CEDH, Commission, BODDAERT c. la BELGIQUE, 2 juillet 1990, 12919/87

  • Meurtre·
  • Liège·
  • Cour d'assises·
  • Commission·
  • Accusation·
  • Jury·
  • Délai raisonnable·
  • Fait·
  • Témoin·
  • Gendarmerie

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 2 juill. 1990, n° 12919/87
Numéro(s) : 12919/87
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 13 février 1986
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Baggetta du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 32, par. 21
Cour Eur. D.H. Arrêt Foti et autres du 10 décembre 1982, série A n° 56, p. 18, par. 53
Arrêt Milasi du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 46, par. 15
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-24416
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1990:0702DEC001291987
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

                         SUR LA RECEVABILITE

                      de la requête No 12919/87

                      présentée par Jean-Claude BODDAERT

                      contre la Belgique

                            __________

        La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 2 juillet 1990 en présence de

        MM. C.A. NØRGAARD, Président

            S. TRECHSEL

            F. ERMACORA

            E. BUSUTTIL

            A.S. GÖZÜBÜYÜK

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H. DANELIUS

        Mme G. H. THUNE

        Sir Basil HALL

        MM. F. MARTINEZ

            C.L. ROZAKIS

        Mme J. LIDDY

        MM. L. LOUCAIDES

            J.C. GEUS

        M.  H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

        Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

        Vu la requête introduite le 13 février 1986 par Jean-Claude

BODDAERT contre la Belgique et enregistrée le 28 avril 1987 sous le

No de dossier 12919/87 ;

        Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de

la Commission ;

        Après avoir délibéré,

        Rend la décision suivante :

EN FAIT

        Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les

parties, peuvent se résumer comme suit :

        Le requérant, de nationalité belge, chauffeur, est né le 1er

janvier 1943 à Liège et est domicilié à Sclessin-Ougrée (Belgique).  Il

est actuellement détenu au centre pénitentiaire à Lantin (Belgique).

Il fut d'abord représenté par Maîtres Franchimont et Van Damme,

avocats au barreau de Liège, puis par Maître Van Damme uniquement.

        Le 1er juillet 1980, un meurtre fut commis devant le débit de

boisson exploité par le requérant.  Celui-ci fut ultérieurement cité

comme témoin dans le cadre de cette affaire qui connut son épilogue

par un arrêt de la cour d'assises de Liège le 18 mars 1982, la cause

ayant été renvoyée devant cette juridiction par une décision de la

chambre des mises en accusation de Liège du 30 juillet 1981.

        Le 18 juillet 1980, la gendarmerie découvrit dans l'une des

caves de l'immeuble loué par le requérant le cadavre d'un dénommé J.

dont la mort remontait à la veille.  Les soupçons se portèrent

immédiatement sur le requérant et sur le nommé Nicolas Piron, arrêté

le 20 juillet 1980, qui a également introduit une requête devant la

Commission enregistrée sous le N° 12907/87.

        Le 20 juillet 1980, un mandat d'arrêt fut décerné à charge du

requérant du chef d'homicide volontaire sur la personne de J.  Ce

mandat fut décerné par défaut, le requérant ayant fui à l'étranger.

        Le 30 juillet 1980, le requérant fut remis aux autorités

belges.  Le mandat d'arrêt par défaut fut confirmé le même jour.

        L'instruction fut menée activement du 18 juillet 1980 au

2 février 1982.

        Ainsi, de juillet 1980 à décembre 1980, le juge d'instruction

et les enquêteurs multiplièrent les devoirs, entendirent de nombreux

témoins et procédèrent à plusieurs interrogatoires du requérant et de

son coinculpé qui se rejetaient mutuellement la responsabilité

du fait matériel du meurtre.

        Le 25 novembre 1980, le rapport d'autopsie fut déposé au

dossier.

        Le premier rapport de l'expert en balistique fut déposé le

15 décembre 1980.

        Ensuite, les 23 et 28 juillet 1981, furent déposés les rapports

psychiatriques relatifs au requérant et à son coinculpé.

        Les experts médecins et en balistique déposèrent un rapport

commun le 19 janvier 1982, rapport concluant que le déroulement des

faits suivant la déclaration du requérant était plus compatible avec

les constatations médicales et balistiques que la version de Piron.

        Le 2 février 1982, le requérant fut remis en liberté par la

chambre des mises en accusation de Liège.

