CEDH, Commission, LOPEZ OSTRA c. l'ESPAGNE, 8 juillet 1992, 16798/90
Chronologie de l’affaire
Commentaire • 0
Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 8 juill. 1992, n° 16798/90 |
---|---|
Numéro(s) : | 16798/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 14 mai 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Recevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24934 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1992:0708DEC001679890 |
Sur les parties
- Juge : Javier Borrego Borrego
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 16798/90
présentée par Gregoria LOPEZ OSTRA
contre l'Espagne
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 8 juillet 1992 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
J.A. FROWEIN
S. TRECHSEL
F. ERMACORA
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 mai 1990 par Gregoria LOPEZ OSTRA
contre l'Espagne et enregistrée le 28 juin 1990 sous le No de
dossier 16798/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Vu la décision de la Commission du 2 juillet 1991 de communiquer
la requête au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des
observations écrites sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête
(article 48 (2) (b) du Règlement intérieur) ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement espagnol
produites les 23 octobre 1991, 14 et 19 novembre 1991 et 26 mars 1992 ;
Vu les observations en réponse de la requérante en date des
3 janvier, 10 janvier et 13 avril 1992 ;
Vu la décision de la Commission du 31 mars 1992 de tenir une
audience contradictoire entre les parties sur la recevabilité et le
bien-fondé de la requête ;
Vu les observations orales des parties développées à l'audience
du 8 juillet 1992 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :EN FAIT
La requérante, née en 1955, est domiciliée à Lorca (Murcie).
Elle est femme au foyer. Devant la Commission elle est représentée par
Me J.C. Mazón Costa, avocat au barreau de Murcie.
Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par les parties
peuvent se résumer comme suit :
La requérante et sa famille - son époux, ouvrier de profession,
et ses deux filles nées en 1980 et 1984 - résident à "Diputación del
Rio, el Lugarejo", quartier éloigné de quelques centaines de mètres du
centre de Lorca, municipalité à laquelle il appartient. Lorca est le
lieu d'une forte concentration d'industries du cuir.
Plusieurs tanneries installées à Lorca, groupées au sein d'une
société nommée RECURSA, firent construire sur des terrains appartenant
à la commune une station d'épuration des eaux et des déchets. La
station d'épuration est située à 12 mètres de l'habitation de la
requérante.
En juillet 1988 la station d'épuration démarra ses activités sans
avoir obtenu le permis ("licencia") municipal exigé par le règlement
relatif aux activités classées insalubres, nocives et dangereuses de
1961. Les émanations de gaz, d'odeurs pestilentielles et la
contamination de la station causèrent immédiatement des troubles de
santé et des nuisances à de nombreux habitants de Lorca, notamment à
ceux vivant à "Diputación del Río, el Lugarejo". Le conseil municipal
évacua les résidents de ce quartier et les relogea gratuitement au
centre ville pendant les mois de juillet, août et septembre 1988.
Suite à de nombreuses plaintes et au vu des rapports des autorités
sanitaires et de l'agence régionale pour la protection de
l'environnement, le conseil municipal ordonna le 9 septembre 1988
l'arrêt de l'une des activités de la station d'épuration, à savoir
celle de décantation de résidus chimiques et organiques dans des
bassins d'eau ("lagunaje"). Toutefois, l'activité d'épuration des eaux
résiduelles souillées au chrome fut maintenue.
Les versions des parties divergent quant aux conséquences de
cette décision du 9 septembre 1988. D'après le Gouvernement, la
station ne provoque plus de nuisances à la suite de l'arrêt partiel de
ses activités. Elle ne dégage plus de fumées, ni d'odeurs, ni de
bruit, ce qui fait que, toujours selon la version du Gouvernement, le
cadre de vie autour de la station est à présent agréable.
Selon la version de la requérante, une fois revenue à son
domicile, elle constata la persistance des troubles de santé
(allergies, difficultés respiratoires, problèmes dermatologiques,
malaises), de la dégradation de l'environnement (air nauséabond,
insectes, bruit, fumée) et de la qualité de vie (impossibilité d'ouvrir
les fenêtres, odeurs persistantes dans les vêtements) résultant de
l'activité de la station. De plus, le stockage de produits chimiques
dangereux à proximité des habitations constituait à ses yeux un risque
pour la sécurité.
