CEDH, Commission, BODDAERT c. la BELGIQUE, 2 juillet 1990, 12919/87
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 2 juill. 1990, n° 12919/87 |
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Numéro(s) : | 12919/87 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 13 février 1986 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24416 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1990:0702DEC001291987 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 12919/87
présentée par Jean-Claude BODDAERT
contre la Belgique
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 2 juillet 1990 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G. H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.C. GEUS
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 13 février 1986 par Jean-Claude
BODDAERT contre la Belgique et enregistrée le 28 avril 1987 sous le
No de dossier 12919/87 ;
Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les
parties, peuvent se résumer comme suit :
Le requérant, de nationalité belge, chauffeur, est né le 1er
janvier 1943 à Liège et est domicilié à Sclessin-Ougrée (Belgique). Il
est actuellement détenu au centre pénitentiaire à Lantin (Belgique).
Il fut d'abord représenté par Maîtres Franchimont et Van Damme,
avocats au barreau de Liège, puis par Maître Van Damme uniquement.
Le 1er juillet 1980, un meurtre fut commis devant le débit de
boisson exploité par le requérant. Celui-ci fut ultérieurement cité
comme témoin dans le cadre de cette affaire qui connut son épilogue
par un arrêt de la cour d'assises de Liège le 18 mars 1982, la cause
ayant été renvoyée devant cette juridiction par une décision de la
chambre des mises en accusation de Liège du 30 juillet 1981.
Le 18 juillet 1980, la gendarmerie découvrit dans l'une des
caves de l'immeuble loué par le requérant le cadavre d'un dénommé J.
dont la mort remontait à la veille. Les soupçons se portèrent
immédiatement sur le requérant et sur le nommé Nicolas Piron, arrêté
le 20 juillet 1980, qui a également introduit une requête devant la
Commission enregistrée sous le N° 12907/87.
Le 20 juillet 1980, un mandat d'arrêt fut décerné à charge du
requérant du chef d'homicide volontaire sur la personne de J. Ce
mandat fut décerné par défaut, le requérant ayant fui à l'étranger.
Le 30 juillet 1980, le requérant fut remis aux autorités
belges. Le mandat d'arrêt par défaut fut confirmé le même jour.
L'instruction fut menée activement du 18 juillet 1980 au
2 février 1982.
Ainsi, de juillet 1980 à décembre 1980, le juge d'instruction
et les enquêteurs multiplièrent les devoirs, entendirent de nombreux
témoins et procédèrent à plusieurs interrogatoires du requérant et de
son coinculpé qui se rejetaient mutuellement la responsabilité
du fait matériel du meurtre.
Le 25 novembre 1980, le rapport d'autopsie fut déposé au
dossier.
Le premier rapport de l'expert en balistique fut déposé le
15 décembre 1980.
Ensuite, les 23 et 28 juillet 1981, furent déposés les rapports
psychiatriques relatifs au requérant et à son coinculpé.
Les experts médecins et en balistique déposèrent un rapport
commun le 19 janvier 1982, rapport concluant que le déroulement des
faits suivant la déclaration du requérant était plus compatible avec
les constatations médicales et balistiques que la version de Piron.
Le 2 février 1982, le requérant fut remis en liberté par la
chambre des mises en accusation de Liège.
Le 11 mai 1982, le juge d'instruction envoya un devoir à la
B.S.R. (brigade spéciale de recherche) de gendarmerie de Seraing le
priant de revoir le dossier en collaboration avec la B.S.R. (brigade
spéciale de recherche) de gendarmerie de Liège et "d'examiner si le
meurtre de J. n'<était> pas en rapport avec les recels et les vols qui
eurent pu s'arranger au débit de boisson exploité par le requérant".
Ce devoir semble être le seul devoir d'instruction effectué du 2
février 1982 au 28 juin 1983. Les renseignements demandés furent
fournis par un procès-verbal de la B.S.R. du 2 juin 1982.
