CEDH, Commission, LOPEZ OSTRA c. l'ESPAGNE, 8 juillet 1992, 16798/90

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 8 juill. 1992, n° 16798/90
Numéro(s) : 16798/90
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 14 mai 1990
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980, série A no 39, pp. 26-27, par. 72
Cour Eur. D.H. Arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, p. 15, par. 31
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-24934
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1992:0708DEC001679890
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Sur les parties

Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITE

                       de la requête No 16798/90

                  présentée par Gregoria LOPEZ OSTRA

                           contre l'Espagne

                              __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 8 juillet 1992 en présence de

      MM. C.A. NØRGAARD, Président

          J.A. FROWEIN

          S. TRECHSEL

          F. ERMACORA

          G. JÖRUNDSSON

          A.S. GÖZÜBÜYÜK

          A. WEITZEL

          H.G. SCHERMERS

          H. DANELIUS

      Sir Basil HALL

      MM. F. MARTINEZ

          C.L. ROZAKIS

      Mme J. LIDDY

      MM. L. LOUCAIDES

          J.C. GEUS

          M.P. PELLONPÄÄ

      M.  H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 14 mai 1990 par Gregoria LOPEZ OSTRA

contre l'Espagne et enregistrée le 28 juin 1990 sous le No de

dossier 16798/90 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Vu la décision de la Commission du 2 juillet 1991 de communiquer

la requête au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des

observations écrites sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête

(article 48 (2) (b) du Règlement intérieur) ;

      Vu les observations présentées par le Gouvernement espagnol

produites les 23 octobre 1991, 14 et 19 novembre 1991 et 26 mars 1992 ;

      Vu les observations en réponse de la requérante en date des

3 janvier, 10 janvier et 13 avril 1992 ;

      Vu la décision de la Commission du 31 mars 1992 de tenir une

audience contradictoire entre les parties sur la recevabilité et le

bien-fondé de la requête ;

      Vu les observations orales des parties développées à l'audience

du 8 juillet 1992 ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :EN FAIT

      La requérante, née en 1955, est domiciliée à Lorca (Murcie).

Elle est femme au foyer.  Devant la Commission elle est représentée par

Me J.C. Mazón Costa, avocat au barreau de Murcie.

      Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par les parties

peuvent se résumer comme suit :

      La requérante et sa famille - son époux, ouvrier de profession,

et ses deux filles nées en 1980 et 1984 - résident à "Diputación del

Rio, el Lugarejo", quartier éloigné de quelques centaines de mètres du

centre de Lorca, municipalité à laquelle il appartient.  Lorca est le

lieu d'une forte concentration d'industries du cuir.

      Plusieurs tanneries installées à Lorca, groupées au sein d'une

société nommée RECURSA, firent construire sur des terrains appartenant

à la commune une station d'épuration des eaux et des déchets. La

station d'épuration est située à 12 mètres de l'habitation de la

requérante.

      En juillet 1988 la station d'épuration démarra ses activités sans

avoir obtenu le permis ("licencia") municipal exigé par le règlement

relatif aux activités classées insalubres, nocives et dangereuses de

1961.  Les émanations de gaz, d'odeurs pestilentielles et la

contamination de la station causèrent immédiatement des troubles de

santé et des nuisances à de nombreux habitants de Lorca,  notamment à

ceux vivant à "Diputación del Río, el Lugarejo".  Le conseil municipal

évacua les résidents de ce quartier et les relogea gratuitement au

centre ville pendant les mois de juillet, août et septembre 1988.

Suite à de nombreuses plaintes et au vu des rapports des autorités

sanitaires et de l'agence régionale pour la protection de

l'environnement, le conseil municipal ordonna le 9 septembre 1988

l'arrêt de l'une des activités de la station d'épuration, à savoir

celle de décantation de résidus chimiques et organiques dans des

bassins d'eau ("lagunaje").  Toutefois, l'activité d'épuration des eaux

résiduelles souillées au chrome fut maintenue.

      Les versions des parties divergent quant aux conséquences de

cette décision du 9 septembre 1988.  D'après le Gouvernement, la

station ne provoque plus de nuisances à la suite de l'arrêt partiel de

ses activités.  Elle ne dégage plus de fumées, ni d'odeurs, ni de

bruit, ce qui fait que, toujours selon la version du Gouvernement, le

cadre de vie autour de la station est à présent agréable.

