaires juridiques du Ministère des

                            Affaires Etrangères, agent

- M. Claude MERLIN :        Sous-Directeur à la Direction Générale

                            des Douanes et Droits Indirects du

                            Ministère de l'Economie, des Finances

                            et de la Privatisation

- Mme Isabelle TOULEMONDE : Magistrat à la Direction des Affaires

                            criminelles et des Grâces du Ministère

                            de la Justice

pour le requérant :

- Maître Jean-Paul COMBENEGRE : Avocat au barreau de Paris, assisté de

- Maître Lucien ACCAD :         Avocat au barreau de Paris, conseils.

Argumentation des Parties

Le Gouvernement

        Le principe de l'égalité des armes, découlant de la notion de

procès équitable posée à l'article 6 par. 1 et qui exige un certain

équilibre de la procédure a été respecté en l'espèce.

        En effet, au regard de la jurisprudence de la Commission et de

celle de la Cour, l'égalité implique l'égalité des armes entre les

parties, notamment en matière pénale, entre le ministère public et

l'accusé.

        En l'espèce, il s'agit de savoir si l'allègement de la charge

de la preuve dont bénéficie l'administration des douanes rompt ou non

l'équilibre de la procédure entre les parties au procès.

        L'équilibre exigé par la Convention existe pour trois raisons.

D'une part, il appartient à l'administration des douanes d'apporter la

preuve du délit de contrebande c'est-à-dire de démontrer l'existence

matérielle des faits ; la charge de la preuve n'est donc pas renversée.

En second lieu, le prévenu peut soumettre tout au long de la procédure

tout élément à sa décharge ; enfin, les juridictions ont un pouvoir

souverain d'appréciation jusqu'à la décision ultime.

        Quant à ces deux derniers points, le requérant prétend que la

présomption de responsabilité, visée à l'article 392 du Code des

Douanes méconnaît cette égalité entre les parties à la procédure parce

que pour lui, il s'agirait d'une présomption de culpabilité.  Or, cette

disposition n'édicte pas une présomption de culpabilité mais une

présomption de responsabilité, laquelle implique seulement la recherche

de l'imputabilité matérielle de l'infraction.  Il s'agit donc d'un

aménagement de la preuve spécifique au droit douanier.

        Il résulte d'ailleurs de la jurisprudence des organes de la

Convention que celle-ci n'exige pas que toute la preuve soit à la

charge de la partie poursuivante.

        Ainsi la Cour de cassation permet au prévenu de s'exonérer de

sa présomption de responsabilité, soit en démontrant que les faits

reprochés ont été commis à cause d'un événement qui ne lui est pas

imputable, soit que les faits reprochés aient été commis s'il était

dans l'impossibilité d'éviter l'infraction.

        Les juges peuvent donc décharger les prévenus en matière

douanière de toute responsabilité non seulement si la détention

matérielle et objective de la marchandise prohibée n'est pas confirmée,

mais également si la volonté du détenteur de la marchandise en question

n'a pas pris part au fait matériel reproché.

        Enfin, la préscription de l'article 392 du Code des Douanes

n'est pas contraire à la présomption d'innocence posée à l'article 6

par. 2 et en aucun cas ne s'y substitue.  En effet, à la lumière de la

jurisprudence des organes de la Convention l'article 6 par. 2 ne vise

que les accusations portées contre un individu et non les moyens de

preuve utilisés devant les juridictions internes.

Le requérant

        On se trouve en présence d'une procédure pénale ouverte contre

le requérant sur la base d'une poursuite pour délit d'importation

illicite de stupéfiants (articles L 626 et L 627 du Code de la Santé

publique) et délit douanier d'importation en contrebande de

marchandises prohibées (articles 414 et 392 du Code des Douanes).

