CEDH, Commission, ESQUIVILLON c. la FRANCE, 13 janvier 1992, 17063/90
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 13 janv. 1992, n° 17063/90 |
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Numéro(s) : | 17063/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 30 juillet 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24883 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1992:0113DEC001706390 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
PARTIELLE
DEUXIEME CHAMBRE
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 17063/90
présentée par Fabienne ESQUIVILLON
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 janvier 1992 en présence
de
MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
M. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
MM. J.C. GEUS
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 30 juillet 1990 par Fabienne
ESQUIVILLON contre la France et enregistrée le 24 août 1991 sous le No
de dossier 17063/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par la
requérante, peuvent se résumer comme suit.
La requérante, de nationalité française, est née en 1952. Elle
est commerçante et réside à LA FRETE.
Dans la procédure devant la Commission, elle est représentée par
Maître Simon Cohen, avocat au barreau de Toulouse.
Dans le cadre d'une information ouverte contre X. le 2 juin 1986
du chef d'infraction à la législation sur les stupéfiants, le juge
d'instruction près le tribunal de grande instance de Toulouse délivra au
Commissariat central de Toulouse deux commissions rogatoires ordonnant
la mise sur table d'écoutes des lignes téléphoniques personnelle et
professionnelle de M. B., soupçonné d'appartenir à un réseau de
trafiquants de drogue.
Le 1er octobre 1986, M. B. fut interpellé par les services de
police et avoua qu'il se livrait effectivement à un trafic d'héroïne. Il
proposa alors de prendre contact téléphoniquement avec son fournisseur
afin d'établir la véracité de ses propos.
Sur accord du magistrat instructeur, le 7 octobre 1986, la
proposition de M. B. fut mise en oeuvre et conduisit à l'interpellation
de la requérante.
Devant le tribunal correctionnel de Toulouse, la requérante
souleva l'exception de nullité des procès-verbaux relatifs aux appels
téléphoniques passés par M. B. et ayant permis son inculpation.
Par jugement du 5 août 1987, le tribunal correctionnel estima
"qu'en reprenant contact avec son fournisseur le 1er octobre
1986, M. B. a été amené à provoquer la commission d'une
infraction supplémentaire. Il n'est donc pas contestable que
les éléments de preuve recueillis à cette occasion ont été
obtenus par des procédés déloyaux. De même que les écoutes
téléphoniques ou enregistrement des conversations sont admis
en droit français, c'est sous la condition expresse que ce
moyen soit mis en oeuvre sans artifice, ni stratagème et que
les droits de la défense soient garantis. Or, il est constant
que M. B. a téléphoné au requérant ... sous le contrôle de la
police, dans le but de tendre un piège à celui-ci. En
conséquence, l'exception soulevée ... est fondée."
Sur appel du Ministère public, le 7 août 1987, la cour d'appel
de Toulouse, par arrêt du 26 novembre 1987, réforma le jugement du 5 août
1987 au motif que "la mise sur écoute des lignes téléphoniques de M. B.
par l'officier de police judiciaire agissant dans le cadre de la
commission rogatoire du magistrat instructeur, mesure susceptible
d'arrêter la continuation d'une infraction et d'en identifier le ou les
auteurs constitue un acte régulier d'information ..., que ces
conversations téléphoniques ne peuvent en aucun cas constituer une
provocation à la commission d'un délit nouveau mais simplement un moyen
de constatation d'un délit d'habitude ..., que les appels téléphoniques
de M. B. n'avaient pour but que la recherche d'identification des
différents auteurs de l'infraction qu'il avait mis en cause, de constater
sa commission une nouvelle fois et d'en empêcher la perpétration, qu'il
ne s'agit nullement comme l'ont soutenu les défenseurs des prévenus, d'un
procédé déloyal, de mise en oeuvre d'artifice ou stratagème de guet
apens, de provocation de commission d'une nouvelle infraction."
