CEDH, Commission, C. et B. c. la Belgique, 29 juin 1992, 19041/91
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 29 juin 1992, n° 19041/91 |
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Numéro(s) : | 19041/91 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 10 septembre 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24948 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1992:0629DEC001904191 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 19041/91
présentée par J.C. et L.B.
contre la Belgique
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 29 juin 1992 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ RUIZ
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits
de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 10 septembre 1991 par J.C. et
L.B. contre la Belgique et enregistrée le 6 novembre 1991 sous
le No de dossier 19041/91 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur
de la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, J.C., et son épouse, L.B., sont
ressortissants belges et cultivateurs de houblon à Vlamertinghe,
Belgique. Ils sont représentés devant la Commission par Maître
Martin Denys, avocat au barreau de Bruxelles.
Les faits de la cause tels qu'exposés par les requérants
peuvent se résumer comme suit.
En vue du dédoublement d'une chaussée, un projet de plan
d'aménagement urbanistique Ypres-Poperinghe a prévu la
construction d'une voie coupant en deux la houblonnière des
requérants. Le projet de plan de secteur en date du 2 août 1976
ne prévoyait pas l'expropriation des biens nécessaires à la
construction de cette voie, mais par arrêté royal du 21 novembre
1977, le Roi a décidé d'exproprier l'emprise afférente aux biens
des requérants. Cet arrêté n'a pas été notifié aux requérants
qui n'ont par ailleurs pas été invités à exprimer leur opinion
au sujet de cette mesure.
Par exploit du 4 septembre 1978, les requérants ont été
invités à comparaître sur les lieux à l'audience devant le juge
de paix du 13 septembre 1978. Lors de cette audience, le conseil
des requérants a fait valoir que l'arrêté d'expropriation était
entâché d'illégalité flagrante en ce que l'arrêté n'avait pas
fait l'objet d'une enquête publique avec avertissement aux futurs
expropriés et en ce que les plans visés à l'arrêté ne
mentionnaient pas l'autorité expropriante.
Le 14 septembre 1978, le juge de paix a rendu son jugement,
dans lequel il déclarait les formalités d'expropriation remplies,
constatait que l'illégalité pourrait être discutée plus tard
pendant la procédure en révision et fixait les indemnités
provisionnelles à 1.404.746 francs en attendant que l'expert
désigné dépose un rapport.
Le 3 novembre 1978, l'expropriant a signifié aux requérants
le jugement précité ainsi que l'attestation de la consignation
de l'indemnité provisionnelle. Le 13 novembre 1978,
l'expropriant a été envoyé en possession.
L'entrepreneur a entamé les travaux le 13 avril 1979, à la
suite de quoi les requérants ont assigné l'entrepreneur et
l'expropriant en référé aux fins de faire arrêter les travaux
tant qu'une enquête publique n'avait pas été tenue. Cette
procédure de référé s'est terminée en première instance par une
ordonnance d'incompétence rendue le 21 juin 1979 par le président
du tribunal de première instance d'Ypres. L'appel interjeté par
les requérants a été rejeté le 13 octobre 1979 par la cour
d'appel de Gand, et leur pourvoi en cassation a été rejeté par
l'arrêt de la Cour de cassation en date du 23 avril 1981.
Par jugement du 9 mai 1980, le juge de paix a statué sur le
montant des indemnités provisoires, fixées à 4.236.334 francs.
Les requérants ont demandé la révision de ce jugement en se
fondant notamment sur la prétendue illégalité de l'expropriation.
Les exceptions d'illégalité ont été rejetées le 26 mai 1982 par
le tribunal de première instance d'Ypres qui, par ailleurs, a
fixé les indemnités à 4.118.797 francs.
Les requérants ont interjeté appel de ce jugement devant la
cour d'appel de Gand qui, par arrêt du 10 mars 1988, a confirmé
le jugement attaqué.
Le pourvoi en cassation introduit par les requérants a été
rejeté par la Cour de cassation le 22 mars 1991.
