CEDH, Commission, ABBAS c. la FRANCE, 6 décembre 1991, 15671/89

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 6 déc. 1991, n° 15671/89
Numéro(s) : 15671/89
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 10 octobre 1989
Jurisprudence de Strasbourg : 9.3.90
No 13446/87, Djeroud c/France, déc. 10.5.89
No 15393/89, Guizani c/France, déc
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-24866
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1991:1206DEC001567189
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Texte intégral

                         SUR LA RECEVABILITE

                         de la requête No 15671/89

                         présentée par Rabah ABBAS

                         contre la France

                            __________

        La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 6 décembre 1991 en présence de

        MM. C.A. NØRGAARD, Président

            J.A. FROWEIN

            S. TRECHSEL

            G. SPERDUTI

            G. JÖRUNDSSON

            A.S. GÖZÜBÜYÜK

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H.G. SCHERMERS

            H. DANELIUS

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

        MM. F. MARTINEZ

            C.L. ROZAKIS

        Mme J. LIDDY

        MM. L. LOUCAIDES

            A.V. ALMEIDA RIBEIRO

            M.P. PELLONPÄÄ

            B. MARXER

        M.  H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

        Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

        Vu la requête introduite le 10 octobre 1989 par Rabah ABBAS

contre la France et enregistrée le 23 octobre 1989 sous le No de dossier

;

        Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

        Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

3 octobre 1990 et les observations en réponse présentées par le requérant

le 14 mars 1991 ;

        Après avoir délibéré,

        Rend la décision suivante :

EN FAIT

        Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les

parties, peuvent se résumer comme suit :

        Le requérant, de nationalité algérienne, né le 13 mai 1963 à

Toumane (Algérie), est arrivé en France à l'âge de trois ans et y a

ensuite passé toute sa vie jusqu'à son expulsion le 7 septembre 1989.

Abandonné par ses parents à l'âge de trois ans, il a été élevé par sa

grand-mère, ses oncles, tantes, cousins et cousines, qui tous vivent en

France.

        Le 30 avril 1987, le tribunal correctionnel de Lyon condamna le

requérant à une peine d'emprisonnement de 3 ans et 6 mois du chef, entre

autres, d'attentat à la pudeur, détournement de mineur, proxénétisme et

d'infractions à la législation sur les stupéfiants, faits commis courant

1985 et courant août et septembre 1986.

        En raison de ces faits, le ministre de l'Intérieur, en date du

27 octobre 1988, prit à l'encontre du requérant un arrêté d'expulsion sur

base des articles 23 et 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée

relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

        Le 20 janvier 1989, le requérant forma un recours gracieux contre

cet arrêté, recours qui fut rejeté par le ministre de l'Intérieur par

décision du 6 mars 1989.

        Le 17 mars 1989, le requérant introduisit devant le tribunal

administratif de Nancy un recours en annulation pour excès de pouvoir

contre l'arrêté d'expulsion et la décision du 6 mars 1989 rejetant son

recours gracieux ainsi qu'une demande de sursis à l'exécution de la

mesure.

        Par jugement du 1er juin 1989, le tribunal administratif de Nancy

rejeta la requête présentée par le requérant en ce qui concernait la

demande de sursis à l'exécution de l'expulsion.  Le 7 septembre 1989, le

requérant fut expulsé.

        Par jugement du 27 novembre 1990, le tribunal administratif de

Nancy rejetait le recours en annulation contre l'arrêté d'expulsion.

GRIEFS

1.      Le requérant se plaint que son expulsion de France constitue une

ingérence dans sa vie privée et familiale qui ne se trouve pas justifiée

par le paragraphe 2 de l'article 8.  Cette ingérence est d'une gravité

particulière puisque le requérant laisse derrière lui sa grand-mère, déjà

très âgée, qui l'a élevé suite à son abandon à l'âge de trois ans par ses

parents.  En outre, il ne parle pas l'arabe et n'a plus en Algérie de

famille pouvant l'héberger.

        Le requérant estime que son expulsion ne répond pas à une

nécessité objective puisque, en purgeant sa peine d'emprisonnement, il

s'est déjà acquitté de sa dette vis-à-vis de la France et, qu'ayant fait

des efforts de réinsertion en prison, il ne présentait plus, au moment

de son expulsion, aucune menace pour l'ordre public.