        Le 11 mai 1982, le juge d'instruction envoya un devoir à la

B.S.R. (brigade spéciale de recherche) de gendarmerie de Seraing le

priant de revoir le dossier en collaboration avec la B.S.R. (brigade

spéciale de recherche) de gendarmerie de Liège et "d'examiner si le

meurtre de J. n'<était> pas en rapport avec les recels et les vols qui

eurent pu s'arranger au débit de boisson exploité par le requérant".

Ce devoir semble être le seul devoir d'instruction effectué du 2

février 1982 au 28 juin 1983.  Les renseignements demandés furent

fournis par un procès-verbal de la B.S.R. du 2 juin 1982.

        En août, octobre et novembre 1982 le coinculpé du requérant,

remis en liberté le 2 mars 1982, fut mêlé à des scènes de violences et

de menaces.  Ce dernier fut encore entendu par la gendarmerie en avril

1983 concernant des menaces proférées à l'encontre de B., tenancier

d'un café qu'il accusait de l'avoir dénoncé dans l'affaire du meurtre

de J. du 18 juillet 1980.  B. fut un des derniers témoins à avoir vu

J. en vie.

        La nuit du 5 au 6 avril 1983, le coinculpé du requérant menaça

par gestes un co-locataire de l'immeuble qu'il occupait et brisa les

vitres de l'appartement de ce dernier au moyen d'un pistolet à plomb.

        Le 1er juin 1983, le coinculpé du requérant fut arrêté et

placé sous mandat d'arrêt du chef de meurtre sur la personne de H.,

trouvée morte dans l'appartement de ce dernier.

        Le 28 juin 1983, une apostille du procureur du Roi demanda au

juge d'instruction de procéder à certaines vérifications, ce qui fut

fait par des procès-verbaux des enquêteurs des 14, 20 et 24 février

1984 ainsi que des 12 (2 procès-verbaus), 15 et 19 mars 1984.

        Le 19 décembre 1983, le juge d'instruction demanda certaines

précisions compte tenu d'un rapport psychiatrique déposé dans le

dossier concernant le meurtre de H.  L'expert s'expliqua à ce sujet le

26 décembre 1983.

        L'instruction fut à nouveau laissée au point mort du 12 mars

1984 au 10 mai 1985, date à laquelle le procureur du Roi prit des

réquisitions de renvoi du requérant et de son coinculpé devant les

assises.  L'affaire fut fixée devant la chambre du conseil le 24 mai

1985.  La cause fut ensuite remise au 14 juin, puis au 21 juin 1985, à

la demande de la défense.

        Le 24 juin 1985, la chambre du conseil du tribunal de première

instance de Liège ordonna la transmission des pièces de l'instruction

au procureur général près la cour d'appel en vue du renvoi du

requérant devant la cour d'assises.  Elle rendit en outre une

ordonnance de prise de corps.  Dans la mesure où le requérant

demanda q'il soit constaté que le délai prévu à l'article 6 par. 1

n'avait pas été respecté, la chambre du conseil répondit :

      "- que si des charges précises et importantes pèsent sur les deux

        inculpés depuis le début de l'instruction, l'affaire présente

        une complexité particulière procédant du fait que ceux-ci

        donnent des versions très différentes des faits, se chargeant

        mutuellement, ce qui a nécessité des actes d'instruction de

        nature à découvrir la vérité, lesquels furent effectués au

        cours des années 1983 et 1984 ;

      - que dès que la partie principale du dossier fut constituée,

        les inculpés furent mis en liberté, ce qui leur donna une

        chance peu commune au vu de la gravité des faits mis à leur

        charge, de se reclasser et de comparaître sous un jour

        favorable devant la juridiction de fond qui aura, le cas

        échéant, à les sanctionner ;

      - que c'est donc à tort que les inculpés se plaignent de la

        longueur du délai écoulé depuis les faits alors que ce sursis

        même est de nature, en l'espèce, à améliorer leur situation ;

        Qu'il appartiendra, pour le surplus à la juridiction du fond

        d'apprécier, si la précision et la clarté des souvenirs des

        témoins lui permettent de dire, éventuellement, les faits

        établis et de les sanctionner ;"

        Le 25 juin 1985, le requérant et son coinculpé firent

opposition à cette ordonnance.