Après avoir tenté vainement de trouver une solution auprès de la
mairie, la requérante saisit la juridiction administrative d'un recours
en protection de ses droits fondamentaux. Elle se plaignait notamment
d'une ingérence illégitime dans son domicile et dans la jouissance
pacifique de celui-ci, d'une violation de son droit à choisir librement
un domicile et d'atteintes à l'intégrité physique et morale, à la
liberté et à la sécurité. Dans son recours elle demandait à la Chambre
administrative de Murcie d'ordonner soit la fermeture de la station
d'épuration, soit l'arrêt total de ses activités. Malgré l'avis
favorable du ministère public, le 31 janvier 1989 la Chambre
administrative rejeta le recours. L'arrêt considérait que malgré la
détérioration de la santé et de la qualité de vie de la requérante due
au fonctionnement de la station, cela n'était pas suffisamment grave
pour constituer une violation des droits fondamentaux invoqués. Par
ailleurs, le fonctionnement sans permis de la station, indiquait
l'arrêt, n'était pas une question susceptible d'être examinée dans le
cadre d'une procédure spéciale de protection des droits fondamentaux
telle que celle d'espèce.
La requérante fit appel, alléguant que divers témoignages et
expertises montraient que la station dégageait des fumées polluantes,
des odeurs pestilentielles et irritantes ainsi que des bruits nuisibles
et persistants responsables entre autres des problèmes de santé que sa
fille et elle-même subissaient. Le refus de l'administration
municipale d'ordonner sa fermeture malgré l'absence de permis de
fonctionnement constituait donc une ingérence illégitime dans le droit
au respect de son domicile et une atteinte à son intégrité physique.
L'article 8 par. 1 de la Convention était cité expressément.
Le procureur près le Tribunal suprême formula, en date du 13 mars
1989, un avis selon lequel il y avait lieu de faire droit à la demande
de la requérante qui subissait des nuisances de santé et une
détérioration de sa qualité de vie en raison d'une activité illégale,
cela ayant été reconnu par l'arrêt du 31 janvier 1989.
Toutefois, par arrêt du 27 juillet 1989 le Tribunal suprême
rejeta le recours au motif qu'aucun agent public n'avait pénétré dans
le domicile de la requérante - qui était libre de déménager - ni porté
atteinte à son intégrité physique, la question de l'absence de permis
de fonctionnement devant être traitée dans le cadre d'une procédure
judiciaire ordinaire. La requérante saisit alors le Tribunal
constitutionnel d'un recours d'"amparo" fondé sur la violation des
articles 15 (droit à l'intégrité physique), 18 (droit à la vie privée
et à l'inviolabilité du domicile familial) et 19 (droit à choisir
librement son domicile) de la Constitution espagnole.
Le 26 février 1990 le Tribunal constitutionnel rejeta le recours
comme étant manifestement mal fondé. Cette juridiction indiquait que
l'existence de fumées, odeurs et bruits ne constituait pas en soi une
violation du domicile, que le refus d'ordonner la fermeture de la
station n'était pas un traitement dégradant pour la requérante dont la
vie et l'intégrité physique n'étaient pas en danger, et qu'il n'y avait
pas atteinte au droit de choisir un domicile car aucune autorité
n'avait chassé la requérante de son domicile. Le Tribunal
constitutionnel estimait enfin que le grief concernant l'atteinte à la
vie privée n'avait pas été dûment soulevé devant les tribunaux
ordinaires.
D'autre part, d'autres résidents du même quartier ayant introduit
un recours contre le fonctionnement illégal de la station, la Chambre
Administrative du Tribunal supérieur de Murcie rendit, le
18 septembre 1991, un arrêt ordonnant la fermeture de la station faute
des permis exigés par la loi. L'exécution de cet arrêt est demeuré en
suspens à la suite de l'appel du conseil municipal et de la
société SACURSA. L'affaire est désormais pendante devant le Tribunal
suprême.
