CEDH, Commission, MENDES GODINHO E FILHOS c. le PORTUGAL, 2 septembre 1992, 17231/90
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 2 sept. 1992, n° 17231/90 |
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Numéro(s) : | 17231/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 20 septembre 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24962 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1992:0902DEC001723190 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 17231/90
présentée par Manuel MENDES GODINHO E FILHOS
contre le Portugal
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 septembre 1992 en
présence de
MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
H. G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G. H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 20 septembre 1990 par Manuel MENDES
GODINHO E FILHOS contre le Portugal et enregistrée le 27 septembre 1990
sous le No de dossier 17231/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante prétend être une société commerciale en nom
collectif immatriculée au registre du commerce de Tomar.
Devant la Commission, elle est représentée par Me Francisco
Salgado Zenha, avocat à Lisbonne.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par la requérante,
peuvent se résumer comme suit.
La requérante était la maison-mère d'un ensemble de sociétés
connues sous le nom "groupe Mendes Godinho".
Ce groupe exerçait plusieurs activités, y compris bancaires.
Le 14 mars 1975 le Conseil de la Révolution nationalisa tous les
établissements bancaires et de crédit.
Le 9 avril 1976 le Conseil des Ministres décida d'intégrer la
requérante dans la banque "B.E.S.C.L., E.P.".
Depuis lors, tout le patrimoine de la requérante est détenu par
la "B.E.S.C.L., E.P.", qui contrôle également les autres sociétés du
groupe.
Cette situation a donné lieu à de nombreuses procédures engagées
par la requérante.
Le 12 avril 1983 la requérante introduisit devant le tribunal de
Tomar (Tribunal Judicial de Tomar) une action civile contre l'Etat et
la "B.E.S.C.L., E.P". Elle demanda au tribunal de déclarer que la
nationalisation de 1975 n'avait pour objet que l'établissement
bancaire, propriété de la requérante, et que, dès lors, les autres
secteurs d'activité du groupe Mendes Godinho demeuraient sa propriété.
La requérante demanda en outre la condamnation de l'Etat à reconnaître
son obligation d'indemnisation envers elle, suite à la nationalisation.
Après une phase écrite de la procédure, le juge décida le 22 mars
1984 par jugement sans audience (saneador-sentença) d'accueillir une
exception soulevée par les parties défenderesses selon laquelle la
requérante serait dépourvue de personnalité juridique et de capacité
d'agir. Le juge constata qu'à partir des années 60, la requérante
avait pour objet exclusif le commerce bancaire et considéra qu'en
raison de la nationalisation de cette activité et de l'intégration
ultérieure de tout son patrimoine dans celui de la "B.E.S.C.L., E.P.",
la société requérante avait été dissoute, ce qui avait entraîné son
extinction. Le juge conclua que la requérante n'avait pas d'existence
juridique.
La requérante fit devant le juge une réclamation contre ce
jugement qu'elle considéra entachée de nullité.
La requérante faisait valoir que le juge avait statué sur le
bien-fondé de la cause sans tenir d'audience publique, ce qui était
contraire à la Constitution et à l'article 6 par. 1 de la Convention.
Le juge rejeta cette réclamation.
Après cette décision, la requérante fit deux appels devant la
cour d'appel de Coimbra : le premier contre la décision du juge de
rejeter sa réclamation et demandant la tenue d'une audience et le
deuxième contre le jugement du 22 mars 1984.
Par arrêt du 19 mars 1985, la cour d'appel accueillit le premier
recours. La cour soulignait que l'objet du litige concernait
essentiellement la question de l'existence juridique de la requérante.
Cela étant, les arguments de l'Etat relevaient du bien-fondé de
l'affaire et non de la question de la capacité d'agir de la requérante.
Par conséquent, le juge ne pouvait pas rendre une décision sans
audience à un tel stade de la procédure. Ladite décision était donc
entachée de nullité.
La cour d'appel décida en outre de ne pas se prononcer sur le
deuxième recours, interjeté contre le jugement du 22 mars 1984, celui-
ci n'ayant plus d'objet.