        Le 2 juillet 1985, le Procureur général déposa devant la

chambre des mises en accusation de Liège un réquisitoire de renvoi

devant la cour d'assises qui se terminait en ces termes :

        "ATTENDU qu'en l'espèce compte tenu des contradictions

        évidentes qui séparaient les deux "thèses" et de la

        personnalité douteuse des intéressés, la plus grande vigilance

        était de rigueur avant de clôturer ce dossier ;

        QUE par exemple, la conduite <du coinculpé du requérant> après

        sa mise en liberté pouvait inquiéter légitimement et craindre

        des révélations nouvelles quant à l'affaire restée assurément

        très trouble ;

        QU'ainsi, on allègue de "points morts, dans l'instruction et

        les réquisitions qui eurent dû suivre ... sans émettre de

        commentaire quant à la teneur infiniment complexe du dossier,

        complexité due au dossier lui-même et à la personnalité des

        inculpés ;

        ATTENDU que <le requérant> avait été mêlé à un meurtre commis

        devant son établissement par D. sur la personne de K.,

        quelques jours avant les faits lui reprochés, le 1er juillet

        1980 ;

        QUE les deux personnes sortaient précisément de son

        établissement et qu'il a tout fait pour brouiller les pistes

        et induire en erreur les autorités de police puis les

        autorités judiciaires tant quant au déroulement des faits

        que de leurs prémices ; que le mobile de ce meurtre dans

        lequel après les faits <le requérant> eut une attitude

        équivoque resta toujours mystérieuse ;

        ATTENDU que cette affaire trouva son épilogue, D. étant

        détenu, devant la cour d'assises de Liège, le 18 mars 1982 ;

        ATTENDU que de son côté, <le coinculpé du requérant> remis en

        liberté le 2 mars 1982 ne resta pas longtemps sans faire

        parler de lui ...

        QU'en août, octobre et novembre 1982, il fut mêlé à des scènes

        de violences et menaces, dossiers qui sont joints au dossier

        relatif au meurtre de la nuit du 30 au 31 mai 1983 pour lequel

        il fut renvoyé devant la cour d'assises le 5 juin 1985 ;

        ATTENDU qu'en avril 1983, la gendarmerie le recherchait pour

        l'entendre quant à des menaces qu'il avait proférées à

        l'encontre de B., le tenancier <d'un débit de boissons> qu'il

        accusait précisément de l'avoir dénoncé dans "l'affaire <J.>" ;

        QUE la nuit du 5 au 6 avril 1983, il menaça par gestes un

        co-locataire de l'immeuble qu'il occupait et brisa les vitres

        de l'appartement de ce dernier au moyen d'un pistolet à plomb ;

        ATTENDU que cette conduite <du coinculpé du requérant> et

        notamment l'attitude qu'il eut en avril 1983 vis-à-vis de B.,

        le tenancier du <débit de boissons>, un des derniers témoins à

        avoir vu J. en vie, indiquait que l'instruction dont il était

        l'objet ne soit pas clôturée immédiatement compte tenu des

        "zones d'ombres" qui planaient dans le dossier et ce d'autant

        qu'il n'était plus, de même que <le requérant>, en état de

        détention ;

        ATTENDU qu'enfin la nuit du 30 au 31 mai 1983, une amie de

        rencontre, H., trouva la mort dans l'appartement <du coinculpé

        du requérant> ; que mis sous mandat d'arrêt, il vient d'être

        renvoyé du chef de meurtre devant la cour d'assises ;

        ATTENDU qu'il apparaissait évident que l'évolution du

        "deuxième" dossier pouvait avoir une incidence sur le "premier"

        et que les magistrats instructeurs devaient nécessairement

        confronter notamment les rapports psychiatriques ;

        ATTENDU qu'ainsi, précisément, amené à saisir des documents

        dans le cadre du "deuxième dossier", Monsieur le juge

        d'instruction R. s'en dessaisit le 12 novembre dernier, cette

        pièce ayant trait au "premier dossier" instruit par Monsieur

        le juge d'instruction C. ; cette pièce y fut jointe (pièce 232

        et suivante, du premier dossier) ;

        ATTENDU en outre que dans l'exercice d'une saine justice et

        en application de l'article 62 du code pénal, qui prévoit

        qu'en cas de concours de plusieurs crimes, la peine la plus

        forte sera prononcée, il importe que ces deux dossiers soient

        confiés à la même session de Cour d'assises ;