        De plus, selon lui, l'ingérence litigieuse n'était pas prévue par

la loi.  En effet, il a été expulsé sur le fondement d'une loi du 9

septembre 1986, modifiant l'ordonnance précitée du 2 novembre 1945, pour

l'application de laquelle le ministre de l'Intérieur a pris en

considération des faits commis avant l'entrée en vigueur de cette loi

alors que sous l'égide de la loi du 29 octobre 1981 en vigueur à l'époque

où il a commis les faits, il n'était pas expulsable.  En effet, cette loi

érigeait en catégorie non expulsable les étrangers qui, comme le

requérant, résidaient habituellement en France depuis l'âge de 10 ans ou

depuis plus de 15 ans alors que la loi du 9 septembre 1986 a restreint

les cas où l'expulsion n'était pas possible.

2.      Le requérant se plaint également d'une violation de l'article 7

de la Convention qui exclut l'application rétroactive d'une peine plus

forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été

commise.  En outre, l'expulsion de France d'une personne qui y a été

éduquée depuis son plus jeune âge ne constitue pas une mesure de police

mais bien une sanction ressentie comme le bannissement de la patrie.

3.      Enfin, il allègue que le fait d'être exilé dans un pays qu'il n'a

jamais connu, dont il ne parle pas la langue, où il est considéré comme

français et donc étranger, constitue un traitement inhumain et dégradant

au sens de l'article 3 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

        La requête a été introduite le 10 octobre 1989 et enregistrée le

23 octobre 1989.

        Le 7 juin 1990, la Commission a décidé de donner connaissance de

la requête au Gouvernement de la France et de l'inviter à présenter par

écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la

requête.  Le Gouvernement a plus particulièrement été invité à présenter

des observations sous l'angle des articles 8 et 7 de la Convention.

        Les observations du Gouvernement ont été présentées le 3 octobre

1990 et celles en réponse du requérant le 14 mars 1991.

EN DROIT

1.      Le requérant se plaint que son expulsion de France constitue une

ingérence dans sa vie privée et familiale en violation de l'article 8

(art. 8) de la Convention qui ne se trouve pas justifiée par le

paragraphe 2 de cette disposition.

        L'article 8 (art. 8) de la Convention est ainsi libellé :

"1.      Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,

de son domicile et de sa correspondance.

2.      Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans

l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par

la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société

démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté

publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à

la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de

la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."

        Le Gouvernement soulève à titre préliminaire une exception

d'irrecevabilité tirée du non-épuisement par le requérant des voies de

recours internes, en soutenant que le requérant n'a pas attendu le

jugement au fond du tribunal administratif de Nancy en ce qui concerne

le recours pour excès de pouvoir, avant de saisir la Commission et qu'à

l'encontre du jugement de ce tribunal il n'a pas formé, le cas échéant,

un recours en appel devant le Conseil d'Etat.

        Il fait remarquer que l'évolution la plus récente de la

jurisprudence du Conseil d'Etat va dans le sens d'un accroissement des

possibilités de contestation des décisions administratives concernant les

étrangers, eu égard aux répercussions que ces décisions sont susceptibles

d'avoir sur la vie familiale des intéressés.  Il signale en ce sens

qu'une décision de "reconduite à la frontière" d'un étranger peut être

entachée d'illégalité si elle entraîne pour l'intéressé des conséquences

d'une gravité exceptionnelle sur sa situation personnelle ou familiale.

A cet égard, le Gouvernement cite les arrêts du Conseil d'Etat dans les

affaires Préfet du Doubs c/ Mlle Quintero du 29 juin 1990 et Préfet de

la Savoie c/ Cavdar du 20 juillet 1990 dont il ressort que le juge

administratif apprécie la légalité de la décision sur un terrain

extrêmement proche de celui qui est défini par l'article 8 (art. 8) de

la Convention, jurisprudence qui aurait pu être invoquée par le requérant

au soutien de son pourvoi contre la décision d'expulsion.

        Le requérant rappelle pour sa part que la Cour européenne des

Droits de l'Homme a admis la recevabilité de la requête Djeroud sans

épuisement des voies de recours internes en raison de la durée des

procédures devant la juridiction administrative et du contrôle restreint

exercé par le juge administratif sur le droit au respect de la vie privée

et familiale.