Le 22 octobre 1981, les requérants ont introduit une
première requête (N° 9564/81) devant la Commission. Dans cette
requête ils se plaignaient de la même procédure d'expropriation
qui fait l'objet de la présente requête. Leurs griefs, tirés de
l'article 6 de la Convention et de l'article 1er du Protocole
additionnel, ont été déclarés irrecevables, le 9 décembre 1983,
pour non-épuisement des voies de recours internes.
GRIEFS
Les requérants se plaignent de violations de l'article 6 de
la Convention et de l'article 1er du Protocole additionnel. Ils
font valoir notamment :
1. que les "actes incriminés" empêchent l'exercice de leur
droit d'action en cas de violation de leurs droits de propriété
soit par l'expropriation soit par l'exécution de travaux publics
(article 6 de la Convention et article 1er du Protocole),
2. que les "actes incriminés" rendent illusoire le droit à ce
que la cause de l'exproprié soit entendue équitablement en raison
du caractère extrêmement sommaire de la procédure en constatation
de la nullité du décret devant le juge de paix (défense le jour
de l'introduction de l'affaire lors d'une audience en campagne
et obligation de statuer dans les 48 heures) (article 6 de la
Convention et article 1er du Protocole),
3. que les "actes incriminés" empêchent un procès équitable qui
implique le traitement égalitaire des parties, étant donné
notamment que le recours en appel du premier jugement du juge de
paix est seulement reconnu à l'expropriant et non pas à
l'exproprié (article 6 de la Convention et articler 1er du
Protocole),
4. que les "actes incriminés" empêchent une motivation adéquate
des décisions de justice, le juge de paix ayant réservé l'examen
de la légalité de l'expropriation au juge statuant en révision,
c'est-à-dire après exécution de la mesure, alors que les
dispositions nécessitent une motivation adéquate (article 6 de
la Convention et article 1er du Protocole),
5. qu'ils ont été privés de leur propriété le 14 septembre 1978
sans indemnisation complète et préalable (article 1er du
Protocole),
6. que les divers cours et tribunaux ont tenu compte pour la
fixation de l'indemnité pour perte de leurs biens de l'article
239 du code des impôts sur les revenus, qui prévoit que les
déclarations des contribuables relatives à l'impôt des personnes
physiques leur sont opposables pour la fixation des dommages-
intérêts qu'ils réclament à l'Etat, tandis que les requérants en
tant qu'agriculteurs avaient été taxés forfaitairement suite à
un accord avec l'administration des contributions (article 1er
du Protocole).
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent de diverses violations de
l'article 6 (art. 6) de la Convention et de l'article 1er du
Protocole additionnel (P1-1). Leurs griefs se rapportent
notamment à la procédure devant le juge de paix et à l'absence
de recours disponible à l'exproprié pendant cette première phase
de la procédure d'expropriation. Ils se plaignent également du
montant de compensation qui leur a été accordé et de la manière
dont ce montant a été déterminé.
L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose
notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement ... par un tribunal ... qui décidera ...
sur ses droits et obligations de caractère civil".
L'article 1er du Protocole additionnel (P1-1) dispose que
"toute personne ... a droit au respect de ses biens" et que "nul
ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité
publique et dans les conditions prévues par la loi et les
principes généraux du droit international".
2. La Commission rappelle que la procédure d'expropriation
d'extrême urgence en droit belge consiste en plusieurs phases
séparées. La procédure se déroule dans un premier temps devant
le juge de paix qui statue à deux reprises. Il rend son premier
jugement, dit provisionnel, après avoir contrôlé la régularité
de la procédure. Dans ce premier jugement il fixe également
l'indemnité provisionnelle. Il statue une deuxième fois sur base
de rapport d'expertise sur l'indemnité provisoire dans un
jugement, dit provisoire. L'indemnité provisoire devient
définitive à défaut d'action en révision devant le tribunal de
première instance.
Dans sa décision sur la recevabilité de la première requête
des requérants (N° 9564/81, déc. 9.12.83, non publiée), la
Commission s'est exprimée comme suit :
"La Commission examine la question de savoir si l'action en
révision constitue un recours au sens de l'article 26
(art. 26) de la Convention. A cet égard, elle relève que
cette action constitue une action nouvelle au premier degré
qui est instruite par le tribunal de première instance
conformément au code judiciaire. Le jugement rendu est
susceptible des recours habituels, à savoir les voies
d'appel et de cassation. Aux termes de l'article 16
(art. 16) de la loi mise en cause, l'action en révision
peut être fondée tant sur le montant des indemnités
d'expropriation que sur l'irrégularité de cette
expropriation. Comme l'a relevé la Cour de cassation dans
un arrêt du 22 janvier 1982 mentionné par le Gouvernement,
l'action en révision donne à la partie expropriée
l'occasion de recommencer tout le procès.