En août, octobre et novembre 1982 le coinculpé du requérant,
remis en liberté le 2 mars 1982, fut mêlé à des scènes de violences et
de menaces. Ce dernier fut encore entendu par la gendarmerie en avril
1983 concernant des menaces proférées à l'encontre de B., tenancier
d'un café qu'il accusait de l'avoir dénoncé dans l'affaire du meurtre
de J. du 18 juillet 1980. B. fut un des derniers témoins à avoir vu
J. en vie.
La nuit du 5 au 6 avril 1983, le coinculpé du requérant menaça
par gestes un co-locataire de l'immeuble qu'il occupait et brisa les
vitres de l'appartement de ce dernier au moyen d'un pistolet à plomb.
Le 1er juin 1983, le coinculpé du requérant fut arrêté et
placé sous mandat d'arrêt du chef de meurtre sur la personne de H.,
trouvée morte dans l'appartement de ce dernier.
Le 28 juin 1983, une apostille du procureur du Roi demanda au
juge d'instruction de procéder à certaines vérifications, ce qui fut
fait par des procès-verbaux des enquêteurs des 14, 20 et 24 février
1984 ainsi que des 12 (2 procès-verbaus), 15 et 19 mars 1984.
Le 19 décembre 1983, le juge d'instruction demanda certaines
précisions compte tenu d'un rapport psychiatrique déposé dans le
dossier concernant le meurtre de H. L'expert s'expliqua à ce sujet le
26 décembre 1983.
L'instruction fut à nouveau laissée au point mort du 12 mars
1984 au 10 mai 1985, date à laquelle le procureur du Roi prit des
réquisitions de renvoi du requérant et de son coinculpé devant les
assises. L'affaire fut fixée devant la chambre du conseil le 24 mai
1985. La cause fut ensuite remise au 14 juin, puis au 21 juin 1985, à
la demande de la défense.
Le 24 juin 1985, la chambre du conseil du tribunal de première
instance de Liège ordonna la transmission des pièces de l'instruction
au procureur général près la cour d'appel en vue du renvoi du
requérant devant la cour d'assises. Elle rendit en outre une
ordonnance de prise de corps. Dans la mesure où le requérant
demanda q'il soit constaté que le délai prévu à l'article 6 par. 1
n'avait pas été respecté, la chambre du conseil répondit :
"- que si des charges précises et importantes pèsent sur les deux
inculpés depuis le début de l'instruction, l'affaire présente
une complexité particulière procédant du fait que ceux-ci
donnent des versions très différentes des faits, se chargeant
mutuellement, ce qui a nécessité des actes d'instruction de
nature à découvrir la vérité, lesquels furent effectués au
cours des années 1983 et 1984 ;
- que dès que la partie principale du dossier fut constituée,
les inculpés furent mis en liberté, ce qui leur donna une
chance peu commune au vu de la gravité des faits mis à leur
charge, de se reclasser et de comparaître sous un jour
favorable devant la juridiction de fond qui aura, le cas
échéant, à les sanctionner ;
- que c'est donc à tort que les inculpés se plaignent de la
longueur du délai écoulé depuis les faits alors que ce sursis
même est de nature, en l'espèce, à améliorer leur situation ;
Qu'il appartiendra, pour le surplus à la juridiction du fond
d'apprécier, si la précision et la clarté des souvenirs des
témoins lui permettent de dire, éventuellement, les faits
établis et de les sanctionner ;"
Le 25 juin 1985, le requérant et son coinculpé firent
opposition à cette ordonnance.