        La Commission constate d'abord que le jugement au fond du

tribunal administratif de Nancy a été rendu le 27 novembre 1990.

Toutefois, la question se pose de savoir si, pour satisfaire aux

conditions de l'article 26 (art. 26) de la Convention, le requérant

aurait dû, avant de saisir la Commission, introduire un recours devant

le Conseil d'Etat.

        La Commission rappelle à cet égard que dans l'affaire Djeroud

c/France (N° 13446/87, déc. 10.5.1989) elle a estimé que le requérant

n'était pas tenu de saisir le Conseil d'Etat, compte tenu de la durée qui

aurait été nécessaire au Conseil d'Etat pour examiner un tel recours

ainsi que du contrôle restreint susceptible d'être exercé par le juge

administratif quant à la proportionnalité de l'ingérence dans le droit

au respect de la vie privée et familiale du requérant.

        En l'espèce, le requérant a été expulsé le 7 septembre 1989 et

le tribunal administratif a statué sur son recours le 27 novembre 1990,

à savoir plus d'une année après son expulsion.  L'examen par le Conseil

d'Etat d'un recours ultérieur aurait probablement pris un délai assez

long et le requérant, ayant déjà été expulsé, se serait trouvé pendant

toute cette période dans la situation dont il se plaint devant la

Commission.

        Le Gouvernement français relève notamment qu'il y a eu une

évolution récente de la jurisprudnce du Conseil d'Etat dont il ressort

qu'il y a maintenant des possibilités accrues de contester les décisions

administratives concernant les étrangers, eu égard aux répercussions que

ces décisions sont susceptibles de comporter sur la vie familiale des

intéressés.

        La Commission note à cet égard que, d'après les deux arrêts

invoqués par le Gouvernement (Conseil d'Etat du 29 juin 1990, Préfet du

Doubs c/Olmos Quintero, et du 20 juillet 1990, Préfet de la Savoie

c/Cavdar), il incombe au préfet qui décide de la reconduite à la

frontière d'apprécier si une telle mesure est de nature à comporter, pour

la situation personnelle ou familiale de l'intéressé, des "conséquences

d'une exceptionnelle gravité".  En plus, il incombe au juge de contrôler

si cette appréciation du préfet est entachée d'une "erreur manifeste".

        La conséquence de ces conditions semble être que l'examen du juge

administratif français est plus restreint que celui auquel procèdent la

Commission et la Cour sur la base de l'article 8 (art. 8) de la

Convention.  En outre, le Gouvernement n'a fait état d'aucun arrêt du

Conseil d'Etat concernant le problème spécifique des "immigrés de la

deuxième génération" dont il s'agit en l'espèce.

        Dans ces circonstances, la Commission estime qu'on ne saurait

raisonnablement faire grief au requérant de ne pas avoir saisi le Conseil

d'Etat d'un recours en appel avant de saisir la Commission. Par

conséquent, la Commission est d'avis que l'exception de non-épuisement

des voies de recours internes ne saurait être retenue en l'espèce.

        Quant au fond, le Gouvernement rappelle que la Convention ne

garantit aucun droit pour un étranger de résider dans un pays déterminé,

et notamment de ne pas être expulsé, de même qu'elle ne confère non plus

aucun droit pour un étranger à demeurer sur le territoire d'un Etat du

seul fait qu'il y a vécu sans interruption depuis son plus jeune âge.

        Le Gouvernement relève qu'à plusieurs reprises la Commission a

décidé que l'éloignement d'un étranger d'un pays où vivent ses proches

parents pourrait constituer une violation de l'article 8 (art. 8).  Il

souligne cependant que la Commission considère qu'en pareil cas, il

importe de savoir si les proches parents pourraient ou non suivre

l'intéressé. Or, le Gouvernement estime que le requérant n'est pas en

mesure de démontrer que son aïeule était dans l'impossibilité de

l'accompagner. Dans ces conditions, le Gouvernement est d'avis qu'aucune

atteinte à la vie familiale n'est établie en l'espèce.

        Se référant à l'analyse faite par la Commission dans les affaires

Djeroud et Moustaquim, le requérant rappelle qu'il est arrivé en France

à l'âge de 3 ans et, bien que juridiquement étranger, il a toutes ses

attaches familiales et sociales dans ce pays.  Quant à son lien de

nationalité, s'il correspond à une donnée juridique, il considère

toutefois qu'il ne correspond à aucune réalité concrète.