        PAR CES MOTIFS,

        REQUIERT qu'il plaise à la Cour, Chambre des vacations faisant

        le service de la Chambre des mises en accusation, de renvoyer

        <le requérant et son coinculpé> devant la cour d'assises du

        chef des infractions ci-dessus visées, la fixation devant

        intervenir devant la session qui sera prévue pour l'examen du

        dossier en cause <du coinculpé du requérant> du chef de

        meurtre sur la personne de H., renvoi de la Chambre des mises

        en accusation du 5 juin 1985 ;"

        La cause fut fixée à l'audience du 18 juillet 1985.  A cette

date, elle fut remise, à la demande de la défense à l'audience du

22 août 1985 où le ministère public fit rapport à l'appui de ses

réquisitions.  Compte tenu de la durée annoncée des plaidoiries de la

défense, la cause fut ensuite mise en continuation à l'audience du

3 septembre 1985.

        Le 6 septembre 1985, la chambre des mises en accusation de la

cour d'appel de Liège renvoya le requérant devant la cour d'assises de

Liège.  Elle déclara par ailleurs les oppositions faites le 25 juin

1985 irrecevables.  Saisie de conclusions relatives au dépassement du

délai raisonnable, la chambre des mises en accusation indiqua qu'il

n'appartenait pas à une juridiction d'instruction d'apprécier si le

délai raisonnable, dans lequel un inculpé a le droit que sa cause soit

entendue, est ou pourra être respecté.

        Le 13 novembre 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du

requérant.  Dans son arrêt, elle estima notamment que la cour d'appel,

en énonçant qu'il n'appartenait pas à une juridiction d'instruction

d'apprécier si le délai raisonnable était écoulé, répondait aux

conclusions du requérant et que, d'autre part, l'article 6 par. 1

s'appliquait aux juridictions de jugement et point aux juridictions

d'instruction qui statuent, comme en l'espèce, sur le règlement d'une

procédure répressive et qui, à ce titre, ne décident pas du bien-fondé

d'une accusation en matière pénale.

        Le 11 février 1986, le premier président de la cour d'appel de

Liège rendit une ordonnance de jonction des accusations et dit pour

droit que la cause relative au meurtre de J. et celle relative au

meurtre de H. feraient l'objet d'un seul et même débat.

        Le 3 mars 1986, premier jour du procès devant la cour

d'assises, le requérant - détenu depuis la veille en exécution de

l'ordonnance de prise de corps rendue par la chambre du conseil le 24

juin 1985 - déposa des conclusions demandant, d'une part, de surseoir à

statuer jusqu'à ce que la Commission européenne des Droits de l'Homme

se prononce sur une requête relative au respect du délai raisonnable

qu'il avait introduite devant elle et, d'autre part, que soit

rapportée l'ordonnance du 11 février 1986 au motif que celle-ci

portait atteinte à ses droits de la défense et prolongerait en outre

les débats et sa détention.  Par un arrêt du 4 mars 1986, la cour

d'assises, siégeant sans jury, rejeta les conclusions du requérant.

En ce qui concerne le délai raisonnable, elle considéra "que la

question de savoir si le délai (...) dans lequel une cause est soumise

à la juridiction de fond est 'raisonnable' doit s'apprécier à la

lumière des données de chaque affaire ... ; que cette appréciation

n'est possible qu'une fois que la cause tout entière a été exposée et

examinée, que les témoins et experts ont été entendus et que tous les

devoirs utiles à la manifestation de la vérité ont été exécutés ; que

le juge chargé de porter cette appréciation est celui qui doit

trancher le bien-fondé de l'accusation ; qu'il s'agit en l'espèce, en

droit belge, du jury statuant seul sans la présence de la cour ; que

le jury pour se prononcer sur la culpabilité appréciera la valeur des

déclarations et des témoignages, leur consistance, leur précision et

le crédit qui peut encore leur être apporté compte tenu de

l'écoulement du temps depuis la date des faits ; qu'en tout état de

cause, le doute doit bénéficier aux accusés".  En ce qui concerne la

jonction des causes, la cour d'assises expliqua que :

        "La connexité visée aux articles 226 et 227 du code

        d'instruction criminelle résulte du lien qui existe entre deux

        ou plusieurs affaires et dont la nature est telle qu'une bonne

        administration de la justice commande qu'elles soient jugées

        ensemble et par le même juge ;

        <Le coinculpé du requérant> est poursuivi notamment du chef

        de deux faits qualifiés crimes par la loi, qui ont été commis

        à moins de trois années d'intervalle ; il existe entre les

        accusations dirigées contre <le coinculpé du requérant> des

        interdépendances et rapports (nature des faits, identité

        d'accusé, système de défense adopté par celui-ci) qui

        justifient le maintien de la jonction ordonnée ;"

        A l'issue des débats, le requérant déposa de nouvelles

conclusions pour demander à la cour d'assises de poser au jury une

question relative au délai raisonnable.