Le 2 juillet 1985, le Procureur général déposa devant la
chambre des mises en accusation de Liège un réquisitoire de renvoi
devant la cour d'assises qui se terminait en ces termes :
"ATTENDU qu'en l'espèce compte tenu des contradictions
évidentes qui séparaient les deux "thèses" et de la
personnalité douteuse des intéressés, la plus grande vigilance
était de rigueur avant de clôturer ce dossier ;
QUE par exemple, la conduite <du coinculpé du requérant> après
sa mise en liberté pouvait inquiéter légitimement et craindre
des révélations nouvelles quant à l'affaire restée assurément
très trouble ;
QU'ainsi, on allègue de "points morts, dans l'instruction et
les réquisitions qui eurent dû suivre ... sans émettre de
commentaire quant à la teneur infiniment complexe du dossier,
complexité due au dossier lui-même et à la personnalité des
inculpés ;
ATTENDU que <le requérant> avait été mêlé à un meurtre commis
devant son établissement par D. sur la personne de K.,
quelques jours avant les faits lui reprochés, le 1er juillet
1980 ;
QUE les deux personnes sortaient précisément de son
établissement et qu'il a tout fait pour brouiller les pistes
et induire en erreur les autorités de police puis les
autorités judiciaires tant quant au déroulement des faits
que de leurs prémices ; que le mobile de ce meurtre dans
lequel après les faits <le requérant> eut une attitude
équivoque resta toujours mystérieuse ;
ATTENDU que cette affaire trouva son épilogue, D. étant
détenu, devant la cour d'assises de Liège, le 18 mars 1982 ;
ATTENDU que de son côté, <le coinculpé du requérant> remis en
liberté le 2 mars 1982 ne resta pas longtemps sans faire
parler de lui ...
QU'en août, octobre et novembre 1982, il fut mêlé à des scènes
de violences et menaces, dossiers qui sont joints au dossier
relatif au meurtre de la nuit du 30 au 31 mai 1983 pour lequel
il fut renvoyé devant la cour d'assises le 5 juin 1985 ;
ATTENDU qu'en avril 1983, la gendarmerie le recherchait pour
l'entendre quant à des menaces qu'il avait proférées à
l'encontre de B., le tenancier <d'un débit de boissons> qu'il
accusait précisément de l'avoir dénoncé dans "l'affaire <J.>" ;
QUE la nuit du 5 au 6 avril 1983, il menaça par gestes un
co-locataire de l'immeuble qu'il occupait et brisa les vitres
de l'appartement de ce dernier au moyen d'un pistolet à plomb ;
ATTENDU que cette conduite <du coinculpé du requérant> et
notamment l'attitude qu'il eut en avril 1983 vis-à-vis de B.,
le tenancier du <débit de boissons>, un des derniers témoins à
avoir vu J. en vie, indiquait que l'instruction dont il était
l'objet ne soit pas clôturée immédiatement compte tenu des
"zones d'ombres" qui planaient dans le dossier et ce d'autant
qu'il n'était plus, de même que <le requérant>, en état de
détention ;
ATTENDU qu'enfin la nuit du 30 au 31 mai 1983, une amie de
rencontre, H., trouva la mort dans l'appartement <du coinculpé
du requérant> ; que mis sous mandat d'arrêt, il vient d'être
renvoyé du chef de meurtre devant la cour d'assises ;
ATTENDU qu'il apparaissait évident que l'évolution du
"deuxième" dossier pouvait avoir une incidence sur le "premier"
et que les magistrats instructeurs devaient nécessairement
confronter notamment les rapports psychiatriques ;
ATTENDU qu'ainsi, précisément, amené à saisir des documents
dans le cadre du "deuxième dossier", Monsieur le juge
d'instruction R. s'en dessaisit le 12 novembre dernier, cette
pièce ayant trait au "premier dossier" instruit par Monsieur
le juge d'instruction C. ; cette pièce y fut jointe (pièce 232
et suivante, du premier dossier) ;
ATTENDU en outre que dans l'exercice d'une saine justice et
en application de l'article 62 du code pénal, qui prévoit
qu'en cas de concours de plusieurs crimes, la peine la plus
forte sera prononcée, il importe que ces deux dossiers soient
confiés à la même session de Cour d'assises ;
PAR CES MOTIFS,
REQUIERT qu'il plaise à la Cour, Chambre des vacations faisant
le service de la Chambre des mises en accusation, de renvoyer
<le requérant et son coinculpé> devant la cour d'assises du
chef des infractions ci-dessus visées, la fixation devant
intervenir devant la session qui sera prévue pour l'examen du
dossier en cause <du coinculpé du requérant> du chef de
meurtre sur la personne de H., renvoi de la Chambre des mises
en accusation du 5 juin 1985 ;"
La cause fut fixée à l'audience du 18 juillet 1985. A cette
date, elle fut remise, à la demande de la défense à l'audience du
22 août 1985 où le ministère public fit rapport à l'appui de ses
réquisitions. Compte tenu de la durée annoncée des plaidoiries de la
défense, la cause fut ensuite mise en continuation à l'audience du
3 septembre 1985.