Toutefois, le 6 janvier 1986, la cour suprême (Supremo Tribunal
de Justiça) statuant sur recours de la "B.E.S.C.L., E.P.", cassa la
décision de la cour d'appel. Elle ordonna en outre le renvoi du
dossier à la cour d'appel, afin que celle-ci se prononce sur le recours
interjeté par la requérante contre le jugement du 22 mars 1984.
La requérante interjeta alors un recours devant le tribunal
constitutionnel, se fondant sur la violation des principes de la
publicité et du procès équitable.
Le tribunal constitutionnel rendit son arrêt le 20 juin 1990
déboutant la requérante de ses prétentions. Le tribunal souligna que
les dispositions pertinentes de la Constitution, ainsi que l'article
6 par. 1 de la Convention, ne garantissaient pas la tenue d'une
audience en toutes circonstances, tout du moins lorsqu'il s'agit d'une
procédure civile. Vu les circonstances en l'espèce, le tribunal décida
par ailleurs que la procédure n'avait pas méconnu les principes du
contradictoire et du procès équitable.
La requérante considère cet arrêt comme la décision interne
définitive au sens de l'article 26 de la Convention.
Après l'arrêt du tribunal constitutionnel, le dossier fut
transmis à la cour d'appel, conformément à l'arrêt de la cour suprême
du 6 janvier 1986.
La cour d'appel rendit son arrêt le 12 novembre 1991. Elle
accueillit les prétentions de la requérante et ordonna au juge du
tribunal de Tomar de tenir une audience. La cour soulignait que le
motif invoqué par le juge pour accueillir l'exception soulevée par les
défenderesses, à savoir le fait que la société requérante avait pour
objet exclusif depuis les années 60 le commerce bancaire, était un fait
non établi et qu'il aurait fallu éclaircir dans une audience.
La procédure est toujours pendante.
GRIEFS
La requérante se plaint de ce que la décision du tribunal de
Tomar du 22 mars 1984, rendue sans audience, aurait méconnu son droit
à un procès public et équitable. Ainsi, elle n'a pu notamment faire
valoir ses arguments lors d'une audience publique et contradictoire.
La requérante invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
EN DROIT
La requérante se plaint de ce que la décision du tribunal de
Tomar du 22 mars 1984, rendue sans audience, aurait méconnu son droit
à une audience publique garantie par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de
la Convention, qui dispose notamment :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera
(...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...)".
Selon la jurisprudence constante de la Commission, la conformité
d'un procès aux normes fixées à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention doit être examinée sur la base de l'ensemble du procès et
non pas à partir d'un aspect ou incident particulier. Certes, un
incident ou aspect particulier peuvent avoir été marquants ou avoir
revêtu une importance telle qu'ils constituent un élément décisif pour
l'appréciation générale de l'ensemble du procès. Mais il est important
de relever à cet égard que même en pareil cas, c'est sur la base du
procès dans son ensemble qu'il convient de décider si la cause a été
entendue équitablement, pareil examen d'ensemble de la procédure
n'étant pas possible si celle-ci n'est pas menée à son terme
(N° 9000/80, déc. 11.3.82, DR 28 p. 127).
En l'espèce, la Commission note que, en dépit de l'arrêt du
tribunal constitutionnel, la procédure est toujours pendante suite à
l'arrêt de la cour d'appel de Coimbra du 12 novembre 1991. Cet arrêt
a accueilli le recours que la requérante avait interjeté contre le
jugement du tribunal de Tomar du 22 mars 1984 et a ordonné la tenue
d'une audience. Cela veut dire qu'il n'est pas exclu que la requérante
vienne à bénéficier d'une audience où elle pourrait alors faire valoir
les arguments qu'elle estimera adéquats et, par conséquent, que
l'éventuelle atteinte au droit à ce que sa cause soit entendue de
manière équitable, soit effacée et remédiée par ce biais.
Il s'ensuit que la requête est prématurée et doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)