D'autre part encore, une plainte pour délit écologique présentée
par un résident du même quartier déboucha sur une ordonnance de
fermeture de la station rendue par le juge d'instruction n° 2 de Lorca
le 15 novembre 1991. Toutefois, à la suite d'un recours du ministère
public contre cette décision, elle fut révoquée le 25 novembre 1991.
GRIEFS
La requérante se plaint de l'installation et du fonctionnement
illégaux, à quelques mètres de son domicile, d'une station d'épuration
qui dégage des odeurs pestilentielles, des bruits persistants et des
fumées polluantes, ce qui constitue une violation de son domicile et
rend impossible la vie privée et familiale. Elle invoque l'article 8
par. 1 de la Convention.
La requérante se plaint aussi que le fait d'avoir été obligée à
résider à côté d'un égout immonde constitue un traitement dégradant
prohibé par l'article 3 de la Convention dont se sont rendues coupables
les autorités espagnoles par leur inactivité.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La présente requête fut introduite le 14 mai 1990 et enregistrée
le 28 juin 1990.
Le 2 juillet 1991 la Commission décida de communiquer la requête
au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des observations
sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Le Gouvernement défendeur présenta ses observations le
23 octobre 1991. Il présenta des observations complémentaires les
14 et 19 novembre 1991 et le 26 mars 1992.
Le 13 décembre 1991 la Commission décida d'accorder à la
requérante le bénéfice de l'assistance judiciaire.
La requérante fit parvenir des observations en réponse le
3 janvier 1992. Elle envoya des observations complémentaires le
10 janvier et le 13 avril 1992.
La Commission ayant repris l'examen de la requête le
31 mars 1992, elle décida de tenir une audience contradictoire entre
les parties sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
L'audience a eu lieu le 8 juillet 1992. Les parties étaient
représentées comme suit :
Pour le Gouvernement :
M. Javier BORREGO BORREGO du ministère de la Justice, Agent du
Gouvernement.
Pour le requérant :
Me José Luis MAZÓN COSTA, Conseil
Me José Rios BRAVO, Conseil
Mme Gregoria LOPEZ OSTRA, requérante.
EN DROIT
1. La requérante se plaint que le fonctionnement illégal de la
station d'épuration des résidus des tanneries installée à quelques
mètres de son lieu de résidence méconnaît son droit à la vie privée et
familiale et au respect de son domicile. Elle invoque l'article 8
(art. 8) de la Convention. Cette disposition se lit comme suit :
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique
dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire
à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d'autrui."
Le Gouvernement soulève tout d'abord une exception préliminaire
tirée du non-épuisement des voies de recours internes. En effet,
indique-t-il, deux procédures qui concernent les mêmes faits que ceux
dénoncés dans la présente requête sont toujours pendantes devant les
tribunaux espagnols, l'une devant la juridiction administrative,
l'autre devant la juridiction pénale. Même si la requérante n'est pas
elle-même directement partie auxdites procédures entamées par d'autres
membres de sa famille et par des résidents de son quartier, assistés
d'ailleurs par le même avocat qui représente la requérante devant la
Commission, elle est en tout cas concernée par leur issue car les
décisions judiciaires qui y seront rendues pourraient conduire à la
fermeture définitive de la station. Le Gouvernement explique que les
griefs que la requérante tire de l'article 8 (art. 8) de la Convention
pourraient par conséquent trouver remède dans l'ordre juridique interne
une fois que les procédures encore en cours, dont l'existence est
connue de la requérante, auront pris fin. Dès lors, la requête devrait
être rejetée par la Commission comme étant prématurée.
La requérante estime, pour sa part, que l'exception préliminaire
du Gouvernement devrait être rejetée car elle a saisi les tribunaux
internes au moyen d'un recours efficace, à savoir, un recours en
protection de ses droits fondamentaux prévu expressément par la loi.
Elle y a soulevé les mêmes griefs qu'elle soumet maintenant à l'examen
de la Commission. Contre le rejet de son recours, elle a d'abord fait
appel devant le Tribunal suprême et ensuite elle a introduit un recours
d'"amparo" devant le Tribunal constitutionnel qui est la plus haute
instance nationale en matière de protection des droits fondamentaux.