      Selon la version de la requérante, une fois revenue à son

domicile, elle constata la persistance des troubles de santé

(allergies, difficultés respiratoires, problèmes dermatologiques,

malaises), de la dégradation de l'environnement (air nauséabond,

insectes, bruit, fumée) et de la qualité de vie (impossibilité d'ouvrir

les fenêtres, odeurs persistantes dans les vêtements) résultant de

l'activité de la station.  De plus, le stockage de produits chimiques

dangereux à proximité des habitations constituait à ses yeux un risque

pour la sécurité.

      Après avoir tenté vainement de trouver une solution auprès de la

mairie, la requérante saisit la juridiction administrative d'un recours

en protection de ses droits fondamentaux.  Elle se plaignait notamment

d'une ingérence illégitime dans son domicile et dans la jouissance

pacifique de celui-ci, d'une violation de son droit à choisir librement

un domicile et d'atteintes à l'intégrité physique et morale, à la

liberté et à la sécurité.  Dans son recours elle demandait à la Chambre

administrative de Murcie d'ordonner soit la fermeture de la station

d'épuration, soit l'arrêt total de ses activités.  Malgré l'avis

favorable du ministère public, le 31 janvier 1989 la Chambre

administrative rejeta le recours.  L'arrêt considérait que malgré la

détérioration de la santé et de la qualité de vie de la requérante due

au fonctionnement de la station, cela n'était pas suffisamment grave

pour constituer une violation des droits fondamentaux invoqués.  Par

ailleurs, le fonctionnement sans permis de la station, indiquait

l'arrêt, n'était pas une question susceptible d'être examinée dans le

cadre d'une procédure spéciale de protection des droits fondamentaux

telle que celle d'espèce.

      La requérante fit appel, alléguant que divers témoignages et

expertises montraient que la station dégageait des fumées polluantes,

des odeurs pestilentielles et irritantes ainsi que des bruits nuisibles

et persistants responsables entre autres des problèmes de santé que sa

fille et elle-même subissaient.  Le refus de l'administration

municipale d'ordonner sa fermeture malgré l'absence de permis de

fonctionnement constituait donc une ingérence illégitime dans le droit

au respect de son domicile et une atteinte à son intégrité physique.

L'article 8 par. 1 de la Convention était cité expressément.

      Le procureur près le Tribunal suprême formula, en date du 13 mars

1989, un avis selon lequel il y avait lieu de faire droit à la demande

de la requérante qui subissait des nuisances de santé et une

détérioration de sa qualité de vie en raison d'une activité illégale,

cela ayant été reconnu par l'arrêt du 31 janvier 1989.

      Toutefois, par arrêt du 27 juillet 1989 le Tribunal suprême

rejeta le recours au motif qu'aucun agent public n'avait pénétré dans

le domicile de la requérante - qui était libre de déménager - ni porté

atteinte à son intégrité physique, la question de l'absence de permis

de fonctionnement devant être traitée dans le cadre d'une procédure

judiciaire ordinaire.  La requérante saisit alors le Tribunal

constitutionnel d'un recours d'"amparo" fondé sur la violation des

articles 15 (droit à l'intégrité physique), 18 (droit à la vie privée

et à l'inviolabilité du domicile familial) et 19 (droit à choisir

librement son domicile) de la Constitution espagnole.

      Le 26 février 1990 le Tribunal constitutionnel rejeta le recours

comme étant manifestement mal fondé. Cette juridiction indiquait que

l'existence de fumées, odeurs et bruits ne constituait pas en soi une

violation du domicile, que le refus d'ordonner la fermeture de la

station n'était pas un traitement dégradant pour la requérante dont la

vie et l'intégrité physique n'étaient pas en danger, et qu'il n'y avait

pas atteinte au droit de choisir un domicile car aucune autorité

n'avait chassé la requérante de son domicile.  Le Tribunal

constitutionnel estimait enfin que le grief concernant l'atteinte à la

vie privée n'avait pas été dûment soulevé devant les tribunaux

ordinaires.

      D'autre part, d'autres résidents du même quartier ayant introduit

un recours contre le fonctionnement illégal de la station, la Chambre

Administrative du Tribunal supérieur de Murcie rendit, le

18 septembre 1991, un arrêt ordonnant la fermeture de la station faute

des permis exigés par la loi.  L'exécution de cet arrêt est demeuré en

suspens à la suite de l'appel du conseil municipal et de la

société SACURSA.  L'affaire est désormais pendante devant le Tribunal

suprême.