Quant au fond, la cour d'appel condamna la requérante à cinq ans
d'emprisonnement par arrêt du 24 novembre 1988.
La requérante se pourvut en cassation à l'encontre des arrêts du
26 novembre 1987 (portant sur l'annulation des actes de procédure) et du
24 novembre 1988 (portant sur le fond) rendus par la cour d'appel de
Toulouse.
Par arrêt du 5 février 1990, la Cour de cassation déclara
irrecevable le moyen tiré de l'illégalité des écoutes téléphoniques au
regard de l'article 8 de la Convention au motif que "la prévenue était
sans qualité pour contester la validité d'écoutes téléphoniques dont elle
n'avait pas été l'objet et ne la concernant pas".
La Cour de cassation rejeta par ailleurs les pourvois présentés
devant elle.
GRIEFS
1. La requérante conteste tout d'abord la légalité des écoutes
téléphoniques qui ont conduit à son arrestation ; la Cour de cassation
aurait dû, selon elle, déclarer illégales les écoutes téléphoniques
conformément à la jurisprudence applicable en la matière. Elle invoque
à cet égard les dispositions de l'article 8 de la Convention.
2. Elle se plaint enfin de la durée de la procédure en ce sens
qu'elle aurait excédé le délai raisonnable garanti par l'article 6 par.
1 de la Convention.
EN DROIT
1. La requérante conteste tout d'abord la légalité des écoutes
téléphoniques qui ont conduit à son arrestation ; la Cour de cassation
aurait dû, selon elle, déclarer illégales les écoutes téléphoniques
conformément à la jurisprudence applicable en la matière. Elle invoque
à cet égard les dispositions de l'article 8 (art. 8) de la Convention.
Aux termes de ces dispositions :
"Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans
une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des
infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."
La Commission constate que dans son arrêt du 5 février 1990, la
Cour de cassation a déclaré irrecevable l'exception de nullité soulevée
par la requérante au motif que celle-ci était sans qualité pour contester
la validité d'écoutes téléphoniques dont elle n'avait pas été l'objet et
ne la concernant pas.
La Commission rappelle sa jurisprudence selon elle n'est pas
compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou
de droit prétendument commises par une juridiction interne sauf si et
dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné
une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention.
A cet égard, la Commission admet au regard de la jurisprudence
des tribunaux internes en matière d'écoutes téléphoniques que la Cour de
cassation, si elle avait statué au fond, aurait pu, à l'instar du
tribunal correctionnel, estimer que les écoutes étaient illégales, étant
donné les circonstances propres de l'affaire.
Ainsi, en l'état actuel du dossier, la Commission n'estime pas
être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge
nécessaire de le porter à la connaissance du Gouvernement français par
application de l'article 48 par. 2 b) du Règlement intérieur de la
Commission.
2. La requérante se plaint enfin de la durée de la procédure en ce
sens qu'elle aurait excédé le délai raisonnable garanti par l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
L'article 6 par. 1 (art. 6-1) dispose que "toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable, par un tribunal indépendant ...".
La Commission constate que la requérante a été interpellée le 7
octobre 1986 et condamnée définitivement le 5 février 1990. La procédure
a donc duré trois ans et près de trois mois.
La Commission remarque qu'en raison même de sa nature et
particulièrement de sa spécificité, à savoir un trafic de stupéfiants,
en raison également du nombre de personnes impliquées et de la nécessité
de procéder à des investigations particulières, l'affaire présente une
certaine complexité. Or, l'instruction s'est déroulée sur une période
relativement brève et l'affaire a connu trois degrés de juridiction.
Elle estime par conséquent que la durée totale de trois ans et
près de trois mois ne saurait être considérée, en l'espèce, comme
excessive.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être
rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
AJOURNE L'EXAMEN DU GRIEF tiré d'une prétendue atteinte
au droit au respect de la vie privée du fait des écoutes
téléphoniques,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)