Elle estime donc avoir donné aux autorités nationales la possibilité
de redresser les griefs dont elle se plaint aujourd'hui devant la
Commission. L'existence d'autres procédures judiciaires pendantes
entamées par d'autres justiciables pour se prémunir contre les
nuisances provoquées par la station litigieuse ne sauraient en rien
faire obstacle à la recevabilité de la requête dont elle a saisi la
Commission après que les diverses instances nationales compétentes
aient rejeté ses griefs.
La Commission observe que la requérante a saisi la juridiction
administrative d'un recours fondé sur la violation de plusieurs de ses
droits fondamentaux protégés par la Constitution espagnole et par la
Convention, notamment de ses droits à la vie privée et familiale et au
respect de son domicile, droits dont la violation est alléguée
aujourd'hui devant la Commission. Ce recours est prévu par la loi
organique 62/78 de protection de droits fondamentaux comme un moyen
abrégé et rapide pour les justiciables de réclamer la protection des
tribunaux en cas de violation de certains droits et libertés
fondamentales. Cette procédure a pris fin ensuite par décision du
26 février 1990 du Tribunal constitutionnel qui est la plus haute
instance nationale en matière de garantie des droits et libertés
fondamentales. La Commission considère que les voies de recours
internes suivies par la requérante étaient efficaces - le Gouvernement
ne le conteste d'ailleurs pas - pour pouvoir redresser les griefs
qu'elle soumet maintenant à son examen.
Il est vrai que d'autres procédures relatives au fonctionnement
de la station d'épuration litigieuse - l'une de légalité ordinaire
devant la juridiction administrative et l'autre pour délit écologique
devant la juridiction pénale - sont toujours pendantes devant les
tribunaux espagnols. La Commission constate cependant que la
requérante n'est pas partie à ces procédures. Reste à savoir si, afin
d'épuiser valablement les voies de recours internes, elle était tenue
d'entamer elle-même l'une ou l'autre de ces procédures avant de saisir
la Commission.
Toutefois, la Commission est d'avis que la requérante a fourni
aux autorités nationales l'occasion que la règle de l'épuisement a
précisément pour finalité, à savoir, redresser les manquements allégués
à leur encontre (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980,
série A n° 39, pp. 26-27, par. 72 ; cf. aussi No 9228/80, déc.
16.12.82, D.R. 30 p. 153). Elle considère que, ayant fait un usage
normal des recours internes directement efficaces et suffisants dont
elle disposait selon le droit interne pour se plaindre de la violation
des droits garantis par la Convention, la requérante n'était pas tenue
d'en intenter également d'autres, moins appropriés et rapides.
La Commission rejette par conséquent l'exception préliminaire
soulevée par le Gouvernement.
Quant au fond, le Gouvernement, tout en admettant qu'entre le
9 juillet et le 9 septembre 1988, le fonctionnement de la station a
provoqué des graves nuisances à tous les habitants de Lorca, considère
que la requérante n'a plus subi à partir de l'arrêt partiel de
l'activité de la station décidé par le conseil municipal de Lorca le
9 septembre 1988, aucune des nuisances dont elle se plaint. Il
explique que la seule activité de la station à partir de cette date est
le traitement des eaux souillées au chrome, processus qui a lieu en
circuit fermé sans dégager de fumée ni d'odeur et sans provoquer de
bruit excessif. Le Gouvernement affirme que le cadre de vie dans les
alentours de la station est devenu donc depuis ladite date tout à fait
convenable. Dès lors, le droit de la requérante au respect de sa vie
privée et familiale et de son domicile, ne fait pas l'objet à présent
des ingérences dont elle se plaint devant la Commission de sorte
qu'aucun problème ne se pose sous l'angle de l'article 8 (art. 8) de
la Convention.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement fait valoir que, même à
supposer que la requérante ait subi après le 9 septembre 1988 quelques
nuisances - de toute façon non excessives - provoquées par le
fonctionnement partiel et limité de la station d'épuration sise près
de son domicile, elle a perdu entre-temps la qualité de victime, au
sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, des violations dont
elle se plaint. Il fait en effet valoir que le conseil municipal de
Lorca verse à partir du 1er février 1992 le prix du loyer de
l'appartement que la requérante occupe dans un emplacement de son choix
au centre de Lorca. Par conséquent, ni elle ni sa famille ne subissent
plus les prétendus effets indésirables causés par le fonctionnement de
la station d'épuration.