      D'autre part encore, une plainte pour délit écologique présentée

par un résident du même quartier déboucha sur une ordonnance de

fermeture de la station rendue par le juge d'instruction n° 2 de Lorca

le 15 novembre 1991.  Toutefois, à la suite d'un recours du ministère

public contre cette décision, elle fut révoquée le 25 novembre 1991.

GRIEFS

      La requérante se plaint de l'installation et du fonctionnement

illégaux, à quelques mètres de son domicile, d'une station d'épuration

qui dégage des odeurs pestilentielles, des bruits persistants et des

fumées polluantes, ce qui constitue une violation de son domicile et

rend impossible la vie privée et familiale.  Elle invoque l'article 8

par. 1 de la Convention.

      La requérante se plaint aussi que le fait d'avoir été obligée à

résider à côté d'un égout immonde constitue un traitement dégradant

prohibé par l'article 3 de la Convention dont se sont rendues coupables

les autorités espagnoles par leur inactivité.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

      La présente requête fut introduite le 14 mai 1990 et enregistrée

le 28 juin 1990.

      Le 2 juillet 1991 la Commission décida de communiquer la requête

au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des observations

sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

      Le Gouvernement défendeur présenta ses observations le

23 octobre 1991.  Il présenta des observations complémentaires les

14 et 19 novembre 1991 et le 26 mars 1992.

      Le 13 décembre 1991 la Commission décida d'accorder à la

requérante le bénéfice de l'assistance judiciaire.

      La requérante fit parvenir des observations en réponse le

3 janvier 1992.  Elle envoya des observations complémentaires le

10 janvier et le 13 avril 1992.

      La Commission ayant repris l'examen de la requête le

31 mars 1992, elle décida de tenir une audience contradictoire entre

les parties sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

      L'audience a eu lieu le 8 juillet 1992.  Les parties étaient

représentées comme suit :

      Pour le Gouvernement :

      M. Javier BORREGO BORREGO du ministère de la Justice, Agent du

      Gouvernement.

      Pour le requérant :

      Me José Luis MAZÓN COSTA, Conseil

      Me José Rios BRAVO, Conseil

      Mme Gregoria LOPEZ OSTRA, requérante.

EN DROIT

1.    La requérante se plaint que le fonctionnement illégal de la

station d'épuration des résidus des tanneries installée à quelques

mètres de son lieu de résidence méconnaît son droit à la vie privée et

familiale et au respect de son domicile.  Elle invoque l'article 8

(art. 8) de la Convention.  Cette disposition se lit comme suit :

      "1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et

      familiale, de son domicile et de sa correspondance.

      2.   Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique

      dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette

      ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une

      mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire

      à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être

      économique du pays, à la défense de l'ordre et à la

      prévention des infractions pénales, à la protection de la

      santé ou de la morale, ou à la protection des droits et

      libertés d'autrui."

      Le Gouvernement soulève tout d'abord une exception préliminaire

tirée du non-épuisement des voies de recours internes.  En effet,

indique-t-il, deux procédures qui concernent les mêmes faits que ceux

dénoncés dans la présente requête sont toujours pendantes devant les

tribunaux espagnols, l'une devant la juridiction administrative,

l'autre devant la juridiction pénale.  Même si la requérante n'est pas

elle-même directement partie auxdites procédures entamées par d'autres

membres de sa famille et par des résidents de son quartier, assistés

d'ailleurs par le même avocat qui représente la requérante devant la

Commission, elle est en tout cas concernée par leur issue car les

décisions judiciaires qui y seront rendues pourraient conduire à la

fermeture définitive de la station.  Le Gouvernement explique que les

griefs que la requérante tire de l'article 8 (art. 8) de la Convention

pourraient par conséquent trouver remède dans l'ordre juridique interne

une fois que les procédures encore en cours, dont l'existence est

connue de la requérante, auront pris fin.  Dès lors, la requête devrait

être rejetée par la Commission comme étant prématurée.

      La requérante estime, pour sa part, que l'exception préliminaire

du Gouvernement devrait être rejetée car elle a saisi les tribunaux

internes au moyen d'un recours efficace, à savoir, un recours en

protection de ses droits fondamentaux prévu expressément par la loi.