Le 6 septembre 1985, la chambre des mises en accusation de la
cour d'appel de Liège renvoya le requérant devant la cour d'assises de
Liège. Elle déclara par ailleurs les oppositions faites le 25 juin
1985 irrecevables. Saisie de conclusions relatives au dépassement du
délai raisonnable, la chambre des mises en accusation indiqua qu'il
n'appartenait pas à une juridiction d'instruction d'apprécier si le
délai raisonnable, dans lequel un inculpé a le droit que sa cause soit
entendue, est ou pourra être respecté.
Le 13 novembre 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du
requérant. Dans son arrêt, elle estima notamment que la cour d'appel,
en énonçant qu'il n'appartenait pas à une juridiction d'instruction
d'apprécier si le délai raisonnable était écoulé, répondait aux
conclusions du requérant et que, d'autre part, l'article 6 par. 1
s'appliquait aux juridictions de jugement et point aux juridictions
d'instruction qui statuent, comme en l'espèce, sur le règlement d'une
procédure répressive et qui, à ce titre, ne décident pas du bien-fondé
d'une accusation en matière pénale.
Le 11 février 1986, le premier président de la cour d'appel de
Liège rendit une ordonnance de jonction des accusations et dit pour
droit que la cause relative au meurtre de J. et celle relative au
meurtre de H. feraient l'objet d'un seul et même débat.
Le 3 mars 1986, premier jour du procès devant la cour
d'assises, le requérant - détenu depuis la veille en exécution de
l'ordonnance de prise de corps rendue par la chambre du conseil le 24
juin 1985 - déposa des conclusions demandant, d'une part, de surseoir à
statuer jusqu'à ce que la Commission européenne des Droits de l'Homme
se prononce sur une requête relative au respect du délai raisonnable
qu'il avait introduite devant elle et, d'autre part, que soit
rapportée l'ordonnance du 11 février 1986 au motif que celle-ci
portait atteinte à ses droits de la défense et prolongerait en outre
les débats et sa détention. Par un arrêt du 4 mars 1986, la cour
d'assises, siégeant sans jury, rejeta les conclusions du requérant.
En ce qui concerne le délai raisonnable, elle considéra "que la
question de savoir si le délai (...) dans lequel une cause est soumise
à la juridiction de fond est 'raisonnable' doit s'apprécier à la
lumière des données de chaque affaire ... ; que cette appréciation
n'est possible qu'une fois que la cause tout entière a été exposée et
examinée, que les témoins et experts ont été entendus et que tous les
devoirs utiles à la manifestation de la vérité ont été exécutés ; que
le juge chargé de porter cette appréciation est celui qui doit
trancher le bien-fondé de l'accusation ; qu'il s'agit en l'espèce, en
droit belge, du jury statuant seul sans la présence de la cour ; que
le jury pour se prononcer sur la culpabilité appréciera la valeur des
déclarations et des témoignages, leur consistance, leur précision et
le crédit qui peut encore leur être apporté compte tenu de
l'écoulement du temps depuis la date des faits ; qu'en tout état de
cause, le doute doit bénéficier aux accusés". En ce qui concerne la
jonction des causes, la cour d'assises expliqua que :
"La connexité visée aux articles 226 et 227 du code
d'instruction criminelle résulte du lien qui existe entre deux
ou plusieurs affaires et dont la nature est telle qu'une bonne
administration de la justice commande qu'elles soient jugées
ensemble et par le même juge ;
<Le coinculpé du requérant> est poursuivi notamment du chef
de deux faits qualifiés crimes par la loi, qui ont été commis
à moins de trois années d'intervalle ; il existe entre les
accusations dirigées contre <le coinculpé du requérant> des
interdépendances et rapports (nature des faits, identité
d'accusé, système de défense adopté par celui-ci) qui
justifient le maintien de la jonction ordonnée ;"
A l'issue des débats, le requérant déposa de nouvelles
conclusions pour demander à la cour d'assises de poser au jury une
question relative au délai raisonnable.