        Par un premier arrêt prononcé le 14 mars 1986, la cour

d'assises se refusa à poser la question.  Par un second arrêt prononcé

le même jour, le requérant, comme auteur ou coauteur, fut jugé

coupable d'assassinat et condamné à une peine de dix années de

réclusion, tandis que son coaccusé fut condamné à la peine de mort.

        Le requérant se pourvut en cassation contre les trois arrêts

rendus par la cour d'assises et soutint, d'une part, que le délai

raisonnable était dépassé et, d'autre part, que la cour d'assises,

composée de trois magistrats, devait se prononcer elle-même sur la

question de la violation de l'article 6 par. 1 et non renvoyer la

décision au jury.

        Par arrêt du 22 octobre 1986, la Cour de cassation rejeta le

pourvoi.  Elle observa tout d'abord qu'aucune disposition légale ne

précisait les conséquences du dépassement du délai raisonnable.  Elle

considéra ensuite qu'il revenait aux juridictions de jugement

d'apprécier in concreto si ce délai avait été dépassé et, dans la

négative, de déterminer les conséquences qui pourraient en résulter,

celles-ci devant être examinées sous l'angle de la déperdition des

preuves et des conséquences dommageables pour l'accusé.  La Cour de

cassation estima ensuite qu'il revenait au jury seul d'apprécier si

les preuves suffisaient à conforter sa conviction et, dans

l'affirmative et lorsque l'accusé avait fait valoir que le dépassement

du délai raisonnable avait entraîné pour sa personne ou pour son

patrimoine des conséquences dommageables, il appartenait à la Cour,

réunie au jury, de décider des conséquences qu'il y avait lieu, le cas

échéant, de tirer d'un éventuel dépassement de ce délai quant à

l'appréciation de la peine.  En l'espèce, la Cour de cassation

considéra qu'en condamnant le requérant à dix ans de réclusion la cour

d'assises avait décidé, de manière implicite mais certaine, que les

allégations du requérant relatives au dépassement du délai raisonnable

étaient sans fondement, soit que ce délai n'était pas dépassé, soit

que l'étant, il n'y avait pas lieu d'en tenir compte pour

l'appréciation de la peine.

GRIEFS

1.      Le requérant se plaint principalement de ce que le délai

raisonnable, prescrit par l'article 6 par. 1 de la Convention, n'a pas

été respecté.  Il expose que la responsabilité de cette violation

incombe totalement aux autorités belges puisque l'instruction a été

muette et paralysée depuis le 2 février 1982.  Il estime n'avoir en

rien contribué à ce retard, ses seuls recours ayant été exercés pour sa

mise en liberté, survenue le 2 février 1982.

        Par ailleurs, la seule complexité de l'affaire reconnue par le

requérant résidait en ce que lui et son coinculpé se rejetaient

réciproquement l'accusation.

        Le requérant allègue que ce délai de six ans entre les faits

et le procès affecte celui-ci puisque la procédure aux assises est

totalement orale et que les témoins ne peuvent plus avoir de souvenirs

précis après tout ce temps.  En outre, le juge d'instruction est

décédé entretemps.  Enfin, le requérant allègue que depuis sa mise en

liberté le 2 février 1982, il a vécu toutes ces années dans la hantise

d'un procès qui ne se concrétisait jamais.

2.      Le requérant se plaint également de la jonction à son affaire,

d'une affaire concernant uniquement son coaccusé, et du fait que son

avocat n'a eu connaissance du dossier relatif à cette affaire qu'en

cours d'audience, ce qui ne lui a pas permis de disposer du temps et

des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ainsi que le

garantit l'article 6 par. 3 b) de la Convention.