        Il estime que l'ingérence dans sa vie familiale, constituée par

l'expulsion, ne saurait résider dans la possibilité, d'ailleurs fort

illusoire, de son aïeule de vivre hors de France.

        Le Gouvernement fait valoir que quand bien même une telle

atteinte existerait, cette éventuelle ingérence répondrait aux exigences

du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la Convention, et de la

jurisprudence de la Commission.  En effet, cette ingérence serait prévue

par la loi applicable : il a été estimé que la présence du requérant

constituait une menace pour l'ordre public au sens de l'article 23 de

l'ordonnance modifiée n° 45-2658 du 2 novembre 1945.

        Cet article est rédigé comme suit :

"Article 23 : Sous réserve des dispositions de l'article 25, l'expulsion

peut être prononcée par un arrêté du Ministre de l'Intérieur si la

présence sur le territoire d'un étranger constitue une menace pour

l'ordre public (...)."

        Le requérant n'appartenait pas aux catégories d'étrangers

inexpulsables prévues par l'article 25 de l'ordonnance.  La commission,

prévue à l'article 24 du même texte, qui avait entendu le requérant le

22 juin 1988, avait émis un avis favorable à son éloignement du

territoire.

        Le Gouvernement estime que la gravité particulière des faits

(attentat à la pudeur, détournement de mineur, proxénétisme, acquisition,

détention et emploi de stupéfiants) démontre que cet éloignement

constituait, au sens où l'entend la Commission, une mesure nécessaire,

dans une société démocratique, pour la défense de l'ordre, la prévention

des infractions pénales et la protection de la santé. Cette mesure ne

saurait être regardée comme disproportionnée par rapport aux buts

légitimement poursuivis.

        Par ailleurs, compte tenu de la nature des agissements dont le

requérant a été reconnu coupable, son expulsion était proportionnée à la

nécessité d'empêcher la répétition de tels actes, qui portent atteinte

au plus haut point aux valeurs auxquelles la société française est

attachée.  Le Gouvernement conclut donc que le grief tiré de l'article

8 (art. 8) est manifestement mal fondé.

        La Commission a procédé à un premier examen des faits et des

arguments des parties.  Elle estime toutefois que les problèmes qui se

posent en l'espèce sont suffisamment complexes pour que leur solution

doive relever de l'examen au fond de l'affaire.  Dès lors, cette partie

de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens

de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

2.      Le requérant se plaint également d'une violation de l'article 7

(art. 7) de la Convention qui exclut l'application rétroactive d'une

peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction

a été commise.  Selon lui, l'expulsion de France d'une personne qui y a

été éduquée depuis son plus jeune âge ne constitue pas une mesure de

police mais bien une sanction ressentie comme le bannissement de la

patrie.

        L'article 7 (art. 7) de la Convention dispose que :

       "1.    Nul ne peut être condamné pour une action ou une

        omission  qui, au moment où elle a été commise, ne constituait

        pas une infraction d'après le droit national ou international.

        De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui

        était applicable au moment où l'infraction a été commise.

        2.    Le présent article ne portera pas atteinte au jugement

        et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une

        omission qui, au moment où elle a été commise, était

        criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus

        par les nations civilisées."

        Le Gouvernement rappelle que l'article 25 - 2°, 3° et 7° de

l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction résultant des lois des

29 octobre 1981 et 17 juillet 1984, interdisait l'expulsion des étrangers

résidant habituellement en France depuis qu'ils ont atteint l'âge de 10

ans, depuis plus de quinze ans, ou qui n'ont pas été condamnés

définitivement à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans

sursis ou bien à plusieurs peines d'emprisonnement sans sursis au moins

égales.  Ces dispositions furent modifiées par la loi du 9 septembre

1986.  Cette loi limitait l'interdiction "à l'étranger qui justifie par

tous moyens avoir sa résidence habituellement en France depuis qu'il a

atteint l'âge de 10 ans ou depuis plus de 10 ans et qui n'a pas été

condamné définitivement pour crime ou délit à une peine au moins égale

à six mois d'emprisonnement sans sursis ou un an avec sursis ou plusieurs

peines d'emprisonnement au moins égales, au total, à ces mêmes durées".