Par un premier arrêt prononcé le 14 mars 1986, la cour
d'assises se refusa à poser la question. Par un second arrêt prononcé
le même jour, le requérant, comme auteur ou coauteur, fut jugé
coupable d'assassinat et condamné à une peine de dix années de
réclusion, tandis que son coaccusé fut condamné à la peine de mort.
Le requérant se pourvut en cassation contre les trois arrêts
rendus par la cour d'assises et soutint, d'une part, que le délai
raisonnable était dépassé et, d'autre part, que la cour d'assises,
composée de trois magistrats, devait se prononcer elle-même sur la
question de la violation de l'article 6 par. 1 et non renvoyer la
décision au jury.
Par arrêt du 22 octobre 1986, la Cour de cassation rejeta le
pourvoi. Elle observa tout d'abord qu'aucune disposition légale ne
précisait les conséquences du dépassement du délai raisonnable. Elle
considéra ensuite qu'il revenait aux juridictions de jugement
d'apprécier in concreto si ce délai avait été dépassé et, dans la
négative, de déterminer les conséquences qui pourraient en résulter,
celles-ci devant être examinées sous l'angle de la déperdition des
preuves et des conséquences dommageables pour l'accusé. La Cour de
cassation estima ensuite qu'il revenait au jury seul d'apprécier si
les preuves suffisaient à conforter sa conviction et, dans
l'affirmative et lorsque l'accusé avait fait valoir que le dépassement
du délai raisonnable avait entraîné pour sa personne ou pour son
patrimoine des conséquences dommageables, il appartenait à la Cour,
réunie au jury, de décider des conséquences qu'il y avait lieu, le cas
échéant, de tirer d'un éventuel dépassement de ce délai quant à
l'appréciation de la peine. En l'espèce, la Cour de cassation
considéra qu'en condamnant le requérant à dix ans de réclusion la cour
d'assises avait décidé, de manière implicite mais certaine, que les
allégations du requérant relatives au dépassement du délai raisonnable
étaient sans fondement, soit que ce délai n'était pas dépassé, soit
que l'étant, il n'y avait pas lieu d'en tenir compte pour
l'appréciation de la peine.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint principalement de ce que le délai
raisonnable, prescrit par l'article 6 par. 1 de la Convention, n'a pas
été respecté. Il expose que la responsabilité de cette violation
incombe totalement aux autorités belges puisque l'instruction a été
muette et paralysée depuis le 2 février 1982. Il estime n'avoir en
rien contribué à ce retard, ses seuls recours ayant été exercés pour sa
mise en liberté, survenue le 2 février 1982.
Par ailleurs, la seule complexité de l'affaire reconnue par le
requérant résidait en ce que lui et son coinculpé se rejetaient
réciproquement l'accusation.
Le requérant allègue que ce délai de six ans entre les faits
et le procès affecte celui-ci puisque la procédure aux assises est
totalement orale et que les témoins ne peuvent plus avoir de souvenirs
précis après tout ce temps. En outre, le juge d'instruction est
décédé entretemps. Enfin, le requérant allègue que depuis sa mise en
liberté le 2 février 1982, il a vécu toutes ces années dans la hantise
d'un procès qui ne se concrétisait jamais.
2. Le requérant se plaint également de la jonction à son affaire,
d'une affaire concernant uniquement son coaccusé, et du fait que son
avocat n'a eu connaissance du dossier relatif à cette affaire qu'en
cours d'audience, ce qui ne lui a pas permis de disposer du temps et
des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ainsi que le
garantit l'article 6 par. 3 b) de la Convention.