Elle y a soulevé les mêmes griefs qu'elle soumet maintenant à l'examen

de la Commission.  Contre le rejet de son recours, elle a d'abord fait

appel devant le Tribunal suprême et ensuite elle a introduit un recours

d'"amparo" devant le Tribunal constitutionnel qui est la plus haute

instance nationale en matière de protection des droits fondamentaux.

Elle estime donc avoir donné aux autorités nationales la possibilité

de redresser les griefs dont elle se plaint aujourd'hui devant la

Commission.  L'existence d'autres procédures judiciaires pendantes

entamées par d'autres justiciables pour se prémunir contre les

nuisances provoquées par la station litigieuse ne sauraient en rien

faire obstacle à la recevabilité de la requête dont elle a saisi la

Commission après que les diverses instances nationales compétentes

aient rejeté ses griefs.

      La Commission observe que la requérante a saisi la juridiction

administrative d'un recours fondé sur la violation de plusieurs de ses

droits fondamentaux protégés par la Constitution espagnole et par la

Convention, notamment de ses droits à la vie privée et familiale et au

respect de son domicile, droits dont la violation est alléguée

aujourd'hui devant la Commission.  Ce recours est prévu par la loi

organique 62/78 de protection de droits fondamentaux comme un moyen

abrégé et rapide pour les justiciables de réclamer la protection des

tribunaux en cas de violation de certains droits et libertés

fondamentales.  Cette procédure a pris fin ensuite par décision du

26 février 1990 du Tribunal constitutionnel qui est la plus haute

instance nationale en matière de garantie des droits et libertés

fondamentales.  La Commission considère que les voies de recours

internes suivies par la requérante étaient efficaces - le Gouvernement

ne le conteste d'ailleurs pas - pour pouvoir redresser les griefs

qu'elle soumet maintenant à son examen.

      Il est vrai que d'autres procédures relatives au fonctionnement

de la station d'épuration litigieuse - l'une de légalité ordinaire

devant la juridiction administrative et l'autre pour délit écologique

devant la juridiction pénale - sont toujours pendantes devant les

tribunaux espagnols.  La Commission constate cependant que la

requérante n'est pas partie à ces procédures.  Reste à savoir si, afin

d'épuiser valablement les voies de recours internes, elle était tenue

d'entamer elle-même l'une ou l'autre de ces procédures avant de saisir

la Commission.

      Toutefois, la Commission est d'avis que la requérante a fourni

aux autorités nationales l'occasion que la règle de l'épuisement a

précisément pour finalité, à savoir, redresser les manquements allégués

à leur encontre (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980,

série A n° 39, pp. 26-27, par. 72 ; cf. aussi No 9228/80, déc.

16.12.82, D.R. 30 p. 153).  Elle considère que, ayant fait un usage

normal des recours internes directement efficaces et suffisants dont

elle disposait selon le droit interne pour se plaindre de la violation

des droits garantis par la Convention, la requérante n'était pas tenue

d'en intenter également d'autres, moins appropriés et rapides.

      La Commission rejette par conséquent l'exception préliminaire

soulevée par le Gouvernement.

      Quant au fond, le Gouvernement, tout en admettant qu'entre le

9 juillet et le 9 septembre 1988, le fonctionnement de la station a

provoqué des graves nuisances à tous les habitants de Lorca, considère

que la requérante n'a plus subi à partir de l'arrêt partiel de

l'activité de la station décidé par le conseil municipal de Lorca le

9 septembre 1988, aucune des nuisances dont elle se plaint.  Il

explique que la seule activité de la station à partir de cette date est

le traitement des eaux souillées au chrome, processus qui a lieu en

circuit fermé sans dégager de fumée ni d'odeur et sans provoquer de

bruit excessif.  Le Gouvernement affirme que le cadre de vie dans les

alentours de la station est devenu donc depuis ladite date tout à fait

convenable.  Dès lors, le droit de la requérante au respect de sa vie

privée et familiale et de son domicile, ne fait pas l'objet à présent

des ingérences dont elle se plaint devant la Commission de sorte

qu'aucun problème ne se pose sous l'angle de l'article 8 (art. 8) de

la Convention.

      Quoi qu'il en soit, le Gouvernement fait valoir que, même à

supposer que la requérante ait subi après le 9 septembre 1988 quelques

nuisances - de toute façon non excessives - provoquées par le

fonctionnement partiel et limité de la station d'épuration sise près

de son domicile, elle a perdu entre-temps la qualité de victime, au

sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, des violations dont

elle se plaint. Il fait en effet valoir que le conseil municipal de

Lorca verse à partir du 1er février 1992 le prix du loyer de

l'appartement que la requérante occupe dans un emplacement de son choix

au centre de Lorca.  Par conséquent, ni elle ni sa famille ne subissent

plus les prétendus effets indésirables causés par le fonctionnement de

la station d'épuration.