       Invoquant la même disposition, il se plaint également du fait

qu'un dossier d'assises relatif à un meurtre commis devant le café

qu'il exploitait et ayant trouvé son épilogue devant la cour d'assises

de Liège le 18 mars 1982 a été joint au dossier principal alors que

d'aucune façon il n'avait été impliqué dans ladite affaire, ce qui ne

lui permettait pas de répondre utilement aux accusations pouvant être

portées contre lui à cet égard.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

        La requête a été introduite le 13 février 1986 et enregistrée

le 28 avril 1987.

        Le 13 mars 1989, la Commission a décidé d'inviter le

Gouvernement belge à présenter par écrit des observations sur la

recevabilité et le bien-fondé de la requête et, en particulier, sur le

grief relatif à la durée de la procédure.

        Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées

le 15 septembre 1989.

        Les observations en réponse du requérant ont été présentées le

15 novembre 1989.

EN DROIT

1.      Le requérant se plaint principalement de ce que le délai

raisonnable, prescrit à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention

n'a pas été respecté.  Il expose que la responsabilité de cette

violation incombe totalement aux autorités belges, l'instruction ayant

été muette et paralysée depuis le 2 février 1982, date de sa mise en

liberté.  Il explique que depuis cette date, il a vécu dans la hantise

d'un procès qui ne se concrétisait jamais.  Il ajoute que le délai de

six ans entre les faits et le procès affecte celui-ci, les témoins ne

pouvant plus avoir de souvenirs précis après tout ce temps.

        Le Gouvernement défendeur soulève sur ce point une objection

tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

        Il relève que devant la Commission, le requérant se plaint

du non-respect du délai raisonnable sous deux aspects différents : la

déperdition des preuves, d'une part, et les conséquences physiques et

psychologiques qui l'auraient affecté, d'autre part.  Il fait

cependant observer que le point soumis par le requérant à la Cour de

cassation était de savoir s'il appartenait au juge du fond, en

l'espèce, le jury, de se prononcer sur le caractère raisonnable de la

procédure et point sur la violation même de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention, surtout sous l'angle des conséquences

physiques et psychologiques l'ayant affecté.  Il en conclut que le

grief ne pourrait être examiné que sous l'optique de la déperdition

des preuves.

        Le requérant fait observer que le grief formulé tout au long

de la procédure pénale et finalement devant la Cour de cassation, à

savoir la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, est

identique à celui soulevé dans sa requête.  La question de savoir si

le recours doit être examiné sous l'angle de la déperdition des

preuves ou des conséquences physiques et psychologiques est

irrelevante en l'espèce.

        La Commission se réfère à cet égard à sa jurisprudence

constante, selon laquelle l'épuisement des voies de recours internes

se trouve satisfaite si l'intéressé a fait valoir, en substance,

devant la plus haute autorité nationale compétente, le grief qu'il

formule devant la Commission (cf N° 7367/76, déc. 10.3.77, D.R. 8, pp.

185, 197 ; N° 9228/80, déc. 16.12.82, D.R. 30, pp. 152 à 154).  Tel a

bien été le cas en l'espèce, le requérant ayant articulé le grief

relatif à la durée de l'instruction dans son pourvoi en cassation,

invoquant même l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.  Dans ces

circonstances, il importe peu de rechercher si le requérant n'a

soulevé ce grief que sous l'angle de la déperdition des preuves et non

sous celui des conséquences physiques et psychologiques l'ayant

affecté.

        Il s'ensuit que l'objection tirée du non-épuisement des voies

de recours internes ne saurait être retenue.

        Quant au bien-fondé du grief, la Commission constate que la

période à prendre en considération a débuté le 20 juillet 1980, date

du mandat d'arrêt décerné contre le requérant, et s'est achevée le

22 octobre 1986, date de l'arrêt de la Cour de cassation rejetant le

pourvoi du requérant.  Elle a donc duré 6 ans, 3 mois et 2 jours.

        La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la

durée d'une procédure relevant de l'article 6 (art. 6) de la

Convention, doit s'apprécier en fonction des circonstances concrètes

de l'affaire et à la lumière des critères dégagés par la

jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (voir

notamment Cour Eur. D.H., arrêts Foti et autres du 10 décembre

1982, série A n° 56, p. 18, par. 53, Baggetta du 25 juin 1987, Série

A n° 119, p. 32, par. 21 et Milasi  du 25 juin 1987, série A n° 119,

p. 46, par. 15).  Ces critères sont la complexité de la cause, le

comportement du requérant et la manière dont les autorités ont

conduit l'affaire.