Invoquant la même disposition, il se plaint également du fait
qu'un dossier d'assises relatif à un meurtre commis devant le café
qu'il exploitait et ayant trouvé son épilogue devant la cour d'assises
de Liège le 18 mars 1982 a été joint au dossier principal alors que
d'aucune façon il n'avait été impliqué dans ladite affaire, ce qui ne
lui permettait pas de répondre utilement aux accusations pouvant être
portées contre lui à cet égard.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 13 février 1986 et enregistrée
le 28 avril 1987.
Le 13 mars 1989, la Commission a décidé d'inviter le
Gouvernement belge à présenter par écrit des observations sur la
recevabilité et le bien-fondé de la requête et, en particulier, sur le
grief relatif à la durée de la procédure.
Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées
le 15 septembre 1989.
Les observations en réponse du requérant ont été présentées le
15 novembre 1989.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint principalement de ce que le délai
raisonnable, prescrit à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
n'a pas été respecté. Il expose que la responsabilité de cette
violation incombe totalement aux autorités belges, l'instruction ayant
été muette et paralysée depuis le 2 février 1982, date de sa mise en
liberté. Il explique que depuis cette date, il a vécu dans la hantise
d'un procès qui ne se concrétisait jamais. Il ajoute que le délai de
six ans entre les faits et le procès affecte celui-ci, les témoins ne
pouvant plus avoir de souvenirs précis après tout ce temps.
Le Gouvernement défendeur soulève sur ce point une objection
tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
Il relève que devant la Commission, le requérant se plaint
du non-respect du délai raisonnable sous deux aspects différents : la
déperdition des preuves, d'une part, et les conséquences physiques et
psychologiques qui l'auraient affecté, d'autre part. Il fait
cependant observer que le point soumis par le requérant à la Cour de
cassation était de savoir s'il appartenait au juge du fond, en
l'espèce, le jury, de se prononcer sur le caractère raisonnable de la
procédure et point sur la violation même de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention, surtout sous l'angle des conséquences
physiques et psychologiques l'ayant affecté. Il en conclut que le
grief ne pourrait être examiné que sous l'optique de la déperdition
des preuves.
Le requérant fait observer que le grief formulé tout au long
de la procédure pénale et finalement devant la Cour de cassation, à
savoir la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, est
identique à celui soulevé dans sa requête. La question de savoir si
le recours doit être examiné sous l'angle de la déperdition des
preuves ou des conséquences physiques et psychologiques est
irrelevante en l'espèce.
La Commission se réfère à cet égard à sa jurisprudence
constante, selon laquelle l'épuisement des voies de recours internes
se trouve satisfaite si l'intéressé a fait valoir, en substance,
devant la plus haute autorité nationale compétente, le grief qu'il
formule devant la Commission (cf N° 7367/76, déc. 10.3.77, D.R. 8, pp.
185, 197 ; N° 9228/80, déc. 16.12.82, D.R. 30, pp. 152 à 154). Tel a
bien été le cas en l'espèce, le requérant ayant articulé le grief
relatif à la durée de l'instruction dans son pourvoi en cassation,
invoquant même l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Dans ces
circonstances, il importe peu de rechercher si le requérant n'a
soulevé ce grief que sous l'angle de la déperdition des preuves et non
sous celui des conséquences physiques et psychologiques l'ayant
affecté.
Il s'ensuit que l'objection tirée du non-épuisement des voies
de recours internes ne saurait être retenue.
Quant au bien-fondé du grief, la Commission constate que la
période à prendre en considération a débuté le 20 juillet 1980, date
du mandat d'arrêt décerné contre le requérant, et s'est achevée le
22 octobre 1986, date de l'arrêt de la Cour de cassation rejetant le
pourvoi du requérant. Elle a donc duré 6 ans, 3 mois et 2 jours.
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la
durée d'une procédure relevant de l'article 6 (art. 6) de la
Convention, doit s'apprécier en fonction des circonstances concrètes
de l'affaire et à la lumière des critères dégagés par la
jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (voir
notamment Cour Eur. D.H., arrêts Foti et autres du 10 décembre
1982, série A n° 56, p. 18, par. 53, Baggetta du 25 juin 1987, Série
A n° 119, p. 32, par. 21 et Milasi du 25 juin 1987, série A n° 119,
p. 46, par. 15). Ces critères sont la complexité de la cause, le
comportement du requérant et la manière dont les autorités ont
conduit l'affaire.