        Le Gouvernement soutient que l'expulsion du requérant ne

constitue pas une violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention.

En effet, cette disposition, qui prohibe essentiellement une application

rétroactive de la loi pénale, n'est pas applicable en l'espèce car une

mesure d'expulsion ne constitue pas une sanction, mais une mesure de

police, exclusivement destinée à protéger l'ordre et la sécurité publics

: prise non en application de la loi pénale, mais de celle relative à la

police des étrangers, elle n'a pas en elle-même, un caractère pénal.

Elle n'a pas non plus le caractère d'une punition destinée à réprimer un

comportement déterminé, mais elle a pour objet de protéger la société

contre les risques que lui fait courir un individu dont le comportement

passé révèle le caractère dangereux.

        Le Gouvernement souligne que les dispositions précitées de la loi

du 9 septembre 1986, une fois entrées en vigueur, pouvaient être

appliquées à des étrangers remplissant les conditions fixées par elles,

quelle que fût la date des condamnations à leur encontre. Tel est

d'ailleurs le sens de l'arrêt du Conseil d'Etat El Fenzi du 20 janvier

1988.  La jurisprudence de la Cour de cassation citée par le requérant

dans sa requête (arrêt Bouchareb du 7 février 1989) ne diverge nullement

de celle du Conseil d'Etat en ce qui concerne la qualification juridique

de la notion d'expulsion en droit français.  En effet, selon la Chambre

criminelle de la Cour de cassation : "(...) la loi du 9 septembre 1986

modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'ayant pas été déclarée

applicable aux situations déjà existantes, une condamnation pénale qui,

en raison de la durée de résidence de l'étranger intéressé, n'était pas

de nature à justifier antérieurement son expulsion, ne saurait à elle

seule, servir de fondement à un arrêté d'expulsion pris postérieurement

à la loi nouvelle, sans que soit en outre constaté un comportement de

nature à constituer une menace pour l'ordre public ; (...)".

        Le Gouvernement estime que la Cour de cassation n'a nullement

entendu écarter la prise en compte de condamnations pénales antérieures

à l'entrée en vigueur de la loi du 9 septembre 1986 pour l'application

de celle-ci ; elle exige seulement que le danger représenté par la

présence de l'intéressé sur le territoire soit appréciée à la date de

l'expulsion.  Par le dernier membre de la phrase précitée ("... sans que

soit en outre constaté un comportement de nature à constituer une menace

pour l'ordre public ..."), la Cour a au contraire réservé explicitement

l'hypothèse où, indépendamment de la condamnation pénale, le comportement

de l'intéressé, de nature à constituer une menace pour l'ordre public,

pourrait justifier, en lui-même, une mesure d'expulsion. En dissociant

elle aussi la sanction pénale de l'expulsion, elle confirme donc que les

règles relatives à cette dernière ne sont pas affectées par le principe

de non-rétroactivité.

        Le Gouvernement fait remarquer que l'on chercherait en vain dans

les motifs de l'arrêt précité de la Chambre criminelle la moindre

référence au principe de non-rétroactivité : en réalité, ce principe ne

constitue en rien le fondement de la solution jurisprudentielle consacrée

par la cour suprême ; il est étranger à la matière des mesures de police.

        Le Gouvernement conclut que la requête doit être rejetée comme

étant manifestement mal fondée.

        Le requérant fait observer que pour autant que l'arrêt Bouchareb

laisse si peu place à l'équivoque, il convient de rappeler que dans un

autre arrêt en date du 18 mai 1989 (MAHDAOUI Lakdar), la Chambre

criminelle de la Cour de cassation s'est prononcée d'autant plus

clairement qu'il s'agissait d'un arrêt de cassation.  Dans cette affaire,

la haute juridiction censurant la cour d'appel, déclarait "qu'en statuant

ainsi, alors que la loi précitée du 9 septembre 1986 n'ayant pas été

déclarée applicable aux situations déjà existantes, les condamnations

sus-visées qui, en raison de la durée de résidence en France du

demandeur, n'étaient pas de nature à justifier antérieurement son

expulsion, ne pouvaient à elles seules servir de fondement à l'arrêté

d'expulsion pris postérieurement à la loi nouvelle, la cour d'appel qui

n'a pas recherché si cet arrêté avait caractérisé un comportement du

demandeur de nature à constituer une menace pour l'ordre public et cela

postérieurement à la loi précitée, n'a pas justifié sa décision."