      La requérante réfute pour sa part la thèse du Gouvernement selon

laquelle il n'y aurait plus d'ingérence dans les droits garantis par

l'article 8 (art. 8) de la Convention à la suite de l'arrêt partiel des

activités de la station décidé le 9 septembre 1988.  Elle soumet à

l'examen de la Commission plusieurs moyens de preuve à l'appui de sa

thèse selon laquelle elle-même et sa famille, comme nombre d'habitants

de son quartier, continuent de souffrir des problèmes sérieux de santé

comme conséquence de l'activité présente de la station qui n'a pas

cessé de dégager des fumées, odeurs, bruits qui rendent leur cadre de

vie insupportable.  Elle fournit notamment des certificats médicaux

selon lesquels sa fille souffre de problèmes dermatologiques,

respiratoires, diarrhées et vomissements résultant de son exposition

constante aux émanations polluantes provenant de la station toute

proche de son domicile.  L'existence d'odeurs nauséabondes, fumées

pestilentielles, bruits persistants est, selon la requérante, confirmée

par divers témoignages et rapports datés après le 9 septembre 1988.

Elle attire l'attention de la Commission sur le fait que les décisions

judiciaires rendues dans les autres procédures concernant la station

litigieuse, pendantes maintenant en Espagne, notamment l'arrêt du

Tribunal supérieur de Murcie du 18 septembre 1991 et l'ordonnance du

juge d'instruction n° 2 de Lorca du 15 novembre 1991, confirment

l'existence des graves nuisances qu'elle dénonce dans sa requête.

      La requérante soutient enfin qu'elle n'a pas perdu la qualité de

victime en raison de son relogement à partir du 1er février 1992 aux

frais de la municipalité de Lorca.  Elle fait valoir qu'il s'agit là

d'une mesure de nature provisoire et de durée limitée qui ne saurait

effacer les conséquences des violations de l'article 8 (art. 8) de la

Convention qu'elle estime avoir subies.

      La Commission a procédé à un premier examen des faits et

arguments des parties.  Elle rappelle qu'aux termes de l'article 8

(art. 8) de la Convention, un Etat ne doit pas seulement respecter mais

aussi protéger effectivement les droits garantis par cette disposition

(cf. Cour Eur. D.H., arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A n° 31,

p. 15, par. 31).  Cette disposition ne saurait d'ailleurs s'interpréter

comme s'appliquant uniquement aux mesures directes prises par les

autorités et portant atteinte à la vie privée et/ou au domicile d'un

individu.  Elle peut couvrir aussi les intrusions indirectes,

conséquences inévitables de mesures qui ne visent pas du tout des

particuliers.  Or, une pollution considérable peut affecter le bien-

être physique d'un individu et dès lors porter atteinte à sa vie privée

ou le priver de la possibilité de jouir des agréments de son domicile

(cf. mutatis mutandis No 9310/81, déc. 16.7.86, D.R. 47 p. 5).

      La Commission considère que la question de savoir si les

autorités espagnoles ont assuré en l'espèce un respect suffisant des

droits dont jouit la requérante au titre de l'article 8 (art. 8) de la

Convention, soulève des problèmes complexes de fait et de droit qui ne

sauraient être tranchés au stade de la recevabilité et nécessitent un

examen du fond.

      Dès lors, sur les points considérés, la requête ne saurait être

déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

2.    La requérante se plaint de surcroît que le fait d'avoir été

obligée de vivre dans un cadre de vie aussi pollué équivaut à un

traitement dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention.

      Cette disposition est rédigée comme suit :

      "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou

      traitements inhumains ou dégradants."

      Toutefois, la Commission constate que le grief que la requérante

tire de la violation de cette disposition se fonde sur les mêmes faits

qui sont à l'origine des griefs qu'elle tire de la violation de

l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il ne saurait donc être rejeté

en l'état.

      Par ces motifs, la Commission,

      à la majorité,

      DECLARE LA REQUETE RECEVABLE tous moyens de fond réservés.

      Le Secrétaire                         Le Président

    de la Commission                      de la Commission

      (H.C. KRÜGER)                        (C.A. NØRGAARD)

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