        Ces délits relèvent des lois pénales annexes au Code pénal et

présentent, notamment en matière douanière, leurs caractéristiques

propres.  Cette qualification juridique interne des infractions a

conduit la cour d'appel de Paris à condamner le requérant au plan du

délit douanier sur la base des articles susvisés du Code des Douanes

alors que, au plan du délit pénal, il l'a relaxé au bénéfice du doute

et pour les mêmes faits.

        D'une part, il y a délit pénal de droit commun qui est fondé

sur la notion d'illicéité : il s'agit du droit commun de la preuve. Du

point de vue de l'intention coupable, la charge de la preuve pèse sur

le ministère public.

        D'autre part, il y a eu délit douanier qui est fondé sur la

notion de fraude.  Celui-ci bénéficie d'un régime de preuve exorbitant

du droit commun.  En effet, le délit douanier, dont celui visé par

l'article 392 du Code des Douanes, constitue, selon les catégories

juridiques du droit français, une infraction dite "non intentionnelle"

ou "matérielle".  Cela veut dire que lorsque l'infraction est

simplement caractérisée par la situation irrégulière dans laquelle se

trouve une marchandise, c'est le détenteur des marchandises en fraude

qui est réputé auteur et qui est, à ce titre, pénalement responsable

sans que l'administration des douanes soit tenue d'établir à sa charge

un acte de participation personnelle. Bien au contraire, il appartient

au détenteur d'apporter la preuve de sa non-responsabilité.

        Au vu de ce système l'élément moral de l'infraction se trouve

réduit par le jeu d'une présomption d'imputabilité à une exigence

minimum ; en effet, le législateur induit des faits matériels

l'existence d'une volonté délictueuse.  Le fardeau de la preuve qui

incombe à la partie poursuivante (ministère public, administration des

douanes) se trouve donc considérablement allégé.

        En outre, le détenteur, ainsi présumé coupable de l'infraction,

ne peut quasiment pas renverser la présomption.  Il s'agit en

l'occurrence d'une "présomption irréfragable" profitant à

l'administration des douanes sur la base de la simple détention d'un

objet.  On ne saurait dès lors soutenir que le principe de l'égalité

des armes découlant de la notion de procès équitable, posé au par. 1er

de l'article 6 de la Convention, a été respecté.

        On ne saurait davantage soutenir que le principe de la

présomption d'innocence, énoncé au paragraphe 2 de l'article 6 de la

Convention, a été respecté alors que le renversement du fardeau de la

preuve aboutit à ce que tout en étant accusé, le prévenu doit apporter

la preuve de sa non-culpabilité.

En Droit

        Le requérant allègue la violation des paragraphes 1 et 2 de

l'article 6 (art. 6-1, 6-2) de la Convention dans la mesure où il

considère que l'article 392 du Code des Douanes, tel qu'il a été

appliqué en l'espèce, et qui dispose que "le détenteur de marchandises

de fraude est réputé responsable de la fraude" ne répond pas à

certaines exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention.  Cette

disposition stipule :

        "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

        équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par

        un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui

        décidera soit des contestations sur ses droits et obligations

        de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en

        matière pénale dirigée contre elle. ...

        2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée

        innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement

        établie."

        Le requérant estime qu'il ne peut être soutenu en l'espèce que

le principe de l'égalité des armes découlant de la notion de procès

équitable,posé au paragraphe 1er de l'article 6 (art. 6) de la

Convention, a été respecté lorsqu'est mise à la charge du prévenu une

présomption de culpabilité quasiment irréfragable profitant à

l'administration des douanes, sur la base de la simple détention d'un

objet.

        Le requérant estime en outre que l'on ne saurait non plus

soutenir que le principe de la présomption d'innocence, énoncé au

paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) de la Convention, a été respecté

dans la mesure où le renversement du fardeau de la preuve aboutit à ce

que, tout en étant accusé, le prévenu doit apporter la preuve de sa

non- culpabilité.

        Le Gouvernement conteste ces points de vue.  Il a fait valoir

que les dispositions de l'article 392 du Code des Douanes, telles

qu'elles ont été appliquées, ne contreviennent à aucun des principes

énoncés à l'article 6 (art. 6) de la Convention.