Le requérant allègue à cet égard que la durée de la procédure
incombe totalement aux autorités belges puisque l'instruction a été
muette et paralysée du 2 février 1982 à mai 1985, soit pendant 39 mois.
Il ajoute que cette interruption de l'instruction ne repose sur aucune
justification et certainement pas sur l'évolution "parallèle" du
dossier du meurtre de H., ouvert à charge du coinculpé du requérant.
Le Gouvernement fait valoir que compte tenu du fait que le
requérant et son coinculpé se rejetaient la responsabilité du fait
matériel, de nombreux "trous d'ombre" planaient sur le dossier, ce qui
nécessitait de la part du juge d'instruction une circonspection toute
particulière avant de clôturer son dossier. Il ajoute que
l'instruction de ce dossier était étroitement liée à d'autres
dossiers, dont celui du meurtre de H. commis par le coinculpé du
requérant, et celui survenu le 1er juillet 1980 devant l'établissement
du requérant. D'autant qu'entre sa sortie de prison et son
arrestation dans le cadre du meurtre de H., le coinculpé du requérant
avait fait reparler de lui, notamment par son attitude, en avril 1983,
envers B., tenancier d'un débit de boisson et l'un des derniers
témoins à avoir vu J. en vie. Ces circonstances expliquent que le sort
du requérant était indéniablement lié à l'évolution de l'autre ou des
autres dossier(s) à charge de son coinculpé. Le Gouvernement ajoute
que dans l'exercice d'une saine justice, il apparaissait qu'en
l'application de l'article 62 du code pénal, qui prévoit qu'en cas de
concours de plusieurs crimes la peine la plus forte soit prononcée, le
dossier du meurtre de J. et celui du meurtre de H. devaient être
confiés à la même session de la cour d'assises, l'évolution
"parallèle" de ces deux dossiers dans l'optique de l'application de
l'article 62 du code pénal étant constante.
La Commission a examiné les arguments des parties. Elle est
d'avis que la requête pose des questions sérieuses de droit et de fait
qui ne sauraient être résolues à ce stade de la procédure, car elles
nécessitent un examen approfondi qui relève du fond de l'affaire.
2. Le requérant se plaint également de la jonction à son affaire,
d'une autre affaire concernant uniquement son coaccusé, et du fait que
son avocat n'a eu connaissance du dossier relatif à cette affaire
qu'en cours d'audience, ce qui ne lui a pas permis de disposer du
temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense
ainsi que le garantit l'article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) de la Convention.
Invoquant la même disposition, il se plaint également du fait
qu'un dossier d'assises relatif à un meurtre commis devant le café
qu'il exploitait et ayant trouvé son épilogue devant la cour d'assises
de Liège le 18 mars 1982 a été joint au dossier principal alors que
d'aucune façon il n'avait été impliqué dans ladite affaire.
Il est vrai que l'article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) dispose que
tout accusé a droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à
la préparation de sa défense.
Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur
le point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent
l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, au terme
de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut
être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel
qu'il est entendu selon les principes de droit international
généralement reconnus".
Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que
le requérant ait soumis son cas aux différents tribunaux compétents.
Encore faut-il que le grief formulé devant la Commission ait été
soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur
ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf.,
par exemple, les décisions sur la recevabilité des requêtes N° 263/57,
déc. 20.7.57, Annuaire 1, pp. 146, 147 ; N° 1103/61, déc. 12.3.62,
Annuaire 5, pp. 169-187 ; et N° 10307/88, déc. 6.3.84, D.R. 37, p. 113).
En l'espèce, le requérant n'a soulevé, ni formellement, ni
même en substance au cours de la procédure interne, les griefs qu'il
fait à présent valoir devant la Commission.
Il s'ensuit que le requérant n'a pas, quant à ces griefs,
satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes
et que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à
l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission
DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du
requérant concernant la durée de la procédure pénale dirigée
contre lui.
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
Textes cités dans la décision