Quant aux effets de la reconnaissance du bien-fondé d'une
exception d'irrégularité, la Commission constate, ainsi que
l'a relevé le Gouvernement défendeur, que la majorité de la
doctrine et de la jurisprudence - du moins dans le cas où,
comme en l'espèce, le bien a été incorporé à un ouvrage
public ou qu'il est entré dans le domaine public par
l'affectation de l'ouvrage
auquel le bien est incorporé - estime que l'action en
révision doit se résoudre en dommages et intérêts. La
Commission n'estime pas nécessaire, dans la présente
affaire, de se prononcer sur la question de savoir si, en
matière d'expropriation, un recours doit être considéré
comme inefficace du fait qu'il ne peut aboutir qu'à des
dommages et intérêts.
Compte tenu de l'objet de l'action en révision, la
Commission estime qu'elle ne peut en faire abstraction en
examinant la question de l'épuisement des voies de recours
internes. Les griefs des requérants déduits de la
violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention, en
particulier celui tiré du fait que le droit belge ne
permettrait pas que la régularité d'une expropriation soit
effectivement contrôlée avant le transfert de la propriété,
doivent, à son avis, être examinés eu égard à l'ensemble de
la procédure d'expropriation. En d'autres termes, la
Commission considère, pour ce qui concerne les griefs des
requérants, qu'il n'est pas opportun d'opérer une
distinction entre la procédure devant le juge de paix au
cours de laquelle aurait lieu un contrôle sommaire de la
régularité - contrôle qui, comme tel, ne semble pas
méconnaître les garanties de la Convention - et la
procédure en révision, pendant laquelle la question de la
régularité de l'expropriation peut faire l'objet d'un
contrôle plus approfondi."
Suivant un raisonnement analogue, la Commission estime qu'en
l'espèce il n'y a pas lieu d'opérer une distinction nette entre
les différentes phases de la procédure. Au contraire, la
procédure devant le juge de paix et la procédure en révision
devant le tribunal de première instance doivent être vues comme
un ensemble. Si la procédure devant le juge de paix est en
quelque sorte sommaire et si les recours contre les jugements du
juge de paix sont restreints ou exclus, il n'en est pas de même
pour la procédure en révision qui fournit toutes les garanties
normales d'une procédure judiciaire, y compris les voies de
recours normales de l'appel et, le cas échéant, le pourvoi en
cassation.
Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire pour la Commission
de procéder à un examen approfondi des griefs des requérants
concernant la procédure devant le juge de paix, car en tout cas
ils ont bénéficié, pendant la procédure en révision, de toutes
les garanties procédurales consacrées par l'article 6 (art. 6)
de la Convention. Leurs griefs sont donc à cet égard
manifestement mal fondés au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
3. Pour autant que les requérants se plaignent de
l'indemnisation qui leur a été accordée et de la manière dont
cette indemnisation a été déterminée, la Commission constate que
le juge de paix a fixé d'abord les indemnités provisionnelles à
1.404.746 francs et ensuite, sur la base d'un avis d'expert, les
indemnités provisoires à 4.236.334 francs. Par la suite, le
tribunal de première instance a réduit ce montant à 4.118.797
francs. L'appréciation faite par le tribunal à cet égard a été
confirmée par la cour d'appel.
Ayant examiné les jugements pertinents du juge de paix et
du tribunal ainsi que l'arrêt de la cour d'appel, la Commission
est d'avis que l'indemnisation a été déterminée sur la base d'un
examen approfondi et détaillé de la perte subie par les
requérants. Rien n'indique que les indemnités finalement
accordées ont été déraisonnables ou fixées d'une manière
arbitraire. Par conséquent, cette partie de la requête est
également manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par.
2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Secrétaire de la Commission Président de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)