        Selon le Gouvernement ces dispositions n'édictent pas une

présomption de culpabilité mais une présomption de responsabilité, qui

n'implique que la recherche de l'imputabilité matérielle de

l'infraction.  Il s'agit donc d'un aménagement du régime de la preuve

spécifique au droit douanier.

        Le Gouvernement a encore soutenu que l'allègement de la charge

de la preuve incombant à la partie poursuivante peut s'inscrire dans

le cadre d'un procès équitable, en conformité avec l'article 6

paragraphe 1(art. 6-1).  Au demeurant, la Convention n'exige pas que

toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante.

        Enfin, pour le Gouvernement la présomption de l'article 392 du

Code des Douanes n'est pas contraire à la présomption d'innocence posée

à l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention et en aucun cas

ne s'y substitue.  En effet, il relève qu'au vu de la jurisprudence des

organes de la Convention, l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) ne vise

que les accusations portées contre un individu et non les moyens de

preuve utilisés devant les juridictions internes.

        Il n'est pas contesté entre les parties que les délits

douaniers, tels que ceux visés par l'article 392 du Code des Douanes,

entrent dans la catégorie des délits pénaux.  Ceux-ci relèvent des lois

pénales annexes au code pénal et présentent, il est vrai, notamment en

matière douanière, leurs caractéristiques propres.  Il n'en demeure pas

moins que la procédure mise en cause entre dans le domaine de

l'application de l'article 6 (art. 6) de la Convention, qui s'étend à

toute procédure portant sur le bien-fondé d'une accusation en matière

pénale.

        La question se pose dès lors de savoir si, ainsi que le prétend

le requérant, l'application faite de l'article 392 du Code des Douanes

dans le cas d'espèce a engendré une inégalité des armes entre les

parties au procès, compte tenu de la présomption quasiment irréfragable

profitant à l'une d'elles, sur la base de la détention d'un objet.

Cette situation a-t-elle ou non pour conséquence l'inéquité du procès,

en violation de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention,

qui exige un certain "équilibre" de la procédure, tel qu'il ressort de

la jurisprudence de la Commission et de la Cour Européennes des Droits

de l'Homme (Cour Eur. D.H. arrêt Bönisch du 6.5.85, série A No 92, par.

28 et suiv.) ?

        La Commission rappelle en outre qu'en matière pénale, tout

prévenu ou accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas

été reconnue par une décision judiciaire définitive c'est-à-dire ayant

acquis l'autorité de la chose jugée.  Cette présomption a pour

conséquence que le doute profite à l'accusé ou prévenu et que le

fardeau de la preuve incombe à l'accusation.

        Dès lors, peut-on considérer que le principe de la présomption

d'innocence posé à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention a été

respecté en dépit de la double présomption d'imputabilité matérielle

et de responsabilité édictée par l'article 392 du Code des Douanes, qui

pourrait conduire un accusé à devoir apporter la preuve de sa non-

culpabilité (voir No 5124/71, déc. 19.7.72, Rec. 42, p. 135) ?

        La Commission considère à la lumière d'un examen préliminaire

de l'argumentation des parties, de sa propre jurisprudence et de la

jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que les

griefs soulevés par le requérant au titre des paragraphes 1 et 2 de

l'article 6 (art. 6) posent des problèmes d'interprétation suffisamment

complexes et importants pour que la solution doive relever d'un examen

du bien-fondé de la requête et, partant, que celle-ci ne saurait être

déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

        Par ces motifs, la Commission

        DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

        Le Secrétaire adjoint                     Le Président

           de la Commission                     de la Commission

             (J. RAYMOND)                        (C.A. NØRGAARD)

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
  2. Code des douanes
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CEDH, Commission (plénière), SALABIAKU c. FRANCE, 16 avril 1986, 10519/83