La requérante réfute pour sa part la thèse du Gouvernement selon
laquelle il n'y aurait plus d'ingérence dans les droits garantis par
l'article 8 (art. 8) de la Convention à la suite de l'arrêt partiel des
activités de la station décidé le 9 septembre 1988. Elle soumet à
l'examen de la Commission plusieurs moyens de preuve à l'appui de sa
thèse selon laquelle elle-même et sa famille, comme nombre d'habitants
de son quartier, continuent de souffrir des problèmes sérieux de santé
comme conséquence de l'activité présente de la station qui n'a pas
cessé de dégager des fumées, odeurs, bruits qui rendent leur cadre de
vie insupportable. Elle fournit notamment des certificats médicaux
selon lesquels sa fille souffre de problèmes dermatologiques,
respiratoires, diarrhées et vomissements résultant de son exposition
constante aux émanations polluantes provenant de la station toute
proche de son domicile. L'existence d'odeurs nauséabondes, fumées
pestilentielles, bruits persistants est, selon la requérante, confirmée
par divers témoignages et rapports datés après le 9 septembre 1988.
Elle attire l'attention de la Commission sur le fait que les décisions
judiciaires rendues dans les autres procédures concernant la station
litigieuse, pendantes maintenant en Espagne, notamment l'arrêt du
Tribunal supérieur de Murcie du 18 septembre 1991 et l'ordonnance du
juge d'instruction n° 2 de Lorca du 15 novembre 1991, confirment
l'existence des graves nuisances qu'elle dénonce dans sa requête.
La requérante soutient enfin qu'elle n'a pas perdu la qualité de
victime en raison de son relogement à partir du 1er février 1992 aux
frais de la municipalité de Lorca. Elle fait valoir qu'il s'agit là
d'une mesure de nature provisoire et de durée limitée qui ne saurait
effacer les conséquences des violations de l'article 8 (art. 8) de la
Convention qu'elle estime avoir subies.
La Commission a procédé à un premier examen des faits et
arguments des parties. Elle rappelle qu'aux termes de l'article 8
(art. 8) de la Convention, un Etat ne doit pas seulement respecter mais
aussi protéger effectivement les droits garantis par cette disposition
(cf. Cour Eur. D.H., arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A n° 31,
p. 15, par. 31). Cette disposition ne saurait d'ailleurs s'interpréter
comme s'appliquant uniquement aux mesures directes prises par les
autorités et portant atteinte à la vie privée et/ou au domicile d'un
individu. Elle peut couvrir aussi les intrusions indirectes,
conséquences inévitables de mesures qui ne visent pas du tout des
particuliers. Or, une pollution considérable peut affecter le bien-
être physique d'un individu et dès lors porter atteinte à sa vie privée
ou le priver de la possibilité de jouir des agréments de son domicile
(cf. mutatis mutandis No 9310/81, déc. 16.7.86, D.R. 47 p. 5).
La Commission considère que la question de savoir si les
autorités espagnoles ont assuré en l'espèce un respect suffisant des
droits dont jouit la requérante au titre de l'article 8 (art. 8) de la
Convention, soulève des problèmes complexes de fait et de droit qui ne
sauraient être tranchés au stade de la recevabilité et nécessitent un
examen du fond.
Dès lors, sur les points considérés, la requête ne saurait être
déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
2. La requérante se plaint de surcroît que le fait d'avoir été
obligée de vivre dans un cadre de vie aussi pollué équivaut à un
traitement dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Cette disposition est rédigée comme suit :
"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants."
Toutefois, la Commission constate que le grief que la requérante
tire de la violation de cette disposition se fonde sur les mêmes faits
qui sont à l'origine des griefs qu'elle tire de la violation de
l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il ne saurait donc être rejeté
en l'état.
Par ces motifs, la Commission,
à la majorité,
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE tous moyens de fond réservés.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)