        La Commission relève tout d'abord qu'au moment où les infractions

furent commises, la loi française interdisait l'expulsion des étrangers

résidant habituellement en France depuis qu'ils avaient atteint l'âge de

10 ans, depuis plus de 15 ans ou qui n'avaient pas été condamnés

définitivement à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans

sursis ou bien à plusieurs peines d'emprisonnement sans sursis au moins

égales à cette durée.  Ces dispositions furent modifiées par la loi du

9 septembre 1986 et c'est sur le fondement des dispositions modifiées que

le requérant a pu être expulsé.

        La Commission rappelle que dans son rapport concernant l'affaire

Moustaquim (rapport Comm. 12.10.89, par. 75, série A n° 193, p. 34) elle

déclarait : "En effet, ... la mesure d'expulsion prise à l'encontre du requérant ne

constitue pas une sanction supplémentaire mais une mesure de sûreté.

Pareille mesure prise non en application de la loi pénale mais de celle

relative à la police des étrangers, n'a pas en elle-même un caractère

pénal."

        De surcroît, dans l'affaire Guizani c/ France (No 15393/89, déc.

9.3.90), la Commission s'exprimait ainsi :

"la Commission relève tout d'abord que la requête en relèvement

d'interdiction définitive du territoire a été déposée par le requérant

le 16 mai 1988, et donc après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Elle note par ailleurs que c'est postérieurement au prononcé de la peine

que le requérant a perdu, du fait de l'application de la nouvelle loi,

la possibilité de demander à être relevé, en tout ou en partie, de

l'exécution d'une peine accessoire. Le changement de législation ne porte

pas sur la peine infligée, mais uniquement sur l'exécution de celle-ci.

        En conclusion, la Commission estime en tout état de cause que

l'article 7 (art. 7) ne saurait être interprété comme interdisant toute

législation ayant pour effet de modifier l'exécution d'une peine

prononcée antérieurement.  En dépit de cette modification législative,

on ne saurait donc dire que la peine à subir est plus lourde que celle

qui a été prononcée par le juge du fond, à savoir l'interdiction

définitive du territoire (cf. à cet égard N° 11653/85, déc. 3.3.86, D.R.

46 p. 231)."

        La Commission est d'avis que, dans la présente affaire aussi, la

mesure d'expulsion doit être considérée comme une mesure de police à

laquelle le principe de non-rétroactivité énoncé à l'article 7 (art. 7)

de la Convention ne s'applique pas.  Elle note à cet égard qu'une mesure

d'expulsion peut être prise non seulement à la suite d'une condamnation

pénale mais également comme une mesure administrative à l'encontre de

personnes dont la présence sur le territoire n'est pas souhaitable.

        Il s'ensuit que le grief tiré de l'article 7 (art. 7) de la

Convention doit être rejeté comme étant incompatible ratione materiae

avec la Convention conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

3.      Le requérant estime que le fait d'être exilé dans un pays qu'il

n'a jamais connu, dont il ne parle pas la langue, où il est considéré

comme Français et donc étranger, constitue un traitement inhumain et

dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention.

L'article 3 (art. 3) est ainsi libellé :

        "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou

traitements inhumains ou dégradants."

        La Commission considère que le grief déduit de la violation

alléguée de l'article 3 (art. 3) découle des conséquences de l'exécution

de la mesure d'expulsion.  Il se fonde sur les mêmes faits qui sont à

l'origine du grief tiré de la violation de l'article 8 (art. 8) et ne

saurait donc être rejeté en l'état.

        Par ces motifs, la Commission à la majorité

        DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE en ce qui concerne le grief

        tiré de l'article 7 (art. 7) de la Convention,

        DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les autres

        griefs.

Le Secrétaire de la Commission          Le Président de la Commission

        (H.C. KRÜGER)                          (C.A. NØRGAARD)

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n° 81-973 du 29 octobre 1981
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CEDH, Commission, ABBAS c. la FRANCE, 6 décembre 1991, 15671/89