        Le requérant allègue à cet égard que la durée de la procédure

incombe totalement aux autorités belges puisque l'instruction a été

muette et paralysée du 2 février 1982 à mai 1985, soit pendant 39 mois.

Il ajoute que cette interruption de l'instruction ne repose sur aucune

justification et certainement pas sur l'évolution "parallèle" du

dossier du meurtre de H., ouvert à charge du coinculpé du requérant.

        Le Gouvernement fait valoir que compte tenu du fait que le

requérant et son coinculpé se rejetaient la responsabilité du fait

matériel, de nombreux "trous d'ombre" planaient sur le dossier, ce qui

nécessitait de la part du juge d'instruction une circonspection toute

particulière avant de clôturer son dossier.  Il ajoute que

l'instruction de ce dossier était étroitement liée à d'autres

dossiers, dont celui du meurtre de H. commis par le coinculpé du

requérant, et celui survenu le 1er juillet 1980 devant l'établissement

du requérant.  D'autant qu'entre sa sortie de prison et son

arrestation dans le cadre du meurtre de H., le coinculpé du requérant

avait fait reparler de lui, notamment par son attitude, en avril 1983,

envers B., tenancier d'un débit de boisson et l'un des derniers

témoins à avoir vu J. en vie.  Ces circonstances expliquent que le sort

du requérant était indéniablement lié à l'évolution de l'autre ou des

autres dossier(s) à charge de son coinculpé.  Le Gouvernement ajoute

que dans l'exercice d'une saine justice, il apparaissait qu'en

l'application de l'article 62 du code pénal, qui prévoit qu'en cas de

concours de plusieurs crimes la peine la plus forte soit prononcée, le

dossier du meurtre de J. et celui du meurtre de H. devaient être

confiés à la même session de la cour d'assises, l'évolution

"parallèle" de ces deux dossiers dans l'optique de l'application de

l'article 62 du code pénal étant constante.

        La Commission a examiné les arguments des parties.  Elle est

d'avis que la requête pose des questions sérieuses de droit et de fait

qui ne sauraient être résolues à ce stade de la procédure, car elles

nécessitent un examen approfondi qui relève du fond de l'affaire.

2.      Le requérant se plaint également de la jonction à son affaire,

d'une autre affaire concernant uniquement son coaccusé, et du fait que

son avocat n'a eu connaissance du dossier relatif à cette affaire

qu'en cours d'audience, ce qui ne lui a pas permis de disposer du

temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense

ainsi que le garantit l'article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) de la Convention.

        Invoquant la même disposition, il se plaint également du fait

qu'un dossier d'assises relatif à un meurtre commis devant le café

qu'il exploitait et ayant trouvé son épilogue devant la cour d'assises

de Liège le 18 mars 1982 a été joint au dossier principal alors que

d'aucune façon il n'avait été impliqué dans ladite affaire.

        Il est vrai que l'article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) dispose que

tout accusé a droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à

la préparation de sa défense.

        Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur

le point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent

l'apparence d'une violation de cette disposition.  En effet, au terme

de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut

être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel

qu'il est entendu selon les principes de droit international

généralement reconnus".

        Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que

le requérant ait soumis son cas aux différents tribunaux compétents.

Encore faut-il que le grief formulé devant la Commission ait été

soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question.  Sur

ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf.,

par exemple, les décisions sur la recevabilité des requêtes N° 263/57,

déc. 20.7.57, Annuaire 1, pp. 146, 147 ; N° 1103/61, déc. 12.3.62,

Annuaire 5, pp. 169-187 ; et N° 10307/88, déc. 6.3.84, D.R. 37, p. 113).

        En l'espèce, le requérant n'a soulevé, ni formellement, ni

même en substance au cours de la procédure interne, les griefs qu'il

fait à présent valoir devant la Commission.

        Il s'ensuit que le requérant n'a pas, quant à ces griefs,

satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes

et que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à

l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

        Par ces motifs, la Commission

        DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du

        requérant concernant la durée de la procédure pénale dirigée

        contre lui.

        DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

        Le Secrétaire                          Le Président

      de la Commission                       de la Commission

        (H.C. KRÜGER)                        (C.A. NØRGAARD)

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Commission, BODDAERT c. la BELGIQUE, 2 juillet 1990, 12919/87